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CHAPITRE 1. Les habitants de maisons dans le périurbain au quotidien

1) Contexte de formation du sujet et de l’objet de recherche

1.1.Un cadre autobiographique : vivre dans une maison dans une petite ville…

Saint-Renan. Lieux d’innombrables souvenirs, lieux familiers, sentiment d’appartenance. J’y suis née, alors

que la clinique Saint-Ronan et sa maternité existaient encore8. J’y ai ensuite vécu dans trois maisons

différentes, dont l’une où je n’ai aucun souvenir, que mes parents avaient fait construire. Concernant la seconde, de vagues « flashs » me viennent parfois en mémoire, moins des lieux en eux-mêmes que de situations et scènes quotidiennes qui s’y sont déroulées, notamment dans la salle à manger. Pour la troisième, les images du chantier me viennent encore en tête. Je m’y rendais du haut de mes cinq ans,

effarée de voir comme l’étage était gigantesque, avec ses cloisons encore imaginaires et dessinées

uniquement sur plans. J’ai donc passé mon enfance et mon adolescence dans cette maison9 et cette commune10, avec mon père, ma mère, ma grande sœur et pendant une quinzaine d’années, mon chien.

Cette maison, où vivent encore mes parents aujourd’hui, se trouve au bout d'une allée de gravillons, dans une petite rue qui est en réalité une impasse. J'ai habité ces lieux jusqu’à mes 18 ans, et je les habite encore

régulièrement aujourd'hui, venant souvent voir mes parents et parlant encore parfois de ce lieu comme de « chez moi ».

Quand je ne faisais pas de caprice pour me faire conduire en voiture, j’allais à pied, en maximum quinze

minutes, à l'école primaire ou au collège - très souvent avec mes voisins -, chez mes amies, à l’école de

musique pour mes cours de solfège un soir de semaine et de synthétiseur le mercredi après-midi, chez ma grand-mère… J'aimais - seulement quand le temps était clément -, marcher dans ces rues que je connais

par cœur, passer devant ces maisons et ces petits jardins, devant l'hôpital Le Jeune qui s’avère être une

maison de retraite, devant le lavoir en bas du collège, près du petit muret en pierres devant le cabinet du kiné au niveau du petit rond-point ou encore dans la ruelle pavée qui menait à la nouvelle médiathèque - qui a fait mon bonheur lorsqu’elle a ouvert en 2001, arborant sur sa façade vitrée un extrait du texte de Alice au pays des merveilles -, ainsi que, plus tard, sur le parking de la piscine Spadium ouverte en 2005,

lorsque j’avais 14 ans, dans laquelle j’ai ensuite travaillé lors des périodes estivales de mes années d’études, de 2010 à 2014. Si nous devions aller plus loin dans la ville, nous nous donnions rendez-vous avec mes amies près du fameux lavoir pour nous rendre à plusieurs chez une autre amie. J'aimais aller promener mon chien dans ces calmes lieux résidentiels, seule avec lui ou en compagnie de ma sœur, de mes parents

ou parfois de ma grand-mère. J'adorais aussi occuper la rue, mon jardin et ceux de mes voisins (notamment

celui avec l’immense mimosa) et les talus, dont celui situé derrière le garage, avec mes acolytes de jeu. En rentrant de l’école, je prenais vite le goûter, faisais mes devoirs et demandais régulièrement : « je peux aller jouer dehors ? », phrase que j’imagine prononcée d’innombrables fois par les enfants.

Lors de mon entrée au lycée, la routine du car du réseau Penn-Ar-Bed11 a commencé : lever à 6 h 15, départ de la maison à 7 heures à pied (et au fil du temps, de plus en plus tard, ce qui m’obligeait parfois à

courir et à accepter les remarques piquantes des chauffeurs de cars qui nous connaissaient) pour prendre le car à 7 h 15, afin de me rendre au lycée à Brest. Ceux de Plouarzel ou de Porspoder, eux, se levaient encore plus tôt que nous, « ceux de Saint-Renan ». J’arrivais au lycée vingt voire vingt-cinq minutes avant

8 Je suis née en 1991 et elle a fermé en 2004.

9 Maison d’environ 130m² et terrain d’environ 1000m².

10 Population de Saint-Renan : 4450 habitants en 1975 ; 8097 habitants en 2016. 11 Depuis septembre 2018, il a fusionné avec le réseau régional unique BreizhGo.

le début des cours de 8 heures, étant donné sa localisation dans la ville, « du bon côté pour nous », ce qui nous évitait un trop long trajet en car. En revanche, cela obligeait à patienter à la cafétéria en attendant la sonnerie, avec les autres personnes venant en car. Les Brestois ou ceux qui se faisaient conduire en voiture par leurs parents arrivaient juste à l’heure. Lors de mon adolescence, j’ai parfois été envieuse de cette camarade qui vivait à Brest et venait à pied au lycée en cinq minutes. J'étais peut-être aussi plus dépendante de mes parents que les adolescents brestois sur certains aspects. Mais finalement, la plupart de mes amis habitaient à Saint-Renan, Plouarzel, Bourg-Blanc ou encore Plougastel, l’habitude des

transports scolaires était donc de mise pour beaucoup. Moins de liberté au niveau de l'accessibilité et de la mobilité vers Brest avait sa contrepartie pour d'autres choses, notamment grâce au cadre de vie ; en

effet, avec ma grande sœur, nous nous trouvions chanceuses d’avoir une maison, un jardin et de pouvoir

aller à la plage très régulièrement. J'ai passé le Code de la route dès que j’ai pu, à 16 ans, en même temps que l’une de mes amies, puis j'ai obtenu mon permis à 18 ans et 3 mois exactement, après avoir suivi la conduite accompagnée. C’était alors une évidence pour les adolescents qui avaient la chance de pouvoir s’inscrire à l’auto-école : cela représentait un budget conséquent.

Mes voisins, mes amis, les amis de mes parents, ma grand-mère aiment vivre à Saint-Renan pour son calme, sa proximité à la fois de Brest et de plusieurs belles plages de la côte Ouest, pour toutes les commodités qui sont à proximité et les activités qu'offre la ville (centre socio-culturel, piscine, cinéma, commerces, médecins, associations diverses, école de musique, grandes surfaces, coiffeurs, boutiques de

vêtements, service de car…), mais aussi pour son cadre plutôt arboré et ses lacs propices à des promenades, dont j’ai parfois profité en famille, même si le réflexe et l’envie étaient généralement de se

rendre au bord de la mer. J'ai donc grandi dans une commune que l'on pourrait qualifier au premier abord de périurbaine12, avant d'aller étudier l'architecture à Paris pendant trois ans, puis à Valencia en Espagne

pendant un an, avant un retour d’un an à Paris pour passer mon diplôme. Ensuite, j'ai mis le cap sur une autre grande ville, Lyon, dans laquelle j’ai habité et travaillé durant presque deux ans en agence d'architecture. Puis le début de ma thèse en janvier 2017 a coïncidé avec mon retour dans l'Ouest de la France, entre Brest et Nantes.

Mon arrivée à Paris après avoir vécu 18 ans à Saint-Renan fut une expérience très riche autant qu’un choc

par le contraste entre les lieux. Passer d'une maison avec un jardin, dans un grand espace, dans une rue très calme où la nuit offre un silence total, à un studio au 6ème étage d'un immeuble donnant sur une

avenue très passante d’un arrondissement populaire de Paris, représentait pour moi un énorme

changement dans ma perception des lieux et mon ressenti, notamment concernant les bruits, les odeurs, l'agitation presque constante, l'effervescence de la ville. Se sentir à la fois oppressée et libre, perdue dans ce vaste espace anonyme et impersonnel au premier abord, avec une diversité incroyable qui m’attirait et me fascinait. Je m’y plaisais, mais la vue sur le jardin me manquait, tout comme le silence et la sensation

d’apaisement la nuit, et la proximité de la mer encore plus. Les escaliers de ma maison (celle de mes

parents !13) me manquaient aussi. Je vivais plutôt une double résidence qu’un réel emménagement

12 Cf. « Saint-Renan, une commune périurbaine convoitée de l’agglomération brestoise », se loger.com, 22 octobre 2017. https://edito.seloger.com/actualites/villes/saint-renan-une-commune-periurbaine-convoitee-de-l-agglomeration-brestoise-article-20094.html

13Cela a valu plusieurs quiproquos avec mes amis lorsque j’étais étudiante : mon « chez moi » était à la fois mon studio parisien mais aussi ma maison renanaise. Ils me reprenaient souvent : « chez tes parents ! » On peut se

référer à l’article d’Emmanuelle Maunaye qui parle d’attachement et de détachement lorsque les jeunes passent

parisien, même si je passais bien plus de temps dans mon studio. Je rentrais environ une fois par mois à Saint-Renan, pour un week-end. À Lyon, cette ambivalence me poursuivait parfois, quand les mots me devançaient : « je rentre ce week-end » (sous-entendu, je vais passer le week-end chez mes parents à Saint-Renan). Rentrer. Être entre deux univers. Deux « chez-moi » alors ? Celui de Paris puis de Lyon, et en parallèle celui de Saint-Renan (je disais « à Brest » ou « en Bretagne » pour faciliter les échanges avec les autres) avec ma famille et la mer toute proche. Chez moi, chez mes parents, dans la maison, versus mes appartements que j'habitais seule ou avec mes colocataires.

Lors du cycle de licence de mes études d’architecture à Paris (2009-2012), nous n’avons pas une seule fois

conçu de maison (excepté une petite maison d’artiste, mitoyenne des deux côtés, sur une petite parcelle

très restreinte, dans Paris) et encore moins travaillé sur des espaces périurbains ou ruraux. Avec du recul,

cela me surprend et m’interpelle. Nous avons alors travaillé sur une succession de projets conçus sur des

sites parisiens, souvent imposés. Mon Projet de Fin d’Études m’amènera à travailler sur le technopôle de la région de Brest, située à Plouzané et donnant sur la mer. Mon regard d’architecte Diplômée d’État, dans un monde où la maison individuelle peut parfois être jugée sans intérêt, voire stigmatisée - ce que j’ai

observé dans certains discours émanant de mon école d’architecture parisienne, et chez moi à 18 ans, ayant eu un sentiment de rejet de ce territoire, possiblement plus par esprit de contradiction que par réelle conviction -, permet d’analyser les situations de manière réflexive. Je voudrais non pas forcément renverser ces propos autour de la maison et du périurbain mais au moins les nuancer. En effet, je souhaite remettre sur le devant de la scène cet « objet » qu’est la maison, et surtout les habitants qui y vivent.

Finalement, je souhaitais prendre de la distance tout en m’inspirant de ces expériences passées.

Ce texte, que l’on pourrait appeler « Quand la chercheure est une architecte originaire d’une

commune périurbaine du Pays de Brest »14, et qui relève presque de l’ordre d’une écriture de journal de bord intime, montre les souvenirs, les perceptions, le quotidien passé dans différents lieux familiers et les rapports que j’ai entretenus avec eux. Il permet de saisir le contexte présent en amont de l’enquête et l’incorporation biographique dans le choix du sujet, par ce vécu mémoriel et sensoriel retranscrit ici, en tant qu’élément déclencheur de la recherche. En effet, l’implication personnelle impacte forcément la recherche. Ces explications permettent aussi de donner certaines clés de compréhension au lecteur sur l’un des contextes dans lequel cette thèse est rédigée. Ces éléments biographiques sont importants selon moi afin d’introduire le lecteur plus avant dans les analyses. En effet, faire un travail de remémoration et de « ré-imagination des

lieux », tout comme les habitants que j’ai sollicités, me semblait nécessaire. Ainsi, je pouvais

mieux me rendre compte de ce que les habitants auraient à faire en me livrant moi-même à une

partie de l’exercice, en mobilisant des souvenirs et mes propres paroles. De plus, ce travail

montre l’envie d’éclaircir certaines contradictions pouvant se révéler dans les pratiques et les imaginaires.

1.2.… puis étudier dans une école d’architecture parisienne

La définition de ce travail de recherche s’inscrit aussi dans la continuité d’un mémoire-recherche

réalisé au sein de l’ENSA Paris-la-Villette en 2014, Les valeurs sensibles (esthétiques, perceptives

et sensorielles) du paysage, facteurs d'enrichissement de la qualité d'usages et de la sociabilité dans

les parcs urbains - Études des jardins du Túria, Valencia (Espagne). Mon intérêt se portait déjà sur

les usagers et les habitants. J’ai souhaité travailler, cette fois, sur les espaces périurbains,

l’approche habitante s’immisçant aussi petit à petit, tout comme le fait d’observer les situations autour des maisons individuelles. Travailler sur le terrain brestois fut décidé dès le départ avec l’envie, dès l’amorce du sujet, de porter un regard ethnographique sur ces lieux qui m’étaient

familiers. Ce terrain s’avère pertinent au regard du sujet, étant un haut-lieu de périurbanisation

et de constructions de maisons individuelles. Deux autres terrains ont pris place assez vite dans cette recherche, dans des intensités diverses : le terrain québécois, dans un contexte de décentrement, et le terrain nanto-nazairien, dans un contexte de proximité par rapport au laboratoire nantais, le CRENAU, auquel je suis rattachée. L’objet de recherche s’est consolidé, petit à petit, tout comme le choix des méthodes à mobiliser, assez vite déterminées comme qualitatives. Malgré la difficulté de traiter de ce sujet, parfois déconsidéré par le monde de la recherche pouvant être tributaire d’une vision urbano-centrée et qui pourrait se demander « pourquoi s'intéresser aux gens ordinaires ayant fait le choix d'une vie peu écologique ? », je m’apprête donc à rencontrer des habitants à domicile et à observer différentes situations, pratiques, comportements et attitudes. La spécificité de l’objet de recherche, qui prône une

approche interdisciplinaire, traite du rapport des habitants de maisons dans le périurbain à leurs

lieux de vie et aux éventuelles formes d’attachement aux lieux qu’il engendre, et cherche à

comprendre comment leurs paroles - agissant ici comme des régimes de preuves -, leurs pratiques et leurs imaginaires peuvent venir signifier, expliquer et expliciter leur condition habitante.