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Une configuration familiale désigne une structure d’interdépendances entre affiliés, alliés et proches considérés membres de la famille de et par un individu de référence (Widmer et Jallinoja, 2008). Le concept de configuration a été développé par Jacob Moreno et Norbert Elias. Ce dernier définit la configuration dans une perspective socio-psychologique comme un réseau d’interdépendances émotionnelles, financières et pratiques, entre des individus liés les uns aux autres par des besoins fonctionnels. Pour Elias (1991b), les petites structures relationnelles qui symbolisent l’articulation société/individu se font au gré des recompositions affectives qui sont à l’origine des configurations sociales plus vastes (Letonturier, 2006). Le pendant méthodologique de la théorie de Elias est une conception de la configuration comme réseau personnel (ou égocentré) puisque l'on ne peut comprendre les ensembles sociaux « sans se référer au réseau relationnel personnel d'un individu, sans voir comment il se forme à partir de lui

» (Elias, cité par Letonturier, 2006, p. 46). La conceptualisation de la famille comme configuration est née de la prise de conscience que les dépendances multiples

(financières et émotionnelles notamment) qui expriment l’appartenance familiale ne sont pas circonscrites par les frontières du ménage ou de la famille nucléaire.

Pour étudier la famille comme configuration, il importe de retenir quatre idées-clefs (Widmer et Jallinoja, 2008). Premièrement, la famille n’est pas uniquement définie à partir d’un ou de plusieurs critères institutionnels, tels que le mariage ou la co-résidence: ce sont les dépendances effectives et les pratiques qui définissent les frontières de la configuration familiale. Deuxièmement, concevoir la famille comme configuration revient à mettre l’accent sur l'impact du réseau familial sur les relations dyadiques existantes par exemple entre maris et femmes, enfants et beaux-parents. Le réseau familial constitue en même temps le support et la matrice de ces relations dyadiques. Troisièmement, il y a une continuité et une interaction entre l'individu et la configuration familiale, de sorte que les choix et obligations de l’individu ne sont appréhendés que par la prise en compte du réseau familial d’interdépendances, et inversement. Enfin, les interdépendances familiales d’un individu changent suivant son parcours de vie et sont ainsi structurées par les insertions changeantes de l'individu au cours de sa vie.

L’approche configurationnelle des familles contemporaines en Afrique permet à notre avis de compléter les approches centrées sur les dimensions classiques de la parenté.

L’appartenance familiale au Sénégal obéit aussi à des critères autres que le lien de sang, de germanité ou de mariage. La proximité familiale s’exprime aussi dans la fraternité symbolique telle que la « parenté à plaisanterie » (Paulme, 1939) qui est système d’obligations, de devoirs d’hospitalités et de droits de grossièretés entre individus qui est codifié par des références identitaires (appartenance ethnique ou nom de famille).

Également, les liens forts qui découlent d’une relation durable de voisinage sont considérés comme relevant des relations familiales (Ndione, 1992). Peut aussi être considéré comme membre de la famille, un individu avec qui on a partagé la même résidence, avec qui on a été élevé, de même celui avec qui on a vécu certains rites de passage comme la circoncision (Camara, 1953; Erny, 1991).

À ce titre, le confiage des enfants est d’une grande importance puisqu’il concerne en moyenne 31,5 % des enfants au Sénégal en 1993. Il s’agit de la pratique par laquelle les enfants sont remis à des ménages différents de ceux des parents biologiques pour diverses raisons socio-économiques (Vandermeersch, 2000). La justification populaire

du confiage des enfants préconise l’échange respectif d’enfants dans la parentèle pour renforcer les liens en son sein. Cette pratique s’explique en partie par une répartition de la charge démographique des descendants du lignage : ceux qui ont moins ou pas d’enfants sont les principaux bénéficiaires. D’autres sont confiés lorsque les parents peinent à les entretenir ou lorsque la famille d’accueil leur offre de meilleures perspectives notamment scolaires (Locoh et Mouvagha-Sow, 2005). Le confiage est aussi synonyme de souffrances et de corvées lorsque la charge de travail du ménage repose sur les enfants confiés au profit des enfants biologiques. Les situations de privilèges en faveur de ces derniers surviennent le plus souvent lorsque la parenté entre celui qui confie et celui à qui on confie n’est pas proche. Cela est source d’iniquité et d’inégalité de traitement entre les enfants biologiques et ceux confiés.

Par ailleurs, le Sénégal est un pays où la polygamie est largement pratiquée. Le maintien des structures familiales polygames conduit à une remise en cause de la tendance à la nucléarisation défendue par des penseurs comme Talcott Parsons pour qui elle accompagne inexorablement la modernisation de la société. L’approche configurationnelle permet de mettre en exergue l’asymétrie des relations dans les ménages polygames.

La complexité des liens formant l'entourage proche des individus a conduit à développer de nouvelles approches qui dépassent les notions de ménage et de famille nucléaire.

C'est ainsi qu’ont été conduites les enquêtes « Biographie et entourage » (Lelièvre et Vivier 2001). Des travaux ont considéré sur un pied d’égalité autant les individus qui partagent le ménage ou les activités quotidiennes que ceux à qui on confie ses préoccupations majeures (Dugerdil et Ritschard, 2005 ; Roulin et Sauvain-Dugerdil, 2009). L'approche configurationnelle approfondit l'analyse des relations d’interdépendances dans et hors du ménage et fait ressortir à des degrés divers les relations de soutien, de pouvoir et de conflit. La famille comme configuration est analysée comme une entité structurée par les liens tissés en son sein; elle est aussi structurante pour les relations interindividuelles.

Au vu de ces développements, nous admettons comme postulat de base que la perspective configurationnelle est particulièrement adaptée pour analyser les processus relationnels dans la famille sénégalaise moderne, caractérisée par son éclatement et sa complexification.

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