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CONTINUER À CONSTRUIRE LA VILLE DANS UN CONTEXTE NOUVEAU

Après l’éclatement de la Yougoslavie, et suite à l’intervention de l’OTAN, la ville de Belgrade doit faire face à des reconstructions. Pourtant ce n’est pas le plus grand challenge qui va lui être imposé. En effet, avec l’indépendance de la Serbie et l’accès à l’économie libérale, la ville de Belgrade doit gérer les problèmes liés à l’accession à la propriété et à la spéculation immobilière. Novi Beograd, en particulier, devient l’un des sites recevant le plus d’investissements de tout le pays. Ce nouveau quartier en mutation va être, à l’image de toute l’ex-Yougoslavie, l’expression de la fin d’un monde et de la naissance d’un nouveau, véritable illustration spatiale de l’explosion de la société yougoslave, et matérialisation des liens ténus entre idéologies politiques et patrimoine architectural.

En effet, à partir des années 2000, Novi Belgrade va être le témoin de la disparition de l’unité sociale régnant dans les blocs d’habitation jusqu’à l’explosion du pays. En premier lieu, la disparition des classes moyennes et l’agrandissement de l’écart entre les foyers les plus modestes et les plus riches va s’exprimer sous la forme d’une ségrégation socio-économique, mais aussi esthétique, entre les blocs qui se gentrifient et ceux qui au contraire se dégradent socialement.

Le nouveau plan de développement urbain de 2003, défini jusqu’à l’horizon 2021, contient en lui seul toutes les transformations rapides de cette société passant du « l’espace pour tous au marché pour peu1 » car il définit spatialement

le passage d’une ville construite comme résolument anti-capitaliste à une expression spatiale qui l’est elle complètement. Sur le plan architectural, cela se matérialise surtout par la construction de grands centres commerciaux, transformant peu à peu Novi Beograd, ville d’habitation, mais malgré tout multi-programmatique, en une ville dédiée aux loisirs dont les dizaines de milliers de visiteurs journaliers ne sont pas les habitants.

Mais ce qui est le plus intéressant, c’est de regarder comment ces nouveaux programmes s’implantent dans le tissu existant. Parfois il est tout simplement choisi de raser des blocs existants, souvent habités par les classes populaires, comme cela a été le cas pour les blocs 17 et 18, construits dans les années 1930. Mais la position qui est le plus souvent adoptée est celle de remplir les blocs laissés vacants. Par exemple le bloc 67, qui dans le plan

1 : BOBIC Nikolina. Balkan(ising) myths: Historical (Re)Formations of the New Belgrade” in Proceedings of the Society of Architectural Historians, Australia and New Zealand: 30, Open. Sahanz, Gold Coast (Australie), 2013, vol. 1, p 308.

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de1972 avait été délibérément non construit pour en faire une respiration dans la ville, a été rempli avec le village olympique des Universiades de 2007 organisées par la ville. L’opération a été financée en grande partie par la première banque privée créée après la fin du régime communiste.

Le problème majeur est que malgré le côté répétitif et parfois dur de cette ville nouvelle, l’omniprésence des espaces libres très largement plantés, véritable privilège, et expression réussie de la Charte d’Athènes, a fait de ce quartier un lieu où une relation très particulière s’était créée entre la ville et ses habitants, pénétrant même jusqu’aux représentations collectives. Par ailleurs, ces espaces laissés volontairement vacants permettaient à plus ou moins long terme de prévoir des extensions de la ville, laissant même la place à d’autres types de formes urbaines, « rapprochant Novi Belgrade du concept même de ville traditionnelle1 ». A la place, le plan de 2003 a déclaré ces zones secteur

de grand développement commercial, en ne tenant bien sûr pas compte des spécificités uniques du plan urbain existant.

Mais plus encore, il semble que ce soit la corruption qui joue un rôle important dans la gestion de la ville. S’il est certain que gérer la question de la densité de la ville est une réelle thématique pour les décennies futures, elle nécessite un vrai programme de développement et ne se fait pas en validant une addition de projets incohérents et parfois même hors-la-loi, comme la reconstruction du bloc 16. A l’origine ce bloc n’est constitué que d’une tour, grandement inspirée du Lever House de Gordon Bunshaft, mais qui subit des destructions pendant les bombardements de l’OTAN en 1999. En 2003, il est décidé de construire des locaux commerciaux sur cette parcelle, mais l’une des contraintes de la compétition est de respecter l’esprit de l’urbanisme de Novi Beograd, et notamment les questions d’emprise au sol. Le projet gagnant conserve l’esprit du projet urbain avec de larges espaces verts et un nouveau bâtiment dont la volumétrie dialogue avec celle de l’ancien. Pourtant, sous la pression des investisseurs, ce sera un autre projet qui sera construit, sans attendre, et dont la volumétrie est hors-la-loi. Malgré tout, il sera légitimé par une révision partielle du plan adoptée en 2007.

Il aurait été aisé de parler de la conservation effective de certains bâtiments brutalistes emblématiques de la ville comme le musée d’art contemporain de 1965, le centre sportif du 25 mai de 1973 ou le musée d’aviation de 1989, ou les projets internationaux comme le concours international pour le front de rivière de la Hala Beton2, sur la rive du Danube. 1 : MARIC Igor, NIKOVIC Ana, MANIC Bozidar. Transformation of the new Belgrade urban tissue : filling the space instead of interpolation. Spatium – N° 22. Institut d’architecture et de planification urbaine et spatiale de Serbie, Belgrade (Serbie), Juillet 2010, p. 49.

2 : Avec notamment une proposition remarquée de Sou Fujimoto.

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Mais ces projets sont les arbres qui cachent la forêt car plus généralement les bâtiments qui représentent le gros de l’architecture et de l’urbanisme des années 1960-1980 se concentrent soit dans des zones où les investissements publics et privés sont très faibles et laissent ce patrimoine se dégrader, en même temps que les conditions de vie des habitants qui y vivent, soit dans des zones où une architecture commerciale mondialisée est en train de détruire ce même héritage.

Dans le fond, le vrai problème du brutalisme de Belgrade, c’est qu’il est grandement lié au logement, lui même lié à la spéculation immobilière, rendant ces bâtiments, et encore une fois les gens qui les habitent, des otages impuissants de la situation politique et économique.

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