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4. Étude qualitative de la conscience historique

4.2 Présentation des résultats

4.2.2 L’analyse horizontale

4.2.2.5 La conscience historique du récit traditionnel sur l’identité collective

peut avoir de lui-même, de l’Autre ou du contexte qu’il partage avec cet Autre.

Le seul répondant de tendance génétique, Ludovic, se distingue de ses collègues quasi-génétiques, surtout par son besoin clair de toujours mieux connaître le passé. Il semble perpétuellement chercher à rendre plausibles les interprétations du passé et ne pas s’arrêter en donnant l’impression qu’il a tout compris. Il essaie de comprendre sans cesse les tensions entre Francophones et Anglophones, mais une époque ou un événement à la fois. Il présente les points de vue des deux groupes et la logique de leurs perceptions face à l’Autre au fil du temps. Il évoque des mini-patterns pour expliquer certaines actions, et il problématise les généralités qu’on peut faire du passé. De plus, il reconnaît les limites de ses connaissances et critique souvent ses propres propos tout en y apportant toujours des nuances. Finalement, en supposant que les perceptions, connaissances et constructions de la réalité varient selon le temps, Ludovic précise que la manière dont les Canadiens-français comprenaient le monde par le passé est complètement différente de celle d’aujourd’hui. Cet extrait démontre quelques-unes de ces caractéristiques génétiques :

« Mais est-ce que le Canadien-français paysan savait qu’il n’était plus minoritaire? [Je ne] pense pas qu’en 1840 il le sait. Je pense qu’aujourd’hui on le sait, mais lui dans sa tête, ce qu’il se dit, c’est il y a des bateaux, bien sur qu’ils sont conscients. D’après moi, il y a une certaine conscience de ça… il y a des bateaux bourrés d’Anglais qui arrivent. Donc, c’est sûr qu’il y a l’impression qu’il va se faire ramasser. Donc, c’est sûr que ça crée des tensions. Surtout le jour où l’Anglais n’est plus le boss, mais l’Anglais occupe le même job. Là, il y a des tensions nécessairement, moi je crois que oui. »

4.2.2.5 La conscience historique du récit traditionnel sur l’identité collective francophone

La plus grande variation des tendances s’est produite quand les répondants ont discuté de la vision misérabiliste du passé canadien-français. Même si la plupart sont

de tendance critique (huit répondants), trois ont une tendance exemplaire, deux quasi-génétiques, trois génétiques résistants et finalement, un génétique.

En général, les répondants de tendance exemplaire jugent que la vision misérabiliste est réelle, mais qu’elle ne reflète pas la situation d’aujourd’hui parce que les Canadiens français ont fait leurs preuves et remporté nombre de succès. René et Victor justifient cette vision en utilisant la logique de la relation conquérant-conquis comme une régularité de la vie. Pour sa part, Lucien offre des régularités basées sur des idées comme : les Britanniques représentaient un pouvoir impérial qui savait comment exploiter l’autre, les élites étaient toujours conscientes de ce qu’elles faisaient subir aux plus faibles, et la vision catholique des choses faisait la promotion de l’histoire des martyrs dans les mentalités.

Tous les répondants de tendance critique rejettent la vision misérabiliste en affirmant qu’elle ne reflète pas la réalité du passé. Ils essaient de comprendre pourquoi cette vision existe et, même s’ils le considèrent souvent de manière intelligente, ils le font sans vraiment reconnaître la difficulté de donner un sens au passé. Ainsi, parmi d’autres conceptions, ils expliquent la vision misérabiliste comme étant normale pour les groupes qui se posent en victimes, comme reflétant l’estime de soi de l’endogroupe face aux attitudes de l’Autre dominant et comme servant une thèse utile dans l’imaginaire collectif pour constituer la mémoire collective. Quant aux éléments de contre-récit qui soulignent la non-pertinence de ces significations du passé, deux thématiques populaires ressortent. La première touche la responsabilité de l’Église catholique et d’autres élites francophones dans les problèmes vécus par les francophones. La deuxième se réfère à la critique de la position trop facile de victime qui reproche à l’Autre d’être la cause de sa propre misère. Parmi d’autres thèmes pertinents pour ce qui est des éléments de contre-récit, on retrouve : le fait que les francophones ont fait leurs preuves et ont plus de pouvoir économique et politique, que le passé est manipulé par des politiciens à des fins personnelles, et que la vision incarne un esprit revanchard, qui est à l’origine du nationalisme. Les extraits de Jean- Marie incarnent bien cette tendance :

« Moi j’ai bien de misère, ça me pue au nez, c’est carrément ça, les victimes que ça soit chez les individus, que ça soit chez les peuples. J’ai bien de la misère avec les palestiniens qui se présentent toujours comme des victimes. Oui, ils sont victimes, mais en quelque part, à un moment donné, tu n’es pas juste ça une victime…Ce n’est pas vrai, il faut être réaliste. » « Non. Non. Non. Non. Il y a du monde qui gueule fort par exemple. .. Il y a du monde qui gueule fort. Des polémistes professionnels, il y en a au Québec. Des gens à la radio qui ont l’habitude de beurrer épais, puis d’exagérer, de tomber dans la démagogie. On en a. C’est eux qui peuvent laisser croire qu’on est des victimes. Les politiciens aussi, il y en a qui vont jouer la carte. Je ne considère pas les québécois comme des victimes de quoi que ce soit. C’est sûr qu’on a un contexte, on a une histoire qui est la nôtre. On n’est pas plus victime que qui que ce soit. »

Quant aux deux répondants de tendance quasi-génétique, ils vont plus loin que leurs collègues de tendance critique. En plus de reconnaître la complexité du passé et la variabilité du temps, ils donnent un caractère temporel à la vision misérabiliste en affirmant qu’elle n’est qu’une construction qui a servi une cause par le passé et qu’aujourd’hui on est prêt à passer à autre chose. Ils reconnaissent donc non seulement l’historicité de la vision, mais aussi celle des visions historiques en général. À cet effet, Robert, par exemple, estime que les visions changent et sont toujours mises de côté au gré des nouvelles découvertes en histoire. Selon lui, ceci démontre que les gens passent à un niveau de pensée supérieur et que les grands courants de pensée consistent toujours en des faits constitués des significations voulues dans la mesure où elles se tiennent.

Encore une fois, Ludovic, l’unique répondant de tendance génétique, se démarque de ses collègues par son obstination à constamment questionner et approfondir sa façon de penser, ses idées et ses discours. On dirait qu’il considère toujours la plausibilité des faits pour mieux comprendre le passé. De plus, il temporalise non seulement la vision de l’histoire et son enseignement, mais aussi nos modes de pensées actuels. Quant au dernier, il propose une probabilité nulle de répondre à des questions d’entrevue comme les nôtres concernant la vision misérabiliste si on vivait durant les années 1950.

Finalement, les trois répondants génétiques résistants reconnaissent, à des degrés différents, la complexité de la vie humaine, la variabilité du temps et la temporalité des formes de pensée humaine. Mais, quand on en vient à la vision misérabiliste, même s’ils sont capables d’y apporter des nuances, il semble qu’ils refusent de la problématiser et de la temporaliser. Ils croient que la vision misérabiliste est vraie pour le passé et que les francophones étaient conquis et soumis. Il en découle un refus de mieux saisir cet aspect du passé qui est vu de manière rigide et manichéenne pour des raisons éducationnelles (soit éthique ou politique). Les extraits de Kévin et de Jacques démontrent bien ces caractéristiques :

« Oui, sûrement [qu’on peut changer n’importe quelle vision, n’importe comment], mais en histoire il serait appuyer quand même sur des faits et essayer de faire de l’histoire le portrait de la population, le portrait le plus fidèle possible. … Je pense qu’il y a une grande vérité dans ce portrait de l’histoire difficile du peuple québécois. Le peuple québécois, à travers le temps, ont dû surmonter beaucoup d’obstacles. Et c’est justement peut-être en enseignant cette vision-là, qu’il y a le plus fidèle de la réalité historique, même si c’est quelque chose qui nous échappe assez souvent, qu’on peut aujourd’hui avoir une vision des anglophones, une vision de l’autre qui est très positive. On peut savoir que le Québec a traversé des luttes, a été en lutte contre les anglophones dans une bonne partie de son histoire, a résisté à l’assimilation, a vécu l’exploitation et regardez le Québec d’aujourd’hui et dire cette situation-là ne s’applique plus. [Les élèves doivent] être au courant que cette exploitation a existé, c’est une réalité historique. » (Kévin).

« C’est l’histoire des Canadiens-français qu’on fait. On apprend à ces jeunes leur passé. On ne peut pas dire que ce n’est pas ça. Donc, c’était le cas. Puis bon, on vas-tu sortir Bombardier puis un autre puis les huit Vachon puis les huit personnes qui ont réussi en affaire? Je vais les mentionner, mais ce n’est pas ça l’histoire des Canadiens-français, vous comprenez? Si on leur demande, quand ils viennent de finir ce cours-là, est-ce que tu as une vision misérabiliste, bien ils vont me dire oui. Parce qu’ils ont suivi le cours puis ils pensent que c’est vrai. … Je leur dis d’ailleurs que ce n’est pas des misérables parce que c’est des Français. Puis les Anglais, ce n’est pas des méchants parce qu’ils ont fait ça, c’était dans l’ordre des choses à ce moment-là. Puis, c’est tout. Puis, ça s’est réglé dans le fond. Après la guerre, la prospérité est arrivée puis c’est conjoncturel. » (Jacques).