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Plus souvent, les couturiers ont apporté des renseignements concernant la forme, portant sur l’ensemble ou une partie du vêtement, notamment les manches et les plis, ainsi que des

détails sur son ornementation : broderie, fourrure, bordure, découpures, franges. La plupart

était doublée. On distinguait plutôt celles qui ne l’étaient pas, par l’indication « sengle ».

Souvent le nom du drap, le nombre de coupons de tissu superposés, et l’emplacement de la

doublure étaient précisés. Davantage que la description simple de ces caractéristiques, il

semble plus pertinent de les aborder dans une optique d’évolution. Principal vêtement de

dessus, la robe subissait plus que tout autre vêtement les caprices de la mode. Si certaines

formes ont coexisté, elles n’appartenaient pas toutes à la même tendance, ni à la même

époque. Les robes de la cour étaient faites sur mesure, ce qui offrait des possibilités infinies

dans les combinaisons des matières, des formes, de la doublure et de la fourrure, enfin de

l’ornementation, dans le respect des goûts du moment, et des obligations diplomatiques ou

religieuses. Les robes du prince étaient donc très diversifiées. Sans doute celles des pages,

valets de pied et palefreniers, réalisées dans un nombre plus restreint, étaient plus

représentatives des tendances fortes de la mode propres à chaque époque.

Les robes portées par Philippe le Bon et son entourage au début de la période ne sont pas

décrites de façon très précise. Pour la plupart, seule la matière était déterminée : drap de laine

ou drap de soie, doublées de drap de laine. Les couleurs du prince étaient le noir et le gris,

avec une doublure noire ou blanche. Certaines pièces, destinées à l’apparat, portaient des

découpures, ornementations découpées ou tailladées, réalisées sur les bordures des vêtements.

Probablement en fonction de leur aspect, on leur donnait des noms différents : « loquetures »

en 1430

149

, qui renvoie à la loque que nous connaissons, désignant un vêtement en lambeaux,

et « déchiquetures » en 1435

150

. En 1432, les robes de 22 pages, valets et palefreniers étaient

« trouetées » au fer, tandis que les robes gris-blanc que plusieurs courtisans portèrent en mai

148

ADN, B 1945, f. 207 v°.

149

La même année, quatre aunes de brunette servirent à faire une robe « déloquetée » au fer pour un page. Des huques de drap d’or portées aux noces de Philippe le Bon étaient « loquetées » de drap gris.

150

Les six robes de futaine réalisées par Gilles Mandousques pour l’entrée du prince au traité d’Arras étaient dites « déchiquetées ».

(pour le baptême de Josse ?) étaient « toutes pertuisées

151

parmi les manches ». Les années

trente virent l’apogée de cette mode des découpures, que l’on retrouve généralement en bas

des vêtements et sur les manches. Elles pouvaient être d’une couleur différente de celle du

vêtement : les robes de livrée des noces de Philippe le Bon et Isabelle de Portugal furent

taillées dans une couleur inhabituelle à la cour de Bourgogne, le vermeil, mais les loquetures

étaient faites à partir de draps de couleurs noire, rouge et bleue. En 1432, le duc et ses

courtisans portèrent des robes de drap gris-blanc « décopée par dessoubz et les manches aussi

décoppées derrière devant et dessus les bras et par dessoubz

152

». Pour ses noces, Antoine de

Croÿ reçut une robe de drap de damas noir « décoppée par dessoubz et de drap noir autour de

la décoppure

153

». La même année, les pages, valets de pied et palefreniers portaient des robes

noires et grises, doublées de trois draps, « décoppées aux fers et au taillans et sur les manches

barres doubles décoppées pareillement

154

». Les robes de livrée étaient taillées dans un drap

noir et gris, toujours doublées de blanchet.

En 1431, le duc fit faire deux robes à la façon de Hollande, régionalisme renvoyant à

l’ornementation du bas de la robe, qui, précise-t-on plus tard, consistait en des découpures

verticales d’un quartier et demi de haut. On peut en voir des exemples dans le tableau des

quatre mariages de Jacqueline de Bavière

155

. Le petit personnage penché, placé au centre du

tableau de la Vierge du Chancelier Rolin

156

, porte également une robe découpée à la manière

de Hollande. Cette mode n’était peut-être pas nouvelle, puisqu’on rencontre déjà en 1425

157

une robe à la façon de Hollande. A l’automne 1433, Philippe le Bon se rendit en Hollande,

emportant entre autres dans ses bagages sept robes à la mode de ce pays : deux en drap de

laine noir, une en drap de laine de Montivilliers gris, une en drap d’or noir longue jusqu’à

terre, une en velours plein couverte d’orfèvrerie, enfin deux autres en drap de Montivilliers

noir, dont l’une était fourrée d’agneaux noirs. Les couturiers pouvaient donc décliner un même

modèle de vêtement en jouant sur les couleurs et les matières. Cette mode sévit avec bonheur

jusqu’en 1437

158

, signalée d’abord avec sa mention d’origine, puis seulement par son

151

« Pertuiser » signifie percer, trouer pour Huguet.

152 ADN, B 1945, f. 190 v°. 153 ADN, B 1945, f. 191 v°. 154 ADN, B 1945, f. 202 v°. 155

Ecole de Van Eyck, Musée du Louvre, Paris. Voir illustration en annexe.

156

Van Eyck, Musée du Louvre, Paris. Voir illustration en annexe.

157

ADN, B 1933, f. 139 r°.

158

Aux joutes du traité de Lille, le bas des robes de bougran que portaient les ducs de Bourgogne et de Bourbon était encore découpé de 1,5 quartier de haut.

indication technique : découpée de un quartier et demi de haut. Mais celle-ci ne figura plus par

la suite.

Philippe le Bon fit également réaliser pour lui en 1431 deux robes à la façon

d’Allemagne. S’agissait-il là aussi d’une manière de découper, ou de doubler les vêtements ?

Françoise Piponnier et Perrine Mane précisent que les pays germaniques et les régions

voisines manifestèrent, à partir du XIVe siècle une prédilection pour les découpures en forme

de créneaux, de pointes, et plus souvent de feuilles simples ou polylobées, employées en

bordures des vêtements ou le long de languettes de drap qui leur étaient attachées. Ces types

de décor étaient encore employés au cours du XVe siècle

159

. Dans les articles comptables, on

ne parle de « découpures à la façon d’Allemagne » qu’en 1440

160

. Au début des années 30, on

ne prend jamais soin de préciser que les robes à la façon d’Allemagne étaient découpées. Mais

peut-être était-il inutile de rappeler une évidence ? En revanche, il est indiqué qu’il fallait au

moins dix aunes pour réaliser une robe à la façon d’Allemagne, parce qu’elle était doublée du

même drap que celui de dessus. Doit-on admettre l’existence de plusieurs façons de faire

originaires des pays germaniques ? Jusqu’en 1435, Philippe le Bon porta au moins six robes à

la façon d’Allemagne.

Pendant ces premières années, les manches, outre les découpures, pouvaient être

couvertes d’orfèvrerie et fendues

161

. Certaines en 1432 étaient froncées

162

. En 1433 et 1434,

trois robes de Philippe le Bon comportaient des manches « longues passant la main »,

c’est-à-dire plus longues que le bras

163

. Les illustrations indiquent en outre qu’il était courant de

porter une ceinture sur la robe.

En 1433 apparaît une mention absente dans les comptes précédents : dans un drap acheté

à Harlem, Haine Necker fit réaliser une robe de douze plis et une robe de six plis

164

. Le valet

de garde-robe annonce clairement que ces robes, divisées en huit « gérons » ou plutôt

159

Se vêtir au Moyen-Age, op. cit., p. 114.

160

Les robes des pages lors des fêtes organisées pour la libération du duc d’Orléans étaient découpées à la façon d’Allemagne, ADN, B 1969, f. 333 r°.

161

Quatre robes portées à Bruxelles, destinées au duc, à Antoine de Croÿ, Philippe de Ternant et Jean De Hornes, sénéchal de Brabant, étaient réalisées dans un drap noir de Montivilliers, doublées de même ; les manches étaient couvertes d’orfèvrerie et de broderie, fendues de l’épaule à la main et découpées tout autour, deux fois, sur le bord, et parmi l’orfèvrerie, découpées en bas, ADN, B 1945, f. 206 v°.

162

Trois robes destinées au duc, et deux aux bâtards Cornille et Antoine, ADN, B 1945, f. 190 r°, f. 198 r°, ADN, B 1948, f. 301 r°.

163

ADN, B 1948, f. 307 r°, ADN, B 1951, f. 204 r°.

164

« girons », étaient réalisées à la façon de Brabant. Par la suite, on parlera plutôt de robes à huit

quartiers ou pièces. Ces termes sont probablement des synonymes dans le cas présent.

Aujourd’hui le giron désigne la partie du corps qui s’étend de la ceinture aux genoux

165

et

Leloir précise qu’il s’agit de la partie du devant d’une robe, d’une jupe ou jupon qui va de la

ceinture au genou. On peut douter que les articles comptables excluent ici le derrière du

vêtement, mais il est sans doute acceptable de considérer que la partie du vêtement considérée

par la mode de Brabant s’étend de la ceinture au genou. Une des robes réalisées pour Philippe

le Bon en 1434 est dite à « huit gérons par bas

166

». Probablement également la signification

du terme gironner (tourner, aller en rond ou arrondir pour Huguet) n’est pas étrangère à cette

appellation. On précise en effet dans plusieurs cas que des doublures de draps viennent donner

du gonflant aux plis de Brabant. Les plis n’étaient pas une nouveauté car on les signale

auparavant, par exemple en 1426 : une pièce de brunette fut achetée pour faire une robe à

plusieurs plis pour le duc, à façon de Hollande

167

. Par contre, la façon de Brabant semble

nouvelle. Elle se matérialise ici d’abord dans la forme générale du vêtement (divisé en huit

parties en dessous de la ceinture), et comportant un nombre de plis variable (à cinq, six, douze

plis) doublés plusieurs fois pour leur donner un aspect arrondi. Cette mode se concrétisa en

1434. Une robe destinée au costume militaire, réalisée à partir d’une peau de chamois blanc,

comportait des plis rembourrés à la façon de Brabant

168

. L’année suivante, le duc faisait

acheter du blanchet pour mettre « au long des plis » de trois robes longues. A partir de cette

période, la majeure partie des robes du prince semblait comporter des plis, souvent

rembourrés, même si on ne cite pas toujours la mode d’origine. On parlait dès 1435 de robes

« embouties

169

» par les plis. La matière utilisée pour ce rembourrage était toujours le blanchet

de moindre qualité. Pour le chapitre de la Toison d’Or de 1435, Philippe fit réaliser une robe

de quatre quartiers, comportant cinq plis par quartier, doublés de blanchet

170

.

Le traité d’Arras fut placé sous le signe de plusieurs modes coexistantes : les pages

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