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Chapitre 4 : Etude expérimentale de la cinétique et des mécanismes d’oxydation

3. Synthèse des résultats et proposition de mécanismes de croissance

3.1. Mécanismes de croissance de la couche d’oxyde

3.1.1. Couche d’oxyde protectrice

3.1.1.1.Sesquioxyde de chrome et alliage sous-jacent

Les résultats obtenus dans le cadre de ces travaux ont mis en évidence plusieurs caractéristiques concernant la chromine se formant à l’interface entre l’alliage et la couche de chromite mixte de nickel et de fer (figure 3.41) :

- celle-ci apparaît sous la forme de nodules (observations par MET) dont la répartition surfacique à l’interface chromite / alliage semble quasi homogène, à l’échelle de l’ordre de quelques dixièmes de mm² (observations par MPEC) ; - aucune zone déchromée, associée à la présence de ces nodules n’est observée en

surface de l’alliage sur les plaquettes polies ;

- une augmentation du taux de défauts de surface de l’alliage conduit conjointement, à une augmentation de la taille ou de la quantité surfacique des nodules et à l’apparition d’une zone déchromée de plus en plus marquée (observations par MET sur une plaquette polie implantée au Xe3+ et un échantillon tubulaire) ; - cet oxyde est un semiconducteur de type n (caractérisations par PEC).

Une hypothèse selon laquelle la formation de ces nodules résulterait d’un mécanisme de germination-croissance peut dès lors être proposée, les défauts de surface pouvant jouer le rôle de sites de germination préférentiels [Del69], l’existence de ces sites conduisant à une augmentation de la fréquence de germination des nodules. Suivant cette hypothèse, en l’absence d’une diminution significative de leur vitesse de croissance, la quantité de Cr2O3

formé par unité de temps augmenterait avec le taux de défauts, pouvant conduire à une coalescence des nodules en une couche continue. Ce phénomène semble avoir été observé dans le cas de l’échantillon d’alliage 690 tubulaire exposé durant 304 heures, sur lequel la présence de nodules nanocristallins de grande taille (figure 4.7) est cohérente avec une coalescence de ces derniers.

Il peut également être remarqué que la formation de Cr2O3 résulte d’une oxydation préférentielle du chrome contenu dans les alliages à base nickel. Une augmentation de la quantité de Cr2O3 formé est donc susceptible de conduire à l’apparition d’une zone déchromée en surface de l’alliage sous-jacent, cette apparition étant d’autant plus rapide que la vitesse de formation de Cr2O3 est élevée.

Ainsi, ce type de mécanisme permet non seulement de rendre compte des résultats observés dans le cadre de ces travaux, mais également de faire le lien avec ceux obtenus lors d’études antérieures [Car02a, Pan02, Mac04a]. La présence d’une couche de Cr2O3 continue, proposée par plusieurs auteurs [Car02a, Mac04a], et parfois associée à une déchromisation significative de l’alliage sous-jacent [Car02a], pourrait résulter de l’utilisation d’échantillons présentant un taux de défauts superficiels plus important, tel que le laissent envisager les caractérisations de l’état de surface initial [Car02a] ou la procédure de mise en forme des éprouvettes [Mac04a].

L’étude expérimentale des mécanismes de croissance ayant montré que la formation de la couche d’oxyde protectrice résulte d’une diffusion anionique, il peut être supposé que la croissance des nodules ou de la couche de Cr2O3 a lieu à l’interface Cr2O3 / alliage. En respect du type de semiconduction de cet oxyde, le défaut diffusant responsable de sa croissance est nécessairement en substitution dans le sous réseau anionique. Il peut par conséquent s’agir de la lacune d’oxygène, considérée ici doublement chargée, VO••3, ou, comme cela a été évoqué lors de l’analyse des résultats obtenus par SIMS, d’un ion hydroxyde en substitution, OHO•.

Il est également possible de remarquer que dans le cas où une couche continue de Cr2O3 est formée, les cations de fer et de nickel doivent nécessairement diffuser à travers cette couche, soit pour permettre la croissance de la couche de chromite mixte de nickel et de fer, soit pour être relâchés en solution. Ce phénomène de diffusion des cations de fer et de nickel à travers une couche continue de chromine, qui a déjà été mis en évidence dans le cadre d’étude d’oxydation sous gaz à haute température [Lob92, Sab05], permet de proposer une diffusion de ces cations, sous la forme d’interstitiels (en respect du type de semiconduction mis en évidence par PEC), à travers les nodules ou la couche continue de sesquioxyde de chrome.

Ainsi, la formation de Cr2O3 à l’interface entre ce dernier et l’alliage peut être décrite par l’étape élémentaire (E.4.18) :

2〈〈Cr〉〉 〈〈NiCrFe〉〉 2CrCr×(Cr2O3) + 3VO••(Cr2O3) + 6 e’ (E.4.18),

en considérant que la lacune d’oxygène est le défaut diffusant, ou par les étapes (E.4.18) et (E.4.19) en supposant que l’hydroxyde en substitution, diffusant par sauts successifs sur des lacunes d’oxygène [Wou96], est le défaut responsable de la croissance :

OHO•(Cr2O3) OO×(Cr2O3) + Hi•(Cr2O3) (E.4.19).

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Dans ce dernier cas, le proton interstitiel formé peut se dissoudre dans l’alliage, suivant l’étape élémentaire (E.4.20) :

Hi•(Cr2O3) + e’ 〈〈H〉〉 〈〈NiCrFe〉〉 (E.4.20),

la présence d’hydrogène dissous dans l’alliage 600 exposé en milieu de type primaire ayant déjà été mis en évidence dans le cadre de l’étude des phénomènes de corrosion sous contrainte [Foc99]

.

Parallèlement, la dissolution, à cette même interface, de cations de fer et nickel dans Cr2O3 peut être décrite par les réactions suivantes :

〈〈Ni〉〉 〈〈NiCrFe〉〉 Nii••(Cr2O3) + 2 e’ (E.4.21), et

〈〈Fe〉〉 〈〈NiCrFe〉〉 Fei••(Cr2O3) + 2 e’ (E.4.22).

Les cations interstitiels et les défauts en substitution dans le sous réseau anionique diffusent à travers la chromine jusqu’à l’interface Cr2O3 / Ni(1-x)Fe(x+y)Cr(2-y)O4, les mécanismes de croissance de ce dernier oxyde étant discutés au paragraphe suivant.

3.1.1.2.Chromite mixte de nickel et de fer

Cet oxyde constitue la seule couche continue se formant lors de l’exposition des alliages à base nickel en milieu de type primaire à 325 °C, mise en évidence dans cette étude. Hormis sa continuité, plusieurs autres caractéristiques de cette couche protectrice ont pu être établies :

- sa croissance résulte d’une diffusion anionique (analyses par RBS et SIMS) et comme dans le cas de Cr2O3, Ni(1-x)Fe(x+y)Cr(2-y)O4 est un semiconducteur de type n (caractérisation par PEC) ;

- la diffusion de l’oxygène à travers cette couche résulte d’un mécanisme mettant en jeu des courts-circuits de diffusion (analyses par SIMS) ;

- une augmentation du taux de défaut de surface de l’alliage conduit à une densification du réseau des courts-circuits de type joints ou sous joints de grains au travers de cette couche (comparaison d’observations par MET sur deux plaquettes, l’une simplement polie et l’autre ayant subie une implantation de Xe3+) ;

- les teneurs en fer, nickel et chrome au sein de cette couche dépendent de leurs concentrations dans le milieu de type primaire (observations par MET sur échantillons d’alliage Ni-30Cr).

Il est de plus important de remarquer que cette couche d’oxyde semble présenter une limite de solubilité extrêmement faible en milieu de type primaire. En effet, alors que des teneurs significatives en fer et nickel ont été mesurées dans ce type de milieu dans le cadre de plusieurs études [Gar98, Del04], la teneur en chrome reste en revanche beaucoup plus faible [Gar98] voire inférieure à la limite de détection de la méthode de dosage employée [Del04].

La dissolution sélective des cations de nickel et de fer depuis les sites normaux du sous-réseau cationique semble également pouvoir être éliminée, car celle-ci conduirait à l’apparition de lacunes métalliques dans l’oxyde. Dans ce dernier cas de figure, la photocaractéristique en potentiel réalisée par PEC sur cet oxyde serait caractéristique de son caractère isolant (à la fois semiconducteur de types n et p), comme cela a été observé dans le cas de couche de NiCr2O4 formée à 900 °C sous air (figure 3.16). Or seule une contribution de type n a été mise en évidence sur cet oxyde (figure 3.22).

Si bien que comme dans le cas de Cr2O3, le défaut responsable de la croissance de la couche d’oxyde semble être soit la lacune d’oxygène, soit l’hydroxyde en substitution, le relâchement résultant quant à lui d’une diffusion de cations sous la forme d’interstitiels.

En présence de nodules de Cr2O3, la croissance du chromite mixte peut résulter soit de la consommation de cet oxyde, soit de la consommation directe de l’alliage (figure 3.41). Ainsi deux mécanismes en parallèle peuvent être proposés pour décrire cette croissance, l’étape (E.4.23) décrivant la réaction à l’interface chromite / alliage :

(2-y) 〈〈Cr〉〉 〈〈NiCrFe〉〉 + (1-x) 〈〈Ni〉〉 〈〈NiCrFe〉〉 + (x+y) 〈〈Fe〉〉 〈〈NiCrFe〉〉 (2-y) CrOc×(chromite) + (1-x) NiT×(chromite) + xFeT×(chromite) + yFeOc×(chromite) + 4VO••(chromite) + 8 e’ (E.4.23), et l’étape (E.4.24) la réaction à l’interface Ni(1-x)Fe(x+y)Cr(2-y)O4 / Cr2O3 :

(2-y)CrCr×(Cr2O3) + (3-1,5y)OO×(Cr2O3) + (1-x)Nii••(Cr2O3) + (x+y)Fei••(Cr2O3) (2-y)CrOc× (chromite) + (1-x)NiT×(chromite) + xFeT×(chromite) + yFeOc×(chromite) + (3-1,5y)OO×(chromite) +

(1+1,5y)VO••(chromite) + 0,5y e’ (E.4.24),

dans lesquels les notations T et Oc utilisées pour décrire les sites normaux du réseau du chromite mixte réfèrent respectivement aux sites tétraédriques et octaédriques. Les étapes (E.4.23) et (E.4.24) sont ici écrites dans le cas où le défaut diffusant responsable de la croissance est la lacune d’oxygène. Pour rendre compte du cas où le défaut promouvant la croissance de la couche est l’hydroxyde en substitution, il convient d’adjoindre les étapes (E.4.19) et (E.4.20), dans lesquelles l’oxyde considéré est cette fois Ni(1-x)Fe(x+y)Cr(2-y)O4, à (E.4.23) pour décrire la croissance à partir de l’alliage.

De plus, afin de pouvoir rendre compte des phénomènes de relâchement, il est nécessaire de considérer une dissolution des cations de fer et de nickel sous la forme d’interstitiels dans le chromite mixte. A l’interface Ni(1-x)Fe(x+y)Cr(2-y)O4 / alliage, cette dissolution est décrite par des étapes identiques à (E.4.21) et (E.4.22), dans lesquels l’oxyde considéré est Ni(1-x)Fe(x+y)Cr(2-y)O4.

En revanche, à l’interface Cr2O3 / Ni(1-x)Fe(x+y)Cr(2-y)O4, cette dissolution est décrite par le transfert de défauts entre les deux oxydes, s’appliquant également aux lacunes d’oxygène :

Nii••(Cr2O3) Nii •• (chromite) (E.4.25), Fei••(Cr2O3) Fei •• (chromite) (E.4.26), et VO••(Cr2O3) + OO × (chromite) OO×(Cr2O3) + VO •• (chromite) (E.4.27),

l’étape élémentaire (E.4.28) s’ajoutant à (E.4.27) dans le cas d’une croissance via l’ion hydroxyde en substitution :

OHO•(chromite) + OO×(Cr2O3) OO×(chromite) + OHO•(Cr2O3) (E.4.28).

Ces défauts, formés à l’interface interne, diffusent à travers la couche de chromite mixte pour rejoindre l’interface Ni(1-x)Fe(x+y)Cr(2-y)O4 / milieu. Les analyses par SIMS ayant mis en évidence une diffusion de l’oxygène via des courts-circuits de type joints de grains, il est possible de supposer que la diffusion des cations interstitiels met en jeu le même type de courts-circuits de diffusion.

Dès lors, la question de la signification physique de la notion de défauts ponctuels dans les joints de grains peut être posée. Galerie et al. [Gal01] considèrent l’existence de défauts ponctuels dans les joints de grains, traduisant le caractère cristallin de ces derniers, mais précisent que l’existence de lacunes aux joints de grains n’a pas de sens physique. En revanche, d’après Guillopé [Gui84], si le joint de grains présente bien un caractère cristallin jusqu’à des températures de l’ordre de 0,4 Tf (Tf étant la température de fusion), une diffusion par un mécanisme lacunaire est tout à fait envisageable. Ces travaux permettent donc d’émettre l’hypothèse de joints présentant un caractère cristallin, dans lesquel la diffusion de défauts ponctuels est possible, dans la gamme de température correspondant aux conditions de type primaire.

A l’interface Ni(1-x)Fe(x+y)Cr(2-y)O4 / milieu, l’adsorption de l’eau peut être décrite par la réaction (E.4.29) :

s + H2O H2O-s (E.4.29),

les lacunes d’oxygène étant consommées ou les ions hydroxydes substitués, respectivement suivant (E.4.30) ou (E.4.31) :

H2O-s + VO••(chromite) OO×(chromite) + s + 2H+ (E.4.30), H2O-s + VO••(chromite) OHO•(chromite) + s + H+ (E.4.31).

Les cations sont quant à eux relâchés dans le milieu de type primaire, sous la forme de complexes aqueux neutres [Bev96, Bev97a, Bev97b], suivant les réactions :

Nii••(chromite) + 2H2O Ni(OH)2(aq) + 2H+ (E.4.32), Fei••(chromite) + 2H2O Fe(OH)2 (aq) + 2H+ (E.4.33) et

Cri•••(chromite) + 3H2O Cr(OH)3 (aq) + 3H+ (E.4.34).

La consommation des électrons produits par l’ensemble des phénomènes d’oxydation décrit précédemment pouvant être matérialisée par l’étape élémentaire (E.4.35) :

2H+ + 2e’ H2(aq) (E.4.35).

Afin de décrire le lien existant entre la composition de la couche de chromite mixte et les concentrations en cations dans le milieu aqueux, il est nécessaire de considérer l’existence

des deux étapes suivantes, traduisant l’échange des cations entre les sites normaux et interstitiels, en tous points de la couche de Ni(1-x)Fe(x+y)Cr(2-y)O4 :

Fei••(chromite) + CrOc×(chromite) FeOc×(chromite) + Cri•••(chromite) + e’ (E.4.36), Fei••(chromite) + NiT×(chromite) Nii••(chromite) + FeT×(chromite) (E.4.37).

Il est possible de remarquer, la quantité de chrome relâché dans le milieu de type primaire étant très faible [Gar98, Del04], que la réaction (E.4.34) pourrait être négligée dans la description du relâchement. Cette hypothèse est cohérente avec les données thermodynamiques présentées au chapitre 3, qui montre que les chromites de fer ou de nickel sont des structures beaucoup plus stables en milieu aqueux hydrogéné à haute température que le ferrite de nickel. Dès lors, la réaction (E.4.36), est susceptible de conduire à une valeur de y dans Ni(1-x)Fe(x+y)Cr(2-y)O4 extrêmement faible. Cette réaction semblent donc également pouvoir être négligée, et le chromite mixte de nickel et de fer être décrit par la formule Ni(1- x)FexCr2O4, sans que la description du système réel n’en soit altérée de manière notable.