Pour
résumer en quelques mots toute cette dis-cussion et poser nettement les indications opéra-toires qui en ressortent, je conclurai en disant :
Il y a trois degrés dans la gravitédes lésions de
l’intestin, et chacun réclame
une
action chirurgi-cale très-différente.(1) Loco citato.
—
55—
Dans
la simple piqûre ou la très-petite plaie,on a toute latitude
; on peut placer
un
fil ou s’en dispenser; on peut fermer séparément l’ouverture intestinale et celle des parois de l’abdomen.Quand
laplaie estplus étendue, ouqu’il yaune
certaine pertedesubstance, il faut fermerl’intestin
au
moyen
d’unesuture. Et pour ce qui estdu
choix à faire entreune
suture perdue etune
suture fixe, je crois, avecM.
Sédillot (1) :«Que
le danger des moindres épanchementsest si redoutable et la plas-ticité généralementsi faiblechez l’homme, qu’il estbeaucoup plus sage de retenir les fils au dehors.» Lorsque la blessure de l’intestin est plus grave encore, que la section de lacirconférence
du
con-duit est totale, ouqu’il y aune
perte de substance considérable, ilest de toute nécessité,comme
Vel-peau en
donne
le précepte, d’établir d’embléeun
anus accidentel.ANUS ACCIDENTEL.
Pour
apprécier, par laméthode
raisonnée, en dehors des résultats cliniques, l’avantageou
l’in-suffisance d’un procédé opératoire, il fautgrouper d’un côté les indications à remplir, les obstacles quel’on rencontre, et mettre en regard les
moyens
que l’on croit propres à atteindre le but.Il
me
fautdonc donner d’abordun
aperçu del’a-(1) Médecine opératoire.
—
56—
natomie etde laphysiologiepathologiques de l’anus accidentels
Anatomie pathologique.
— On
considère à l’anus contre nature trois portions :une
ouverture cuta-née,une
ouverture intestinale,un
trajet intermé-diaire.1° Ouverturecutanée.
—
Elle occupe divers points de la paroi abdominale. De sa situation dans telleou telle région découle-t-il quelque conséquence spéciale?
On
n’a encore faitaucuneremarque
à ce sujet. Cette ouverture peut être arrondie ou ova-laire,ou même
presquelinéaire. Elle estordinaire-ment
unique. Ses dimensions observées varient de 3 à 4 millimètres à 3 et 4 centimètres etmême
plus. Les bords sont indurés ou mous»saillants ou déprimés, parfois recouverts de la
muqueuse
intes-tinale, sous forme d’un bourrelet rougeâtre et hu-mide.2° Ouverture intestinale.
—
Celle-ci présente lesdeux orifices de l’intestin lésé, et entre eux parfois
une
cloison plus ou moins complète, qui est l’épe-ron. Lesdeux boutsdel’intestin,au lieu d’être acco-lés, ont étévus, dans quelques cas, éloignésl’unde l’autre. Les parois intestinales ont le plus souvent subi à ce niveau des modifications notables : le calibredu
bout supérieur estaugmenté;
celui de l’inférieur est au contraire diminué. Béjin cite—
57—
même un
cas où le rectum n’offrait aucune cavité, chezun
individu dont l’anus contre nature datait de quaranteans.En même
temps qu’il est élargi, le bout supé-rieur présente aussi de l’épaississement. Celui-ci estdû
pour la plus grande part à l’hypertrophie de la tunique musculeuse; ce qui fait que celle-ci est moins étroitement unieà la
muqueuse
et qu’on peut parfois, sans grande difficulté, décoller lesdeux membranes.
Toutefois l’on éprouverait de fréquents mécomptes, si l’on faisait de cette laxité labase d’un procédé opératoire.3° Trajet intermédiaire.
—
Il est tapissé dans toute son étendue par unemuqueuse,
qui esttan-tôt la
muqueuse même
de l’intestin, tantôtune membrane
de formation nouvelle, analogue à celle qui revêttous les trajets fistuleux.Les dimensions et la direction
du
trajet sont va-riables. Il est parfois oblique, ou bien présente des diverticulums, des anfractuosités, dus à des décol-lements des couches de la paroi abdominale. La partie la plus large estdu
côté de l’intestin, et la plus étroitedu
côté de l’orifice cutané. Il présentedeux
portionsdistinctes :une
première correspon-dant à l’épaisseur de la paroi abdominale;une
seconde,aux
parois plus ou moins allongées del’intestin. Cette portion peut former
une
sorte de cloaque appelée par Scarpaentonnoirmembraneux ou infundibulum.—
58—
En
outre, si l’on examine l’anus accidentel,du
côté de la cavité abdominale, on constate que les
adhérences entre lepéritoine viscéralet le pariétal sont plusou moins étendues. Elles sont plus
forte-ment
établiesdans les anus qui ont succédé à uneplaie que dans ceuxqui sont la suite d’une hernie.
Gomme
cette disposition s’oppose au retrait de l’in-testin, Legendre (1) y voit la raison de la rareté plus grande de la guérison spontanée, dans lespremiers
que
dansles seconds.Modifications ultérieures.
—
L’anus contre nature peut guérir spontanément; ou bien il persiste, et parfois il résiste avecune
ténacitédésespérante auxmoyens
chirurgicaux.On
aremarqué
que la gué-rison spontanée s’opère en six semaines , deux,trois, quatre mois au plus,
quand
elle doit avoir lieu. Passé ce temps, l’infirmité, abandonnée à elle-même, aune
durée indéfinie.La
guérison,quand
elle s’opèreseule, a lieu par divers mécanismes, dont l’étude présente le plusgrand
intérêt.Scarpa, quile premier, chercha à approfondirce sujet, faisait jouer
un
rôle presque exclusifà son entonnoirmembraneux;
celui-cise resserrait peu à peu, enmême
temps que l’orifice desdeux
bouts de l’intestin s’élargissait ; bientôtl’infundibu-(1) Mémoiresur l’anus contre-nature.
—
Mémoiresdela So-ciété dechirurgie, t. IV.—
59—
lum
n’était plus qu’un cordon fibreuxcomplète-ment
oblitéré, et rattachant seulement à la paroi abdominale l’anse intestinale autrefois ouverte.En
effet, Dupuytren , Legendre et d’autres ont trouvé ce cordon fibreux dans les autopsies.Pour
expliquer le retrait de l’intestin, l’élongation et leresserrement de l’infundibulum, Scarpa invoque
l’action tonique et la contractilité de l’intestin et
du
mésentère, et surtout la contractilitédu
tissucellulaire qui unit le col
du
sac herniaireaux
pa-rois abdominales. Cette interprétation a été depuis lors en grande partie confirmée.Dupuytren attribuait le principal rôle à la corde mésentérique, à laquelle il n’accordait cependant qu’une action
purement
mécanique, tandisque
Pipelet avait considéré ce repli séreux
comme un
ressort, et que Scarpa lui donnait la contractilité.
Demaux
a attribué le retrait de l’anse intestinale plus particulièrementaux
contractions répétées del’intestin; Legendre appuie cette opinion, tout en réservant
une
certaine actionaux
adhérences qui unissent la séreusede l’intestinà cellesde la paroi abdominale.Le
rôle de ces adhérences devient bien plus con-sidérable encorequand
l’anus a succédé àune
plaie 4es parois abdominales. Là, il n’y a plus de sac qui puisse former
un
infundibulum, et cepen-dant les faits prouvent que la guérison spontanée, presque aussi fréquente, s’obtient par lemême
mécanisme.
Dans
cescirconstances,il fautadmettre—
60que les cicatrices se laissent distendre sous l’in-fluence des contractions intestinales, et peut-être aussi de la traction passive
du
mésentère. Elles s’allongent pour suivre les orifices des deux bouts dans leur retrait et suffisent à former une cavité intermédiaire qui permettra le rétablissementdu
cours normal des matières.La
guérison se complé-tera ensuite par la rétraction du trajet accidentel.Cet enfoncement progressif de l’intestin dans la cavitéabdominale, cettefacilitérendue au cours
du
contenudu
canal, ce rétrécissement graduel des communications entre la cavité del’intestin et l’ou-verture extérieure, ontun
butévident, c’est d’em-pêcher les matières stercorales de venir salir le trajet au niveau del’épaisseurdes paroisdel’abdo-men.
Ce n’est que lorsque toutes ces dispositions sont prises que l’on voit se fermer l’orifice cutané et que la guérison est complète. D’où je conclus que la première et la plus importante indication que devra remplirun
procédé opératoire, c’estd’empêcher exactement le passage des matières intestinales dans la moitié externe du trajet inter-médiaire.
Dans
les modifications anatomiques opérées par l’organisme, tout est subordonné à ce résultat es-sentiel. Existe-t-ilun
éperon saillant qui rende dif-ficile le transport des matières d’un bout dansl’autre; le bout inférieur est-il très-rétréci, ce qui
amène
lemême
inconvénient, la guérison ne se fera pas.La muqueuse
intestinale tapisse-t-elle tout—
61—
le trajetjusqu’au dehors; outre qu’elle ne peut pas se souder à elle-même, elleconduiraplus facilement les fèces, qui glisseront sur sa surface
humide
et seront poussées par ses replis valvulaires. L’anussemaintiendra indéfiniment. Enfin les adhérences qui attachent l’intestin àlaparoi abdominale sont-elles assezsolides pour résister à toute distension;
il ne se formera point d’infundibulum, le dang-er ne s'éloignera pas, et l’on attendra vainement
une
issue favorable.
Remarquons
que la plupart des obstacles nais-sent et grandissent par le faitdu
temps; c’est ce qui nous explique que, lorsque la gmérison spon-tanée n’arrive pas rapidement, elle n’arrivejamais.Jecrois que je nem’exag’ère pas l’influence dé-sastreuse
du
contact des matières stercorales surles parois
du
trajet et l’importance de leur séques-tration dans l’intestin.Velpeau, dans son Traité de médecine opératoire,
exprime
une
manièrede voir tout aussi accentuée :«Je crus voir, en définitive, qu’il y avait ici
deux
obstaclesàvaincre : l’un qui tient à la nature âcre et septique des matières intestinales, l’autre qui
dé-pend
de l’induration des tissus voisins.Que
la sa-live, des larmes, de la sérosité, de la synovie, de l’urinemême,
passent ou s’eng-ag'entmomentané-ment
entredeux
points de suture, et la cicatrisa-tion n’en aura pas moins lieu, si le contactdes lè-vres de la plaie peut être maintenu. C’est qu’une solution de continuitétouchée en passant, parl’une1870.
—
Goyard. 8—
62-de ces matières, n’en est pas pour cela beaucoup moins susceptible
du
travail d’agglutination. Les matières stercoralesamènent
desconditions tout op-posées. Il suffît qu’il s’enengage
la moindrepar-celle entre lesbordsde la plaie pouréteindre la
ten-dance à l’adhésion, pourque les surfaces quien ont été lubréfiées courent risque de se mortifier. »
Le second desobstaclesdont il estparlé, l’indu-ration des tissus, a aussi une importance extrême,
et je ne veux pas chercher à l’amoindrir;
seule-ment
je ferai remarquer que cet obstacle est plus facile à supprimer que le premier. Les paroisdu
trajetsontinduréeset ne présententplus, dans une certaine épaisseur, les conditions nécessaires pour que l’adhésion se produise; on excise toute cette épaisseur. Souvent
même
il peut yavoirun moyen
meilleur encore d’échapper à cette difficulté
, c’est d’opérer et de guérir avant que l’induration ait eu
letemps d’arriver à ce degré.
OPÉRATIONS.
Lesindications sontdoncbien nettement posées
;
à part l’induration
du
trajet, elles se résument toutes en une seule, qui est capitale par elle-mêmeetquiest en
même
tempslaconclusion des autres.Il s’agitd’arrêterles matières stercoralesau moins à la limite extérieure de l’infundibilum
, afin que
la plaie des parois abdominales, dans toute son épaisseur, puisse reprendre les conditions d’une plaie ordinaire.
—
63—
Pour
atteindre ce but, il estévident que le cours des matières d’un bout de l’intestin dans l’autre devra être redevenu facile. S’il existeun
éperon saillant, il faudra donc l’enlever; si le bout infé-rieur est rétréci outre mesure, il faudra le dilater.Cette question, depuis Dupuytren et les divers an-térotomes, est à peu près résolue.
Quant
à l’indication essentielle, on ne pouvait l’aborder fructueusement qu’après ce premier pro-grès réalisé. Aussi semble-t-il que ce soit la tâche des chirurg'iensmodernes
de compléter la cure de cette repoussante infirmité et de donner avec certitudeau malade, quienestafflig'é,une
promessedéfinitive de g’uérison.