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A - Concevoir une politique publique des jeux et en définir la stratégie

1 - Construire la politique nationale des jeux : une compétence interministérielle à renforcer

La loi de 2010 a fixé à la politique de l’État en matière de jeux d’argent et de hasard l’objectif « de limiter et d’encadrer l’offre et la consommation des jeux » d’où découlent les quatre objectifs de la régulation.

Après le rendez-vous raté de la revoyure, les modifications successives introduites au cadre législatif apparaissent comme autant de démembrements de la politique des jeux qui viennent, au cas par cas, en renfort d’autres politiques publiques. C’est ainsi qu’en 2014 la loi Hamon a étendu le principe de prohibition aux jeux sans prédominance du hasard, au titre de la protection du consommateur ; qu’en 2016, la loi République numérique a ouvert de nouveaux risques avec les compétitions de jeu vidéo. La loi pour l’économie bleue182, elle, pour renforcer l’attractivité du pavillon français, ouvre, en son article 51, la possibilité de casinos flottants. Au conseil des ministres du 3 août 2016 a été par ailleurs adopté un projet de loi relatif au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain qui comporte « une habilitation à légiférer par ordonnance en matière de jeux d’argent et de hasard (permettant) notamment d’abroger le régime des cercles de jeux et d’expérimenter à Paris une nouvelle catégorie d’établissements de jeux ».

182 Loi n° 2016-816 du 20 juin 2016 pour l'économie bleue.

L’évolution de la législation nationale ne permet plus de discerner de principe directeur pour la définition d’une politique publique des jeux. Dans le même temps, le secteur des jeux d’argent et de hasard se trouve de plus en plus investi par le droit européen, au nom de la libre prestation de services, de la concurrence, des normes techniques, de la prévention des conflits d’intérêt ou de l’intégrité du sport. L’exclusion des jeux du champ d’application de certaines directives et l’absence de droit dérivé spécifique n’empêchent pas l’accentuation de la pression des instances européennes.

La France a tout intérêt à définir sa propre politique publique des jeux qui, tout en prenant en compte les exigences européennes, permette un développement maîtrisé d’un secteur économique en pleine évolution, porteur d’activités et d’emplois.

Il appartient aux administrations centrales d’assurer ce rôle de conception et de participation à l’élaboration des politiques nationales, au contrôle de leur application, à l’évaluation de leurs effets183.

S’agissant de la politique des jeux, les objectifs d’intérêt général qui justifient, au regard du droit européen, des restrictions à la libre prestation de service sont portés par plusieurs services ministériels. Le ministère de la Santé (direction générale de la santé) et le ministère de l’Economie (DGCCRF) sont compétents en matière de prévention du jeu excessif et pathologique et de protection du consommateur. Le ministère des Sports est compétent en matière d’intégrité des manifestations sportives, supports des paris. Le ministère de l’Intérieur (DLPAJ) est compétent en matière de libertés publiques et d’ordre public.

Au niveau national, la compétence historique de la direction du budget garde sa pleine actualité, en l’état des finances publiques nécessitant à la fois la maîtrise des dépenses et la préservation des recettes publiques. À l’implication également historique du ministère de l’agriculture en faveur de la filière équine, il conviendrait d’ajouter celle grandissante du ministère de l’économie (DGE) au titre de l’économie numérique.

Il conviendrait ainsi, dans un comité interministériel comprenant l’ensemble de ces ministères de proposer une politique publique des jeux eurocompatible, dotée de principes directeurs, et qui tienne aussi compte de légitimes intérêts nationaux. C’est à ce niveau que doivent être préparés le champ et les orientations générales de la politique des jeux d’argent et de hasard dont les pouvoirs publics souhaiteront se doter.

Le principe organisateur de la politique des jeux, aujourd’hui par dérogation à une prohibition, les objectifs de cette politique, le cadre institutionnel de la régulation, le statut des opérateurs sous monopoles, le champ des droits exclusifs et celui ouvert à la concurrence, les catégories de jeux autorisés, les catégories d’établissements suceptibles d’être agréés comme points de vente, toutes ces compétences relèvent des administrations centrales pour être soumises aux autorités politiques, Gouvernement et Parlement. Il en va de même de la fiscalité des jeux qui relève de la politique budgétaire et fiscale, préparée par les administrations du Budget et de la DGFiP.

183 Article 3 du décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration.

2 - Donner de la visibilité aux opérateurs

Face aux mutations économiques et technologiques du secteur des jeux, les pouvoirs publics doivent élaborer une stratégie qui donne de la visibilité aux opérateurs nationaux.

Le principe d’interdiction a donné lieu à des dérogations successives faisant de la France un marché d’une importance comparable à celui de pays ouverts à la concurrence. Les consommateurs français ne sont plus un public captif. Ils sont demandeurs d’une offre de jeu diversifiée et innovante, rapidement renouvelée qui, si elle n’est pas disponible dans le secteur légal, pourra prospérer illégalement et sans apporter de recettes publiques à la France.

Les opérateurs historiques, FDJ et PMU, qui se sont développés à l’abri de droits exclusifs, sont des acteurs significatifs sur un marché désormais largement mondialisé qui recèle des enjeux technologiques et économiques que la France ne peut ignorer. Ces opérateurs nationaux disposent d’un réel potentiel de développement dont les conditions d’épanouissement ne sont pas aujourd’hui réunies.

Aujourd’hui bien placés au niveau international, ces grands opérateurs nationaux sont confrontés à des enjeux stratégiques face auxquels ils risquent de rester démunis soit par leur statut, soit par leur insuffisante capacité d’action. Les opérateurs alternatifs, quant à eux, peinent à atteindre une rentabilité. Tous ont besoin de visibilité.

Le monde des jeux est bousculé par la révolution numérique qui provoque une réelle rupture en quelques années. Le concept de jeu s’entend dans un sens nouveau où les notions de mise initiale et d’espérance de gain s’estompent. Les propositions, dans le cadre du e-sport, des jeux vidéo ou sur smartphones, effectuées en ligne par divers acteurs d’expériences de jeu échappent aux définitions habituelles. Ces opérateurs en attendent une rémunération même si ce n’est pas sous forme de mises mais de participation au jeu ou de droit d’entrée. Le joueur n’en attend plus le gros lot mais, outre le plaisir récréatif, des avantages pouvant plus ou moins directement être monnayés. Les pouvoirs publics doivent définir une stratégie par rapport à ces évolutions.

Soumis à une pression croissante des instances européennes, le dispositif français doit s’adapter, anticiper et conserver une capacité d’influence. La France qui, après la loi de 2010, était suffisamment exemplaire pour exercer une influence forte au niveau européen, se fait distancer. Il serait bienvenu de reconquérir cette capacité d’influence et de régler tous les problèmes non essentiels qui peuvent l’amoindrir.

L’État doit contribuer à cette stratégie nationale, en lien avec l’ensemble des acteurs et pas seulement ceux de sa sphère : cela implique les collectivités locales, les opérateurs hors droits exclusifs, les parties prenantes des enjeux sociaux associés aux jeux et les filières bénéficiaires comme le sport ou l’hippisme. L’espace de concertation que constituait le CCJ ayant été supprimé, il convient de rechercher de nouvelles modalités de travail. La mise en place d’une autorité unique de régulation pourrait en offrir l’occasion.

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