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Une conservation dynamique des territoires de la biodiversité

Dans le document La démarche MAB: la voie de l'optimisme (Page 77-80)

PAR FRÉDÉRIC BIORET

ET RAPHAËL MATHEVET

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PNR Camargue EV

La gestion dynamique des espèces s’intègre dans la démarche de la gestion adaptative. (Balbuzard

Quel point commun avec la gestion adapta-tive ? Apprendre tout en étant capable de modi-fi er ses pratiques de gestion à partir de l’analyse de ses expériences de terrain. Les effets de seuils écologiques susceptibles de menacer l’existen-ce des activités socio-économiques sont ainsi partiellement évités. Une différence notable se dégage cependant des systèmes traditionnels : celle de l’approche résolument scientifi que de la gestion adaptative. Au lieu de se fonder sur la morale ou sur les croyances religieu-ses, elle se base sur des tests d’hypothèses et sur la généralisation des théories. Sur l’espace protégé des marais du Vigueirat en Camargue, par exemple, après avoir suivi une telle démar-che, les résultats expérimentaux portant sur la gestion de l’eau et des pâturages dans la suc-cession végétale des rizières en friche, ont pu être transposées à des opérations de restaura-tion écologique dans d’autres régions humides méditerranéennes.

D

ES DÉCISIONS LOCALES

Au risque de devenir infructueuse la gestion adaptative ne doit surtout pas être imposée mais plutôt développée avec les acteurs locaux. Cela est particulièrement important pour les démarches prenant place en dehors des espa-ces en réserve. Dans la basse plaine de l’Aude, dans le sud de la France, par exemple, le syn-dicat mixte en charge de la préservation du patrimoine naturel et de la gestion de l’eau a développé une approche de co-gestion avec les principaux acteurs de la zone humide. Un sui-vi rigoureux des variables ensui-vironnementales – niveaux d’eau, salinité, superfi cie en roseaux – et un dispositif de prise de décision très réac-tif a permis d’adapter la gestion de l’eau en fonction des demandes des acteurs locaux, des exigences écosystémiques et des aléas hydro-logiques. Cette co-gestion a renforcé la com-posante adaptative de la gestion locale. Elle a relié les connaissances scientifi ques et profanes issues des expériences de terrain aux règles d’usage établies et validées collectivement. Elle a aussi permis de remplacer la gestion infor-melle par la mise en place d’un plan de gestion et d’un comité décisionnel ad hoc.

La gestion adaptative est un processus d’apprentissage chemin faisant. Elle essaie de

Une gestion de la biodiversité en 7 étapes

La gestion adaptative est un processus systématique et itératif. Elle correspond à une gestion interactive qui s’organise suivant sept étapes.

1ère étape :Phase d’identifi cation des enjeux et des problématiques

Elle se base sur la synthèse des connaissances existantes dont elle évalue le degré d’actualité et d’exhaustivité ainsi que les lacunes. C’est également l’occasion de développer un modèle théorique du système permettant d’obtenir des résultats prévi-sionnels liés à des modes de gestion alternative. On élabore ainsi différents scénarios de gestion.

2ème étape :Le choix des indicateurs

L’élaboration d’un schéma de gestion et d’un programme de suivi s’accompagne du choix des indicateurs qui dépendent des objectifs et du temps pris en compte : court, moyen, ou long terme. Dans le cas où des lacunes auraient été identifi ées lors de la première étape, cette phase est utile pour tenter de les combler. Des études ou des mises à jour spé-cifi ques sont dans ce cas nécessaires.

3ème étape : La mise en œuvre

Les choix des modes de gestion sont mis en applica-tion.

4ème étape : Le suivi des indicateurs

Les informations sont recueillies en temps réel.

5ème étape : L’évaluation

La comparaison des résultats et des indicateurs en fonction des différents scénarii permet éventuelle-ment l’élaboration de nouvelles hypothèses sur la gestion dynamique de l’écosystème.

6ème étape : L’ajustement du schéma de gestion et d’expérimentation

Suivant les résultats de l’évaluation, on peut revoir les objectifs de gestion, les modes opératoires et les modèles prévisionnels.

7ème étape : L’utilisation des résultats

La dernière phase correspond à l’utilisation des résultats des expérimentations afi n de mieux comprendre les relations de « cause à effets » des pratiques de gestion choisies et d’adapter ces der-nières en fonction de l’évolution de l’écosystème et des objectifs de gestion. Enfi n et pour conclure, le retour à l’étape 1 permet de poursuivre l’améliora-tion de la connaissance et de la gesl’améliora-tion.

réduire les coûts sociaux et écologiques des expérimentations de gestion en accroissant la connaissance sur le système. Elle tente de faci-liter l’apprentissage social en mobilisant une combinaison d’évaluation, de modélisation et d’expériences afin d’identifier les incertitudes et de tester des hypothèses pour explorer cer-taines questions posées par les gestionnaires et les scientifiques. Cependant malgré sa média-tisation vieille de vingt-cinq ans, trop peu de gestionnaires et de décideurs n’osent la met-tre en œuvre de peur de prendre en charge les coûts du suivi et d’expérimentation mais aussi de se confronter à ses incertitudes inhérentes.

À l’avenir, il est cependant souhaitable que ces principes trouvent leur place dans les docu-ments de planification de gestion des espaces protégés en France, et notamment dans les réserves naturelles et les réserves de biosphè-re. C’est là l’une des clés de la co-construction d’un projet viable de territoire associant l’en-semble des acteurs dans différentes approches de modélisation, de concertation et d’engage-ment des populations locales.

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Raphaël Mathevet

Pour en savoir plus

•BERKES, F., FOLKE, C. 1998. Linking social and ecological systems. Management practices and social mechanisms for building resilience. Cambridge University Press.

• CARPENTER, S.R., FOLKE, C. 2006. Ecology for

transforma-tion. Trends in Ecology and Evolution, 21(6) : 309-315.

• GIBBS, J.P., SNELL, H.L., CAUSTON, C.E. 1999. Effective

monitoring for adaptive wildlife management: lessons

from the Galapagos Islands. Journal of Wildlife

manage-ment, 63(4) : 1055-1065.

• GREGORY, R., FAILING, L., HIGGINS, P. 2006. Adaptive management and environmental decision making : A case

study application to water use planning. Ecological

Econo-mics, 58 : 434- 447.

• HOLLING, C.S. 1978. Adaptive environmental assessment and management. John Willey & Sons, New York.

• MATHEVET, R., MAUCHAMP, A. 2005. Evidence-based

con-servation : dealing with social issues. Trends in Ecology and

Evolution, 20 (8): 422-423.

• MESLÉARD, F. 1994. Abandoned ricefields in the Ca-margue (France) can they be of value for conservation ?

Environmental Conservation, 21 : 354-359.

• TAYLOR, B.L. 1998. An introductory guide to adaptive ma-nagement. Ministry of Forests, Canada.

www.for.ca/hfp/amhome/introgd/toc.htm

En Amérique du Nord, les Indiens Cree ont durant plusieurs siècles réussit à gérer avec cohérence leur faune sauvage. (Parc national de Jasper, Canada)

Les interactions entre les changements d’usage et du climat, réunis sous le terme de changement global, et la biodiversité constituent une situation que notre pla-nète n’a jamais expérimentée. De nombreuses aires protégées ont été créées et sont encore gérées dans le but de conserver des écosystèmes « représentatifs », qui potentiellement n’existeront plus avec les changements en cours.

L’amélioration de la planifi cation et de la gestion de ces aires intègre a priori les scénarii du changement climatique et leurs effets potentiels sur la biodiversité. Il devient en effet nécessaire de projeter les plans de gestion de 30 à 50 ans, au lieu de 3 à 10 ans, comme c’est le cas aujourd’hui. Dans ce but, l’amélioration des méthodes de gestion des aires protégées actuelles et futures doit intégrer certains éléments : la construction de scénarii du changement climatique couplée d’ana-lyses de sensibilité de modèles, l’accroissement de la surveillance (ou suivi) continue, la prise en compte des interactions dans les inventaires biologiques pour con-server le potentiel évolutif des espèces, enfi n l’analyse critique et la révision des pratiques de gestion.

L’établissement de projections futures est également indis-pensable pour facili-ter le dialogue entre chercheurs, déci-deurs et gestionnai-res. Ces projections futures concernent aussi bien les espè-ces sauvages que les espèces domes-tiquées et cultivées. Certains modèles liés au changement climatique prévoient déjà que des

espè-ces doivent migrer à raison d’un kilomètre par an pour atteindre une nouvelle aire de distribution convenable. Ce qui correspond à une vitesse de recolonisation post-glaciaire. Les nouvelles zones de distribution devront donc faire à la fois l’objet de redéfi nition de leurs usa-ges et de nouvelles réglementations.

Néanmoins, les espèces et leurs populations ne répondent pas uniquement en modifi ant leurs aires de distribution. Le changement climatique va affecter les processus de sélection et les interactions biotiques (pré-dation, parasitisme, symbiose). Les réponses adaptatives et les capacités de réponse évolutive des populations et des espèces devront donc être mieux appréhendées. D’autre part, les pêcheries, les exploitations forestières, l’agriculture vont toutes être soumises au changement

global. Mais de quelles manières ? Comment prévoir l’adaptation des activités humaines liées à l’exploita-tion des ressources vivantes aux effets du changement global ?

D’autres questions concernent les invasions biologi-ques. Quelles seront les régions à risque et par quel type d’organisme ? Quels seront leurs effets en moyenne ? Afi n de gérer au mieux les mises en quarantaine et les méthodes de lutte, des réponses sont indispensables. Le climat a aussi des répercutions sur la santé. Et en particulier sur les relations entre les pathogènes et leurs hôtes. Les épisodes climatiques de type El Niño entraî-nent une augmentation du blanchiment des coraux mais aussi des épidémies de choléra dans les populations humaines. L’augmentation des taux de dioxyde de car-bone et d’azote peut être associée au développement plus important des pathogènes s’attaquant au monde végétal.

Si les efforts de simulation et de projection des effets du changement climatique vont permettre d’affi ner les modifi cations des aires de distribution des espèces, l’empreinte écologique humaine risque cependant d’être trop importante pour permettre tout déplacement des écosystèmes en raison de l’urbanisation ou de l’usage des terres. Ce sera d’ailleurs particu-lièrement diffi cile pour les zones défi nies par leur grande richesse taxonomique et leurs forts taux d’endémisme, que l’on appelle

hotspots. Ces aires protégées, qui sont déjà souvent l’enjeu de confl its importants et dont la durabilité est soumis à questionnement, devront nécessairement anti-ciper les effets du changement global.

SERGE MORAND

Dans le document La démarche MAB: la voie de l'optimisme (Page 77-80)