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Le contrat de droit privé, outil juridique d’exécution de l’obligation de remise en état

Section 1 : Une mesure de police administrative par nature, confrontée à la contractualisation

A. Le contrat de droit privé, outil juridique d’exécution de l’obligation de remise en état

Les réflexions doctrinales actuelles montrent clairement à quel point, et dans un champ encore bien plus vaste, se développe la contractualisation du droit de l’environnement, dont témoigne le cas spécifique de l’obligation de remise en état492. En effet, le contrat de droit privé apparaît à la fois comme le lieu où s’organise juridiquement la mise en œuvre de la remise en état (1), mais aussi comme outil de la restriction d’usage (2) et de la transmission de l’information environnementale (3).

1. Le contrat outil d’organisation juridique de la mise en œuvre de la remise en état

L’obligation de remise en état se montre sous un double jour. Elle est à la fois une obligation de police administrative et sa traduction dans un matériau contractuel de droit privé. C’est à travers le contrat qu’elle trouve en partie sa traduction concrète. En effet, c’est dans les contrats qui vont lier le propriétaire et l’exploitant, mais aussi ce dernier avec les différents opérateurs techniques de la dépollution qu’elle est pensée et exécutée. Les différents obligés à la dépollution trouvent tous dans le contrat l’instrument de sa mise en œuvre – même l’Ademe lorsqu’elle intervient en tant que maitre d’ouvrage493. L’administration fixe dans ses prescriptions et en référence aux textes du code de l’environnement les objectifs à atteindre, et c’est ensuite l’obligé à la remise en état qui organise contractuellement la mise en œuvre des travaux nécessaire pour y parvenir494. Le mécanisme est comparable à celui qui préside à la transposition des directives de l’Union Européenne par les Etats Membres, une liberté étant laissée pour atteindre un résultat déterminé, à ceci près que le media est ici de nature contractuelle.

492 V. Monteillet, La contractualisation du droit de l'environnement, précité.

493 Sur l’intervention de l’Ademe, voir le chapitre 2 du Titre 2 de la Partie 2 : « Des tiers exécutants de la remise en état ».

De plus en plus, « le contrat doit être conçu comme un outil d'exécution des principes issus

des polices administratives »495. Tout contrat relatif au site d’une installation classée doit donc prendre en compte les contraintes spécifiques qui s’y rattachent et intégrer des éléments environnementaux. Les cocontractants ne doivent pas perdre de vue les règles issues de ces polices. Il s’agit de composer avec la police en distinguant l’obligation à la dette (c’est-à-dire l’obligation de remise en état) et la contribution à la dette (prise en charge et mise en œuvre des travaux de dépollution), qui peut être plus ou moins librement organisée par les parties496.

L’attention à porter aux différents contrats relatifs au site doit donc être toute particulière. C’est par eux que l’obligation de remise en état trouve sa traduction.

L’obligation de remise en état est, sans aucun doute, un des domaines privilégiés de développement du droit privé de l’environnement. La montée en puissance du contentieux civil contractuel le montre bien. Les vices du consentement, l’obligation de délivrance, les vices cachés sont autant de points saillants qui montrent l’importance de la rédaction des clauses contractuelles et donc de la prise en compte des données environnementales dans le contrat497. S’agissant de l’exécution de la remise en état, le contrat rempli à ce titre un double rôle. Il peut à la fois être directement mobilisé pour mettre en œuvre des restrictions d’usage, et être le lieu privilégié de la transmission de l’information par le prisme des obligations d’information générales et ponctuelles, et surtout l’intégration des informations relatives aux pollutions avérées ou potentielles dans le champ contractuel à l’occasion notamment d’une vente du site498.

495 O. Herrnberger, « Point de vue pratique du notaire sur le transfert de la charge de la dépollution et sur la situation du propriétaire », JCPN, n° 9, 28 février 2014, p. 31-33.

496 O. Herrnberger, « Point de vue pratique du notaire sur le transfert de la charge de la dépollution et sur la situation du propriétaire », précité ; F.-G. Trébullle, « Le clair-obscur de la Loi Alur », Environnement, n° 8-9, août 2014, p.13-18.

497 B. Parance, F. Chaillou, « Les contraintes environnementales des cessions immobilières », Lamy Droit Civil, n°108, octobre 2013, p. 8-12 ; A.-H. Garnier, « Clauses et pratique des contrats et avant-contrats par les notaires »,

JCPN, n° 9, 28 février 2014, p. 41-45 ; M. Mekki, « La clause environnementale : une clause au service des grandes

causes ! », précité ; F.-G. Trébulle, Cour de cassation, Deuxième rencontre de jurisprudence autour du droit immobilier : droits réels, construction, environnement, vendredi 19 janvier 2018.

498 Pour un panorama général, voir : M. Mekki (dir.), Chronique Actes courants et techniques contractuelles - Actualités législatives et jurisprudentielles, JCP N, n° 14, 3 avril 2015, p. 29-30 ; B. Parance, F. Chaillou, « Les contraintes environnementales des cessions immobilières », précité ; A.-H. Garnier, « Clauses et pratique des contrats et avant-contrats par les notaires », précité ; M. Mekki, « La clause environnementale : une clause au service des grandes causes ! », précité ; F.-G. Trébulle, « L’information portant sur l’environnement dans le contrat en droit commun », Atelier Contrat et environnement : un mariage réussi ?, 14 avril 2016, Conseil Supérieur du Notariat, BDEI, n°65, novembre 2016.

Rapport de la Commission Environnement, « Mieux informer et être informé sur l’environnement », 22 septembre 2014 :

2. Le contrat organisant la restriction d’usages

L’exécution de l’obligation de remise en état implique en général la possibilité pour l’exploitant d’intervenir sur le site ultérieurement et a minima, certaines restrictions d’usages aux droits de ce dernier. Il faut donc savoir comment les mettre en place et à quels outils juridiques recourir. S’agissant des restrictions d’usage, il est imaginable dans certaines hypothèses d’avoir recours à des dispositifs plus souples que les servitudes d’utilité publique, incontestablement utiles, mais lourdes à mettre en œuvre. Concrètement, il s’agit de consentir des restrictions d’usage entre parties, soit au profit de l’Etat, soit au profit d’une personne privée.

La restriction conventionnelle au profit de l'Etat n’est pas prévue par le code de l’environnement, c’est cependant une pratique constatée499. Elle a un fondement contractuel qui implique l'accord du propriétaire. Elle ne peut donc pas résulter d'une obligation faite par voie réglementaire500. Elle répond à la nécessité pratique de mettre en place de manière simple et rapide des restrictions d’usage. C’est une convention passée entre le propriétaire et le représentant de l’Etat, dans laquelle le propriétaire consent à une restriction du droit de disposer de sa propriété. Elle peut viser la limitation des usages du sol, du sous-sol ou des nappes phréatiques, la subordination des modifications de ces usages à la mise en œuvre de prescriptions particulières, des dispositions permettant d’assurer la mise en œuvre des prescriptions relatives à la surveillance du site501.

Pour assurer l’information des acquéreurs et la transmission de la mémoire des pollutions sur le site, la restriction conventionnelle au profit de l'Etat doit être publiée à la conservation des Hypothèques par un notaire ou sur demande du préfet. Il faut également informer le maire de sa constitution afin qu’il puisse en tenir compte. Toutefois, elle n’est pas annexée aux documents d’urbanisme.

Il est également possible que soit convenues des restrictions d’usage entre parties. Celles-ci prennent la forme d’une convention conclue entre deux parties, dont l'une est nécessairement le propriétaire du terrain qui consent, par un contrat, à limiter l'usage du terrain lui appartenant,

499 Ministère de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, Direction Générale de la Prévention des Risques, Bureau du Sol et Sous-Sol, Guide de mise en œuvre des restrictions d'usage applicables

aux sites et sols pollués, précité.

500 Direction Générale de la Prévention des Risques Bureau du Sol et Sous-Sol, Guide de mise en œuvre des

restrictions d'usage applicables aux sites et sols pollués, précité, p. 19-21.

501 Direction Générale de la Prévention des Risques Bureau du Sol et Sous-Sol, Guide de mise en œuvre des

à se soumettre à des obligations de surveillance, ou encore d'entretien d'ouvrages502. La forme est identique à celle de la restriction d’usage au profit de l’Etat, à ceci près que ce dernier n’est pas partie à la convention. Elle doit également être publiée à la conservation des hypothèques pour assurer l’accessibilité de l’information y relative.

Le contrat de droit privé joue donc un rôle direct pour permettre la mise en œuvre, mais aussi assurer la durabilité des opérations de remise en état à la cessation définitive d’activité. Il est aussi le lien permettant la traçabilité et la mise à disposition des informations relatives à l’état du site et aux pollutions éventuelles.

3. Le contrat lieu de la transmission de l’information environnementale

S’agissant de la transmission de l’information, il apparaît clairement que les intérêts des exploitants et des propriétaires et ceux des autorités administratives en charge de garantir la santé la sécurité et la salubrité publique convergent très largement503. L’intérêt général est que l’information soit la plus compréhensible possible, conservée dans le temps, et correctement diffusée, ce dont témoigne la création des secteurs d’information sur les sols précédemment évoqués504. Or, sous l’impulsion du législateur qui l’a bien compris, l’un des principaux relais d’information réside dans le contrat, par application de l’article L. 514-20 du code de l’environnement qui oblige le vendeur d’un terrain, sur lequel a été exploitée une installation classée soumise à autorisation ou à enregistrement, à en informer par écrit l’acheteur. L’obligation concerne tous les vendeurs d’un terrain ayant servi d’assiette à l’exploitation d’une installation, même ne jouissant pas de la qualité d’exploitant. Ce dernier se voit imposer une obligation supplémentaire qui consiste à donner une information sur les produits utilisés au cours de son activité. La sanction de la violation de l’obligation d’information, lorsqu’une pollution rend le terrain impropre à la destination précisée dans le contrat505, est la résolution du contrat, la diminution du prix de vente ou même la réhabilitation si elle apparait d’un coût

502 Direction Générale de la Prévention des Risques Bureau du Sol et Sous-Sol, Guide de mise en œuvre des

restrictions d'usage applicables aux sites et sols pollués, précité, p. 19-21.

503 F.-G. Trébulle, « L’information portant sur l’environnement dans le contrat en droit commun », BDEI, Suppl. au nº 65, novembre 2016, p. 5-10 ; M. Mekki, « La clause environnementale : une clause au service des grandes causes ! », Revue des contrats, n° 3, juillet 2012, p. 933-940.

504 M. Boutonnet, « De l'obligation d'information « sur l'environnement » à l'obligation d'information «  pour l'environnement », entre intérêt des parties et intérêt général », Revue des contrats, n° 3, juillet 2012, p. 907-926. 505 Antérieurement à l’intervention de la loi Alur, précédemment évoquée, cette condition n’existait pas.

raisonnable. Le délai est de deux ans à compter de la découverte de la pollution. Cette obligation a pour corollaire un contentieux qui a largement contribué à en préciser les contours506.

Afin d’assurer la transmission des informations relative à la pollution des sols dans un cadre plus large que le cas de la vente et des installations classées, l’article L. 125-7 du même code devrait se révéler très utile à l’avenir. Il dispose que lorsqu'un terrain situé en secteur d'information sur les sols fait l'objet d'un contrat de vente ou de location, le vendeur ou le bailleur du terrain est tenu d'en informer par écrit l'acquéreur ou le locataire. A défaut et si une pollution constatée rend le terrain impropre à la destination précisée dans le contrat, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la pollution, l'acquéreur ou le locataire a le choix de demander la résolution du contrat ou, selon le cas, de se faire restituer une partie du prix de vente ou d'obtenir une réduction du loyer. L'acquéreur peut aussi demander la réhabilitation du terrain aux frais du vendeur lorsque le coût de cette réhabilitation ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente507. Dès lors que les secteurs d’information sur les sols seront opérationnels, ces dispositions devront être mise en œuvre.

A ces contrats de droit privé, bien connus des praticiens, s’ajoute à présent une nouvelle possibilité juridique, intéressante quoique qu’encore sans doute inaboutie, le recours à la création d’une obligation réelle environnementale qui pourrait être utilisée pour assurer la durabilité des mesures de remise en état et la compatibilité des usages dans le temps, notamment dans le cas des carrières.

506 M.-P. Camproux-Duffrène, « La prise en charge par le vendeur de la réhabilitation d’un terrain pollué sur le fondement de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement », JCPG, 12 juillet 2006, p.1383-1388 ; M.-P. Camproux-Duffrène, « Vente d'un terrain pollué et obligation d'information : vers un adoucissement de la situation du vendeur », BDEI, n°19, janvier 2009, p. 5-8 ; C. Lafeuille et P. Steichen, « La politique de réutilisation du foncier des friches industrielles stimulée par la Loi ALUR, Un nouvel encadrement des rapports contractuels portant sur les friches industrielles », RJE, n°2 2015, p. 264-281 ; P. Billet, « Cession de terrain et informations environnementales », RTDI, n°3, juillet 2014, p. 21-23 ; M. Hautereau-Boutonnet, « Rubrique de contentieux civil industriel (Juin 2014 - Juin 2015) », BDEI, n°60, novembre 2015, p. 27-34 ; « Rubrique de droit civil industriel (Droit industriel contractuel 2de partie) », BDEI, n°72, novembre 2017, p. 24-31 ; M. Hautereau-Boutonnet, O. Hernnberger, « Contrats et risques de pollution », Energie - Environnement – Infrastructures, n°2, février 2016, p. 28-30 ; Contrats et obligations environnementales légales, Energie - Environnement – Infrastructures, n°2, février 2016, p. 30-34 ; M. Mekki, « La gestion conventionnelle des risques liés aux sols et sites pollués à l'aune de la loi Alur », JCP N, n° 27, 4 juillet 2014, p. 29-36 ; « Droit des contrats. Janvier 2015-janvier 2016 », Recueil

Dalloz, n°10, 10 mars 2016, p. 566-577 ; « Droit des contrats janvier 2016-janvier 2017 », Recueil Dalloz, n°7, 16

février 2017, p. 375-387.

507 Le décret n°2015-1353 du 26 octobre 2015 a organisé les modalités concrètes d’application de ces secteurs d’information sur les sols.

Voir les articles R. 125-27, R. 125-41, R. 125-43, R. 125-44, R. 125-47 du code de l’environnement.

C. Lafeuille et P. Steichen, « La politique de réutilisation du foncier des friches industrielles stimulée par la Loi ALUR, Un nouvel encadrement des rapports contractuels portant sur les friches industrielles », précité.

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