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Ce chapitre donne à voir les reconfigurations successives de la politique d’insertion par l’économique à travers l’analyse des relations entre les différents acteurs qui interviennent dans sa production. Dans cette conclusion, je reviens sur les deux principaux points qui expliquent le fonctionnement contemporain de cette politique. Le premier renvoie à l’intervention des acteurs de l’espace administratif ; le second porte sur les pratiques des acteurs associatifs.

Montée en charge et inscription de l’IAE dans les politiques d’emploi

Au cours des années 1980, les associations d’insertion par le travail sont peu nombreuses, en raison de l’intérêt relatif que leur portent les responsables des politiques de l’emploi dont l’intervention s’oriente en priorité vers la mise en œuvre de dispositifs de formation professionnelle visant à octroyer une qualification aux jeunes chômeurs. La décennie 1990 est en revanche celle du développement quantitatif de l’insertion par l’économique. Cette montée en charge s’explique par le renouvellement des modes d’interprétation du chômage. La question de la formation professionnelle des jeunes sans qualification laisse place à celle de la mise au travail des chômeurs de longue durée et des bénéficiaires de minima sociaux. Progressivement, et grâce notamment au travail de légitimation mené par des acteurs comme C. Alphandéry, l’IAE s’impose sur l’agenda gouvernemental et devient une composante centrale de cette nouvelle politique de gestion du chômage par la mise au travail.

Cet investissement politique s’accompagne d’une redéfinition des frontières et des objectifs de l’insertion par l’activité économique. Désormais intégrée aux politiques de l’emploi, l’insertion par l’activité économique a pour objet l’insertion professionnelle de populations de chômeurs ciblées en fonction de leurs difficultés. Mais cette incorporation aux politiques de l’emploi est ambivalente puisqu’elle se caractérise par deux dynamiques contradictoires. La première vise à regrouper les différentes catégories de structures d’insertion par l’économique dans un même espace, à les soumettre aux mêmes procédures de contrôle et de pilotage. Cette dynamique impulsée par le ministère de l’Emploi entre en tension avec la dynamique de spécialisation défendue par les acteurs associatifs qui cultivent leurs particularités et leurs divisions.

Principe de division, opposition et alliance dans l’espace de l’IAE

Le rapprochement dans un même espace de dispositifs différents permet de comparer l’insertion par l’économique à d’autres formes d’actions publiques qui procèdent également d’un assemblage de pratiques et d’institutions qui ont toutes une histoire particulière, à l’image de la politique culturelle (Dubois, 1999 ; Urfalino, 1996) au point que, comme pour cette dernière, on puisse employer le pluriel et parler des politiques d’insertion par l’économique. Le travail d’unification mené par l’administration de l’emploi a certes permis de regrouper des dispositifs et des acteurs dissemblables au sein d’un même espace hybride, qui réinterroge les frontières entre action publique et action privée, entre économie marchande et économie non marchande, entre secteur concurrentiel et non concurrentiel, mais également, entre chômage et salariat, entre emploi et non-emploi, du fait du caractère transitoire du passage des chômeurs dans ces dispositifs. Toutefois, la question de l’unité et de la cohésion interne à cet espace se pose dès lors qu’on s’intéresse aux organisations qui le composent et aux individus qui les dirigent.

De ce point de vue, l’étude du processus d’institutionnalisation et de sectorisation conduit par l’État ne saurait rendre compte de l’espace de l’IAE. L’analyse proposée dans ce chapitre montre que la manière dont se structure cet espace découle des pratiques et des représentations différenciées des dirigeants de structures d’insertion et de leurs fédérations. Ces pratiques et ces représentations contribuent à entretenir un ensemble de divisions et d’oppositions internes. S’opposent ainsi un pôle entrepreneurial et un pôle social de l’IAE. Le premier pôle se compose d’entreprises (sous statut de société commerciale ou associatif) inscrites sur un marché concurrentiel. L’efficacité du travail d’insertion repose alors sur la capacité de ces entreprises à placer les salariés en insertion dans des conditions de travail identiques à celles des entreprises du secteur privé lucratif. Le respect des cadences de production, la rentabilité, les temps de travail qui se rapprochent de la norme des 35 heures, l’application des conventions collectives de branche sont autant d’éléments mis en avant par les acteurs du pôle entrepreneurial pour affirmer la spécificité de leurs pratiques professionnelles. Selon eux, la finalité sociale de l’IAE, c’est-à-dire sa mission d’insertion professionnelle, est conditionnée à l’efficacité économique des entreprises qui mettent les chômeurs au travail.

Le pôle social se compose d’associations qui tirent la majorité de leurs ressources des subventions des pouvoirs publics. Les biens et services produits ne sont pas commercialisés sur le marché mais vendus, à des prix souvent dérisoires, ou offerts à des collectivités locales et des

associations. Pour les dirigeants de ces associations, l’activité économique n’a pas pour enjeu d’être rentable mais constitue un support à la résolution de problématiques sociales et/ou psychologiques individuelles. Autrement dit, la finalité sociale de l’IAE, sa mission d’insertion professionnelle, repose sur un travail d’accompagnement visant à « lever les freins sociaux » à l’emploi des salariés en insertion.

Les fédérations de structures d’insertion jouent un rôle central dans la production et la diffusion de ces différentes manières de penser le travail d’insertion. L’expertise produite par le CNEI, la fédération des structures du pôle entrepreneurial, vise à apporter un soutien aux dirigeants d’entreprises d’insertion dans le développement et la commercialisation de leur production. Les fédérations d’associations du pôle social mobilisent leur expertise pour fournir à leurs adhérents des instruments de détection et d’évaluation des difficultés rencontrées par les salariés en insertion. Toutefois, les alliances entre ces fédérations ne découlent pas tant de leur appartenance à l’un ou à l’autre des deux pôles, que de leur adhésion aux principes de division qui organisent l’espace de l’insertion par le travail. S’opposent ainsi les fédérations spécialisées qui, en affirmant la complémentarité des pôles social et entrepreneurial, souhaitent conserver la structuration de cet espace et les fédérations généralistes qui, en partant du cloisonnement des différentes catégories de dispositifs, prennent position pour une réforme profonde de l’insertion par l’économique.

Les deux premiers chapitres de cette recherche reviennent sur le processus d’institutionnalisation de l’espace de l’IAE et sur les clivages qui structurent son fonctionnement. Ils identifient les organisations qui prennent part à la construction de cet espace (administrations d’État, des collectivités locales, structures d’insertion, fédérations associatives, syndicats de salariés, organisation patronale) et analysent l’évolution de leur relations. Les chapitres suivants se centrent sur les fédérations de structures d’insertion. En s’appuyant sur leur position intermédiaire dans l’espace de l’IAE, à l’interface entre leurs adhérents et les responsables politiques et administratifs, ils explorent deux facettes complémentaires de leur action : leurs interventions en direction des structures d’insertion (chapitre 3) et leur participation à la construction de la politique d’insertion par l’économique (chapitre 4).

Chapitre 3

La « professionnalisation » des structures