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Nous avons montré dans ce mémoire la complémentarité et la pertinence d’approches diverses pour étudier le surgissement du terme VEGAN dans la presse. Ayant déjà résumé dans chaque partie les principaux résultats obtenus, nous nous attacherons surtout ici à proposer une conclusion plus générale, et des perspectives pour un travail plus complet et abouti.

6.1. Portée et pistes pour notre travail en sciences du

langage

D’un point de vue plus méthodologique, et plus interne aux SDL, nous soulignons qu’une grande partie de ce travail est de nature plutôt descriptive, et que le choix de coupler différentes approches nous amène nécessairement à une fragmentation au moins temporaire du travail, que nous n’avons tout à fait pu effacer dans le plan et surtout l’enchaînement des différentes parties. Ainsi nous avons pu identifier quelques problématiques transversales entre les différentes parties, mais celles-ci ressemblent plus à des hypothèses de travail qu’à de véritables conclusions. Cependant celles-ci n'auraient justement pas pu être établies sans ce travail parti des données.

A ce titre, la complémentarité des approches, et notamment du qualitatif et du quantitatif, nous a parue essentielle pour le présent travail : seule la lecture des articles permet d’identifier des questions pertinentes pour une description plus quantitative, qui elle-même a permis d’identifier des articles « types » en combinant divers paramètres.

Cependant tous les éléments utilisés pour l’analyse quantitative auraient plus de poids sur un corpus plus important, que nous pourrions étendre à d’autres journaux voire d’autre aires géographiques, ou encore d’autres types de textes en adaptant certains descripteurs.

L’analyse thématique en particulier pourrait être développée, en effectuant des comptages plus rigoureux et en exploitant mieux les possibilités du logiciel Lexico ou d’un autre logiciel de lexicométrie. En effet nous avons esquissé les thèmes récurrents et explicité leurs liens les plus évidents avec le véganisme. Mais les manifestations les plus intéressantes nous semblent justement être les associations d’idées peu explicitées. Le contexte dans lequel ces liens

apparaissent et les formes qu’ils prennent nous semblent également primordiaux. A ce titre, nous pourrions coupler l’approche thématique avec les autres descripteurs mobilisés dans l’analyse quantitative.

Le détail des argumentaires et des positionnements énonciatifs pourrait être analysé dans un plus grand nombre d’articles, sans avoir à les sélectionner sur des critères aussi stricts que présentement, et notamment sans partir de l’évaluation approximative de leur teneur, notion on l’a vu toute relative. D’autres entrées d’analyse pourraient être mobilisées, comme l’usage des verbes d’expression (vocifère, s’énerve, explique…), et ceux utilisés pour exprimer des choix de consommation (exclue, bannit, préfère, évite, boude…). Nous pourrions aussi travailler sur les différents termes utilisés pour désigner les véganes, et notamment essayer d’établir des aires d’emploi pour activiste, militant, adepte, chantre... questionnement qui rejoint les analyses thématique et quantitative. D’une manière générale, nous estimons donc qu’il faudrait à la fois mener ce type de travail sur un corpus plus important, et renforcer le lien entre toutes ces approches pour produire une analyse plus explicitement cohérente, et plus synthétique, et que ce travail pourrait par ailleurs être intégré à un projet de recherche plus large intégrant d’autres disciplines, et donc nécessairement d’autres chercheurs.

6.2. Étudier plus globalement le véganisme en SHS

Nous avons déjà souligné que le thème choisi est un sujet d'actualité, polémique, et qui concerne tout le monde, à la fois dans sa vie intime et publique. Il s’agit donc d’abord de se questionner sur les implications pratiques, philosophiques, politiques du véganisme, pour les différents acteurs qu’il concerne, mais aussi ce que cela implique théoriquement pour le chercheur en SHS.

La question des interactions entre langue et société est au cœur des questionnements des sciences du langage : les causalités qui les régissent sont toujours difficiles à identifier. Aujourd’hui nous considérons généralement qu’il y a des interactions mutuelles et cycliques, sans qu’elles puissent être démêlées pour proposer des lois générales. Le présent mémoire semble confirmer l’existence d’interactions complexes entre espace géographique, groupe social, langue, mots, pratique… et dans le cas précis du terme « végane » nous avons pu identifier quelques corrélations. Nous avons notamment été surprise par l'importance de la variation d'un pays à l'autre, au sein d'un espace que nous imaginions beaucoup plus homogène. Nous nous posons alors la question : quid d'autres espaces géographiques et linguistiques encore beaucoup plus différents ?

Des questions politiques s’ajoutent, qui peuvent être liées ou non à un territoire (Les articles les plus longs / détaillés / engagés sont plutôt français : cela semble dire quelque chose de la presse en général, ou plus globalement de la « culture française ».) Mais aussi les questions de conservatisme par rapport à la langue, ou de féminisation de celle-ci, jouent à un niveau plus

formel, et également dans la teneur du contenu. La question de la virilité liée à la consommation de viande, est quant à elle beaucoup plus sociale et anthropologique.

La question à la fois politique, sociale et philosophique de l’individualisme nous a également interpelée : en travaillant l’analyse qualitative, mais aussi en parcourant le corpus, nous avons cru remarquer des positionnements un peu différents vis à vis du véganisme, en regard de cette question. Ainsi il nous semble que les journaux adoptant des positionnement plutôt libéraux (généralement dits de droite), qui valorisent la liberté individuelle, rejettent dans le véganisme ce qui semble pour eux s'apparenter de plus en plus à une injonction. Tandis que les approches plus sociales (généralement dits de gauche) valorisent la commensalité et plus généralement le partage d'aliments et de pratiques communes, et rejettent donc ce qui est assimilé à du communautarisme, et parfois la manifestation d'une richesse permettant de s’extraire de la masse des consommateurs. Nous constatons également que dans les deux cas, la tradition est valorisée même si ce n’est pas exactement la même conception de celle-ci qui est mise en avant.

Dans une moindre mesure, cela rejoint aussi l’opposition révolution VS évolution raisonnable, qui fait écho à la lutte contre le capitalisme. Il nous semble que la question économique vis à vis du sujet du véganisme est de plus en plus prégnante, à la fois dans la réalité avec le développement effectif de la consommation végane plus ou moins occasionnelle, et l’arrivée de nouveaux produits de substitution, et dans les discours, en tout cas dans les articles que nous étudions où ces produits sont de plus en plus évoqués, mais qui mettent aussi en avant la réussite économique des entreprises les proposant, et la facilité accrue pour les consommateurs de trouver ce type de produits, en valorisant leur consommation occasionnelle.

Ces évolutions posent des questions particulières pour les militants, par rapport à la définition même du véganisme : est-ce qu'il s’agit de refuser en soi de consommer des produits d’origine animale parce qu'on estime que c'est « mal » ou est-ce qu'on veut plus pragmatiquement peser sur l'offre et la demande ? Autrement dit, le véganisme est-il un principe moral ou une stratégie, et quels aspects motivationnels doivent être privilégiés ? Et comment se positionner par rapport aux multinationales qui proposent des produits véganes industriels, et notamment celles dont le fonds de commerce est la viande ? Tout cela provoque des chamboulements et des interrogations dans la pratique et le discours des véganes, plus ou moins militants, et cela pourrait être une piste d’exploration d’étudier ces discours en particulier, et notamment leur évolution, qui s’étend sur une période plus longue que pour les media grand public.

Ainsi nous pourrions dans le cadre de la continuation de ce travail, être amené à poser des questions théroiques qui dépassent le domaine des SDL. Les questions soulevées sont également intéressantes d’un point de vue anthropologique et social et par rapport à des questions d'engagement politique. En effet le sujet soulève des représentations culturelles qui semblent pouvoir varier d’un territoire à l’autre, d’une ethnie à l’autre, mais aussi d’un groupe politique à l’autre. Dans une approche plus psychologique, nous pouvons également nous demander d'un point de vue cognitif comment fonctionnent ces associations d'idées, par exemple entre capitalisme / liberté individuelle / tradition. Ces questions dépassent notre domaine de

compétence personnel, mais démontre l'apport que les SDL, qui ont beaucoup travaillé sur la question des catégorisations et des articulations logiques, peuvent amener. Un travail véritablement intéressant sur la question du véganisme serait donc pluridisciplinaire, intégrant des travaux dans d'autres domaines scientifiques, notamment ceux rapidement présentés en introduction du présent mémoire, et que nous avons tenus à distance dans le présent travail, cherchant à démontrer l'apport spécifique d'un approche plus linguistique que ce qui avait été fait jusqu'à présent.