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III. A NALYSE ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE

2. Bilan de l'atelier théâtre

2.2 Déconstruction des habitudes et décentration

Les exercices qu'ont proposés les intervenants au cours de l'atelier théâtre ont parfois déconcerté les étudiants, qui parlent de « travail très différent », « c'était quelque chose

complètement différent », certains parlent de l'étrangeté pour eux des exercices comme « Les

frises » , à deux reprises on peut relever l'adjectif « bizarre » dans les questionnaires. A de nombreuses reprises également apparaît l'adjectif « difficile » pour rendre compte des ressentis au cours des exercices : c'est justement cette confrontation à des situations problématiques qui engendre une déconstruction des habitudes et une recherche de nouveaux sens dans une démarche de décentration, liée à la pédagogie interculturelle. Par ailleurs, quelques exercices corporels au cours de l'atelier comme « Les frises » ou « Le coryphée » s'apparentent plus à de la danse, ce qui a sûrement déconcerté les participants. Les modifications de voix dans l'exercice à partir des enregistrements ont également incité les participants à déconstruire leurs habitudes, notamment dans leur apprentissage de la langue. Gisèle Pierra évoque les multiples possibilités de décentration que permet le théâtre, grâce aux rapports nouveaux qu'il induit à la langue, au corps et à la culture : l'apprenant est amené à « […] se décentrer de ses habitus, par son corps devenant actif et réactif dans l'autre langue, au contact des différences culturelles. » (Pierra, 2006 : 114). Le théâtre est ainsi un exercice de « déconditionnement culturel » (Pierra, 2006 : 122), grâce à un nouveau travail sur sa culture propre et grâce à l'ouverture sur l'altérité : les habitudes gestuelles sont interrogées et les automatismes déjoués, ce que semble indiquer un étudiant lorsqu'il évoque l'exercice qui demande aux participants de s'allonger par terre : « très bien pour développer un meilleur sens par le corps. » C'est presque un nouveau sens qui se développe à travers ces exercices.

« Il s'agira de créer des gestuelles nouvelles par des positionnements du corps dans l'espace qui vont briser de plus en plus la dépendance du gestuel et du verbal existant en toute culture. » (Pierra, 2006 : 189).

C'est donc de nouvelles sensations corporelles qui sont développées à travers cet atelier et un engagement à un comportement autonome, qui se construit dans une mise à distance du verbal comme seul outil de communication et de connaissance. Ainsi, à travers ce type d'exercice, l'enseignant peut amener les apprenants à prendre conscience des normes culturelles que portent les gestes et le travail du corps « […] car elles témoignent de l'identité des sujets qui devront s'en écarter pour apprendre à en jouer. » (Pierra, 2006 : 189). Le corps devient alors un outil interculturel

«[...] d'assouplissement des crispations identitaires ». Les acquisitions culturelles et langagières s'en trouvent ainsi facilitées :

« C'est l'originalité du rapport geste/parole revisité au travers des textes qui place le sujet, grâce aux déconditionnements posturaux obtenus, dans une décentration qui l'ouvre aux acquisitions langagières et culturelles nouvelles depuis sa propre subjectivité. » (Pierra, 2006 : 192).

Le travail de décentration au sens de Jean Piaget, c'est-à-dire le fait de prendre comme référence un autre que soi ou un autre point de vue que celui qui est pris habituellement s'est donc réalisé en particulier au niveau du corps et de la voix au cours de cet atelier à travers la confrontation à des situations inédites, mais ce travail est également favorisé par les contacts entre les participants.

2.2.2 A travers les relations avec l'autre : le théâtre un exercice de dialogue et de rencontre interculturels

Dans quelles mesures les exercices proposés ont-ils constitué un terrain propice à l'expérimentation interculturelle à travers les contacts avec l'autre? Comment cet atelier a-t-il permis une mise en relation dynamique des groupes et des individus en présence, comme nous l'avons vu dans la première partie de ce travail lorsque nous cherchions une définition de l'interculturel ? Si l'on reprend les théories de Martine Abdallah-Pretceille, l'interculturel, vu comme un mode d'interrogation, implique un travail d'analyse des interactions entre les groupes : il s'agira alors de comprendre comment l'individu « se met en scène » dans des situations qui favorisent l'émergence de traits culturels et interagit avec l'autre. Il nous semble que l'atelier théâtre répond à cet objectif en permettant d'une part à l'individu de se mettre en scène face à l'autre (ce qui n'a pas toujours été facile pour les participants), et d'autre part de lui faire expérimenter des situations inédites comme nous l'avons vu, dans sa relation à lui-même et aux autres, situations qui appellent alors une démarche de questionnement. Le groupe se construit également au cours des exercices qui permettent de connaître les autres participants à travers une action commune et une concentration sur la dynamique de la classe56. L'atelier a également incité l'apprenant à valoriser sa propre culture

(à travers l'exercice du dialogue plurilingue par exemple) tout en découvrant la culture de l'autre dans une démarche d'ouverture au plurilinguisme d'une part, et en questionnant les habitudes de chacun d'autre part, ainsi, comme le dit un des participants : « on peut observer des différents

Simon, favorise alors une attitude de décentration, une prise de conscience de ses propres normes confrontées à celles des autres, dans un dialogue entre les cultures. Comme l'indique Gisèle Pierra :

« Il ne s'agit pas d'apprendre tous les signes de la culture étrangère mais de questionner les habitudes communicationnelles de chacun pour que soit acceptée la décentration nécessaire à tout apprentissage et constamment repérée comme possible accès du sujet à sa propre subjectivité, à la fois du point de vue culturel, langagier et esthétique. » (Pierra, 2006 : 163)

Le théâtre est ainsi vu comme un des « universel-singuliers » dont parle Louis Porcher, c'est-à- dire, des phénomènes présents dans toutes les cultures mais qui sont interprétés de façon différente dans chacune, un des participants note ainsi: « c'est intéressante comment on peut travaille

ensemles bien que on est de les pays différentes parce que le théâtre est le même chose dans le monde ». Cette reconnaissance du théâtre comme universel-singulier aide à prendre conscience de

la possibilité de travail en commun en dépassant les obstacles liés à la langue. Cette capacité à établir le contact avec des personnes d'une autre culture en trouvant des stratégies adéquates dans certaines situations (stratégies qui ne sont pas forcément du l'ordre du langagier) constitue un des objectifs du CECRL57. Par ailleurs, l'atelier a permis à l'apprenant de relativiser son point de vue, et

a amené les participants à «[...] prendre leurs distances par rapport aux attitudes conventionnelles relatives aux différences culturelles » (Conseil de l'Europe, 2001 : 84) grâce à une approche centrée sur la décentration et le dialogue entre les cultures.

2.3 Pistes de réflexions pédagogiques et confrontation avec les