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Les apports de la reconnaissance du principe pollueur payeur comme fondement de l’obligation de remise en état

La reconnaissance du principe pollueur payeur comme fondement de l’obligation de remise en état peut avoir des répercussions positives sur le contenu de l’obligation de remise en état en ce qui concerne la prise en compte des enjeux sanitaires et environnementaux (1). Dans cette perspective, il faut s’intéresser aussi aux possibilités de recours, actuelles et prospectives, pour s’assurer que l’obligation de remise en état, même si elle doit connaître de nouvelles évolutions législatives ou réglementaires, reste en adéquation avec le principe pollueur payeur (2).

1. Une prise en compte renforcée des enjeux sanitaires et environnementaux par l’obligation de remise en état

L’étude des conséquences de la reconnaissance du principe pollueur payeur comme fondement de l’obligation de remise en état passe nécessairement par une réflexion sur les évolutions du contenu de ce principe en ce qui concerne la prise en compte de l’environnement et de la santé.

Monsieur Elzéar De Sabran Pontevès souligne l’importance de la recherche de l’efficacité économique dans les recommandations de l’OCDE et la définition du principe pollueur- payeur, qui selon lui « ne peuvent être appréhendées en dehors de la prise en compte de cette

dimension »286. Il souligne l’importance de ne pas confondre le principe pollueur payeur avec un principe d’internalisation intégrale des coûts environnementaux287. Un tel principe consisterait à contraindre le pollueur à prendre en charge la totalité des coûts liés aux conséquences néfastes de son activité sur l’environnement. De fait, le principe pollueur payeur

286 E. De Sabran-Pontevès, Les transcriptions juridiques du principe pollueur payeur, précité, p. 236.

287 E. De Sabran-Pontevès, Les transcriptions juridiques du principe pollueur payeur, précité : « La définition qui

semble être la plus communément admise revient à faire du un principe d’internalisation intégrale des coûts environnementaux, sans référence à la dimension de recherche de l’efficacité économique posée par l’OCDE »,

p. 237. Il ajoute que « retenir cette définition large revient à considérer que l’OCDE aurait défini un principe

général du droit de la responsabilité civile environnementale au sein de recommandations relatives aux aspects économiques des politiques de l’environnement », p. 242.

tel qu’il a été conçu à l’origine n’impose aucunement cette internalisation intégrale des coûts liés aux externalités néfastes pour l’environnement, et se distingue très nettement d’un principe de responsabilité au sens juridique du terme288. La lecture assez restrictive que fait Monsieur Elzéar de Sabran-Pontevès s’oppose à celle d’un auteur tel que Monsieur le professeur Nicolas de Saadeler, pour lequel ce principe peut au contraire évoluer pour permettre une réparation intégrale des dommages causés à l’environnement289. Monsieur De Sabran Pontevès se pose explicitement la question de la fonction curative du principe du pollueur payeur. Il répond cependant par la négative à cette question. Il rappelle que dès l’origine, c’est le souci de prévention qui domine : « pour l’OCDE il n’est ni raisonnable, ni nécessaire de dépasser un

certain niveau dans l’élimination de la pollution, en raison des coûts que cette élimination entrainerait »290. Au contraire, Monsieur De Saadeler, soutien que le principe pollueur payeur peut témoigner d’une dimension curative291.

Or, cette dernière conception semble gagner du terrain, et pourrait répondre aux enjeux de la crise environnementale actuelle. Dans les recommandations de l’OCDE, à l’origine, il n’existe pas d’idée de prise en charge intégrale des dommages causés à l’environnement, il s’agit seulement de parvenir à ce qu’il soit « dans un état acceptable »292. Cependant, une telle évolution vers une internalisation totale n’est pas exclue par l’OCDE elle-même293. De fait, l’étude des différentes traductions juridiques du principe pollueur payeur va plutôt dans le sens d’une tendance à l’extension du champ de ce dernier. A titre d’illustration, il est possible de se référer notamment au considérant 26 du préambule de la directive cadre 2008/98/CE294. Il faut

288 OCDE, Le principe pollueur payeur, Analyses et Recommandations de l’OCDE, précité, p. 9.

289 N. De Sadeleer, Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution, Essai sur la genèse et la

portée juridique de quelques principes du droit de l’environnement, précité, p. 69 et 77-80.

290 Recommandation du Conseil sur les principes directeurs relatifs aux aspects économiques des politiques de l’environnement sur le plan international, adopté par le Conseil à sa 293ème séance, le 26 mai 1972, in E. De Sabran-Pontevès, Les transcriptions juridiques du principe pollueur payeur, précité, p.195.

291 N. De Sadeleer, Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution, Essai sur la genèse et la

portée juridique de quelques principes du droit de l’environnement, précité, p 65.

292 OCDE, Recommandation sur les principes directeurs relatifs aux aspects économiques des politiques de

l’environnement sur le plan international, précité.

293 Le principe pollueur payeur « s’identifie progressivement, mais pas encore complètement, avec le principe de

l’internalisation totale des coûts de la pollution. A terme, il paraît probable que le pollueur devra supporter sinon la totalité du moins la plupart des coûts que la pollution est susceptible d’entraîner et il sera nécessaire de faire un appel croissant aux instruments économiques, aux mécanismes d’indemnisation et aux amendes pour que le PPP soit complètement mis en œuvre », OCDE, Le principe pollueur payeur, Analyses et Recommandations de l’OCDE, précité, p. 8.

294 Directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008, relative aux déchets et abrogeant certaines directives, JOUE 22 novembre 2008. Le législateur communautaire expose que « le principe

du pollueur-payeur est un principe directeur aux niveaux européen et international. Il convient que le producteur des déchets et le détenteur des déchets en assurent la gestion d’une manière propre à assurer un niveau de protection élevé pour l’environnement et la santé humaine ».

noter une évolution par rapport au texte originel de l’OCDE puisqu’il est question d’un « niveau

élevé de protection de l’environnement ».

Cette réflexion n’est pas dépourvue de conséquences concrètes sur le droit positif applicable à l’obligation de remise en état. En effet, selon le contenu et l’extension donnés au principe pollueur payeur, cela peut avoir une influence notable sur l’obligation de remise en état. Ainsi, une reconnaissance d’une obligation d’intégration de la totalité des coûts environnementaux liés à l’exploitation pourrait conduire à imposer une remise en état plus contraignante, qui protégerait alors aussi mieux l’environnement et la santé. Or, à l’heure actuelle, cette intégration n’est que partielle, puisqu’un exploitant peut s’installer sur un site naturel et ne le remettre en état que de façon à permettre un nouvel usage industriel295. Plus l’obligation d’internaliser les coûts environnementaux d’une activité est étendue, plus les exigences relatives à la qualité de la remise en état exigée en fin d’exploitation peuvent être élevées en termes de protection de la santé et de restauration de l’environnement.

De manière récurrente, une part de la doctrine fait état de débats relatifs à la possibilité de donner quitus à l’exploitant après la réalisation de travaux de remise en état prédéfinis. L’idée serait de permettre à l’exploitant de passer une convention avec l’Etat dans le cadre de laquelle il pourrait mettre en œuvre une remise en état ambitieuse, mais avec la certitude qu’une fois les travaux effectués, le préfet ne pourrait lui imposer de nouvelles prescriptions. Tous les travaux nécessaires découverts après la conclusion de l’accord seraient alors mis à la charge de la collectivité296. Si un tel mécanisme permet de garantir la sécurité juridique des exploitants, c’est au sacrifice de la mise en œuvre d’un principe pollueur payeur compris comme une internalisation intégrale des coûts environnementaux. Il n’est donc pas certain qu’une telle évolution soit compatible avec le principe pollueur payeur. En ce sens la reconnaissance de ce dernier comme fondant l’obligation de remise en état peut constituer une garantie, puisqu’elle aboutit à contraindre l’exploitant à prendre en charge la restauration de l’environnement.

L’obligation de remise en état peut par ailleurs également être une source d’inspiration pour d’autres déclinaisons du principe pollueur payeur. En effet, le débiteur de cette obligation est tenu non seulement à une prise en charge financière du coût des travaux mais aussi à une réelle obligation de faire297. Cet état de fait pourrait répondre à l’une des principales critiques faites à

295 Voir l’Introduction Générale.

296 Club des juristes, Commission environnement, Mieux réparer le dommage environnemental, janvier 2012, p. 63.

ce principe par Monsieur le professeur Nicolas de Sadeleer, qui déplorait qu’il y ait « tout lieu

de croire que le principe pollueur payeur continuera à se traduire avant tout par des transferts financiers » et ajoutait que « la réparation en nature ne peut être envisagée que dans le cadre d’un régime de responsabilité civile qui a bien du mal à s’implanter dans le domaine de la protection de l’environnement. De plus, ce type de réparation s’avère impossible soit pour des raisons physiques, soit en raison de coûts trop élevés »298.

Le principe pollueur payeur est donc susceptible de conduire à terme à une prise en compte renforcée de l’environnement, ce d’autant plus s’il évolue vers l’obligation d’internaliser intégralement les externalités environnementales négatives. Cependant, pour donner une portée concrète à cette réflexion, l’étude de l’invocabilité de ce principe au soutien d’une démarche de promotion d’une remise en état de qualité en termes de protection de l’environnement et de la santé est nécessaire. Il s’agit donc d’envisager les recours possibles sur le fondement d’un manquement au principe pollueur payeur.

2. L’invocabilité potentielle du principe pollueur payeur dans le contentieux relatif à l’obligation de remise en état

D’ores et déjà, un contrôle de compatibilité entre l’obligation de remise en état et le principe pollueur payeur a été réalisé par le Conseil d’Etat dans une décision en date du 12 janvier 2009299. Sur ce modèle, d’autres recours pourraient bien entendu être entrepris contre des décrets futurs qui auraient pour effet de remettre en cause la compatibilité entre le principe pollueur payeur et l’obligation de remise en état.

Ainsi qu’il a été exposé, le principe pollueur payeur figure dans différentes conventions internationales et dans le droit de l’Union européenne. Il figure aussi à l’article L. 110-1 du code de l’environnement précédemment évoqué. En l’absence de dispositions plus précises établissant un lien entre l’obligation de remise en état d’une installation classée à la cessation définitive d’activité et le principe pollueur payeur, une évolution d’un contrôle de compatibilité vers un contrôle de conformité reste du domaine de la prospective, mais pourrait ouvrir des perspectives intéressantes.

La question des recours individuels, en particulier contre un arrêté préfectoral prescrivant la remise en état du site d’une installation classée en fin d’activité, est également délicate, faute

298 N. De Sadeleer, Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution, Essai sur la genèse et la

portée juridique de quelques principes du droit de l’environnement, précité, p. 80.

de dispositions précises desquelles les requérants puissent se prévaloir. Différentes jurisprudences, abondamment commentées mais ne concernant pas l’obligation de remise en état, font explicitement mention du principe pollueur payeur300. A différentes reprises, des requérants qui souhaitaient contester un arrêté préfectoral leur prescrivant la remise en état d’un site ont invoqué le non-respect du principe pollueur payeur par l’arrêté. Aucun de ces recours n’a abouti à l’heure actuelle, mais la validité de la démarche n’a pas été contestée par le juge administratif301. En dépit des incertitudes évoquées, le principe pollueur payeur inspire de nombreuses normes, tant réglementaires que législatives, dont la valeur juridique est indéniable. Il a donc vocation à également inspirer la jurisprudence, notamment civile, en justifiant le caractère « d’obligation légale d’intérêt général » de l’obligation de remise en état302. Plus la conception du principe pollueur payeur sera étendue, plus ces recours envisageables pourraient se traduire par un renforcement de la prise en compte de l’environnement dans la mise en œuvre de l’obligation de remise en état.

Le principe pollueur payeur, en dépit des incertitudes initiales relevées, est donc bien un fondement de l’obligation de remise en état. Cette reconnaissance n’est pas dénuée d’intérêt au soutien d’une obligation de remise en état qui soit vraiment soucieuse de la prise en compte des enjeux sanitaires et environnementaux. Si le chemin est encore long et incertain, force est de reconnaître que les pistes ouvertes par cette réflexion ne sont pas stériles.

300 Voir les jurisprudences consécutives à la marée noire de l’Erika : CJCE, 24 juin 2008, Commune de Mesquer, aff. C-188/07 ; C. London, « La marée noire de l'Erika : le déchet et son détenteur face au juge communautaire »,

BDEI, n°17, septembre 2008, p.15-20 ; P. Billet, « Qualification et disqualification du pétrole échappé de l'Erika

et application du principe pollueur payeur », Environnement, n°11, novembre 2008, p. 41-47 ; A. Chaminade, « Notion de déchet et mise en œuvre du principe pollueur-payeur », JCP G, n°19, 6 mai 2009, p. 31-35.

Cass. 3è civ., 17 décembre 2008, Commune de Mesquer, n° 04-12.315 ; B. Steinmetz, « Articles L.541-1 et suivants du Code de l'environnement versus déchet et principe du pollueur-payeur en droit communautaire », Droit

de l'environnement, n°165, janvier 2009, p. 14-17 ; M. Boutonnet, « Vers une indemnisation des victimes des

marées noires en dehors du droit de la responsabilité civile », Recueil Dalloz, n°10, 12 mars 2009, p. 701-705 ; B. Parance, « Affaire Erika : la Cour de cassation, prend parti sur l'application de la législation relative aux déchets »,

Lamy Droit Civil, n° 61, juin 2009, p. 15-18.

CE 10 avril 2009, Commune de Batz-sur-Mer, n° 304803 ; I. De Silva, « Naufrage de l'Erika et droit des déchets »,

LPA, n°127, 26 juin 2009, p. 10-20 ; D. Fonseca, « Total n'était pas tenu de procéder à la dépollution des déchets

provenant de l'Erika », AJDA, n°44, 28 décembre 2009, p. 2464-2468.

301 CAA Bordeaux 7 mai 2007, société ABCCD, précité ; CAA Bordeaux, 7 mai 2007, SCI SGV Immobilier, n°03BX01955, Note F.-G. Trébulle, « La situation du propriétaire non exploitant au regard de la dépollution du site », RD Immo, n°2, mars 2008, p. 91-93 ; CAA Douai 18 octobre 2007, Monsieur Gérard X., n°06DA01497 ; CAA Douai, 19 juillet 2011, Lille Métropole communauté urbaine, n°09DA00608.

302 L’obligation de remise en état « fondée sur le lien entre l'activité industrielle et les nuisances qui en résultent,

découle directement d’un principe fondamental du droit de l’environnement qui est celui du pollueur payeur, édicté dans un but d’intérêt général relatif à la santé, la sécurité et la protection de l’environnement », F. Nési, « Terrain pollué et responsabilité du dernier exploitant d’une installation classée », Note sur Cass. 3ème civ., 15 décembre 2010, Société Pauli Immeubles contre Société des pétroles Shell, précité. Voir aussi R. Lecomte, « La place du principe « pollueur-payeur » appliqué à la remise en état », précité.

Au terme de cette réflexion, il apparaît cependant limité de fonder l’obligation de remise en état sur le seul principe pollueur payeur, même si cette dernière peut en apparaître comme une déclinaison nécessaire. Un autre élément essentiel de l’article L. 110-1, doit être exploré, à savoir la notion de développement durable et le principe de conciliation qui en découle.

§ 2 : Le principe de conciliation issu de l’objectif de développement durable fondement renouvelé de l’obligation de remise en état

Pour explorer les pistes ouvertes par la possibilité de retenir le principe de conciliation issu de l’objectif de développement durable comme fondement de l’obligation de remise en état d’une installation classée au moment de la cessation définitive d’activité, il s’agit non seulement de démontrer qu’il peut valablement en constituer un fondement (A), mais aussi de s’intéresser aux conséquences y afférentes (B).

A. Les conditions de la reconnaissance du principe de conciliation comme

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