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Arguments contre la politique industrielle Le principal argument contre la politique

Exemple de décomposition de la croissance de la productivité du travail

MODULE 2 Politique industrielle : un cadre

3. Pourquoi adopter une politique industrielle ?

3.3 Arguments contre la politique industrielle Le principal argument contre la politique

industrielle s’articule autour de la notion de

«  défaillance du gouvernement  », évoquant les problèmes que les pouvoirs publics sont suscep-tibles de créer en tentant de corriger les imper-fections du marché. Ces problèmes peuvent se traduire par des effets secondaires des politiques industrielles fonctionnelles ou sélectives, mais ils sont plus fréquents avec des politiques sélectives, c’est-à-dire lorsque le gouvernement interfère dans le fonctionnement du marché. En consé-quence, on prétend généralement que le fait de

«  libérer la main invisible du marché  » aurait une incidence positive sur la croissance écono-mique et le développement. Les défaillances des pouvoirs publics sont également plus graves et fréquentes dans les pays en développement, du fait des capacités habituellement plus réduites de leurs gouvernements de concevoir et mettre en œuvre des politiques industrielles.

Quelles sont les causes des défaillances des gou-vernements ? Selon Krueger (1990b: 11), les États

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61 Concernant l’espace bud-gétaire, voir CNUCED (2011a, 2013a, et 2014a). Pour le cas de l’Afrique, voir CNUCED (2007b).

62 Pour un examen complet de la littérature sur les capa-cités de l’État, y compris les mesures les plus courantes et les questions méthodo-logiques liées aux études empiriques sur les capacités de l’État, voir Cingolani (2013). Concernant la façon dont les États d’Asie de l’Est ont réussi à renforcer leurs capacités, voir Cheng et al.

(1988) et Evans (1998).

ne sont pas des tuteurs sociaux omniscients et altruistes, et les corrections ont un coût. Trois fac-teurs susceptibles de conduire à des défaillances des pouvoirs publics sont identifiables : les exi-gences en matière d’information, la corruption et le manque de ressources financières. Ils sont tous liés à la question débattue de longue date des capacités de l’État  : les États disposant de capacités réduites ont plus de probabilité d’être victimes d’un défaut d’information, de la cor-ruption et dans l’impossibilité de mobiliser des ressources financières pour la mise en œuvre des politiques. Examinons ces éléments un par un.

Premièrement, pour concevoir des politiques industrielles, les gouvernements doivent dispo-ser d’informations, concernant par exemple les tendances du marché et des exportations, les technologies et l’innovation, et les obstacles à l’investissement et l’innovation rencontrés par les entreprises. On s’explique mal pourquoi l’État devrait connaître mieux que les entrepreneurs les secteurs ou domaines technologiques les plus prometteurs et les entraves auxquelles se heurtent les chefs d’entreprise dans leur quoti-dien. En fait, les gouvernements en savent sou-vent moins que le secteur privé (Pack and Saggi, 2006 ; Rodrik, 2004). Pour remédier à cette lacune, plusieurs auteurs plaident pour une coopération plus systématique avec le secteur privé, comme indiqué en section 2.3.

La corruption est un thème récurrent dans le débat sur la politique industrielle. Selon certains, l’objectif déclaré des pouvoirs publics, en l’occur-rence optimiser le bien-être de la population, ne peut pas être considéré comme allant de soi car les responsables gouvernementaux risquent d’utiliser les ressources publiques pour gagner l’appui électoral de certains groupes ou réaliser des gains personnels. Comme le déclare Rodrik (2008: 8), dès lors que le gouvernement décide de fournir un soutien aux entreprises, il devient facile pour le secteur privé de demander et reti-rer des avantages qui faussent la concurrence et transfèrent des rentes à des entités entretenant des contacts politiques. Les entrepreneurs et les hommes d’affaires passent leur temps dans la capitale en quête de faveurs, plutôt que de chercher des moyens d’élargir les marchés et de réduire les coûts. Cependant la corruption peut être contrôlée de diverses manières, notamment par la surveillance et les critères de performance (voir sect. 2.3).

Enfin, en ce qui concerne le manque de res-sources financières, Krueger (1990b) souligne le coût élevé du maintien d’entreprises d’État et de la conduite de programmes d’investissement.

La politique industrielle comporte également

d’autres coûts, tels que ceux liés aux contrôles gouvernementaux et à la correction des défail-lances des pouvoirs publics. Lin et Treichel (2014) détaillent les coûts des politiques industrielles sélectives (en particulier celles qui font fi des avantages comparés)  : outre les coûts directs associés aux entreprises détenues par l’État, aux aides et aux subventions, la politique industrielle englobe également des coûts implicites liés aux pertes d’efficacité engendrées par les mono-poles créés par l’État et les échelles de produc-tion inefficaces, la fragmentaproduc-tion des marchés qui en résulte et le large soutien aux entreprises nationales. En outre, des taux d’intérêt faibles ou négatifs, des taux de change surévalués, le contrôle des prix des matières premières, et les droits et restrictions d’importation faussent les prix du marché et augmentent les coûts de la politique industrielle. Certains auteurs ont par ailleurs fait valoir que les initiatives publiques concurrençaient les initiatives du secteur privé (l’argument « éviction »). D’après eux, l’investis-sement public évince l’investisl’investis-sement privé en drainant hors du marché certaines ressources financières qui seraient mieux utilisées par le secteur privé (Friedman, 1978 ; voir aussi les sec-tions 4.3.1 et 4.4.3).

La plupart des gouvernements du monde en développement disposent de ressources finan-cières limitées pour assurer la prestation de services sociaux de base, tels que la santé et l’éducation, et mettre en œuvre des politiques industrielles. Leur marge de manœuvre budgé-taire est contrainte par la faiblesse des revenus et les capacités administratives de collecte des impôts. En outre, la mondialisation pose des problèmes supplémentaires pour accroître les recettes fiscales  : les pays sont en concurrence fiscale pour attirer les investissements étrangers directs – un «  nivellement par le bas  » – et la mondialisation financière a conduit à la créa-tion d’un certain nombre de paradis fiscaux et autres environnements similaires, où les grandes entreprises et les ménages riches peuvent éviter les taxes (Calcagno, 2015 ; Goedhuys et al., 2015 ; Guadagno, 2015b  ; UNCTAD, 2002). Une marge de manœuvre budgétaire aussi restreinte limite le nombre et le type d’instruments de politique industrielle à la disposition du gouvernement61. Le concept de capacité de l’État a fait l’objet d’une attention toute particulière dans la litté-rature62. Les gouvernements de nombreux pays en développement sont dans l’incapacité d’ap-pliquer efficacement des politiques industrielles, en particulier lorsqu’il s’agit de politiques indus-trielles sélectives. Lall (2000) et Perez et Primi (2009) font valoir que la complexité des inter-ventions et leur sélectivité dépendent du niveau

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63 Concernant l’importance de l’éducation pour la qualité de la gouvernance, voir For-tunato et Panizza (2015).

Les mesures de la capacité de l’État Encadré 9

La recherche en économie se base souvent sur l’analyse quantitative. Pour effectuer de telles analyses, les chercheurs ont besoin de statistiques (ou d’indicateurs économiques) mesurant diverses dimensions de l’économie. L’une des PRINCIPALES DIF½CULTmS RENCONTRmES POUR DmTERMINER L´IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA QUALITm DE L´mLABORATION DES politiques industrielles et du développement économique a trait à la façon de mesurer la qualité des institutions.

$´APRnS !LTENBURG LES CAPACITmS DE L´bTAT ET LA BONNE GOUVERNANCE PEUVENT oTRE ESTIMmES g PARTIR DES INDICATEURSSUIVANTSFONDmSSURLESPERCEPTIONS

A #APACITm STRATmGIQUE 0UBLIm TOUS LES DEUX ANS L´INDICE DE TRANSFORMATION DE LA FONDATION "ERTELSMANN CLASSE PAYSENDmVELOPPEMENTETENTRANSITIONENFONCTIONDELAQUALITmDELEURGOUVERNANCEDm½NIECOMMELACAPACITmDU GOUVERNEMENTg½XERDESOBJECTIFSSTRATmGIQUESETgLESMETTREEN®UVREEF½CACEMENT)LS´AGITENFAITD´UNAGRmGAT DEDEUXINDICESL´INDICEDESTATUTQUImVALUELASITUATIONENMATInRED´mVOLUTIONPOLITIQUEETLASITUATIONENMATInRE d’évolution économique ; et l’indice de gestion, qui mesure l’aptitude des décideurs à mener à bien des réformes mCONOMIQUESETPOLITIQUES0OURDEPLUSAMPLESINFORMATIONSVOIRHTTPWWWBTIPROJECTORG

B #APACITmgDm½NIRDESRnGLESCLAIRES%LLEPEUToTRECALCULmEPARL´INDICEDECOMPmTITIVITmMONDIALEETLE$OING"USINESS )NDEXLAFACILITmDEFAIREDESAFFAIRES ,´INDICEDECOMPmTITIVITmMONDIALEPUBLImPARLE&ORUMmCONOMIQUEMONDIAL CLASSELESPAYSENFONCTIONDELEURCOMPmTITIVITmDm½NIECOMMEL´ENSEMBLEDESINSTITUTIONSDESPOLITIQUESYCOMPRISLA TRANSPARENCEDESPOLITIQUESPUBLIQUES ETAUTRESFACTEURSQUIDmTERMINENTLENIVEAUDEPRODUCTIVITmVOIRHTTPSWIDGETS WEFORUMORGGLOBALCOMPETITIVENESSREPORT¯ ,E$OING"USINESS)NDEXPUBLImPARLA"ANQUEMONDIALECLASSELES pays sur la base de leur environnement réglementaire, selon qu’il favorise ou non le lancement et le fonctionnement des ENTREPRISESVOIRHTTPWWWDOINGBUSINESSORGRANKINGS

C #APACITmgASSURERDESPRESTATIONSDESERVICESEF½CACES,A"ANQUEMONDIALEACRmmUNEBASEDEDONNmESGLOBALESURLES INDICATEURSD´EF½CACITmDUGOUVERNEMENT#ESINDICATEURSS´APPUIENTSURDESDONNmESD´ENQUoTEMESURANTLESENTIMENT d’un grand nombre d’entreprises, de citoyens et d’experts ayant répondu à l’enquête sur la qualité des services publics, la qualité de la fonction publique et son degré d’indépendance à l’égard des pressions politiques, la qualité de la formulation des politiques et de leur mise en œuvre, et la crédibilité de l’engagement du gouvernement en faveur de CESPOLITIQUESVOIRWWWGOVINDICATORSORG

D #APACITmgmVITERLARmCUPmRATIONPOLITIQUE#ETTECAPACITmPEUToTREAPPROCHmEPARL´INDICEDEPERCEPTIONDELACORRUPTION mTABLI PAR 4RANSPARENCY )NTERNATIONAL #ET INDEX CLASSE PAYS EN FONCTION DE LA PERCEPTION DE LA GOUVERNANCE PAREXEMPLELACAPACITmDUGOUVERNEMENTgLUTTERCONTRELACORRUPTIONL´INDmPENDANCEDUSYSTnMEJUDICIAIREOULE FAVORITISMEDANSLESDmCISIONSDESAGENTSDELAFONCTIONPUBLIQUEVOIRWWWTRANSPARENCYORG

#EPENDANTL´UNDESPROBLnMESDESINDICATEURSFONDmSSURDESENQUoTESESTQUELESAVISSURL´EF½CACITmDESPOUVOIRS publics ont tendance à être procycliques, c’est-à-dire que les répondants ont tendance à avoir des opinions positives (négatives) quand l’économie va bien (mal).

Source : Élaboré par les auteurs d’après Altenburg (2011).

64 Le document CNUCED (2009) propose une appro-che pragmatique du ren-forcement des capacités de l’État dans les pays les moins avancés. Cette approche est fondée sur la recherche de pratiques et principes perti-nents existants, correspon-dant au contexte du pays, et sur la mise en œuvre d’un petit nombre de réformes institutionnelles destinées à améliorer les capacités techniques et politiques de l’État.

des capacités administratives de l’État. En outre, la formulation et la mise en œuvre de politiques industrielles exigent des agents de la fonction publique dotés de sérieuses compétences tech-niques et administratives et ayant une certaine expérience du soutien à apporter aux industries et de la résolution de problèmes urgents. C’est ce que Salazar-Xirinachs et al. (2014) appellent «  le savoir technocratique »63. Les gouvernements ne disposant que de capacités basiques devraient se limiter aux politiques horizontales et ne s’aven-turer dans des politiques industrielles sélectives qu’après avoir accumulé davantage de capacités.

D’après Altenburg (2011), les capacités de l’État couvrent quatre dimensions : a) la capacité à défi-nir des objectifs stratégiques et de les appliquer de façon efficace  ; b) la capacité à définir claire-ment les règles du jeu de la concurrence fondée sur le marché ; c) la capacité à assurer des pres-tations de services efficaces  ; et d) la capacité à éviter la récupération politique. L’encadré 9 décrit plusieurs indicateurs utilisables pour mesurer ces

quatre dimensions. Bien que largement employés, ces indicateurs ont fait l’objet de critiques pour diverses raisons méthodologiques et pratiques (Arndt and Oman, 2006 ; Ravallion, 2010).

Les contraintes, et notamment le manque de capacités de l’État, peuvent être surmontées et ne pas constituer le principal obstacle à l’intro-duction d’une politique industrielle. À l’appui de ce point de vue, certains auteurs font observer que les gouvernements d’Asie de l’Est ont réussi à initier avec succès un processus d’industriali-sation en dépit de capacités initiales réduites. À titre d’exemple, jusqu’aux années 1960, les fonc-tionnaires de la République de Corée étaient formés au Pakistan à l’élaboration des poli-tiques économiques. Les capacités de l’État ont été développées au fil du temps, grâce à de longs processus de réforme et d’expérimentation, une tâche difficile mais pas impossible (Amsden, 1989 ; Chang, 2006, 2009 ; Evans, 1998 ; UNCTAD, 2009)64.

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65 Il convient cependant de noter que, compte tenu des conditions préalables en vigueur dans les différents pays, l’élaboration des politiques est fortement contextuelle, ce qui limite la possibilité de réplication des expériences réussies dans d’autres pays et impose à ces derniers de procéder à leurs propres expérimentations (Hobday, 2013).

66 Cette distinction s’appuie sur Peres et Primi (2009) (également adoptée par l’ONUDI, 2013), qui différen-cient quatre rôles : régula-teur, financier, producteur et consommateur.

4. Quelques exemples de politiques