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Conclusion

Dans le document Ont collaboré à cet ouvrage (Page 163-169)

Comité du projet PBI Haïti

Un an après avoir quitté Haïti, enrichis par les apports des uns et des autres, nous pouvons considérer ce parcours avec plus de recul, de profondeur. Certains thèmes nous apparaissent comme les fruits essentiels de cette expérience. Fils conducteurs de nos réflexions, ils donnent du sens à ce travail, à cette rencontre avec nos partenaires haïtiens.

« Politique » et « culture » : des Droits de l’homme à l’éducation à la Paix

Dans les autres projets de PBI, le travail central est l’accompagnement protecteur. Il s’agit avant tout d’un travail de type structurel : la présence d’un observateur international réduit les risques et les peurs, en élargissant l’espace politique des militants locaux. Cet effet ne représente pas, en lui-même, un changement durable des structures sociales. Cependant, il permet aux militants locaux d’œuvrer pour modifier, culturellement et structurellement, leur environnement social vers plus de justice et de paix.

En Haïti, par contre, les demandes reçues par les organisations haïtiennes ont orienté le projet PBI vers un travail essentiellement culturel.

Le terme de culture, dans ce paragraphe, est à comprendre au sens large, non pas en référence aux différences entre cultures, mais pour le distinguer du concept de structure (rapports de pouvoir, organisation

sociale...). Les forums, les ateliers participatifs et les formations de formateurs sont des espaces qui permettent aux participants de partager et de mettre en jeu leurs représentations, leurs attitudes et leurs valeurs. En ce sens, il s’agit d’un travail culturel. Quels liens avec une violence dont la dimension structurelle est pourtant criante (inégalités, misère, oppression) ? Ces liens sont subtils et indirects. Car fondamentalement, la stratégie de PBI est restée la même : être à l’écoute et au service d’acteurs haïtiens qui s’engagent pour les Droits humains et la Paix. Nous sommes persuadés qu’ils sont les plus à même de guider un réel changement dans cette direction. Or, plutôt que nous demander de protéger leurs espaces politiques, ils ont souhaité que nous construisions, avec eux, des espaces de parole. Pour faire face à une multitude de conflits d’une grande complexité, ils ont voulu enrichir leurs réflexions, leurs échanges, leurs outils. La question est donc de savoir si nous leur avons été utiles. Voici quelques éléments de réponse.

En développant leurs compétences en transformation de conflits et en communication, des personnes, des organisations et des communautés haïtiennes se sont renforcées. Elles ont aussi mis en œuvre de nouvelles formes d’action non violente. Dans le domaine de la sensibilisation et de la formation, elles ont agrandi leur éventail de techniques d’animation participatives. Enfin, elles ont élargi leur réseau de relations, et développé de nouvelles collaborations.

Notre travail modeste ne prend sens qu’à travers les actions entreprises par nos partenaires haïtiens. Celles-ci visent, petit à petit, à changer des mécanismes et des structures sociales vers un plus grand respect des droits humains, pour construire la paix. Le long de ce chemin, nos partenaires haïtiens ont vivement exprimé le désir que les organisations non gouver-nementales étrangères continuent à s’intéresser à eux et à les soutenir.

Formation au savoir-être dans un contexte interculturel

Nous pensons qu’il n’existe, dans le domaine de la transformation de conflits ou de la non-violence active, ni vérité absolue, ni recettes garanties. Nous avons considéré le domaine du savoir-être comme primordial par rapport aux techniques (savoir-faire) et aux connaissances (savoir). Or, il est connu que le développement du savoir-être est bien plus efficace au cours d’un échange où l’un ne cherche pas à juger l’autre, qu’à travers des cours théoriques.

Les différences de culture et de contexte appuient encore les limites d’apports venus de l’Occident. D’où la nécessité d’un échange interculturel duquel puissent émerger des éléments haïtiens, ou interculturels, de culture de paix dans le domaine de la transformation non violente des conflits.

La façon de créer un espace d’échange et de parole favorable au développement du savoir-être est aussi dépendante des facteurs culturels et contextuels. Il ne s’agit pas seulement des techniques d’animation d’ateliers, mais aussi du cadre dans lequel elles se déroulent, donc de la façon dont elles sont expliquées, préparées, négociées, puis évaluées avec les demandeurs et les participants.

Dans ce domaine aussi, nous avons souhaité découvrir, par la rencontre entre les savoir, savoir-faire et savoir-être de PBI d’une part, et d’Haïti d’autre part, des concepts et outils haïtiens de formation à cette culture de paix.

Autrement dit, une formation au savoir-être dans un contexte inter-culturel implique un échange. On ne (trans-)forme que dans la mesure où l’on est soi-même (trans-)formé.

Ces objectifs ont été partiellement atteints si l’on considère le « Guide d’éducation à la Paix » réalisé lors d’un séminaire de deux semaines, ainsi que toutes les techniques d’animation développées par des animateurs haïtiens, seuls ou en collaboration avec PBI. En transformation positive de conflit, des approches ont été développées par des animateurs haïtiens (par exemple, les Groupes Shalom, à Chénot).

Cependant, cela reste pour le moment à l’état embryonnaire. Il y a peu de prise en compte formalisée des manières haïtiennes traditionnelles de gestion de conflits, par exemple. Elles sont sans doute d’une richesse exceptionnelle puisqu’elles ont permis, dans les campagnes, une coexistence souvent pacifique en l’absence de ressources étatiques. En cinq ans, PBI Haïti a peu amélioré ses connaissances dans ce domaine : autrement dit, dans les ateliers, nous aurions été ravis que plus d’éléments ancrés dans la culture haïtienne traditionnelle soient amenés par les participants. N’ont-ils parfois pas voulu, pu, ou pensé à aborder dans ce cadre les ressources, et les préoccupations conflictuelles, liées au vaudou, par exemple ? Cette question reste en suspens mais représente sans doute l’une des principales limites de ce projet.

Par contre, dans la démarche de PBI en Haïti, on a pu noter une évo-lution significative. C’est le signe d’un échange interculturel, qui se traduit aussi par l’évolution des représentations des volontaires. L’évaluatrice haïtienne, S. Manigat, comme les évaluateurs suisses, U. Mäder et H. Schmassmann, en témoignent.

Non-ingérence et formation : vers des espaces de parole

Ces deux concepts peuvent sembler, a priori, antinomiques. Mais les apparents paradoxes peuvent s’avérer très productifs. Intervenir dans des pays en conflit de manière non partisane avait permis à PBI de développer le concept « d’espace politique ». De même, travailler à l’éducation à la paix de manière non ingérente nous a poussés à créer, en partenariat avec des Haïtiens, des « espaces de parole ».

Pour réaliser ce travail, il ne suffisait pas de « répondre à des appels » : tout un travail de co-construction avec les demandeurs était nécessaire.

Depuis l’écoute et l’analyse des demandes, depuis les entretiens ou les visites préalables, se sont construits, petit à petit, des contextes propices à une formation au savoir-être, à un échange interculturel.

La non-ingérence ou le droit à l’ingérence, est devenu un thème de politique internationale (par exemple : « fallait-il intervenir au Kosovo ? »).

Pour nous, en Haïti, la non-ingérence est une démarche qui implique chaque volontaire et le projet dans un questionnement permanent. Elle n’a pas empêché, mais orienté notre action. Il s’agit donc à la fois d’un principe éthique et d’un outil pratique dans la construction d’espaces de parole.

Deux caractéristiques du projet : modestie et précarité

Les moyens mis à disposition des équipes PBI sont modestes : bénévolat, mode de vie simple... Cela n’est pas seulement le résultat de la précarité des ressources à disposition. Il s’agit également d’un choix conscient. Ce choix a permis de rencontrer, avec plus d’égalité, le peuple qui nous invitait. Bien souvent, l’argent et le mode de vie des étrangers qui travaillent en Haïti élargissent le fossé...

L’absence d’intérêt matériel lié aux ateliers (indemnités journalières, repas...) était aussi un gage de motivation. Les formations au savoir-être n’ont de sens qu’à condition d’une implication réelle des participants.

Bien sûr, cette simplicité entraîne des conditions de vie et de travail souvent pénibles. Le temps passé en transports publics, les difficultés logistiques de communication ont aussi représenté une charge importante, qui a empêché l’équipe de réaliser plus d’ateliers, par exemple. Pourtant,

ce temps « perdu » ne l’était pas dans la mesure où il s’agissait d’espaces de rencontres avec la réalité quotidienne haïtienne.

Devant la volonté de répondre aux demandes haïtiennes, la précarité de nos moyens a montré d’autres limites et dangers. Les volontaires ont dû faire face à trop d’exigences : somme de travail et de sollicitations, variété des types de tâches à accomplir, des situations de stress, et des compé-tences nécessaires, somme totale d’expérience à acquérir et à transmettre aux prochains volontaires...

Par rapport à ces problèmes, des pistes ont été imaginées1 :

− réduire le nombre de compétences exigées ou augmenter les compé-tences dans l’équipe ;

− créer un pôle de référence qui assure une transmission sur place de l’expérience ;

− s’entourer de compétences en termes de construction et d’évaluation de systèmes de formations ;

− réduire la somme de travail et la variété des types de tâches à effectuer ;

− améliorer les conditions de travail des volontaires ;

− assurer une supervision de l’équipe par une personne formée à ce type d’exercice et extérieure au projet.

Le manque de transmission et de compétences, ainsi que le roulement des volontaires, ont sans doute contribué aux limites en termes d’évolution et d’efficacité du projet. Cependant, ces handicaps ont aussi représenté des avantages.

Premièrement, une grande expérience ou des hautes compétences chez les volontaires n’auraient pas facilité la création d’un réel partenariat avec les co-animateurs haïtiens, débutants dans ce domaine. Une relation d’égal à égal était déjà très délicate à établir, étant donné les préjugés et les barrières culturelles et structurelles.

Deuxièmement, le caractère modeste et précaire du projet, lié au principe de non-ingérence et au fonctionnement par volontariat, a favorisé la création d’un réel partenariat avec les co-animateurs haïtiens. Ceci a heureusement empêché le projet Haïti de centraliser et de formaliser l’expérience de formation à la transformation non violente de conflits en Haïti. En effet, étant donné la faiblesse institutionnelle et organisationnelle de la société civile haïtienne, c’est l’équipe PBI qui aurait sans doute conservé un rôle central dans ce domaine. Le problème est que cette formalisation aurait dès lors été réalisée par les volontaires, c’est-à-dire selon un modèle culturel, ou du moins un contrôle, occidental. Cela aurait hypothéqué la valeur même de cette formalisation d’expérience. Pour

1. Elles sont détaillées dans l’annexe 4, « pistes d’améliorations possibles », p. 236.

avoir tout son sens, elle devrait synthétiser l’appropriation et l’adaptation haïtienne des concepts de transformation de conflits.

Enfin, si les volontaires avaient été les principaux dépositaires de cette expérience, la question se serait ensuite posée de savoir comment trans-mettre cette expérience aux co-animateurs haïtiens.

Une force de PBI réside donc dans sa capacité à former des personnes de toutes provenances, à devenir des « artisans de la Paix », en créant un espace de liberté pour des gens et des organisations pris dans des conflits violents. Espaces que ces gens pourront mettre à profit pour s’attaquer aux racines des injustices, sources des conflits.

La Paix est le chemin qui y conduit

Principes de non-violence, d’impartialité et de non-ingérence, moyens financiers modestes, volontariat, modèle de vie et travail en équipe, décisions par consensus : tout ces aspects de PBI ont contribué à changer, chez nos partenaires, l’image habituelle de la présence internationale en Haïti. En ne représentant pas d’intérêt matériel, PBI a proposé un type d’échange dans lequel il ne possédait pas un pouvoir de contrôle financier, et n’encourageait pas non plus la corruption. Ne fonctionnant pas selon des plans préétablis, mais seulement à partir des demandes, et en gardant le souci constant de favoriser un véritable échange interculturel égalitaire, PBI a représenté une alternative à bon nombre de programmes de formation occidentaux.

Ainsi, PBI a placé la question du « comment faire », avant celle du

« que faire » ; le savoir-être avant le savoir ; les processus décisionnels avant le degré d’expertise ; la qualité des relations avant la quantité de réalisations. De même, le but de cet ouvrage n’est surtout pas de vouloir proposer un modèle clef en main ou une stratégie à reproduire telle quelle.

PBI est en évolution constante. Les fruits de ses expériences sont très rarement formalisés. Nous avons voulu écrire ce livre pour témoigner d’une expérience riche.

Nous n’avons pas apporté la paix en Haïti et n’avons jamais eu cette prétention. Des Haïtiens nous ont invités. Nous leur en sommes recon-naissants : en cheminant avec eux, nous avons grandi.

Dans le document Ont collaboré à cet ouvrage (Page 163-169)