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L'élaboration de polymères nanocomposites et la compréhension des phénomènes thermomécaniques régissant leurs propriétés constituent une étape essentielle dans le développement de nouveaux matériaux hybrides. Le travail de thèse présenté ici s'inscrit dans ce contexte. Il a alors permis de mettre en avant l'influence de nanoparticules de silice sur les transitions physiques (transition vitreuse, cristallisation, fusion) et sur les transformations chimiques (polymérisation, dégradation) de matrices de nature différente. Les investigations ont été menées à l’aide de méthodes d’analyse thermiques conventionnelles (ATG, DSC, DMA) et atypiques (DSC multifréquence, FSC, UFSC). La démarche scientifique adoptée dans ce travail a également aidé à définir les pistes à suivre pour les études futures.

Beaucoup d’études présentes dans la littérature ont décrit l'influence des nanocharges sur les propriétés physico-chimiques des matrices polymères. Cependant, peu d'entre elles proposent une analyse de l'influence de la nanocharge sur la cinétique des transitions. L'objectif final, qui consiste en l'étude des transitions physiques dans les polymères nanocomposites a permis d'établir des conclusions pour trois matrices polymériques très différentes en terme de propriétés intrinsèques.

La première étape correspondait à l’étude de l’effet de la silice sur le comportement de l’alcool polyfurfurylique (PFA), un polymère thermodur 100% amorphe. Pour cela, il fut essentiel de comprendre les interactions qui existent entre la surface des nanoparticules et la matrice. En plus du rôle de renfort de la silice, il était également pertinent de déterminer si sa présence au sein de la matrice pouvait induire des changements dans les mécanismes du processus de polymérisation.

Les deux types de silices (SiO2(s) et SiO2(c)) dispersées dans le PFA ont conduit toutes deux à une variation de ses propriétés thermomécaniques. La modification de surface employée pour SiO2(s) a entrainé lors de son insertion dans la matrice (10% en masse) une amélioration de la stabilité thermique ainsi qu’une augmentation de la Tg et du module

élastique. Des variations de propriétés thermomécaniques sont également observées lors de l’insertion de SiO2(c) dans le PFA (5% en masse) au niveau de la stabilité thermique, de la Tg et du module élastique dans l’état vitreux et dans l’état caoutchoutique. D'autre part, il a été démontré que l'insertion de SiO2(c) dans le monomère entraine une accélération du processus de polymérisation. Ce résultat montre la présence de réactions de polymérisation dans le mélange FA/SiO2(c), même en l'absence du catalyseur (MA). Dans le cas d'un mélange combiné FA/SiO2(c)/MA, la silice favorise là aussi le processus de polymérisation.

La seconde étape était dédiée à l'étude de la cristallisation du polytétrafluoroéthylène (PTFE), un polymère thermoplastique fortement cristallin. L'analyse du comportement de cristallisation en présence de silice et avec l'utilisation de très grandes vitesses de refroidissement était nécessaire puisque le PTFE cristallise très rapidement. De ce fait, l'identification des mécanismes ainsi que de leur contribution dans la cristallisation de ce polymère et de son composite était l'élément clé de cette partie.

La cristallisation à partir de l'état fondu du PTFE a été étudiée sur une large gamme de vitesses de refroidissement grâce aux techniques de calorimétrie différentielle à balayage conventionnelle (DSC), rapide (FSC) et ultra-rapide (UFSC). La théorie d'Hoffman-Lauritzen

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a été employée et le calcul des valeurs du paramètre Kg a révélé la présence d'une transition entre les régimes de cristallisation

II

et

III

.

L'effet des nanoparticules de silice sur la cristallisation du PTFE a clairement été mis en avant avec l'étude du PTFE/SiO2(c)F. Bien que les deux matériaux présentent une température de fusion à l’équilibre identique (T0

m ~324 °C), les thermogrammes de calorimétrie différentielle ont montré que la cristallisation du PTFE est favorisée ou défavorisée en présence de silice selon la gamme de températures considérée. L'apparition de la transition entre les régimes de cristallisation

II

et

III

est toujours visible dans le cas du nanocomposite. Les valeurs du paramètre Kg montrent finalement que la nucléation des cristaux est favorisée en présence de silice pour des températures proches de la fusion. Ces résultats s'expliquent par la théorie de la nucléation hétérogène, dans laquelle les nanoparticules de silice jouent le rôle d'agent nucléant.

La troisième étape portait sur l'étude de la transition vitreuse et cristallisation du polydiméthysiloxane (PDMS) chargé en silice. Il s’agit d’une matrice présentant une fraction amorphe et une fraction cristallisable. Contrairement aux deux autres matrices, le PDMS est moins contraint. Ainsi, le but des investigations menées sur ce système était de déterminer l'effet de la silice à la fois sur la transition vitreuse et sur la cristallisation d'un même échantillon de PDMS. De la même manière que précédemment, une étude cinétique de ces deux transitions était indispensable à la bonne compréhension des mécanismes qui les caractérisent.

Les énergies d’activation apparentes calculées à partir des mesures DSC ont montré que les transitions vitreuses du PDMS et du PDMS/SiO2(c) présentent une cinétique

identique. L'évaluation de la Tg en fréquence par DMA a permis de révéler que cette transition est associée à une relaxation de type

α

présentant un caractère coopératif. Les expériences réalisées en TOPEM ont montré que la valeur des Vcrr est légèrement supérieure lors de l'insertion de nanoparticules de silice SiO2(c). D’autre part, les résultats obtenus en DSC ont montré que la silice favorise les deux types de cristallisation. Ces mêmes mesures ont mis en avant la présence d’un processus de cristallisation secondaire. La différence entre la température de fusion à l’équilibre du PDMS (T0m ~-44 °C) et celle du PDMS/SiO2(c) (T0m ~-42 °C) montre une amélioration de la perfection des cristaux en présence des nanoparticules. L'évaluation des paramètres U*, Kg a également montré que la diffusion et la nucléation sont favorisées en présence des nanoparticules de silice. La comparaison de l'ensemble des résultats obtenus pour ce polymère et son composite conduit alors à la conclusion que les nanoparticules de silice n'ont aucun effet significatif sur sa cinétique de transition vitreuse mais influencent considérablement sa cinétique de cristallisation.

L’ensemble des résultats énoncés ci-dessus montre ainsi que l'insertion des nanoparticules de silice au sein de matrices de nature différente ne conduit pas systématiquement à des variations identiques des transitions physiques (Figure VI-1). Les matrices utilisées dans cette étude se situent dans des domaines de mobilité "extrêmes". En effet, le PFA est une matrice contrainte avec peu de mobilité des chaines et le PTFE présente des énergies de liaisons intenses ainsi qu'une cristallisation très rapide. Enfin, le PDMS se présente comme un polymère souple et peu contraint comparé aux deux matrices

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précédentes. De ce fait, l'intérêt du travail réalisé ici réside dans les effets induits par les nanoparticules de silice dans ces matrices de structures très différentes.

Figure VI-1 : Les différentes transitions physiques étudiées dans des matrices polymères de natures diverses

Le choix de la taille et de la morphologie de la silice apparait comme un élement primordial. Il va conditionner l'évolution du comportement des transitions physiques et des propriétés du matériau. En effet, la taille nanométrique d’une charge confère de nouvelles propriétés à la matière. A cette échelle, le rapport qui existe entre les forces d’interaction de la matière (forces volumiques, forces de Van der Waals) est différent de celui apparaissant à l’échelle macroscopique. Ainsi, l’utilisation de la nanosilice présentée dans ce travail se justifie par cet état de fait mais aussi par l’augmentation du rapport surface spécifique / volume qui existe à cette échelle. D’un point de vue chimique, la silice sphérique élaborée selon le procédé de Stöber nécessite une modification de surface afin de la rendre compatible avec le PFA. La silice agrégée constitue un avantage comparé à la silice sphérique. En effet, sa plus grande surface spécifique et son nombre plus important de groupements hydroxyles permet de maximiser les interactions avec la matrice. Bien qu'elle nécessite également une modification de surface dans le cas du PTFE, elle peut être introduite dans le PDMS sans y avoir recours. Les résultats de cette étude ont ainsi montré que la nanosilice permet d’induire des effets sur la matrice polymère à la fois à l’échelle nanométrique, à l’échelle microscopique et même à l’échelle macroscopique.

L'effet de cette charge sur la transition vitreuse est plus marqué dans le cas d'un réseau thermodur tridimensionnel comme celui du PFA. Ce type de réseau présente une mobilité moléculaire déjà réduite qui est d'autant plus contrainte en présence des nanoparticules. Cet effet s'accompagne d'une variation des propriétés thermomécaniques telles que la stabilité thermique et la rigidité. La stabilité thermique est déjà importante dans le cas du PFA. C’est la raison pour laquelles ce type de polymère est adapté à des applications dans des conditions de hautes températures. Cependant, les nanoagrégats de silice n’influencent pas significativement la mise en mouvement des segments moléculaires

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dans les matrices élastomériques souples telles que celle du PDMS, formées de chaines longues.

D'une manière générale, la cristallisation est favorisée en présence de silice car cette dernière joue le rôle d'agent nucléant. Les matrices thermoplastiques fortement cristallines telles que le PTFE sont très employées. En effet, leur grand degré de cristallinité les rend plus résistantes aux attaques chimiques. Des contraintes topologiques fortes, induites par une matrice thermoplastique à chaines rigides comme celle du PTFE formée d’atomes de fluor, constituent cependant une entrave à la diffusion des chaines au cours de la cristallisation. Ce comportement s’oppose à celui d’une matrice élastomérique à chaines souples comme dans le cas du PDMS pour laquelle la diffusion et la structure des chaines n’est pas perturbée en présence de la silice. C’est la raison pour laquelle les matrices de type élastomérique affichent d’excellentes propriétés au niveau de leur élasticité.

Les propriétés macroscopiques d’un matériau sont intimement liées aux transitions physiques décrites ci-dessus, et à son comportement aux échelles inférieures (microscopique et nanométrique). A l’échelle microscopique, c’est l’organisation de la microstructure du matériau qui va définir les propriétés à l’échelle supérieure. A l’échelle nanométrique, c’est le degré de cristallinité d'un matériau qui conduit à une variation de ses propriétés macrosocopiques. D’autres paramètres entrent en jeu à cette échelle comme la géométrie des cristallites ou des lamelles cristallines. Ce travail de thèse réalisé au laboratoire pendant trois ans participe à la compréhension au niveau microscopique et nanométrique des mécanismes qui régissent le comportement des transitions physiques dans les matériaux nanocomposites. Nous avons vu que l'insertion de la charge ne conduit pas à la variation d'une seule propriété mais d'un ensemble de propriétés, en fonction de la matrice considérée (Figure VI-1). La variation simultanée d'un ensemble de propriétés est notamment exploitée en industrie où le meilleur compromis est recherché en fonction des besoins. Pour cette raison, les perspectives qui s'ouvrent à ce travail sont multiples. Il s'agira de se concentrer principalement sur les propriétés mécaniques macroscopiques des nanocomposites considérés dans cette étude. Le but est alors de vérifier si les propriétés observées dans l’état microscopique sont transposables à l'échelle macroscopique. Ce dernier point constitue notamment un intérêt certain en industrie des matériaux polymères. De par la variation de la transition vitreuse (et donc du volume libre) en présence de silice, des tests mécaniques de rupture et de résistance thermique sur le PFA/silice devraient être réalisés. Il serait également nécéssaire d’étudier l’influence du degré de cristallinité du PTFE/silice sur son énergie de surface. Enfin, l’étude de la résistance à l’élongation du PDMS/silice permettrait de corréler l’influence simultanée de la transition vitreuse et de la cristallisation sur ses propriétés mécaniques macroscopiques.

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