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Du clivage au sein de l’espace associatif de la mise au travail…

Ce chapitre met en lumière une série de clivages qui structurent les rapports de force, les oppositions et les alliances entre les différents acteurs et institutions impliqués dans la production de l’insertion par l’économique.

Le premier clivage se manifeste au sein du secteur associatif. Depuis la fin des années 1960, des associations gestionnaires d’établissements sociaux (clubs de prévention, foyers d’hébergement, internats éducatifs, etc.) mettent au travail les populations qu’elles prennent en

79 Circulaire 3 mai 1987 relative à l’agrément et au développement des associations intermédiaires.

80 Circulaire du ministère des Affaires sociales et de l’Emploi du 3 mai 1987 portant sur l’agrément et le développement des associations intermédiaires.

charge dans des Centres d’adaptation à la vie active (CAVA). Les travailleurs assurent l’entretien du patrimoine de l’association, gratuitement ou en contrepartie d’une faible rétribution. L’administration du ministère des Affaires sociales incite les associations placées sous sa tutelle à développer ces dispositifs qu’elle finance seule. Responsables administratifs et dirigeants associatifs partagent alors une même vision de la mise au travail, qu’ils appréhendent comme un support à l’établissement d’une relation éducative et à l’apprentissage de normes comportementales, et des populations prises en charge, caractérisées par leur déficience socio-psychologique.

Profitant du cadre réglementaire souple élaboré par l’administration de l’Action sociale, quelques associations adoptent progressivement des modalités de fonctionnement proches de celles d’une petite entreprise : adoption d’un statut d’entreprise commerciale en remplacement du statut associatif, salarisation des travailleurs, application des conventions collectives de branches, respect de la fiscalité des entreprises, accession au système bancaire, etc. Les dirigeants de ces « entreprises intermédiaires » élaborent une conception concurrente de la mise au travail. Celle-ci est moins considérée comme un support de remobilisation sociale que comme une activité professionnelle provisoire aux cours de laquelle les salariés font l’apprentissage de savoir-faire techniques et dont la finalité est de favoriser leurs chances d’accéder à un emploi ordinaire.

Les travailleurs sociaux devenus dirigeants d’entreprises intermédiaires mènent une entreprise de légitimation de leur nouvelle position professionnelle, celle de l’« éducateur entrepreneur » placé à l’interface entre le monde de l’intervention sociale et le secteur économique. Ils tentent de désamorcer les critiques dont ils sont les objets en élaborant une nouvelle conception de l’insertion par l’économique tournée vers la réalisation d’un travail salarié en entreprise et dont la finalité est d’organiser la transition des chômeurs vers le marché du travail.

… Aux définitions concurrentes de l’insertion par l’économique dans l’espace politico-administratif :

Au ministère de l’Emploi, on suit avec intérêt le développement des entreprises intermédiaires. Ses fonctionnaires souhaitent intégrer l’insertion par l’activité économique dans leurs programmes de lutte contre le chômage des jeunes. Ils voient dans les entreprises intermédiaires un dispositif complémentaire aux dispositifs de stage existants, mais dont la

finalité est identique : aménager une période de travail transitoire afin de favoriser l’accès à un emploi ordinaire.

Au tournant des années 1980, deux définitions concurrentes s’affrontent au sein de l’espace administratif. Là où l’administration de l’Action sociale conçoit l’insertion par l’activité comme un « réentrainement au travail » réservé à des « handicapés sociaux » adultes, l’administration de l’Emploi lui assigne un objectif de réinsertion professionnelle pour des jeunes peu ou pas qualifiés. Ces conceptions différentes de l’insertion par l’économique renvoient aux intérêts spécifiques à chaque administration et aux missions que leur assignent les dirigeants politiques : prendre en charge les handicapés sociaux, lutter contre le chômage des jeunes.

Ces définitions administratives concurrentes se superposent au clivage interne à l’espace associatif de la mise au travail dont elles sont en partie les produits. En effet, des rapports étroits se nouent entre les responsables administratifs et les représentants associatifs, les premiers s’appuyant sur les seconds pour élaborer la réglementation des dispositifs et négocier leur financement81. Ainsi, la réglementation sur les entreprises intermédiaires élaborée par le ministère de l’Emploi s’appuie sur les principes d’action formalisés par les dirigeants de ces structures, témoignant ainsi d’une convergence des attentes et des intérêts entre les acteurs des deux secteurs.

Ce chapitre montre qu’en matière d’insertion par l’activité économique, les pratiques différenciées entre associations ont suscité des interventions administratives concurrentes, dont l’effet a été d’accentuer, en retour, les divisions au sein de l’espace associatif. L’action administrative a pour conséquence directe d’inscrire les structures associatives dans des réglementations et des circuits de financement distincts, et de leur assigner des objectifs différents.

Enfin, ce chapitre montre que le développement d’une action associative dépend en premier lieu de sa compatibilité avec les représentations des décideurs politiques en matière d’emploi et de gestion du chômage. Ainsi, la décision du cabinet de P. Séguin, ministre des

81 Les influences croisées entre hauts fonctionnaires et dirigeants associatifs investis dans des fédérations concernent l’ensemble des politiques dont la mise œuvre est dévolue aux associations (Argoud, 1992 ; Lafarge, 2001).

Affaires Sociales et de l’Emploi, de mettre un terme au financement des entreprises intermédiaires et, dans le même temps, de légaliser l’existence des associations de prêt de main d’œuvre (rebaptisées associations intermédiaires) et de les intégrer au sein d’un programme d’action ambitieux reconfigure provisoirement l’espace associatif de la mise au travail. De ce point de vue, le pouvoir politique joue un rôle d’arbitre entre les définitions et les pratiques associatives concurrentes en matière d’insertion par l’économique.

Reste désormais à expliquer comment se structure l’espace de l’insertion par l’économique dans la décennie suivante. Comment se reconfigurent les relations entre les acteurs associatifs engagés dans des activités de mise au travail ? Quelles sont les nouvelles alliances entre leurs représentants ? Ces questions font l’objet du chapitre suivant.

Chapitre 2

La structuration de l’espace de l’insertion par