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Conclusion de la partie

Section 1. Définir l’entreprise coopérative pour comprendre les spécificités des CAE

Le niveau d’analyse de l’entreprise permet d’étudier un certain niveau de dynamiques productives, en vue de saisir l’unité et la diversité des modalités institutionnelles et organisationnelles qui caractéri- sent un ensemble d’entités productives (Lung, 2007). De fait, les formes coopératives (secteur, qualité de ses membres) se caractérisent par leur hétérogénéité. L’enjeu est toutefois de dépasser la compré- hension de l’entreprise coopérative sur un plan strictement juridique par la notion de société pour appréhender son rôle central dans le système institutionnel. A partir des cadres d’analyses institution- nalistes de l’entreprise (Coriat et Weinstein, 1995), il s’agit d’étudier les entreprises coopératives comme des formes particulières d’entreprises institutionnelles et organisationnelles, à la lumière de la littérature en économie sociale. Nous montrons comment un processus sociohistorique de différencia- tion a été opéré par des acteurs qui s'auto-organisent pour répondre à des besoins insatisfaits dans les espaces productifs existants. La notion d’« auto-organisation » permet de considérer l’action collective d’acteurs économiques élaborant leurs propres règles, formelles et informelles, tacites et implicites,

1 La notion de « déconstruction » élaborée par Jacques Derrida vient éclairer cet effort réflexif qui vise à ques-

160 pour gérer les ressources qu’ils mettent en commun (Chanteau et Labrousse, 2013 ; Ostrom et Basurto, 2013 ; Ranville, 2018). Il s'agit de qualifier les caractéristiques des CAE comme entreprises sociopoli- tiques expérimentales, caractéristiques d’un système de production en mutation2. La lecture critique des schémas d’analyse dominants vise à saisir les spécificités des entreprises coopératives (Barreto, 2011a ; Borzaga, Depedri et Tortia, 2011 ; Chevallier, 2011), du fait de leurs finalités plurielles, et non uniquement statutaires. Après avoir défini l’entreprise, comme institution et comme organisation (1.), les caractéristiques des coopératives sont mises en exergue (2.), avant de se centrer sur les CAE, une nouvelle forme d’entreprise coopérative (3.).

L’entreprise coopérative, une forme singulière d’entreprise

Considérant la coopérative comme une entreprise ne va pas de soi : elle révèle la nécessité de son institutionnalisation en tant que telle en vue de parvenir à une reconnaissance, en s’assurant de la sécurisation de ses pratiques et de la garantie du maintien des spécificités sociohistoriques (Draperi, 2019a). Dans le système économique, la coopérative occupe une place ambivalente et marginale. Con- sidérant leurs spécificités institutionnelles et organisationnelles, l’objectif est de qualifier la dualité de leur projet d’entreprise coopératif (Desroche, 1976), soutenue par une représentation imaginaire al- ternative au modèle dominant d’entreprise (Chevallier, 2011). Le processus démocratique définit le cadre institutionnel et organisationnel des coopératives contrôlées par leurs membres sociétaires (Vienney, 1982 ; Artis, Demoustier et Lambersen, 2012). C’est pourquoi il s‘agit d’appréhender leur dimension politique — l’identité coopérative — et la mise en pratique de ces valeurs dans son organi- sation et dans sa production. Les coopératives sont d’abord étudiées à travers les procédures explicites et codifiées par l’identité et les principes coopératifs (1.2.1.), avant d’être analysées comme des orga- nisations dotées d’un système de règles spécifiques (1.2.2.).

La coopérative comme institution socioéconomique

Analysant la coopérative comme une institution spécifique, C. Vienney (1982)3 identifie quatre déter- minants permettant de caractériser la dualité du projet coopératif : sociohistoire de l’institution, ca- ractéristiques de l’institution, dispositifs de règles et articulation avec le système institutionnel. Cette approche est enrichie par la notion de « projet coopératif » (Desroche, 1976). Cette lecture permet de considérer les logiques contradictoires et structurelles des coopératives visibles à travers les débats historiques qu’illustre l’histoire des débats théoriques en économie sociale (Demoustier, 2019 ; Dra- peri, 2019b). Dans cet esprit, l’entreprise coopérative4 est qualifiée d’institution sociomarchande (De- moustier, 2000).

2 Ici, au niveau macroéconomique.

3 Un auteur majeur de la recherche coopérative.

161 Inspirées par les utopies socialistes et le christianisme social5, les premières coopératives naissent au milieu du XIXe siècle durant la révolution industrielle. Formes alternatives d’organisation du travail, elles se démarquent des manufactures et des idées socialistes (Demoustier et Rousselière, 2005 ; Dra- peri, 2013). Des ouvriers s’organisent et s’associent en 1930, pour améliorer l’exercice de leurs Activi- tés professionnelles et leur niveau de vie, rejetant la division verticale et horizontale du travail instau- rée dans les manufactures (Tinel, 2005). Le « salariat indigne »6 est considéré comme une corvée et un statut de domestique (Pillon et Vatin, 2007)7. Face à un processus d’ « hétéronomisation du travail », à la précarité et à l’indigence des conditions de travail ouvrières dans le système industriel émergent (Gorz, 1988), les premières associations coopératives ouvrières sont fondées sur les principes de la coopération de production. Il en résulte deux engagements (constitution d’un capital commun et va- lorisation commune de ce capital) et deux droits (un salaire et une part de bénéfices) (Draperi, 2013, p. 25). L’émancipation sociale des travailleurs est possible à partir d’un processus d’auto-organisation, c’est-à-dire le développement de leurs capacités de producteurs (Buchez, 1866)8. L’histoire des coopé- ratives artisanales – qui comme les CAE rassemblent des indépendants qui mutualisent des moyens de production - s’inscrit davantage d'une logique syndicale sur un modèle proche de la coopération agricole (Auvolat, 2008). Créées à en 1890, 60 ans après les premières associations ouvrières, elles sont fondées sur l’exercice d’un métier artisanal (bijouterie, coiffure, parfumerie) de façon indépendante, mais facilitées par la coopération entre professionnelles.

Composé de plusieurs familles coopératives, le mouvement coopératif peut être appréhendé à la lu- mière de plusieurs critères le secteur d’activité, la qualité et le statut des membres (Fauquet, 1935). Parmi ces familles, les CAE mobilisent majoritairement le statut des coopératives ouvrières de pro- duction – bien qu’elles rassemblent des entrepreneuses – et des coopératives d’intérêts collectifs9 qui regroupent plusieurs types de membres10. La singularité des CAE concerne les modalités de production les rapprochent davantage des coopératives d’indépendants, mais dans le cadre d’une relation salariale atypique. Dans un contexte socioéconomique et politique hostile à leur institution11, des acteurs so- cioéconomiques s’organisent pour instituer des espaces socioproductifs distincts, relativement auto- nomes du système capitaliste dominant, avec une ambition de transformation sociopolitique en vue d’améliorer les conditions de vie et de travail de leurs membres. C’est en ce sens que l’institution coopérative se singularise des autres formes d’entreprises (Demoustier, 2000) et c’est dans cette

5 Saint-Simon, Charles Fourrier, Robert Owen.

6 E. Lesigne écrit le manifeste des associations ouvrières de production intitulée L’homme ne veut plus du salariat.

7 Les coopératives de travailleurs évoluent toutefois avec l’institutionnalisation du mouvement coopératif et du système de

protection sociale Elles sont amenés à s’inscrire dans le salariat de donner accès à leurs membres les droits sociaux afférents à ce statut (Espagne, 2000b ; Demoustier, 2001).

8 Pour améliorer la situation des ouvriers, Buchez évoquent deux formes d’associations : l’une syndicale et l’autre étant

l’ancêtre de la Scop (Desroche, 1981 ; Demoustier et Rousselière, 2005).

9 Loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001.

10Particuliers, salariées, collectivités publiques, entreprises, etc.

11 Les premières associations ouvrières ont notamment fait l’objet de répression de la part du Second Empire, avant d’être

162 perspective que les CAE sont étudiées. Elles répondent aux besoins de nouveaux entrepreneurs, con- traints de créer leur propre activité économique pour exercer leur métier.

Pour Desroche (1976), le projet coopératif est marqué par une utopie : construire des sociétés alterna- tives. Il étudie les coopératives à partir de leur histoire, leur culture et leur éthique de créativité, de solidarité, d’« oecuménité » et de responsabilité. C’est ce qu’il qualifie d’imaginaire12 coopératif, c’est- à-dire l’ensemble des valeurs, des principes et des représentations collectives qui composent la doctrine ou morale coopérative (ibid.), l’identité coopérative13 (Côté, 2005) ou le paradigme coopératif (Ansart, Artis et Monvoisin, 2014). Il faut donc comprendre l’institution coopérative comme un imaginaire instituant radical, un « espace autonome en puissance », qui se distingue de la vision de l’entreprise dans le monde occidental, basée sur « un ordre civilisationnel scientifique, rationnel et libéral de croyances » (Chevallier, 2011).

Cette dimension symbolique est fondamentale dans le projet coopératif, car « défaillante dans sa tâche morale, [la coopérative] serait défaillante dans sa tâche économique » (Fauquet, 1935, p. 27). L’imagi- naire coopératif définit avant tout un projet sociopolitique visant l’émancipation politique, écono- mique et sociale par l’autodétermination des activités productives et un système de règles (Desroche, 1976 ; Demoustier et Rousselière, 2005 ; Draperi, 2013). Mais plusieurs visions s'opposent : entre un projet alternatif, une utopie communautaire, qui fait porter le débat sur la participation des salariés, et un projet pragmatique d’entrepreneur, qui s’intéresse à la place de la coopérative dans un environ- nement marchand (Draperi, 2013, p. 74), entre une dimension économique et sociale, entre l'intérêt collectif/les intérêts individuels (Demoustier, 2019 ; Draperi, 2019b). La conjugaison entre autonomie individuelle et action collective est essentielle car « l’action en commun a tout à la fois comme condition et comme fin l’autonomie et l’indépendance de la personne » (Fauquet, 1935, p. 44). Elle détermine la capacité de la coopérative à incarner une vision politique dans ses activités productives marchandes. Il s’agira de comprendre la déclinaison de ces ambivalences dans les CAE.

La déclaration sur l’identité coopérative14 (cf. Annexe 2) distingue l’institution coopérative, de l’insti- tution capitaliste, et de l’association dont elle représente une forme (Draperi, 2019b). « Une coopérative est une association autonome de personnes unies volontairement pour répondre à leurs besoins et aspira- tions économiques, sociaux et culturels communs par le biais d'une entreprise détenue conjointement et contrôlée démocratiquement » (Henrÿ, 2005). Elle est complétée par l’affirmation de valeurs15 et de sept principes coopératifs qui instituent un imaginaire coopératif partagé par les coopératives (Desroche, 1976 ; Novkovic, 2008). Le « paradigme coopératif » se caractérise par la dimension collective d’un pro- jet communautaire (Ansart, Artis et Monvoisin, 2014). La difficulté est de résister aux comportements

12 Ici, nous nous inspirons de la pensée de C. Castoriadis (1975), dans la suite de Desroche (1976).

13 Depuis 1895, l’Alliance Coopérative Internationale (ACI) a pour mission d’unifier, de représenter et de structurer le mou-

vement coopératif au niveau international.

14 Basée sur les principes de Rochdale de 1844, édictée en 1895 et reformulée en 1995.

15 L’entraide, l’autoresponsabilité, la démocratie, l’égalité, l’équité, la solidarité, l’ouverture, la responsabilité sociale, le souci

163 institués par la société qui tendent à se reproduire dans les pratiques de travail. En effet, la faiblesse ou la perte d’un imaginaire coopératif commun est un facteur de banalisation, voire de dégénérescence coopérative (Meister, 1974 ; Spear, 2011)16. Le système de règles et de processus vise alors à réguler en favorisant le partage du pouvoir, la solidarité. Les relations de pouvoir dans les Scop sont ainsi carac- térisées par des pratiques marquées par une forte dimension informelle, limitant l’autorité attribuée à une figure représentative — la présidente — sur le processus décision, par l’identification et l’explica- tion du pouvoir (Jaumier, 2017).

Autrement dit, l’identité coopérative nécessite d’être incarnée, transmise et diffusée (Desroche, 1976 ; La Manufacture coopérative, 2014) par les membres, d’où l’importance de la cohésion autour de « rou- tines, croyances, représentations, identités et objectifs qui sont communs » pour assurer la stabilité de la coopérative (Chevallier, 2013, p. 234). Finalement, le référentiel de l’institution coopérative se compose de valeurs et les principes coopératifs, qui se traduisent d’un point de vue stratégique, organisationnel et des outils de gestion, distincts du modèle dominant. C’est dans cette perspective qu’il s’agit d’étudier la CAE comme institution créatrice d’un espace autonome, dotée d’un imaginaire alternatif à l’entre- preneuriat individuel et au salariat, en considérant les risques de banalisation qui peuvent s’opérer.

Pour Fauquet (1935), la coopérative se caractérise par l’ambition d’un collectif de personnes de pour- suivre un but au moyen d'une activité économique organisée. En s’appuyant sur ces travaux C. Vienney (1982) distingue l’institution coopérative par la dualité des fonctions qu’elle met en œuvre dans et par rapport au système de production dominant. Le projet d’entreprise vise la production d’activités marchandes. Le projet d’association vise à répondre aux besoins non satisfaits par le mar- ché, des personnes membres, en établissant un réglage des activités productives17. C’est l’une des dua- lités constitutives des coopératives générant un équilibre instable caractéristique (Demoustier, 2019). L’institution coopérative se réfère à un « principe communaliste ou communautaire, qui postule la ca- pacité d’un ensemble de personne à dissocier et réassocier, selon des règles distinctes, les éléments à réunir dans des combinaisons productives et les productions et services à faire revenir aux différents acteurs » (Vienney, 1982, p. 114). Dans cette perspective, la relation de services à l’usager est au fondement de l’institution coopérative. Le capital, premier dans une entreprise à but lucratif, est un instrument com- mun aux acteurs de la coopérative : les membres-usagers (Fauquet, 1935). Ce capital est constitué par l’orientation d’une partie de l’épargne des membres qui achètent des parts sociales. Ils leur donnent un droit de regard sur l’usage du capital investi et sur la répartition des résultats, au-delà de la lucra- tivité recherchée par des actionnaires. L’entreprise coopérative vise à satisfaire les besoins de ses membres-usagers, en qualité, en quantité et au meilleur prix18, tandis que l’entreprise capitaliste

16Suscitant de nombreux écrits alors que les coopératives font face aux processus de financiarisation et de transformations

du travail.

17 Participation aux activités de production, combinaisons de moyens et de force de travail de différents acteurs et aux reve-

nus distribués à partir de la valeur créée.

164 cherche à faire fructifier le capital engagé dans l’entreprise19. Initié à la fin du XIXe siècle, le processus d’institutionnalisation des entreprises coopératives s’est traduit par la formalisation et la codification d’un système de règles adossées sur l’imaginaire coopératif, qui les distinguent des entreprises à but lucratif (Seeberger, 2012).

En France, la société coopérative se constitue d’abord comme une société commerciale20 auquel s’ajoute un statut coopératif qui constitue une régulation coopérative spécifique intégrée dans le cor- pus du droit coopératif (Espagne, 2010)21. Il est issu d’un travail doctrinal et juridique faisant évoluer la législation aux pratiques des coopératrices (Seeberger, 2012). La loi portant statut de la coopération22 inclue la définition de la coopérative de l’ACI et les sept principes coopératifs : « La coopérative est une société constituée par plusieurs personnes volontairement réunies en vue de satisfaire à leurs besoins éco- nomiques ou sociaux par leur effort commun et la mise en place des moyens nécessaires. Elle exerce son activité dans toutes les branches de l'activité humaine et respecte les principes [coopératifs] »23. Le respect de ces règles est encadré par une obligation de révision coopérative tous les cinq ans, qui vérifie la cohérence entre l’organisation et le fonctionnement de la coopérative et les principes coopératifs dans les intérêts des sociétaires24. Grâce à leur statut, elles sont en mesure de bénéficier de l’agrément d’« Entreprise solidaire d’utilité sociale »25. Cet ensemble de règles formelles institutionnalisées atteste de la reconnaissance légale des spécificités coopératives dans le système institutionnel, distinguées par la dimension d’utilité sociale de leurs activités productives (Gadrey, 2004 ; Gros, 2010). Le droit coo- pératif qualifie ensuite chaque famille coopérative à travers différents textes de loi26. À la différence de la Scop,la coopérative artisanale rassemble des artisans indépendants (Fauquet, 1935), d’un même corps de métier, qui mutualisent des fonctions afin d’améliorer les conditions de leurs productions (l’achat, la commercialisation, des services) (Chomel, 2008).

Le principe selon lequel « une personne égale une voix » qui prévaut dans les coopératives associe le droit de vote, non pas à la valeur du capital, mais à la personne qui les porte, limitant le poids des sociétaires bien dotés en termes de parts sociales. Pour l’économiste Thomas Barreto (2011b, p. 2), c’est « un attribut central du statut Scop qui marque une différence nette avec la société anonyme non coopé- rative », auquel s’ajoute la non-revalorisation des parts sociales, sans possibilité d’enrichissement des

19 Le rapport qui unit le collectif de personnes est d’ordre marchand, monétaire. 20 Par exemple : Société Anonyme, Société à Responsabilité Limitée.

21 François Espagne, ancien secrétaire général de la CGScop, a beaucoup écrit sur l’histoire et le fonctionnement des Scop :

ses travaux sont riches pour appréhender les organisations de coopération ouvrières.

22 Source : Loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947. Source : Légifrance, version consolidée du 24 avril 2019. URL : https://frama.link/P0R7g09n. Consulté le 30/08/2019.

23Pour lire l’article en entier cf. annexe 13.

24 Source : Article 25-1 de la loi 1947, étendue à l’ensemble des familles coopératives avec la loi ESS de 2014.

25 Les critères qui la définissent sont basés sur la dimension et l’importance de l’utilité sociale des activités productives de

l’entreprise, ainsi que la dimension lucrative limitée par des règles relatives aux rémunérations du capital et aux financements extérieurs. Dernièrement redéfini par la loi ESS 2014 a permis d’intégrer les entreprises commerciales à but social (ou entre- prises sociales).

26 Cf. Annexe 13. Loi n° 78-763 du 19 juillet 1978 portant statut des sociétés coopératives de production. Source : Version

consolidée du 24 avril 2019. URL : https://frama.link/W9PYRKbk. Consulté le 30/08/2019. Loi du 20 juillet 1983 portant statuts des sociétés coopératives artisanales. Source : URL : https://frama.link/HhCAsMHs. Consulté le 30/08/2019.

165 sociétaires. L’une des caractéristiques de la gestion du capital social d’une Scop concerne la variabilité de son capital27, issue du principe de la dualité des coopératives (Espagne, 2005 ; Hiez, 2018). Enfin, à la différence des parts sociales d’une entreprise à but lucratif, « les parts sociales ne sont pas revalorisées, elles conservent leur valeur nominale, il n’y a pas d’enrichissement possible pour leur détenteur » (Barreto, 2011b, p. 2). Encadré par la loi, la répartition du résultat de la coopérative se compose d’au moins 16 % des bénéfices transformés en « réserves impartageables », au maximum 33 % de « dividendes » aux sociétaires (part capital) et au minimum 25 % de participation versée aux salariées (part travail)28. Cette répartition assure une proportionnalité des rémunérations issues du résultat de l'activité réalisée. Fa- cultative, la ristourne29 apparaît comme le remboursement du trop-perçu par la coopérative aux sala- riés. Ces règles visent à distribuer la valeur créée entre les parties prenantes et assurent la pérennité de l’entreprise.

« Techniques d'organisation de la production », intégrant les principes coopératifs, entre droit des so- ciétés et droit des contrats (Hérail, 2000), le droit coopératif se caractérise par l’affectio cooperatis ou « communauté d'intérêts partagés » (Desroche, 1976) et la double qualité des membres — bénéficiaires (ex. consommateurs) et sociétaires — placée au sommet de la pyramide du droit coopératif par Marc Hérail (2000). « Le droit coopératif se présente comme un subtil compromis entre l’esprit coopératif et l’exigence de rentabilité imposant à la coopérative d’utiliser des moyens adaptés pour se positionner effi- cacement sur le marché qui la concerne » (ibid. p. 9). Le système de règles, érigé en droit coopératif, définit le régime de propriété (collective et égalitariste), le mode de répartition des excédents et la gouvernance démocratique (double qualité, solidarité). C’est pourquoi les principes coopératifs tra- duits dans le droit coopératif français constituent des garde-fous face aux risques de banalisation et d’isomorphisme (Chevallier, 2007 ; Bayo, 2012). Néanmoins, ils sont insuffisants pour garantir une dynamique démocratique au sein de l’entreprise (cf. 2.2.).

L’institutionnalisation de l’entreprise coopérative interroge sur les modalités de son inscription, dans un système aux règles de production divergentes. L’ouvrage de Fauquet (1935) marque un changement de paradigme dans l’appréhension des institutions coopératives, comme des formes non capitalistes d’entreprises, situées entre l’État et le marché, productrices d’un ensemble de règles codifiant une forme d’économie mixte (Vienney, 1982 ; Draperi, 2013). Il montre que la coopérative adopte simulta- nément un comportement à la fois offensif (contre l’économie marchande et le profit) et défensif (« l’économie pour l’être humain, son bien-être et sa liberté ») (Fauquet, 1935, pp. 35). Par la suite, les institutions coopératives s’adaptent à leur environnement institutionnel dominant par des relations à la fois complémentaires et contradictoires (Vienney, 1982). Contraintes de réorganiser leurs activités productives face au modèle industriel dominant, dans lequel leurs intérêts ne sont pas pris en compte,

27 Instaurée dès 1867. Voir Annexe 13.

28Qu’elles soient sociétaires ou non. 29Rémunérations des parts sociales.

166 les acteurs socioéconomiques adoptent des principes et des règles en fonction du système institution- nel. La codification du droit coopératif questionne la forme de l’entreprise, les relations salariales dans les Scop (Hiez, 2006).

Les coopératives sont constituées pour atténuer les dysfonctionnements du marché pour les individus (Celle et Fretel, 2018). Elles temporisent et atténuent les risques du marché, en favorisant les intérêts de ses membres, dans un projet politique basé sur l’émancipation des individus (Ansart, Artis et Mon- voisin, 2014). L’association ouvrière de production est imaginée comme un moyen d’atténuer les effets de la concurrence capitaliste par l’allocation plus égalitaire des ressources et la régulation des activités par l’instauration d’autres rapports socioéconomiques (Demoustier et Rousselière, 2005). La conjugai-