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L'atelier théâtre : le travail du corps et de la voix

II. M ÉTHODOLOGIE ET CONSTRUCTION DU CORPUS

4. Les deux ateliers proposés et les objectifs pédagogiques

4.1 L'atelier théâtre : le travail du corps et de la voix

Dans le cadre de la convention avec la MC2 de Grenoble, nous avons proposé aux étudiants un atelier théâtre de deux fois deux heures au mois de mars, sur le temps du cours de FLE niveau A2/B1. Cet atelier a été mené par trois intervenants, eux-mêmes étudiants dans une école d'arts scéniques de Cannes30. Ces étudiants étaient présents durant une semaine à la MC2 pour observer le

fonctionnement de cette salle de spectacle. Habitués à ce type d'intervention avec un public scolaire, ils n'avaient néanmoins jamais travaillé avec des étudiants internationaux, comme nous le verrons à travers la présentation de leurs propos dans les questionnaires. L'objectif de cet atelier était de proposer aux étudiants internationaux un travail sur le théâtre en l'abordant comme un art scénique, fondé sur la dialectique entre corps et espace, et de favoriser l'expérience des contacts avec l'autre

dans le groupe. Les intervenants ont proposé aux étudiants un travail sur le corps et l'espace en particulier, puis à la fin de l'atelier, sur la voix. Ils n'ont pu travailler aucun texte de théâtre avec eux, puisqu'ils souhaitaient prendre plus de temps pour ce type d'exercice, et nous ne pouvions pas leur donner davantage d'heures de cours. Une deuxième difficulté pour cet atelier résidait dans les changements de groupes : les étudiants n'étaient pas toujours présents en cours d'une semaine à l'autre, les intervenants ont donc travaillé avec deux groupes plus ou moins différents.

4.1.1 Le travail du corps

Les intervenants ont proposé cinq exercices au cours des deux ateliers qui permettaient de travailler le corps et la relation à l'autre et à l'espace de plusieurs manières. Tout d'abord, le « Jeu du Samourai » consiste à se placer en cercle, un participant lève les bras avec les mains jointes en criant Hi, celui qui est à sa gauche et celui qui est à sa droite font le même geste mais en direction du ventre du premier participant en même temps en criant Ha, il envoie ensuite le tour à une autre personne en criant Ho et en désignant cette personne avec le même geste. On élimine ensuite ceux qui se trompent, ne vont pas assez vite ou bien ne crient pas assez fort. Cet exercice permet une mise en relation du groupe (il faut ici souligner que la plupart des étudiants internationaux dans les cours de FLE ne se connaissent pas), une prise de conscience de sa voix qu'il faut équilibrer et fortifier, et demande beaucoup de concentration et de coordination31. Un deuxième exercice que les

intervenants ont appelé « Luky Luke » permettait également un travail du corps et de l'espace : un participant au centre du cercle dit un prénom, la personne nommée doit se baisser très vite et ceux qui sont à sa droite et à sa gauche se font face et font semblant de se tirer dessus en criant PAN ! Celui qui n'a pas été assez rapide vient au centre. De même, cet exercice exige rapidité et concentration, il permet également la formation du groupe en testant la connaissance des prénoms de chaque participant. L'aspect corporel de l'exercice est essentiel, il permet de commencer à prendre conscience de son propre corps et de celui des autres et à agir en conséquence. L'exercice suivant confrontait les participants à l'espace puisqu'il leur fallait marcher en occupant le plus possible l'espace de la salle, ils devaient se baisser et s'allonger complètement par terre sans bruit en comptant jusqu'à dix et ensuite se relever en comptant jusqu'à neuf et ainsi de suite selon une logique dégressive. Si un des participants fait du bruit, on revient dans la position antérieure. Ce type d'exercice entraîne une prise de conscience de son corps dans l'espace et cherche à travailler la gestuelle qui doit être très précise puisque le participant doit faire des mouvements le plus silencieusement possible et de plus en plus rapidement. Ensuite, les intervenants ont demandé aux étudiants de se regrouper en binôme : le premier participant doit s'installer dans une posture qu'il 31 Cf enregistrement 1 pour une description de l'exercice.

maintient et le second vient se positionner de manière à peser sur lui de tout son poids. Le premier participant doit sortir de la posture sans faire bouger son partenaire : le second doit donc « récupérer » son poids et le laisser partir. Ensuite, un groupe de cinq participants construit ce même type de frise, un seul sort et les autres doivent tenir leur posture et ainsi de suite jusqu'à ce que tous les participants sortent de la structure. Comme pour l'exercice précédent, « les frises » demandent une précision dans le geste et beaucoup de concentration. Le contact avec le corps est cependant nouveau, et si les étudiants se sont tous bien prêtés au jeu, quelques groupes ont cependant pris plus de temps à comprendre l'exercice et à installer une structure. Ce jeu a demandé une négociation, une recherche de sens à deux qui n'avait pas été possible dans les exercices précédents, et qui, par conséquent, a impliqué davantage d'interaction entre les participants. Enfin, les intervenants ont demandé aux étudiants de se regrouper par petits groupes, pour « Le coryphée » : celui qui est placé devant est le leader, « le coryphée », et les autres doivent reproduire ses gestes. Quand le coryphée se tourne, celui qui se trouve derrière lui devient leader à son tour. Cet exercice exige concentration et maîtrise des gestes et a également permis aux participants de prendre conscience de leur corps et de celui des autres. La prise en considération de son corps et de l'espace ainsi que du corps de l'autre permet d'aborder le travail de décentration nécessaire à toute démarche interculturelle : l'apprenant sera ainsi en mesure d'expérimenter son rapport à sa propre culture à travers son rapport au corps et à l'espace et, nous l'espérons, sera également en mesure de le questionner. Comme nous pouvons le remarquer, les exercices sur le corps et l'espace ont suivi une progression spécifique en terme tout d'abord de niveau de difficulté des exercices, de prise de conscience de son corps et de l'espace, enfin, de mise en relation entre les participants. Le travail de décentration suivra donc également une progression.

4.1.2 Le travail de la voix

Les intervenants ont ensuite travaillé la voix grâce à deux exercices : le premier, « Dialogue plurilingue 32» mettait en relation deux participants qui devaient se parler chacun dans leur langue

d'origine que l'autre ne connaissait pas. Ils devaient essayer de se comprendre par les mimiques, les intonations, les gestes, et composer une histoire avec une fin. Les étudiants ont particulièrement apprécié cet exercice, comme nous allons le voir dans l'analyse des questionnaires. Les scénarios inventés mettaient en jeu des amis qui souhaitaient se revoir, ou bien des personnages qui faisaient connaissance, ou encore, une dispute qui se terminait par un accord, etc. Ces situations ont été créées sans qu'aucun participant ne comprenne la langue de son interlocuteur, et sans que le public ne la comprenne la plupart du temps (à une exception près : lorsque les participants utilisaient

l'anglais). L'exercice suivant, bien plus complexe, confrontait l'étudiant à un enregistrement en français au moyen d'un casque (les enregistrements étaient très divers, l'étudiant pouvait entendre aussi bien un commentaire de match de football, qu'un texte d'Antonin Artaud33 et ses intonations si

particulières, des dialogues de films, etc.) qu'il devait reproduire en ne cherchant pas à imiter fidèlement le texte mais plutôt le son et les intonations du locuteurs. L'étudiant était placé devant le public qui n'entendait pas l'enregistrement. Cet exercice d'imitation d'une voix a été très éprouvant pour certains participants qui n'osaient pas franchir le pas d'une décentration du sens du texte : pour réussir cet exercice, il leur fallait lâcher prise avec l'aspect sémantique de la langue et se concentrer uniquement sur le non-verbal, c'est-à-dire le son et les émotions véhiculées par les intonations du ou des locuteurs. Cet exercice est, de notre point de vue, particulièrement intéressant à mener avec une classe de FLE dans le cadre d'une démarche interculturelle, puisqu'il oblige l'apprenant à sortir de l'attitude qui lui est ordinairement demandée en cours de langue étrangère : une attitude d'écoute avec pour objectif la compréhension fine d'un sens. Cette démarche nous semble correspondre à ce que Martine Abdallah-Pretceille nomme « pédagogie de la rupture », qui cherche à éviter le recours à des automatismes pour chercher à les dépasser. Les intervenants ont à la fin de la séance, demandé aux étudiants de lire le début de la pièce de Shakespeare Le Songe d'une nuit d'été en français, mais ils n'ont pas pu développer cet exercice faute de temps. Ils avaient également prévu de travailler sur des textes dans les langues d'origine des participants, mais ils n'en ont pas eu la possibilité. Cependant, ce travail pourrait être facilement effectué en cours de langue dans le cadre d'un travail sur les intonations et les émotions à partir desquelles le sens du texte pourrait être deviné par les autres participants qui seraient ainsi amenés à produire des hypothèses.

Dans quelles mesures les exercices proposés dans le cadre de l'atelier théâtre ont-ils permis aux apprenants de développer une démarche réflexive sur leur propre culture et sur celle des autres ? Comment les apprenants sont-ils amenés à développer une compétence interculturelle grâce à ce type d'exercices ? En quoi peut-il être considéré comme un lieu de rencontre interculturelle ? Nous répondrons à ces questions dans la troisième partie de ce travail.