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Cette analyse montre en premier lieu qu’au cours d’une décennie, la forme résidence est montée en généralité et s’est objectivée comme une forme suffisamment routinisée pour être désormais pleinement distincte de l’atelier, et constituer une forme d’intervention publique à part entière.

Cette institution des résidences s’est accompagnée d’un repositionnement du discours de l’État, abandonnant la reconnaissance de l’autonomie de l’artiste au profit d’une logique plus poreuse aux contraintes extérieures. La lignée de l’atelier, très présente dans le discours de 1992, se voit concurrencée en 2003 par les lignées de la commande publique et de l’animation. Le guide de 1992 témoignait en effet d’une volonté d’affirmation du principe de l’excellence artistique et de l’autonomie du créateur comme seul horizon de justification, dans une logique de mécénat caché. Le guide de 2003, en revanche, révèle un repositionnement de l’État, eu égard au développement spécifique des résidences qu’il n’a qu’en partie contrôlé, reposant sur un horizon élargi de justification ; le temps de travail de l’artiste est devenu l’élément d’une relation de partenariat plus large qui lui permet d’acquérir un nouveau statut, et une valeur d’échange accrue.

Les guides analysés rélèvent une entreprise de codification et de normalisation de la forme résidence, qui ne suit pas une logique linéaire. Mais le modèle de 2003 a-t-il remplacé celui de 1992 dans la mise en oeuvre des relations de partenariat entre artistes et structures d’accueil ? Ne doit-on plutôt faire l’hypothèse de l’existence d’une sorte de tension entre ces deux esprits ? Une analyse de terrain s’avère nécessaire pour déterminer ce qui, dans ces discours de légitimation ou d’objectivation des résidences, a pu s’inspirer et/ou contribuer à influer sur les pratiques réelles des acteurs en situation.

Mais au-delà de ces considérations, l’analyse de ces documents révèle clairement la difficulté de légitimer un soutien public au processus créatif, et la nécessaire question des finalités et partant, d’une anticipation des résultats.

Revenons au principe d’incertitude du travail artistique tel que PM Menger le définit. L’auteur explique que :

« le résultat n’est pas prédéterminé par la visée d’une fin univoque, qu’il eut été possible de spécifier conceptuellement dès l’origine et qui eût rendu l’acte de création purement fonctionnel, puisqu’ordonné en tous ses instants par la représentation complète du but. La

propriété de l’acte créateur est celle d’un acte téléologiquement orienté, mais point strictement organisable ni évaluable selon le schème fonctionnellement optimisateur de la recherche systématique d’une adéquation testable et mesurable entre une fin complètement déterminée et des moyens » (Menger, 2009 : 461).

Nous avons vu que, dès le départ, la politique de soutien aux arts plastiques mise en place par l’État a cherché à mettre en forme la production du travail, dans une autonomie maximum des artistes, prenant en compte, et plus encore affirmant, la nécessaire incertitude de l’acte de création, de sorte que le créateur soit protégé d’une évaluation immédiate des moyens qui lui sont alloués en fonction des résultats auxquels il pourrait parvenir. Mais pour que sa définition de l’incertitude permette de définir convenablement les pratiques contemporaines, P.M. Menger prend soin d’écarter en amont de sa définition,

« les cas où l’acte créateur est soumis à un cahier des charges contraignant et suffisamment étroit pour limiter à peu de choses l’initiative de l’artiste : ces cas sont très minoritaires depuis que la défonctionnalisation de l’art et la valeur d’originalité esthétique d’une part, et les moyens (juridiques, socioprofessionnels) du contrôle par l’artiste de son autonomie créatrice ont prévalu. » (Menger, 2009 : 460)

Or, au vu de l’évolution de l’esprit des résidences, il est possible de s’interroger sur le maintien du contrôle de cette autonomie créatrice de l’artiste, que ce soit par l’artiste lui-même ou par la l’État. Dès lors que les modes de partenariat dans lesquels l’artiste s’engage, intègrent son activité dans une forme contractuelle élargie qui, sans tomber directement dans le modèle fonctionnel décrit par S. Dubin, inscrit son travail dans un programme d’activités plus large, le travail acquiert une valeur d’échange. Or cette forme d’échange a ceci de spécifique que les moyens juridiques et socioprofessionnels de contrôle à disposition de l’artiste seront d’autant plus grands que des œuvres seront réalisées, que des expositions, des ventes ou des archives en seront constituées, ou encore qu’il développera des compétences secondaires d’animation ou de pédagogie. Certes, l’œuvre n’est plus porteuse d’une fonctionnalité mais c’est le temps de travail lui-même qui en incombe. Il s’agit alors de se demander dans quelle mesure un dispositif tel l’accueil en résidence peut éviter une programmation de ce qui, dans le travail artistique, correspond à sa part la plus imprévisible.

De telles mises en forme du partenariat ne signifient-elles pas, en fin de compte, la nécessaire réduction de l’incertitude, et donc une redéfinition fondamentale du processus créatif ? C’est ce que nous tenterons de questionner, dans la deuxième partie de la thèse,

à partir d’un dispositif énonciatif largement répandu au sein des structures d’accueil en résidence, et qui constitue un outil particulièrement radical de planification : l’appel à résidence.

Deuxième partie :