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Conséquences de Wolbachia sur le phénotype de ses hôtes a) Wolbachia, un parasite de la reproduction

Introduction générale

I. Contexte général

2. Conséquences de Wolbachia sur le phénotype de ses hôtes a) Wolbachia, un parasite de la reproduction

Pour la majorité de ses hôtes arthropodes, Wolbachia est considérée comme un parasite de la reproduction (Werren et al., 2008; Cordaux et al., 2011). La bactérie se transmet verticalement et a su développer plusieurs stratégies lui permettant d'accroître son taux de transmission dans les populations hôtes (Bordenstein & Reznikoff, 2005; Jaenike, 2012). Si d'autres bactéries endosymbiotiques sont connues pour perturber la reproduction de leur hôte (Duron et al., 2008; Cordaux et al., 2011), Wolbachia est à ce jour la seule capable d'induire les quatre types de manipulations de la reproduction connus : l'incompatibilité cytoplasmique, le male-killing, la parthénogenèse thélytoque et la féminisation de mâles génétiques.

L'incompatibilité cytoplasmique (IC), premier effet connu de Wolbachia (Yen & Barr, 1971), observée à la fois chez les insectes, les chélicérates et les crustacés, constitue la manipulation de la reproduction la plus répandue et supposée la plus ancestrale induite par Wolbachia (Rousset et al., 1992; Werren et al., 2008). Parmi les quatre effets connus de Wolbachia, il s'agit par ailleurs du seul à ne pas induire de biais de sex-ratio. Les femelles infectées par la bactérie disposent d'une meilleure valeur sélective que les femelles non infectées, favorisant ainsi la propagation du symbiote dans les populations infectées (Xi et

al., 2005; Engelstädter & Telschow, 2009). Les femelles porteuses de Wolbachia peuvent ainsi avoir une descendance viable en s'accouplant avec des mâles infectés ou non, tandis que les femelles asymbiotiques avortent lorsqu'elles se reproduisent avec des mâles infectés (A, Figure 15) (Yen & Barr, 1971, 1973). Ceci serait causé par l'existence de deux facteurs générés par Wolbachia au sein des gamètes : le facteur "mod" (modificateur) présent dans les ovocytes, et le facteur "resc" (restaurateur) retrouvé au niveau des spermatozoïdes (Zabalou et al., 2008). La non-concordance de ces deux facteurs aboutit à une mauvaise séparation des chromosomes lors de la première mitose post-fécondation, conduisant à la mort de l'embryon (Tram et al., 2006). Enfin, deux types d'IC peuvent être différenciés : l'IC unidirectionnelle lorsqu'une seule souche de Wolbachia est impliquée, ou l'IC bidirectionnelle qui concerne plusieurs souches de Wolbachia, avec potentiellement plusieurs facteurs "mod" ou "resc" différents (A, Figure 15) (Bordenstein et al., 2001; Telschow et al., 2005; Jaenike et al., 2006; Miller et al., 2010). A l'échelle cellulaire, il apparaît que lors de l'anaphase, les chromosomes paternels sont partiellement condensés, et ainsi soit séquestrés au niveau des centrosomes, soit exclus (Lassy & Karr, 1996; Tram et al., 2006). Si les mécanismes responsables de l'IC sont encore méconnus, deux études fonctionnelles récentes,menées sur les souches de Wolbachia infectant les hôtes D. melanogaster et Culex pipiens, ont permis de mettre en évidence l'importance de plusieurs loci bactériens responsables de l'IC (Beckmann et al., 2017; LePage et al., 2017).

Le male killing provoqué par la présence de Wolbachia a pour effet la mort ciblée des embryons mâles (B, Figure 15). Cet effet est observé chez cinq ordres d'insectes mais aussi chez des acariens (Hurst et al., 2003; Cordaux et al., 2011). Cette manipulation est considérée comme avantageuse pour les femelles de la descendance car elles vont obtenir les ressources allouées théoriquement à leurs frères, avec une possibilité de consommer ces frères morts dans le cas d'hôtes cannibales (Hurst & Majerus, 1993; Elnagdy et al., 2011). Il s'agit d'un male killing qualifié de précoce car ce processus est induit au cours de l'embryogenèse, si ce n'est lors des premiers stades du développement larvaire (Kageyama et al., 2012). Si les mécanismes moléculaires responsables du male-killing demeurent encore méconnus, Wolbachia semble induire des biais de ségrégation chromatique

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durant les premières phases de développement de Drosophila bifasciata, conduisant à la mort des embryons mâles avant leur éclosion (Riparbelli et al., 2012). Plus récemment, une étude effectuée sur les lépidoptères a révélé que Wolbachia, en réprimant l'expression du gène masculinisant Masc (situé sur le chromosome Z), empêche une compensation de dosage génique efficace et conduit à la mort des embryons mâles (Fukui et al., 2015).

Dans le cas d'insectes et de quelques acariens ayant un déterminisme du sexe haplo-diploïde, Wolbachia est capable d'induire une parthénogenèse thélytoque chez les individus infectés (Stouthamer et al., 1990; Huigens & Stouthamer, 2003). Pour cela, la bactérie peut induire la diploïdisation des œufs non-fécondés qui se développent ainsi en femelles (C, Figure 15). Cette

Figure 15 : Mécanismes de manipulation de la reproduction induite par Wolbachia. A) Description des différents types d’incompatibilités cytoplasmiques (IC). Les individus peuvent être non-infectés ou infectés (notés W) par une seule souche ou par plusieurs souches différentes de Wolbachia. I) IC unidirectionnelle entre individus infectés et non infectés. II) IC unidirectionnelle entre individus infectés par les souches 1 et 2. III) IC bidirectionnelle entre individus infectés par les souches 1 et 2. IV) IC unidirectionnelle entre individus bi-infectés par 1 et 2 et individus mono-infectés par 1. Les croisements compatibles sont en vert (+) et les croisements incompatibles en rouge (-) B) Représentation du male killing induit par Wolbachia. La transmission de la bactérie est responsable de la mort des embryons mâles. C) Induction de la parthénogenèse thélytoque, caractérisée par la conversion de mâles génétiques haploïdes en femelles génétiques diploïdes. n correspond à des individus haploïdes, et 2n correspond à des individus diploïdes. La couleur violette (et bleue dans le cas de l'IC) indique les individus porteurs de Wolbachia.

C)

B)

diploïdisation peut s'effectuer selon trois modalités distinctes : (i) par absence de ségrégation des chromatides lors de l'anaphase, comme chez les guêpes appartenant au genre Trichogramma (Huigens & Stouthamer, 2003), (ii) par la fusion des deux cellules filles issues de la première division mitotique, comme chez la guêpe Muscidifurax uniraptor (Gottlieb et al., 2002), (iii) par des perturbations au niveau méiotique aboutissant à la formation d'œufs diploïdes, comme c'est le cas chez l'acarien Brevipalpus phoenicis (Weeks et al., 2001).

Enfin, un autre effet particulièrement spectaculaire de Wolbachia est la féminisation des mâles génétiques en femelles fonctionnelles (Figure 16). Il s'agit du second effet de la bactérie découvert chez les arthropodes (Martin et al., 1973). La féminisation a été découverte tout d'abord chez le cloporte commun A. vulgare (Martin et al., 1973; Cordaux et al., 2004), avant d'être établie dans d'autres espèces d'isopodes terrestres (chez A. nasatum, P. pruinosus et O. asellus; Juchault & Legrand, 1989; Marcadé et al., 1999; Rigaud et al., 1999, respectivement). Elle est de plus suspectée chez de nombreuses autres espèces d'isopodes (Bouchon et al., 1998, 2008). L'hypothèse d'une bactérie symbiotique féminisante a été proposée dès les années 1940 avec l'observation d'individus intersexués (partageant des caractères à la fois mâles et femelles) dans des populations naturelles d'A. vulgare (Legrand, 1941).

La combinaison entre des observations de forts biais de sex-ratio en faveur des femelles et la mise en place de lignées matrilinéaires (suivies de mères en filles) ont permis une investigation plus précise, jusqu'à permettre une observation par microscopie électronique d'une bactérie intracytoplasmique en 1973 (Martin et Figure 16 : Principe de la féminisation induite par Wolbachia chez des individus présentant une hétérogamétie femelle. Les mâles génétiques ZZ infectés par Wolbachia se développent en femelles phénotypiques. Au fur et à mesure des générations, le génotypes ZZ tend à envahir la population. Les individus infectés sont colorés en violet (adapté de Cordaux et al., 2011). (Par souci de simplicité, le taux de transmission de Wolbachia est considéré comme étant de 100%).

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al., 1973). Par ailleurs, la féminisation induite par Wolbachia n'est pas restreinte aux seuls crustacés, puisque ce phénotype induit a aussi été démontré chez le papillon Eurema hecabe (Hiroki et al., 2002; Narita et al., 2007) ou encore chez la cicadelle Zyginidia pullula (Negri et al., 2006, 2009). Il est cependant causé par des souches de Wolbachia génétiquement distantes de celles présentes chez les cloportes.

Les processus moléculaires responsables de la féminisation sont encore méconnus. Ils ne sont probablement pas les mêmes entre crustacés et insectes, puisque la base de la différenciation sexuelle est différente. Chez la plupart des insectes, la différenciation sexuelle s'effectue par un mécanisme cellulaire, qui se déclenche très tôt et de façon autonome au cours du développement embryonnaire (Sánchez, 2008; Gempe & Beye, 2011). L'action de Wolbachia s'effectue donc probablement de manière continue au cours de l'ensemble du développement embryonnaire, et ce dans toutes les cellules de l'organisme (Cordaux et al., 2011; Kageyama et al., 2012). Si la bactérie n'est présente que dans une partie des cellules ou si elle est éliminée par traitement antibiotique au cours du développement, alors les individus développent des phénotypes intersexués, présentant des tissus à la fois mâles et femelles (Narita et al., 2007). En revanche chez l'ensemble des malacostracés (crustacés dits "supérieurs"), comme indiqué précédemment, la différenciation sexuelle est sous contrôle hormonal avec la présence de l'hormone androgène, synthétisée par la glande androgène (Charniaux-Cotton, 1962; Martin et al., 1999; Grève et al., 2004). Par un mécanisme encore inconnu aujourd'hui, Wolbachia parviendrait à empêcher la production de cette hormone en prévenant la formation de la glande androgène, ce qui convertit les mâles génétiques en femelles phénotypiques fonctionnelles (Rigaud, 1997; Rigaud et al., 1997; Bouchon et al., 2008; Cordaux et al., 2011). Son effet pourrait être analogue à celui du déterminant génétique primaire porté par le chromosome W, à savoir qu'elle pourrait cibler le ou les gènes du déterminisme ou de la différenciation mâle (Juchault & Legrand, 1985).

b) Wolbachia, un symbiote mutualiste

L'endosymbiote Wolbachia peut aussi devenir non plus un parasite de la reproduction pour maximiser sa transmission, mais un acteur mutualiste essentiel au développement et à la reproduction de ses hôtes. C'est notamment le cas chez ses hôtes nématodes, puisque l'élimination de la bactérie par traitements antibiotiques a permis de démontrer son utilité pour la fertilité et le développement larvaire des nématodes (Taylor et al., 2005). Le séquençage des génomes de Wolbachia a permis de démontrer que des souches infectant les nématodes pouvaient générer des molécules vitales pour l'hôte, telles que l'hème nécessaire à l'embryogenèse (Warbrick et al., 1993; Taylor et al., 2005), la riboflavine et l'adénine flavine dinucléotide (Foster et al., 2005). Des analyses basées sur des données protéomiques et transcriptomiques ont aussi révélé que Wolbachia aurait non seulement un rôle antibactérien mais aussi un rôle de générateur d'ATP pour l'hôte Onchocerca ochengi (Darby et al., 2012).

La symbiose mutualiste de Wolbachia dépasse le cadre des nématodes et concerne aussi les arthropodes. Cette bactérie est connue pour entretenir une relation mutualiste avec une espèce de punaise de lit, Cimex lectularius (Hemiptera), en lui fournissant la biotine (vitamine B8) (Hosokawa et al., 2010). La souche de Wolbachia concernée est en fait la seule décrite disposant de la voie de biosynthèse complète de cette vitamine (Nikoh et al., 2014). Une étude récente souligne aussi l'influence de Wolbachia dans le cadre de la résistance antibactérienne de la drosophile (Gupta et al., 2017), en plus d'avoir un effet antiviral (Hedges et al., 2008; Teixeira et al., 2008). Enfin, l'infection par Wolbachia est aussi nécessaire à l'ovogenèse de la guêpe parasitoïde Asobara tabida (Dedeine et al., 2001). Des études ultérieures ont démontré que Wolbachia modifiait la régulation de l'apoptose des ovogonies (cellules souches de la lignée germinale femelle), rendant ainsi sa présence indispensable pour l'hôte (Pannebakker et al., 2007; Kremer et al., 2009). Ceci constitue une véritable transition d'une symbiose parasitaire vers une symbiose mutualiste par dépendance de l'hôte vis-à-vis de son symbiote.

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3. Conflits génétiques et conséquences sur le déterminisme du

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