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Le contexte historique et les caractéristiques de la population iakoute

I. Le terrain d’étude, la Iakoutie

I.1. La Iakoutie, un contexte particulier

I.1.2. Le contexte historique et les caractéristiques de la population iakoute

Lorsque les Russes sont arrivés dans la première moitié du XVIIe siècle (1620), les Iakoutes n’occupaient qu’une petite partie du territoire actuel, essentiellement la vallée moyenne de la Léna (Nikolaeva 2016, 127). Le reste du territoire était occupé par des populations autochtones, des Toungous (Evenks, Évènes, Youkaghirs), des chasseurs-cueilleurs, pêcheurs et éleveurs de rennes parlant des langues d’origine sibérienne. En 1922, lors de la création de la République autonome de Iakoutie, ces peuples étaient devenus « minoritaires » alors que les Iakoutes occupaient l’ensemble du territoire, jusqu’à l’Océan Arctique et le parler iakoute était devenu la lingua franca d’une grande partie de la Iakoutie.

Leur expansion a été concomitante de l’arrivée des Russes, venus soumettre les populations locales et les intégrer à l’empire russe (Crubézy, Nikolaeva 2017, 16-17).

I.1.2.1. Le mode de vie traditionnel et ses adaptations

Les Iakoutes sont les seuls éleveurs de vaches et de chevaux à ces latitudes, parlant une langue d’ori-gine turque. Arrivés vers les XIIe-XIIIe siècles selon les traditions, ils se sont implantés sur ce territoire et se sont adaptés à cet environnement. Sous la poussée des Mongols, ils auraient migré depuis la région du lac Baïkal vers les territoires du bassin de la Lena et des rivières de l’Aldan et de la Viliouï. Plusieurs migrations ont pu se succéder et la dernière daterait des XIVe-XVe siècles (Nikolaeva 2016, 26-27). En s’implantant sur ces territoires, ils auraient partiellement assimilé une population autochtone paléoa-siatique, ce que confirment les données archéologiques et ethnographiques (Nikolaeva 2016, 26).

La Iakoutie, un contexte particulier

Figure I.3 : Conséquences du réchauffement climatique. À gauche, en Iakoutie centrale, fracturation d’une butte de pergélisol sous l’action de gel/dégel,

résurgence et effondrement de la sépulture ; à droite, dans la région de Verkhoïansk, effondrement de la tombe sur la berge d’une rivière (© P. Gérard/MAFSO).

I.1.2.2. Leur économie de subsistance

En remontant des steppes du sud sibérien, ils ont apporté leur mode de vie, en l’adaptant à leur nouvel environne-ment. Ainsi, les Iakoutes se sont implantés là où se trou-vaient des prairies, et notamment autour des alaas. Ce sont de petites dépressions liées à la fonte du pergélisol, entourées de pâturages. Elles retiennent l’eau de la fonte des glaces ou des pluies estivales et créent de petits lacs (Fig. I.4). Ils ont pu agrandir ces prairies en défrichant la

forêt environnante et former des prairies plus grandes, plus favorables à l’élevage (Nikolaeva 2016, 31). Toutefois, ils ont conservé un mode de vie semi-nomade, alternant un campement d’été, sous une tente conique recouverte d’écorces de bouleau (uraha) pour les lieux de pâturages et un campe-ment d’hiver, constitué d’une maison en bois (balagan), pour le lieu d’hivernage (Nikolaeva 2016, 127).

La chasse et la pêche ont occupé une place également prépondérante dans leurs activités. En effet, les contextes forestier et aquatique, omniprésents, accueillent toutes sortes d’espèces animales1 qui constituent la richesse de leurs ressources alimentaires comme artisanales.

1 - Tant terrestres, des plus imposantes (élan, cerf, ours, etc.) aux plus petites (renard, renard arctique, castor, zibeline, écureuil, hermine, martre, etc.), qu’aquatiques, issues des rivières (esturgeon, corégone, saumon blanc, ombre, etc.) comme des lacs (carassin, brochet, vairon, etc.) (Golubchikova, Khvtisiashvili, Akbalian dictionnaire 2005, 1038).

Figure I.4 : Paysages caractéristique avec forêts, alaas et prairies, favorables à l’élevage des bovins et des chevaux.

Vues aérienne et générales (© P. Gérard/MAFSO).

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I.1.2.3. La langue iakoute

Appartenant à la famille des langues altaïques, plus précisément au lignage turc (branche nord-est), elle comprend environ 60% de mots originaires de ces langues (Crubézy, Nikolaeva 2017, 15-16). Tou-tefois, elle a fait également de nombreux emprunts aux langues mongole (ou bouriate) et quelques uns à la langue toungouse (Pakendorf, Novgorodov 2009), reflétant la façon dont la population et la culture se sont formées (Nikolaeva 2016, 28).

Étudiée dès la fin du XVIIe siècle afin de rechercher ses filiations, elle ne fut reproduite par écrit qu’au début du XIXe siècle, avec l’édition du premier livre religieux en langue iakoute (1812) (Nikolaeva 2016, 28). Son écriture et son enseignement, liés à la traduction et à la diffusion des textes religieux russes au cours du XIXe siècle, a sans doute permis au parler iakoute de survivre, contrairement à d’autres lan-gues autochtones, jamais écrites et aujourd’hui disparues (Nikolaeva 2016, 287). Son développement ultérieur, avec une littérature propre, contribue à la spécificité iakoute (Ibos 1999, 286).

I.1.2.4. Leurs croyances

Comme de nombreux peuples sibériens, les Iakoutes sont initialement animistes, c’est-à-dire qu’ils considèrent que la nature est animée et que chaque chose est gouvernée par une entité spirituelle ou âme2. Cette dernière peut avoir des caractéristiques humaines, notamment l’intentionnalité (Nikolaeva 2016, 29, 233 ; Journet 2006, 1).

Croyance pour certains chercheurs ou façon d’organiser la perception du monde pour d’autres (Journet 2006, 5), elle détermine la vision du monde qu’ont les Iakoutes. Ainsi, dans leur cosmogonie, l’univers est tripartite, avec des mondes distincts et superposés  : un monde supérieur, en haut, un monde moyen et un monde inférieur, en bas. Cette division est commune aux peuples sibériens3, notamment ceux appartenant au sud de la Sibérie (Nikolaeva 2016, 236  ; Stépanoff, Zarcone 2011, 53-54). Toutefois, la façon d’entrer en contact avec le monde supérieur, au moyen d’un fil magique, est identique à celle des Toungous, notamment les Evenks (Nikolaeva 2016, 237), ce qui suggère peut-être une adaptation locale.

Décrite en détail dans les épopées traditionnelles, appelées Olonkho, seule une esquisse de cette cosmogonie est présentée ici. Le monde supérieur, situé dans le ciel, possède 9 cieux habités par des divinités (aïyy), dont la divinité fondatrice de l’univers occupe le ciel le plus haut. Ces divinités sont plu-tôt protectrices, à condition de leur faire des offrandes, sans quoi elles peuvent apporter des malheurs.

Elles coexistent avec certains mauvais esprits dont leur chef (abaahy), considéré comme le créateur de l’âme humaine et le patron des chamans. Le monde du milieu, situé sur terre, est celui dans lequel vivent les Iakoutes et les esprits des défunts tourmentés4 (üer) (Sieroszewski 1901, 27, 37-38). Le monde inférieur, souterrain (Sieroszewski 1901, 37), comprend huit niveaux, occupés uniquement par de mau-vais esprits (Abaahy), des esprits méchants et des fantômes (Nikolaeva 2016, 234-236) (Fig. I.5).

Les hommes ne peuvent se déplacer en dehors de leur monde, c’est pourquoi ils s’adressent aux divinités au moyen d’offrandes et de prières ainsi que par l’intermédiaire de personnes spécifiques qui, elles, peuvent se déplacer dans les trois mondes et s’adresser aux différentes entités qui les habitent, les chamans. Ils ont le monopole sur le dialogue et l’interaction avec les esprits (Stépanoff, Zarcone

2 - Définition donnée par le centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL).

3 - Comme leurs différentes interprétations : en effet, les références « en haut » et « en bas » correspondent également pour les Iakoutes, comme pour d’autres peuples sibériens, à des pays situés en amont et en aval du courant d’une rivière, comme ils désignent aussi des points cardinaux, le haut pour le Midi et le bas pour le Nord (Sieroszewski 1901, 37 ; Stépanoff, Zarcone 2011, 56).

4 - Ayant subi une mauvaise mort, selon les Iakoutes : ceux qui décédaient avant le terme de leur destinée (Sieroszewski 1901, 27 ; Crubézy, Alexeev 2007, 35).

La Iakoutie, un contexte particulier

2011, 13). Les Iakoutes font appel à eux dans toutes les circonstances de la vie quotidienne (prédiction, bénédiction, prospérité, guérison, intermédiaire entre les esprits, etc…) (Sieroszewski 1901, 64) (Fig. I.6).

Une particularité du chamanisme iakoute est la division entre deux types de chamans, notamment durant les XVIIIe et XIXe siècles, les chamans dits « blancs » et les chamans noirs (Nikolaeva 2016, 30, 241). Les premiers prennent leurs origines dans les esprits du monde supérieur, ils ne portent pas de costume chamanique et ne possèdent pas de tambour (Jochelson 1933, 107 ; Okladnikov 1970, 392).

Ils font leurs rites durant la journée et entrent en communication avec les esprits bons ; ils participent aux mariages, aux rites de fécondité et à la guérison des malades, dont la fonction est plutôt celle

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Figure I.5 : Représentation de la cosmogonie iakoute. Olonkho Worlds with the World Tree. From a series «Yakut Heroic Epos Olonkho». Stepanov Timofey Andreevich (1979, Musée National des Arts de la République Sakha, Iakoutsk).

de guérisseurs (Nikolaeva 2016, 240). Les seconds prennent leurs racines dans le monde inférieur, ils voyagent entre les mondes, notamment le monde moyen et le monde inférieur. Ils extraient les mau-vais esprits, peuvent nuire aux hommes (Jochelson 1933, 107) et leurs rites se font dans l’obscurité (Nikolaeva 2016, 240). Même si cette distinction dans la pratique chamanique ne fait pas l’unanimité, la dualité est admise (Nikolaeva 2016, 30).

Plusieurs fois menacées depuis l’arrivée des Russes, les croyances des Iakoutes et leurs pratiques chamaniques ont survécu aux premières répressions russes et à la christianisation. Cependant, les vio-lentes persécutions menées sous le régime soviétique, à partir de 1920, avec l’exécution des chamans, ainsi que la politique d’athéisme militant, ont conduit à la disparition du chamanisme iakoute (Lavrillier 2003, 2-3). Toutefois, la chute du l’URSS a entraîné, pour les peuples « minoritaires », un retour à leur identité et à leurs valeurs traditionnelles depuis les années 1990. Le chamanisme a pu de nouveau être pratiqué librement (Nikolaeva 2016, 30), sous des formes totalement renouvelées5 (Lavrillier 2003, 2, 8-13).

I.1.2.5. La colonisation russe et ses impacts sur la société iakoute

La colonisation russe de la Sibérie se produit dans un vaste mouvement d’explorations de nouveaux territoires, engagé par les puissances européennes à partir du XVIe siècle, dans le but d’acquérir da-vantage de ressources et de diffuser le christianisme (Crubézy, Nikolaeva 2017, 99). Motivée par des

5 - Sans chaman, en raison du manque de chaman, ce sont plutôt des guérisseurs et devins, ou des imitateurs officiant lors de rites collectifs réinventés (Lavrillier 2003, 9) ; Avec chaman, des intellectuels dont le discours offre un syncrétisme d’éléments traditionnels, judéo-chrétiens et de concepts New Age (Lavrillier 2003,12).

La Iakoutie, un contexte particulier

Figure I.6 : Représentation de chaman, sculptée sur une planche de bois, recouvrant la tombe de Oktiom 1 (Iakoutie centrale, début XVIIIe siècle) (© P. Gérard/MAFSO, dessin : Ch. Hochstrasser-Petit).

enjeux purement commerciaux, la gestion de ces nouveaux territoires s’est limitée à une intervention minimale de l’État russe dans les affaires intérieures et les affaires de religion (Nikolaeva 2016, 150). Le système colonial repose principalement sur la collecte de l’impôt (yassak), acquitté en fourrures, qui permet d’asseoir sa domination sur les populations locales (Bashkirov 2014, 195). Toutefois, il a entraîné de grandes transformations au sein de la société iakoute, plus particulièrement dans la politique, l’éco-nomie et les croyances (Nikolaeva 2016, 192).

I.1.2.6. L’évolution socio-économique

En Sibérie, les ressources recherchées furent initialement les fourrures, essentielles jusqu’à l’époque moderne pour se protéger du froid (Bashkirov 2014, 194 ; Crubézy, Nikolaeva 2017, 99). La Russie étant depuis le début du Moyen Âge un fournisseur important de pelleteries en Europe occidentale et dans certaines régions d’Asie, elle conquiert la Sibérie orientale dès le XVIe siècle, après avoir largement ex-ploité sa partie occidentale. Réservoir de nombreuses espèces à fourrure, notamment les plus prisées (zibeline, martre, renard), elle assoit sa position comme le plus grand fournisseur mondial de fourrure jusqu’au XIXe siècle6 (Fig. I.7).

L’influence des marchés extérieurs, principalement européen et chinois, modifie les valeurs tra-ditionnelles de la société iakoute. Basées sur une économie de subsistance, alliant élevage, chasse, pêche et cueillette, les populations locales vont se détourner de leurs activités traditionnelles au profit de la chasse (Forysth 2010, 63 ; Bashkirov 1994, 194). Son exercice intensif et ininterrompu envers des animaux très prisés (zibeline, castor, renard noir, etc…) a mené à l’extinction de ces espèces et à modi-fier le mode de vie des populations locales, jusqu’à mener à leur appauvrissement (Forsyth 1992, 63).

Toutefois, la société s’adapte rapidement, les Iakoutes tirent aussi profit de cette économie colo-niale (Nikolaeva 2016, 149-150). En effet, apparaît une nouvelle classe sociale, celle des marchands, qui deviennent des intermédiaires incontournables, faisant de Iakoutsk au XVIIIe siècle une place com-merciale réputée (Nikolaeva 2016, 147). Le commerce, effectué selon le système de troc, échange des

6 - http://www.esdaw.eu/the-fur-trade-history.html

Entrepôt de fourrures à Iakoutsk, collection I. Chersky (?), milieu-fin XIXe s.

(Kunstkamera, МАЭ № 1418-54) Négociations entre chasseur et marchand

(auteur inconnu, fin XIXe-déb XXe s. )

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Figure I.7 : Le commerce des fourrures en Iakoutie.

fourrures contre des produits et des articles manufacturés (thé, tabac, objets en étain et en fer, perles en verre de différentes couleurs, tissus et toile, etc…) (Nikolaeva 2016, 141, 143-144). Il introduit éga-lement un changement dans l’échelle des valeurs, en intégrant ces biens importés comme signe de richesse, venant caractériser une élite iakoute (Nikolaeva 2016, 147).

I.1.2.7. L’évolution socio-politique

La structure sociale des Iakoutes reposait sur des tribus et des clans, des familles de même lignée pa-ternelle, à la tête desquelles se trouvait un chef, appelé toïon. Il est généralement un homme fort ou un riche propriétaire de bovins et de chevaux, avec des serviteurs et du personnel, dont la voix compte au sein du clan (Nikolaeva 2016, 157, 289). Les Russes se sont appuyés sur cette structuration initiale pour établir une organisation territoriale, afin de comptabiliser les sujets et de prélever l’impôt (Nikolaeva 2016, 129). La gestion de la collecte et de la livraison de peaux, laissée à ces chefs, respecte également le fonctionnement social iakoute.

L’entente et la collaboration entre ces hommes respectés et les percepteurs vont permettre leur intégration dans le système politique russe. Si, au départ, ils négocient le maintien de leurs pouvoirs locaux afin de conserver leur position sociale, ils agissent ensuite pour les droits du peuple iakoute au sein de l’empire russe afin de protéger leur autonomie (Nikolaeva 2016, 160). Le pouvoir russe légitime leurs actes, en leur autorisant la gestion de l’impôt. Il leur accorde un titre de noblesse héréditaire russe par les lois de 1677-1678. Une élite iakoute se met alors en place. Plus tard, il les intègre à la noblesse de service en 1721, puis à partir des années 1730, il leur accorde des prérogatives sur la préservation de l’ordre et l’administration de la justice (Nikolaeva 2016, 160-162 ; Forsyth 1992, 62). Investis de ces pouvoirs, ils deviennent de vrais représentants de l’État russe, qui n’auront de cesse de défendre leurs intérêts et leur autonomie, jusqu’à l’obtention d’une république autonome en 1922.

I.1.2.8. La christianisation

Si la christianisation accompagne la colonisation selon la volonté impériale (Peyrouse 2004, 110 ; Pota-pova, Petrov 2013, 32), dans les faits, le prosélytisme est restreint, en raison d’une approche de la foi or-thodoxe spécifique et d’un manque de structures, de moyens et d’hommes (Peyrouse 2004, 111-112 ; Potapova, Petrov 2013, 34). Si l’incitation au baptême est présente, l’adoption de la religion orthodoxe est librement acceptée, dans un premier temps, par les autochtones (Nikolaeva 2016, 180). Par ailleurs, la conversion contrariait la politique d’imposition, en amenuisant ses bénéfices dans la mesure où tout sujet nouvellement baptisé était exonéré d’impôt (Nikolaeva 2016, 180)! La conversion a donc été considérée initialement comme une faveur (Forsyth 1992, 69) ou un moyen de stabiliser les relations avec les populations locales et leurs représentants (Kan 1996, 620 ; Potapova, Petrov 2013, 32). Elle est alors associée à des privilèges (exemption d’imposition, soutien matériel favorisant la sédentarisation, ascension sociale) (Peyrouse 2004, 126 ; Potapova, Petrov 2013, 34 ; Nikolaeva 2016, 180).

Dans un second temps, elle devient forcée puisque dès le début du XVIIIe siècle, le tsar Pierre le Grand signe un décret (1714) intitulé « La destruction des idoles chez les Vogouls, Ostiaks, Tatars et Iakoutes et leur baptême vers la croyance orthodoxe » (Nikolaeva 2016, 183). Toutefois, la christianisation demeure superficielle (Bashkirov 2014,196). En effet, les Iakoutes restent fidèles à leurs croyances et continuent à avoir recours aux chamans (Potapova, Petrov 2013, 32). Il faut attendre les années 1760-1770 pour que les conversions se multiplient (Potapova, Petrov 2013, 32, 34). Le contexte sanitaire contribue à ce changement, dans la mesure où les épidémies du XVIIIe siècle (tuberculose, variole) ont probablement affaibli le prestige des guérisseurs traditionnels et des chamans (Kan 1996, 620).

La Iakoutie, un contexte particulier

Au cours du XIXe siècle, la situation évolue considérablement : une véritable politique de conversion et de christianisation est engagée. L’archevêque missionnaire Innokentii (Ivan Veniaminov) arrive en Iakoutie en 1852 : il implante de solides organisations missionnaires et évangélise les populations de Sibérie orientale (Peyrouse 2004, 112 ; Kan 1996, 620). L’Église développe ainsi de manière systéma-tique des missions sur l’ensemble du territoire, en mettant l’accent sur la construction des églises et l’éducation chrétienne, dispensée à présent en langue vernaculaire (Peyrouse 2004, 113  ; Potapova, Petrov 2013, 35) (Fig. I.8).

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Figure I.8 : La Bible traduite en russe et en iakoute. Extrait du Nouveau Testament, collection Travin Dmitri, début XXe s. (Kunstkamera, МАЭ № 4282-417).

I.2. Le corpus

Ce travail ne prend en compte que les tombes fouillées entre 2002 et 2016 par les missions françaises en Sibérie orientale (MAFSO). Le corpus est présenté selon plusieurs matrices afin d’être exploité en statistique (matrice binaire), en phylogénie (matrice phylogénétique) et par un système d’information géographique (SIG). Malheureusement, la répartition des tombes sur les différentes régions pose un problème d’échelle et ne permet pas une représentation spatiale très lisible de l’ensemble. L’outil reste utile pour le questionnement mais la cartographie est difficilement exploitable (Annexe 1).