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Introduction de la deuxième partie

Chapitre 3 : Objectivation du partenariat entre artiste et structure

I. Choix du terrain et construction du corpus d'analyse

1. Choix du support d’analyse

Pour mettre à l’épreuve le lien entre mise en forme fortement objectivée du partenariat artiste/structure et réduction de l’incertitude sur le cours et l’issue du travail, nous avons choisi de procéder à une analyse synchronique d’une même forme éditoriale de médiation de production : l’appel à résidence. Le choix de ce document se justifie, comme nous allons le voir, par les principes généraux que nous nous sommes fixés pour répondre aux objectifs de la partie.

Nous avons, en premier lieu, cherché à identifier des lieux d’objectivation du partenariat, et avons donc privilégié les formes écrites d’inscription des règles, tout en privilégiant des documents largement utilisés par l’ensemble des acteurs, afin de ne pas, dès le départ, construire nos résultats sur des pratiques ne relevant que d’une communauté d’écriture spécifique ou localisée. Nous avons, de plus, recherché un type de document où les énoncés comportent une dimension performative dans la façon dont peut se sceller le partenariat entre artistes et partenaires. En effet, tout document écrit peut ne pas

posséder une force de prescription dans l’action. Ainsi, les documents utilisés a posteriori

par les structures pour rendre compte d’un accueil en résidence (bilans d’activités, « carnet de bord » de la résidence, bilans comptables, pages de présentation des anciens résidents sur le site Internet institutionnel) sont quelques-unes des écritures dont on ne peut pas garantir qu’elles jouent un rôle direct dans une relation de travail. Nous avons donc privilégié les documents engagés dans l’action, correspondant à la notion de « documents pour l’action » (Guyot Peyrelong, 2006), en tant qu’appui autour et par l’intermédiaire desquels les partenariats se construisent.

Nous avons répéré, sur la base de ces principes, deux corpus potentiels. Le premier est constitué des appels à résidence, que l’on trouve principalement sur le site Internet des structures et/ou sur des sites ressources qui centralisent un certain nombre de propositions destinées aux artistes. Le second document identifié comme pertinent est le contrat, la convention ou tout document signé par l’artiste avant ou à l’entrée de son accueil, qui stipule les engagements que le résident et la structure s’engagent à respecter, qu’il s’agisse du budget, du règlement interne, de la durée de la résidence, des activités à mener, etc.

Les contrats de résidence (parfois appelés « conventions ») pourraient constituer un corpus pertinent. On constate en effet que la grande majorité des structures ont institué, dès le départ ou au fil des « sessions de résidences », la mise par écrit d’un certain nombre de clauses, comme nous l’expliquait par mail la directrice d’un centre d’art :

« Effectivement nous formalisons par écrit avec les photographes concernés les éléments concernant chacune de nos résidences, ateliers, expositions, ou édition de livre. Nous ne l'avons pas toujours fait mais l'expérience prouve qu'il est indispensable pour le confort de travail de chacun que les choses soient le plus clairement et précisément définies dès le départ »

Mais ce support présente le défaut, pour le cas qui nous occupe, de n’être signé par l’artiste qu’une fois sa sélection réalisée par le lieu. Or cette sélection peut parfois avoir été faite sur la base d’une connaissance et d’une négociation préalable entre l’artiste et les membres de la structure. Dans ce dernier cas de figure, le contrat n’est potentiellement que la trace de ces échanges en amont, et n’est donc pas nécessairement valable au-delà d’un arrangement ponctuel. Entre des contrats reconduits sans modification d’une session à l’autre, et des contrats dont les clauses et les nuances terminologiques résultent d’une négociation préalable, une comparaison nécessiterait donc, pour être valide, de connaître la façon dont le partenariat se construit jusqu’à la rédaction du document (autant de réalités difficilement objectivables).

Nous avons donc choisi de constituer notre corpus à partir des documents d’appel à candidature pour un accueil en résidence (désormais désignés, selon l’appellation en usage, « appel à résidence ») par lesquels de très nombreuses structures s’adressent aux artistes pour leur proposer un accueil.

L’appel à résidence construit le partenariat et le partage d’informations selon une procédure ouverte, anonyme et standardisée, s'adressant de la même manière à tous les candidats potentiels. Il s’oppose à une sélection fermée qui se définit dans un

rapprochement continu de l’artiste et de la structure, à partir de discussions préalables. L’appel suppose également une formalisation de l’échange en amont de la sélection quel que soit le destinataire effectif. La structure doit donc fixer et codifier par avance un certain nombre d’éléments à partir desquels elle pourra décrire la relation et inviter les artistes à candidater : durée, rétribution, ressources techniques, modalités de publicisation, etc. Enfin, le recours à ce document est très répandu pour organiser les accueils en résidence. Il permet en effet aux structures de tirer profit de la surpopulation d’artistes, en s’appuyant sur un fonctionnement par projet. En s’adressant à des individus qu’elles ne connaissent pas nécessairement, elles renouvellent leurs réseaux et bénéficient, d’une façon économique, d’une réactualisation de leurs informations sur les tendances émergentes, les nouveaux talents, etc.

D’un point de vue communicationnel, nous pouvons considérer que les appels à candidature consistent en un « geste ostensif » émis, par avance, dans une « discontinuité immanente à l’action » :

« Pour coordonner à distance des activités qui se fondent sur des effets collectifs répartis, les conventions explicites sont nécessaires. Il faut pour cela détacher certains gestes de leurs actions, afin de les transformer en gestes ostensifs, vecteurs et indices d’intentions de communication, et doubler l’action mutuelle d’une communication. Comme nous pouvons détacher cette action communicative de l’action envisagée, nous disposerons alors de repères qui peuvent être fixés avant l’action, ce qui permet de résoudre les problèmes de rendez-vous et de répartition. » (Livet, 1994 : 238)

Par cette notion de « geste énonciatif » nous pouvons tout d’abord désigner l’appel en résidence comme un document réalisant une « opération de délocalisation/ relocalisation » qui

« présuppose que ce qui peut potentiellement être informatif pour un autrui distant (dans le temps et l’espace) (…) soit reconnu comme faisant partie d’un univers de sens (ce qui suppose que les individus en relation partagent plus ou moins le même “cadrage”) ». (Guyot, Peyrelong, 2006 : 49).

Ces documents consistent en une représentation des compétences, des ressources proposées et des contraintes, préalable à toute rencontre ou sélection, dans laquelle une structure construit une certaine conception de l’artiste au travail, que chaque artiste candidat ratifiera ou non. Les appels ont donc une fonction symbolique de construction d’un univers commun de normes ou de représentations, puisque c’est en fonction des

informations qu’ils contiennent qu’un certain nombre d’artistes éventuellement se reconnaître dans l’adresse qui leur est faite. Mais au-delà, la notion de « geste ostensif » souligne le fait que les appels jouent un rôle performatif décisif, dans la mesure où c’est en fonction de cette reconnaissance que les artistes vont décider ou non de faire acte de candidature. En tant qu’ « indices d’intention de communication » (Livet, 1994), ils se constituent comme des actes de langage, qui manifestent aux artistes une possibilité de partenariat, dont la réussite dépendra d’une définition partagée de la situation d’engagement potentielle. L’appel à candidature constitue donc bien un « investissement de forme » consistant à codifier des ressources, des compétences, des méthodes. Mais il est aussi le premier geste parmi la chaîne des médiations de production, sur lequel repose toute la relation à venir, ce qui en fait un bon observatoire des logiques que les scripteurs souhaitent défendre et qu’ils supposent partagées par leurs lecteurs (les artistes).

Il s'agit à présent de définir un terrain où seront prélevés ces documents pour les rendre comparables, et où les différences entre appels ne seront pas liées à des paramètres non contrôlés. Il faut donc identifier des dispositifs de diffusion des appels qui permettent aux structures de s’adresser aux artistes à une même échelle et selon un même principe de publicisation.