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Contextualisation historique et place accordée aux contrôleurs de gestion

chez Saint-Gobain

Sommaire

1. Saint-Gobain à la lumière des recherches historiques . . 186 1.1. L’Histoire de Saint-Gobain . . . 186 1.2. L’histoire de la Finance chez Saint-Gobain . . . 191 2. La place de la finance et du contrôle de gestion chez

Saint-Gobain : les contrôleurs de gestion peuvent-ils de-venir des partenaires d’affaires ? . . . 200 2.1. Saint-Gobain : « une boîte d’ingénieurs » ou une culture

de l’ingénieur soumise à mutation ? . . . 200 2.2. Quelle place est accordée à la fonction contrôle de gestion ? 204 2.3. Les rôles des contrôleurs de gestion : entre suivi de la

per-formance, conseil et création de valeur ajoutée . . . 226 2.4. Quelles compétences pour remplir ces rôles ? . . . 250 3. Conclusion du chapitre . . . 256

Dans les recherches interprétatives, d’autant plus dans celles qui mobilisent l’étude de cas, les phénomènes doivent être étudiés en situation puisque leur compréhension relève du contexte. La connaissance produite doit alors intégrer une description détaillée de ce dernier, incluant ses aspects historiques et contextuels, ce qui permet à l’interprétation d’être valide (Perret et Seville, 2003). Ce premier chapitre « terrain » a ainsi pour objectif de contextualiser notre étude et ce, de différentes façons. La première partie est consacré à présenter l’histoire de Saint-Gobain, que ce soit son Histoire (avec un grand H) que l’histoire de la Finance (avec un grand F) (partie 1.). La seconde partie présente la place de la fonction contrôle de gestion chez

Saint-Gobain, ce qui nous permet de commencer à discuter de la création d’une identité professionnelle positive pour les contrôleurs de gestion (partie 2.).

1. Saint-Gobain à la lumière des recherches

histo-riques

Unique survivante des grandes manufactures privées créées par Colbert, [Saint-Gobain] excite depuis toujours la curiosité. (Hamon, 1998, p. 376)

Lorsqu’un chercheur décide de mener une étude de cas, qu’il se situe dans une dé-marche interprétativiste et qu’il traite de l’identité professionnelle, il doit contextua-liser sa recherche. Pour contextuacontextua-liser notre recherche, nous proposons de présenter Saint-Gobain aujourd’hui, mais aussi son Histoire. Cela nous permet en effet d’éclai-rer sur la culture de l’entreprise et le contexte dans lequel évolue les contrôleurs de gestion. Ainsi, dans une première partie, nous présentons l’Histoire du groupe de sa création à aujourd’hui (1.1.). Puis, dans une seconde partie, nous revenons sur son Histoire à travers le regard des historiens de la comptabilité (1.2.).

1.1. L’Histoire de Saint-Gobain

Les propos de la première partie sont fondés sur l’historiographie de Saint-Gobain, issue des travaux d’historiens (Daviet, 1988, 1989 ; Hamon et Mathieu, 2006) (1.1.1.). Toutefois, pour présenter le groupe tel qu’il est aujourd’hui, nous utiliserons aussi des données publiques diffusées par l’entreprise (site Internet, etc.) ainsi que des informations obtenues au cours des entretiens menés. Ceci fera l’objet d’une seconde partie (1.1.2.).

1.1.1. De sa création aux années 1970 : une histoire racontée par les historiens

Nous retraçons ici brièvement l’Histoire de Saint-Gobain. Pour ce faire, nous utilisons le découpage temporel proposé par l’historien Jean-Pierre Daviet.

1.1.1.1. Des débuts de la Manufacture à la Révolution française

L’Histoire commence en octobre 1665 lorsque Louis XIV, à l’initiative de son contrô-leur général des finances Colbert, signe « des lettres patentes comportant privilège

pour l’établissement d’une manufacture de glaces à miroirs façon de Venise » (Da-viet, 1989, p. 9). Cette décision a pour objectif de contrer la suprématie des vénitiens sur les marchés des glaces et de maintenir la grandeur de l’Etat et la gloire du roi. Ces lettres accordent un monopole temporaire de vingt ans ainsi que des exemptions fiscales. Plusieurs fois prolongées, elles sont renforcées en 1672 par une prohibition des importations. Ceci n’empêcha pourtant pas le roi de se fournir jusqu’en 1686 auprès des marchands vénitiens ! En 1684, une commande symbolique et prestigieuse rendra la Manufacture célèbre : celle de la Galerie des Glaces du château de Versailles (Hamon et Mathieu, 2006).

Cette période est une période d’innovations : par exemple, la Manufacture crée la coulée sur table, procédé qui lui permettra de détrôner les souffleurs de verre vénitiens tant au niveau de la qualité, que des coûts et de la taille des miroirs1

. C’est en 1693 que la Manufacture acquiert le site Saint-Gobain en Picardie pour se protéger des regards indiscrets et améliorer ses procédés de fabrication, qui donnera le nom au groupe par la suite.

1.1.1.2. De 1789-1850 : une période d’adaptation

La chute de l’Ancien Régime, provoque une modification de l’environnement écono-mique de la Manufacture : la fin du monopole et l’abolition des privilèges provoquent de nouvelles conditions économiques et de concurrence. Ceci a amené la Manufac-ture à acquérir le statut de société anonyme en 1830 (par ordonnance du roi Charles X). Cette période est alors marquée par le recul de la rentabilité de Saint-Gobain, recul renforcé par de nombreuses tergiversations et un manque d’esprit d’entreprise (Daviet, 1989).

Afin d’améliorer ses performances économiques, d’un point de vue « industriel », la Manufacture se diversifie dans la chimie, modernise ses usines tout en continuant d’innover dans ses techniques de production. D’un point de vue plus « financier » une chasse aux coûts est menée ce qui se traduit par exemple par la création d’un entrepôt commun avec Saint-Quirin. Dans le même temps une fonction administrative – en charge de l’organisation, de la coordination des activités d’exploitation, de l’analyse des marchés, etc. – voit progressivement le jour. Ainsi, le recul de la rentabilité et la volonté d’améliorer les performances économiques se traduisent par la création

1. Pour les glaces hautes de 1,5 mètre, le prix de revient des glaces est établi à 276 livres chez Saint-Gobain au lieu de 1790 livres pour les Vénitiens. La Manufacture possède en outre un monopole sur les glaces de plus de 1,5 mètre car les Vénitiens ne savent les produire (Daviet, 1989).

d’une fonction support, d’une fonction administrative2.

Un tournant dans la politique de recrutement intervient également avec l’adoption d’une nouvelle doctrine présageant un futur changement de culture des équipes di-rigeantes : « on ne peut plus circonscrire le choix des administrateurs dans l’ancien cercle, il faut trouver des dirigeants habiles qui possèdent des connaissances variées, de la méthode dans la discussion, de la fermeté dans l’exécution » (Daviet, 1989, p. 74). C’est à ce moment que les premiers ingénieurs polytechniciens arrivent en différents postes : directeurs d’usines, directeurs de la fabrication, directeurs de la glacerie, etc.

1.1.1.3. De 1850 à 1914 : industrialisation, multi-nationalisation et culture de l’ingénieur

Face à la concurrence étrangère qui devient de plus en plus forte, Saint-Gobain fu-sionne avec Saint-Quirin, et donne naissance à la Manufacture des Glaces et produits chimiques de Saint-Gobain, Chauny et Cirey (1855). Puis, souhaitant prendre part à l’expansion des débouchés internationaux sur les marchés des glaces et vitres, il est décider de développer les activités en Angleterre, Allemagne, Italie, Belgique, Es-pagne etc. En revanche, la branche chimie connaît une absence de recherche interne (si ce n’est dans les superphosphates) et la manufacture ne cherche pas à dominer un marché jugé trop diversifié.

Pendant cette période, Saint-Gobain est toujours à la recherche d’économies à réali-ser. Les ingénieurs-mécaniciens développent alors leur influence en mettant en place des outils de production mécaniques qui permettent de diminuer les coûts de produc-tion. Une culture technique de l’ingénieur se développe progressivement et remplace l’identité culturelle de noblesse (par la structure de son actionnariat).

1.1.1.4. De 1913 à 1939 : période de diversification verrière

La première moitié du XXème siècle se caractérise par l’apparition de nouveaux produits et de nouveaux marchés pour les glaces (marché automobile, fibres de verre pour l’isolation, etc.). Saint-Gobain décide de s’y implanter et crée dans les années 1920 son premier laboratoire de recherche. Toutefois, malgré ces opportunités, la dé-cennie 1930 est une mauvaise période pour l’ensemble des activités de l’organisation

2. Cette dernière phrase / idée n’est pas à attribuer à Daviet, elle est une interprétation de notre part puisqu’elle contient des anachronismes.

(Berland, 1999) d’autant plus que la branche chimie commence à péricliter (Daviet, 1988). En effet, le développement dans la branche chimie ne pourrait se faire qu’à condition de fusionner avec d’autres entreprises mais, en interne, l’organisation se heurte à des réticences identitaires, bloquant cette possibilité (Daviet, 1988). Ce contexte provoque une crise de commandement. La nouvelle direction cherche de meilleures utilisations des capitaux, améliore les outils comptables et donne une nouvelle orientation à suivre lors des prises de décision : rationaliser les décisions plutôt que suivre son intuition (Daviet, 1988).

1.1.1.5. De 1940-1970 : une période de transition

L’organisation connaît une forte croissance quantitative, mais les résultats financiers ne sont pas au rendez-vous. Saint-Gobain expérimente en effet certains problèmes : retard sur les pratiques de management, procédures lourdes et un fort poids de l’in-génieur porté sur la technique, mais peu versé dans les connaissances financières (Daviet, 1989). Des questions pour redéfinir l’identité du groupe se posent alors : quels contours, quelle destination, quels hommes pour les changements, quel finan-cement ?

Les réponses à ces questions mènent à une période de transition entre l’entreprise ancienne et la nouvelle, et ce, tant au niveau de la structure de l’actionnariat et du cercle des dirigeants, qu’au niveau des comportements stratégiques, économiques et financiers. Jusqu’au début des années 1960, l’actionnariat de Saint-Gobain était constitué de nombreux petits actionnaires, dont la principale exigence concernait la recherche d’un bilan sain (Daviet, 1989). Du côté de la stratégie, les décisions successives font de Saint-Gobain un groupe de plus en plus verrier, de plus en plus inactif dans le pétrole et la chimie (jusqu’à un désengagement total par la suite). Puis, à la fin des années 1960, et suite à l’échec d’une OPA hostile de Boussois-Souchon-Neuvesel sur Saint-Gobain, une fusion avec Pont-à-Mousson est décidée et l’oriente vers de nouvelles activités : tuyaux de fonte, robinetterie, etc.

Entre 1970 et 1980, le nouveau président Roger Martin redéfinit les contours du groupe : cession de l’activité de sidérurgie, diversification dans les composants infor-matiques. C’est aussi le moment de la création d’une pure holding : la Compagnie Saint-Gobain-Pont-à-Mousson en charge de « la haute réflexion et de la finance » (Daviet, 1988, p. 290).