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AU COURS DES SIÈCLES

Dans le document 2 005N 142 année 1-2 (Page 91-100)

Les façades de la collégiale ont été décrépies lors de la restauration de 1908-1909 et leurs maçonneries laissées apparentes, transformant profon-dément leur aspect originel. A l'intérieur de l'église, en revanche, des témoins des couches successives d'enduits sont conservés ; elles ont pu faire l'objet de sondages et de diverses observations par les conservateurs-restaurateurs d'art en 2004-2005, dans le but de reconstituer leur évolution et de préparer la restauration de l'édifice.

Les analyses technologiques ont consisté en des dégagements, des stratigraphies et des sondages mécaniques observés à l’œil nu, ainsi qu'en l’exécution et l’observation au stéréo-microscope de coupes transversales d'échantillons des différents mortiers. La composition des échantillons des mortiers a été déterminée au moyen de l’analyse de leur courbe granulo-métrique et de celle de leur liant par diffraction à rayons X. Il va de soi que le résultat des analyses auxquelles il a été procédé reste ponctuel, dans la mesure où la majorité des crépis d’origine de la collégiale a disparu.

L’apparence et l’état des crépis de surface s'étaient tellement dégradés et modifiés au fil des temps que, suite à ces études, il a été décidé de procéder, dans la mesure où ceux-ci ne présentaient pas d’intérêt particulier, à leur suppression, à l’exception de quelques fragments d’enduits particulièrement anciens révélés par les sondages. Ces fragments, remontant manifestement à la construction de la collégiale au début du XVIe siècle, ont été dégagés et consolidés puis recouverts, selon leur emplacement et leur état de conservation, d’un crépi de chaux ou d’un badigeon afin d'assurer leur conservation et leur intégration.

Chronologie et apparence des enduits et badigeons successifs Première étape (vers 1500-1505)

Les plus anciens restes de crépi ont été retrouvés sur le mur ouest du chœur, au-dessus de l’enfeu de Claude d’Aarberg et Guillemette de Vergy, ainsi que sur la paroi orientale du bras de transept sud. Leur support est une maçonnerie composée d’un appareillage mixte irrégulier comportant du grès calcaire jaune (dit pierre d’Hauterive) ainsi que du roc calcaire blanc.

Le mortier d’appareillage est constitué d’un mortier de chaux d’aspect brunâtre, de granulométrie grossière composée de gros grains de sable roulé (pas de sable de carrière, ≤20 mm de diamètre). Ce mortier d’appareillage

déborde des joints, mais n’a pas été étiré sur les parements. Les observations effectuées sur les fragments retrouvés permettent de reconnaître l’applica-tion d’un crépi en deux mains (deux couches). Le crépi de préparal’applica-tion (arricio) est composé d’un mortier de chaux blanc cassé additionné d’un agrégat de sable fin, de granulométrie moyenne (≤ 4 mm de diamètre). Il présente des nodules de chaux, caractéristiques de l’emploi d’une chaux de mauvaise qualité, insuffisamment éteinte. L’épaisseur moyenne d’application de ce crépi est de 0,7 mm à 15 mm et sa hauteur se limite à la surface des pierres débordantes. Sur ce crépi de préparation se trouve un enduit de finition (intonaco) composé d’un fin crépi de chaux d’aspect brunâtre, relativement lisse et d’une granulométrie moyenne, ≤ 3 mm de diamètre (fig. 1). La pulvérulence et le manque de cohésion de ce mortier indiquent un faible pourcentage de liant additionné au sable lors du mélange initial.

Concernant la cause de la teinte brunâtre de ce crépi, les analyses effectuées n’ont révélé aucun liant, additif ou agrégat autre que de la chaux et du sable.

Ce crépi fin, d’environ 0,5 mm à 10 mm d’épaisseur, s’adapte au niveau irrégulier du crépi de préparation. Des restes de celui-ci ont également été retrouvés dans des cavités des pierres de tuf des voûtes d’ogive, ce qui atteste que les voûtains étaient crépis à l’origine.

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Fig. 1. Coupe transversale microscopique du crépi de finition gothique, où se remarque bien la fine granulométrie du sable utilisé (Atelier Muttner).

Sur ce crépi de finition lissé se trouvent les traces d'un fin badigeon de chaux d’environ 1 mm d’épaisseur, de teinte blanc cassé et comportant de fins grains de sable, sur lequel se reconnaît bien la texture des poils de la brosse utilisée pour son application. Il est vraisemblable qu'il a été appliqué sur le crépi frais puisque les grains de sable du mortier se retrouvent en partie mélangés au badigeon de chaux. Sur les restes de ce badigeon se voient des traces et des giclures d’un badigeon ocre-jaune qui indiquent que, si toutes les surfaces des parois étaient peintes en blanc cassé, les éléments architectoniques en pierre étaient quant à eux soulignés d'une peinture ocre-jaune (fig. 2 et 3). Les sondages ont en effet permis de trouver deux fragments d’ocre-jaune sur le crépi, ainsi que de très nombreux témoins de badigeons ocre-jaune sur les éléments architectoniques de pierre, indi-quant la largeur d’origine (18 cm) des encadrements des grandes baies.

Quant aux voûtains, complètement piqués en 1908-1909 (voir l’article de Claire Piguet), il n’a pas été possible de déterminer leur aspect d’origine.

En revanche, plusieurs témoins d’anciens crépis de chaux ont été retrouvés à l’intérieur de l’enfeu de Claude d'Aarberg et Guillemette de Vergy. En très mauvais état et pulvérulents, ces fragments présentent de nombreuses lacunes et griffures et sont marqués par la formation d’alvéoles salines (fig. 4).

Fig. 2. Enduit d’origine avec badigeon ocre-jaune en bordure d’un encadrement de fenêtre (Atelier Muttner).

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Fig. 3. Fragment de badigeon ocre-jaune épargné par les interventions de décapage de la pierre en 1908 (Atelier Muttner).

Fig. 4. Vue de l’état de dégradation d’un reste de crépi gothique conservé sur la paroi occidentale du chœur (Atelier Muttner).

Deuxième intervention (phase de réfection vers 1595 ?)

Suite à d'importants dégâts (infiltrations d’eau dans les maçonneries, cristallisation de sels, etc...), il apparaît que diverses interventions d’assainis-sement ont été réalisées par la suite, peut-être lors des travaux mentionnés vers 1595. Ces traitements sont notamment reconnaissables sous la forme de retouches des lacunes effectuées au moyen d’un badigeon de chaux d’un ton légèrement plus froid que celui de l’original. Une autre intervention exécutée à cette époque a consisté en un masticage et lissage des irrégularités du crépi au moyen d’un fin enduisage de chaux. Au-dessus de la niche des gisants se voient quelques gouttes de badigeon ocre-jaune qui paraissent attester une restauration locale des décors architectoniques d’origine.

Troisième intervention (vers 1779)

Le décor a été rafraîchi en 1779, lorsque la commune a fait blanchir l'église et peindre en jaune les plafonds et les voûtes par le maçon David Colomb1. Les causes des dégâts dans les maçonneries n’ayant manifestement pas pu être supprimées lors de l’intervention précédente, les altérations des crépis avaient en effet progressé. L'importante intervention alors réalisée consista en l’application locale d’une nouvelle couche de crépi, composée d’un mortier de chaux d’environ 1 à 3 cm d’épaisseur et comportant de nombreux nodules de chaux de 0,8 à 3 mm de diamètre. Cette couche de crépi, de teinte grisâtre, masque les lacunes ayant mis à nu l’appareillage, alors qu'ailleurs les restes des crépis et badigeons antérieurs en bon état sont laissés en place et simplement recouverts sur leurs bordures. Ce mortier a été régularisé par une couche de chaux lissée d’environ 0,5 mm d’épaisseur, additionnée de fibres très fines (fig. 5) et accompagnée d'encadrements ocre-jaune similaires au décor précédent.

Quatrième intervention (1840-1841)

Lors des travaux de 1840-1841, les parois de l'église ont été recrépies sur de grandes plages dans le transept et le chœur et totalement dans la nouvelle nef, puis repeintes dans un ton gris. Au bas de certaines parois des soubas-sements peints simulent des lambris, complétant les boiseries apposées sur les autres parois. On retrouve les traces de cette même application de peinture en trompe-l'œil sur les piliers et autour de plusieurs des niches2.

1 Jean COURVOISIER, Les Monuments d'art et d'histoire du canton de Neuchâtel, t. III, Bâle, 1968, pp. 148-149.

2 Voir les photographies de l'église avant la restauration de 1908-1909, archives du SPMS

Cinquième intervention (1908-1909)

Lors de la rénovation de 1908-1909, qui a donné à la collégiale l'aspect conservé jusqu'à la restauration de 2004-2005, il a été procédé localement à des réfections du crépi au moyen de mortiers hydrauliques. Le crépi de finition se terminant en mourant sur les pierres de taille a été éliminé et celui des murs délibérément découpé de façon à dégager la bordure crénelée irrégulière de l’appareillage de pierre des encadrements et des colonnettes d'angle (fig. 6). Ces découpes du crépi ont été fixées sur leurs bords par un joint de crépi hydraulique.

Les surfaces des voûtains ont été alors décrépies et le tuf laissé visible, les joints étant marqués au moyen d’un cordon de mortier hydraulique, dans une forme de pietra rasa. Un essai de décor a été effectué sur un voûtain du bras nord du transept, sous la forme de filets jaunes et rouges le long des nervures (voir l’article de Claire Piguet).

L’ensemble des parois et des voûtains est ensuite recouvert d’une couche de peinture à la colle de teinte blanc cassé ocre. C’est également dans cette phase de rénovation que tous les éléments de pierre de taille sont « décapés » et laissés apparents, réparés au moyen de masticages de ciment à prise rapide. Par endroit, les joints de l’appareillage sont simulés par une fine ligne de peinture blanche.

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Fig. 5. Coupe transversale microscopique du crépi de la troisième phase d’intervention, où se distingue l’épaisse couche de chaux lissée en surface additionnée de fines fibres (traits clairs dans la couche) (Atelier Muttner).

Clefs de voûtes polychromes

Dans les bras du transept, deux clefs de voûtes en pierre jaune sont décorées aux armes de Valangin. Les sondages ont révélé qu'elles ont été repeintes à deux reprises, en respectant apparemment la polychromie originale. Des essais de décoration au moyen de filets rouges autour de la clef de voûte orientale sont visibles ; ceux-ci remontent manifestement à 1908-1909, ayant été exécutés à la peinture à l’huile directement sur la pierre débarrassée de son enduit.

Chronologie et apparence du plafond en bois

Le plafond en arc brisé couvrant la nef reconstruite en 1840-1841 est principalement composé de planches de bois embrevées dans des listes rainées. Ces éléments ont été débités et rabotés mécaniquement, ce qui indique une fabrication ne pouvant être antérieure au XIXe siècle3. Après leur pose, les listes rainées ont été entaillées au moyen d’une scie, dont on

3 Voir le texte de Georges Quinche cité par J. Bujard.

Fig. 6. Reste d’un crépi d’origine avec badigeon ocre en bordure de pierre. La prise de vue en lumière frisante met bien en valeur le piquage des crépis en bordure de la pierre effectué lors de la rénovation de 1908 (Atelier Muttner).

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Fig. 7. Détail de l’entaille et taille grossière de la liste rainée pour permettre l’insertion de la frise à redents, à gauche sur l’illustration (Atelier Muttner).

Fig. 8. Macrophotographie d’un sondage de la polychromie des armes de Guillemette de Vergy sur le berceau de la nef (Atelier Muttner).

retrouve systématiquement les traces, avant d'être grossièrement taillées (fig. 7) pour permettre l’incrustation d'éléments décoratifs du XVIe siècle remployés, tels que des frises à redents et deux armoiries en bois sculpté.

Les frises à redents portent de nombreuses marques anciennes de clous ou de chevilles, attestant leur remploi. Les sondages effectués sur les planches et les listes rainées n’ont révélé qu’une phase de polychromie, celle qui est actuellement visible : bleu clair sur les planches, blanc bordé de rouge et de noir sur les listes. Quant aux éléments de frises rapportés, ils présentent deux couches de peinture, la seconde reprenant partiellement, en la corrigeant, le premier décor, également blanc, rouge et noir. Il n'a pu être remarqué de rythme particulier dans la répartition des filets rouges et noirs sur les frises et les listes ; l’ordonnancement primitif ne peut donc plus être reconstitué. Sur les armoiries peintes, les investigations ont permis de retrouver trois phases de décor, de façon générale respectueuses des teintes de l’étape antérieure. Sur la couronne végétale décorative entourant les armes de Guillemette de Vergy, il a pu être constaté sur la pellicule picturale d’origine la présence de traces de feuilles d’argent, peut-être recouvertes de glacis lustrés (fig. 8).

Une grande découpe rectangulaire se devine sur le plafond au-devant de l’arc donnant sur le transept. L’explication de cette ouverture dans le berceau est vraisemblablement à trouver dans les remplacements de cloches effectués en 1853 et en 1912. En effet, une porte se trouve au-dessus, permettant de passer des combles de la nef au clocher4. Plusieurs couvre-joints successifs aux extrémités du plafond contre l’arc du transept et la façade occidentale sont en outre venus fermer les vides provoqués par un léger affaissement de la nouvelle nef.

Comme on peut le constater, la riche histoire de la collégiale se lit particulièrement bien sur son épiderme et, malgré sa simplicité, la poly-chromie d'origine a été jugée d'assez bonne qualité pour être entretenue pendant près de 350 ans, puis pour réapparaître en 2005, après une éclipse d'un siècle et demi.

Elisabeth et Michel MUTTNER

Adresse des auteurs : Elisabeth et Michel Muttner, conservateurs-restaurateurs d'art, rue des Bornelets, 2525 Le Landeron.

4 Voir l'article de J. Bujard.

LES GISANTS DE CLAUDE D'AARBERG

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