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Définition de la politique industrielle Il n’existe pas de définition consensuelle de la

Exemple de décomposition de la croissance de la productivité du travail

MODULE 2 Politique industrielle : un cadre

2. Qu’est-ce que la politique industrielle ?

2.1 Définition de la politique industrielle Il n’existe pas de définition consensuelle de la

politique industrielle reflétant les controverses autour de cette notion. Adoptant une défini-tion large, Warwick (2013: 16) définit la politique industrielle comme « tout type d’intervention

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36 Certains auteurs ont proposé des terminologies différentes : politiques industrielles douces et dures (Harrison and Rodriguez-Clare, 2010), politiques favorables au marché et favorables aux entreprises (Rodrik and Subramanian, 2005) et politiques fondées sur le marché et promotion-nelles (Weiss, 2013).

ou de politique gouvernementale cherchant à améliorer l’environnement des entreprises ou à modifier la structure de l’activité économique au profit de secteurs, de technologies ou de tâches dont on escompte des perspectives de crois-sance économique ou de bien-être sociétal plus favorables qu’en l’absence de l’intervention envi-sagée  » [italiques ajoutés par l’auteur originel].

D’autres (Chang, 2009 ; Landesmann, 1992 ; Pack and Saggi, 2006) ont proposé des définitions plus limitées. Pour Pack et Saggi (2006: 2), par exemple, la politique industrielle est « toute forme d’inter-vention sélective ou de politique publique visant à modifier la structure sectorielle de la produc-tion en faveur des secteurs qui paraissent offrir des perspectives de croissance meilleures que l’absence de telle intervention, c’est-à-dire l’équi-libre du marché » [italiques ajoutés].

2.1.1 Politiques industrielles fonctionnelles ou sélectives ?

Comme nous le verrons tout au long du présent module, la question de la mesure dans laquelle la politique industrielle devrait s’efforcer acti-vement de modifier la structure de l’activité économique est au cœur du débat sur la poli-tique industrielle. Ce débat a plus précisément porté sur le degré de sélectivité des politiques industrielles, c’est-à-dire jusqu’à quel point elles devraient cibler (sélectionner) des secteurs, des technologies ou des tâches spécifiques afin de modifier la structure de l’économie à leur profit.

En reprenant les termes de Warwick (2013), les politiques industrielles qui tentent d’améliorer les conditions économiques sont dites fonction-nelles, ou horizontales, alors que celles qui modi-fient la structure de l’activité économique au profit de secteurs spécifiques sont considérées comme sélectives ou verticales36. Les politiques fonctionnelles seraient les moins intervention-nistes car conçues pour appuyer le bon fonction-nement des marchés sur un plan général. Citons comme exemple les mesures politiques facilitant l’entrée des entreprises sur le marché par le biais de la politique de la concurrence ou encore les politiques commerciales libéralisant les impor-tations. Pour leur part, les politiques industrielles sélectives visent à favoriser certains secteurs et certaines entreprises par rapport à d’autres. Elles peuvent recourir à des subventions et d’autres formes de soutien et de protection, dont les droits et restrictions à l’importation, les incita-tions fiscales et les marchés publics.

Certains auteurs (Lall and Teubal, 1998) ont dis-tingué deux catégories de politiques fonction-nelles/horizontales. Cette approche a également été suivie par la CNUCED et l’ONUDI (UNIDO, 2011:

34), pour qui la politique industrielle implique

«  un ensemble d’interventions stratégiques ou

sélectives pour dynamiser certains secteurs ou activités, des interventions fonctionnelles pour améliorer le fonctionnement des marchés, et des interventions horizontales pour promouvoir certaines activités intersectorielles  ». Selon ce courant de pensée, les politiques horizontales vont légèrement plus loin que les politiques fonc-tionnelles, en ce qu’elles favorisent des activités intersectorielles pour lesquelles il n’existe pas de marché ou dont les marchés sont difficiles à créer (la politique de l’innovation en est l’exemple typique). Ainsi, la politique horizontale pourrait se situer à mi-chemin entre les politiques indus-trielles fonctionnelles et sélectives.

Comme l’ont fait valoir plusieurs auteurs, la dis-tinction entre politique industrielle fonction-nelle et politique industrielle sélective est proba-blement moins pertinente que ne le suggère la littérature, car « même les mesures politiques les plus générales favorisent certains secteurs par rapport à d’autres » (Salazar-Xirinachs et al., 2014:

20  ; voir aussi Rodrik, 2008). À titre d’exemple, les investissements d’infrastructure, générale-ment considérés comme relevant d’une poli-tique industrielle fonctionnelle, favorisent une région donnée et les industries qui la peuplent.

De même, les programmes de formation visent à créer des connaissances et des compétences dans des domaines techniques spécifiques. Par ailleurs, la fixation de priorités et de hiérarchies – ne serait-ce que le choix du tracé d’une route – est toujours présente dans l’élaboration des politiques.

2.1.2 Quels secteurs méritent le soutien des politiques industrielles sélectives ?

Certains auteurs ont précisé les caractéris-tiques que ces secteurs doivent présenter. Ils doivent offrir un potentiel de création d’ex-portations, d’emplois, et de connaissances (Reich, 1982), et être nouveaux pour l’économie (Rodrik, 2004). Ocampo et al. (2009) y incluent des effets dynamiques, précisant que les poli-tiques industrielles devraient viser à restructu-rer l’économie et la spécialisation commerciale au profit d’activités à plus forte teneur techno-logique et promouvoir des activités innovantes étroitement liées au reste de l’économie. Pour eux, les activités innovantes sont à prendre au sens large et englobent les nouvelles techno-logies, mais aussi de nouveaux marchés, de nouvelles structures industrielles ou l’exploita-tion des ressources naturelles précédemment sous-utilisées. Enfin, des tensions apparaissent entre la promotion du changement structurel et technologique par la croissance de la pro-ductivité et l’atteinte d’un emploi acceptable en quantité et qualité, dans la mesure où la hausse de la productivité dans un secteur y

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38 L’expression « champion national », récurrent dans la littérature, renvoie aux grandes entreprises natio-nales créées ou soutenues par l’État dans les secteurs stratégiques, en raison d’un intérêt national ou d’autres caractéristiques du secteur considéré (voir également la section 3.2).

À partir de là, l’expression

« encourager les champions nationaux » signifie soutenir les champions nationaux par le biais de la protection du marché, de subven-tions et d’autres formes de politiques industrielles sélectives. L’encouragement des champions nationaux peut s’entendre comme un synonyme de « sélection des gagnants ».

37 Pour un examen détaillé de la notion d’avantage com-paratif, voir encadré 1 dans le module 1 de ce matériel pédagogique.

réduit l’emploi (voir Module 1). Forts de cette constatation, Salazar-Xirinachs et al. (2014: 2) réclament une politique capable de parvenir à un juste équilibre dans l’atteinte des deux objectifs fondamentaux que sont la croissance de la productivité et des emplois plus nom-breux et de meilleure qualité.

Compte tenu de ces caractéristiques, l’indus-trie manufacturière est la cible habituelle des politiques industrielles. Néanmoins, certains auteurs, à l’instar de Rodrik (2004: 3), mettent en garde sur le fait que «  la politique industrielle ne porte pas forcément sur l’industrie. Les poli-tiques visant l’agriculture non traditionnelle ou les services constituent autant de mesures incitatives pour l’industrie manufacturière  ».

En particulier dans les pays fortement tribu-taires de l’agriculture, les politiques industrielles devraient simultanément stimuler les investis-sements dans l’amélioration de la productivité et le changement technologique dans l’agriculture posant les fondements de l’expansion de l’indus-trie manufacturière et des services (Szirmai et al., 2013 ; UNCTAD, 2015a).

2.1.3 La politique industrielle devrait-elle se conformer aux avantages comparatifs ou en faire fi37 ?

Les auteurs sont en désaccord sur la question de savoir si la politique industrielle doit se confor-mer aux avantages comparatifs ou en faire fi (Lin, 2011 ; Lin and Chang, 2009). Une politique industrielle jouant des avantages comparatifs se justifie parce que les gouvernements des pays en développement devraient d’abord se concentrer sur les secteurs où ils disposent d’un avantage comparatif (c’est-à-dire des industries à forte intensité de ressources et de travail). Ce n’est qu’après avoir accumulé suffisamment de capital physique et humain, qu’ils devraient se lancer dans la modernisation de leur politique industrielle et cibler des industries à plus forte productivité. Selon ce point de vue, les politiques industrielles faisant fi des avantages compa-ratifs ont amené les pays en développement à s’orienter vers les industries lourdes (à forte intensité capitalistique)  : le capital étant une ressource rare, les coûts de production ont été nettement plus élevés que dans les pays dispo-sant d’un avantage comparatif dans ces indus-tries. Cela a conduit à ce que Lin et Treichel (2014:

66) ont appelé «  une erreur fatale  », les coûts de production et les dépenses engagées pour protéger ces entreprises étant beaucoup plus importants que les avantages tirés de l’entrée dans ces secteurs. Dans cette optique, le gouver-nement devrait jouer un rôle de facilitation et aider les entreprises à réaliser leurs avantages comparatifs latents.

Les défenseurs d’une stratégie ignorant les avantages comparatifs argueront que les pays en développement qui bénéficient d’une main-d’œuvre abondante et bon marché n’ont un avantage comparatif – et ne peuvent donc soutenir la concurrence sur les marchés mon-diaux – que dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre. Cependant, ces secteurs ne peuvent pas devenir les moteurs d’une croissance économique soutenue ou servir de point d’entrée pour des activités technologiques de pointe ou nécessitant des compétences plus pointues.

En outre, les politiques industrielles conformes aux avantages comparatifs, par exemple celles visant à rendre les marchés libres et compétitifs, obligeraient les pays à se spécialiser, sur la base de leur avantage comparatif statique, dans des secteurs à faible valeur ajoutée et faible pro-ductivité, offrant peu d’opportunités d’appren-tissage et de perfectionnement. La reconversion des travailleurs des activités à faible productivité vers d’autres à plus forte productivité et l’adap-tation de l’outil industriel sont moins simples que ne l’expliquent les partisans d’une politique industrielle en phase avec les avantages com-paratifs. Prenant l’exemple de son pays natal, la République de Corée, Chang (1994) fait valoir que la politique industrielle consiste à construire des avantages comparatifs et à créer des secteurs et industries entièrement nouveaux, et non à suivre des avantages comparatifs statiques. Dans cette optique, la politique industrielle devrait aider les pays à déterminer et réaliser leurs avantages comparatifs dynamiques.

La littérature consacrée à la politique industrielle fait fréquemment intervenir le concept de « choix des gagnants  », bien que sous des formes diffé-rentes. Certains y ont vu un synonyme de politique industrielle sélective (Noland and Pack, 2002  ; Pack and Saggi, 2006). D’autres l’ont utilisé pour désigner l’utilisation plus arbitraire de politiques industrielles sélectives qui, de par ce caractère arbitraire, ont généré une recherche de situations de rente (Aghion et al., 2011). Pour d’autres encore (Amsden, 2001 ; Cimoli et al., 2009 ; Wade, 1990), le fait d’évoquer une sélection des gagnants prête souvent à malentendu, car dans de nombreux pays en développement, les gouvernements sont contraints de créer les gagnants plutôt que de les choisir. Cette considération a conduit Wade (2010) à parler de politiques menant le marché et de poli-tiques suivant le marché. Les premières amènent les gouvernements à investir dans les secteurs où les entreprises privées n’investiraient pas, créant ainsi un potentiel de nouvelles opportunités com-merciales et des champions nationaux, alors que les secondes encouragent des investissements qui, en tout état de cause, auraient été réalisés par des entreprises privées38.

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39 Pour un aperçu, voir Guadagno (2015a).

40 Certains ont aussi employé l’expression

« domaine d’intervention » pour désigner les domaines politiques.

Functional industrial policies (aimed at improving the workings of markets)

Horizontal industrial policies (aimed at promoting specific activities across sectors)

Selective industrial policies (aimed at propelling specific activities or sectors)

Picking versus creating winners

Comparative-advantage conforming versus comparative-advantage-defying

Leading versus following the market Représentation visuelle des catégories de politique industrielle

Source : Graphique élaboré par les auteurs.

Graphique 25

En résumé, le graphique 25 présente les catégories de politique examinées dans la présente section.

Comme énoncé précédemment, les politiques industrielles ont été classées en politiques fonc-tionnelles, horizontales et sélectives, selon le degré d’intervention du gouvernement. Les politiques industrielles fonctionnelles sont les plus générales, les plus neutres et les moins interventionnistes.

Les politiques horizontales viennent immédiate-ment après, suivies par les politiques industrielles sélectives, considérées comme les plus actives et perturbatrices. En conséquence, les politiques

industrielles fonctionnelles et horizontales sont largement acceptées, alors que les politiques sélec-tives ont suscité d’importants désaccords. Certains auteurs en sont venus à établir une autre distinc-tion dans la catégorie générale des politiques industrielles sélectives, opposant la sélection des gagnants à la création des gagnants ; les politiques conformes aux avantages comparatifs et les poli-tiques qui en font fi  ; et les polipoli-tiques menant le marché et celles suivant le marché. Chacune de ces catégories implique un degré différent d’interven-tion des pouvoirs publics.

2.2

Les instruments de la politique industrielle