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Le non-concernement vis-à-vis des droits sociaux et des institutions publiques

Il est toutefois possible de se référer aux travaux sur la notion de non-concernement pour comprendre comment le manque d’information joue dans le non-recours des jeunes à l’aide publique. Cette notion est issue d’une recherche portant directement sur le phénomène du non-recours aux institutions d’insertion dans les parcours d’insertion des jeunes peu ou pas diplômés. Les résultats de cette recherche sont issus d’une méthodologie qui combine des entretiens avec des jeunes sans emploi étant ou ayant été en situation de non-recours aux institutions d’insertion, des entretiens avec différents professionnels de jeunesse et des observations ethnographiques de situations d’interaction entre des jeunes et des professionnels de jeunesse (Chauveaud et al., 2016a ; Chauveaud, et al., 2016b ; Vial, 2016 ; Lévy, Vial, 2017 ; Vial, 2018).

La notion de non-concernement renvoie au fait que les jeunes en situation de non-recours ne se sentent pas concernés par les droits et les services auxquels ils peuvent prétendre. Cette notion émerge d’une série de constats empiriques sur les rapports que les jeunes entretiennent avec les droits sociaux et les institutions publiques. De prime abord, les jeunes apparaissent relativement indifférents vis-à-vis des droits sociaux auxquels ils peuvent prétendre. Cette indifférence est directement liée à un manque d’information. Mais cette indifférence exprime en même temps une prise de distance volontaire de la part de certains jeunes vis-à-vis des institutions publiques. C’est pourquoi la notion de non-concernement va au-delà du simple manque d’information pour expliquer le non- recours des jeunes à l’aide publique et articule ainsi le non-recours par non-connaissance et le non- recours par non-demande. La notion de non-concernement est également intéressante à prendre en compte dans les relations que les jeunes construisent avec les professionnels. Le fait que les jeunes se montrent concernés et engagés dans la relation d’accompagnement est une disposition qui facilite l’accès aux droits et aux services délivrés par les institutions d’insertion. C’est pourquoi la perception par les professionnels du non-concernement de certains jeunes, qui fréquentent les institutions d’insertion sans jouer le jeu de l’accompagnement social, alimente aussi des formes de non-recours par non-proposition et par non-réception. Dans la mesure où le non-concernement est susceptible de jouer dans les quatre formes de non-recours identifiées par la littérature scientifique, il peut être considéré comme la raison première et majeure du non-recours des jeunes à l’aide publique.

Le non-concernement des jeunes vis-à-vis des droits sociaux et des institutions publiques prend d’abord une forme passive qui renvoie au non-recours par non-connaissance. « La forme passive du non-concernement s’explique d’abord par un manque d’information et de sensibilisation des jeunes sur les droits sociaux. Quel est le contenu concret de ces droits ? Quelles sont les modalités pour y accéder ? À quels professionnels ou à quelles institutions publiques s’adresser ? Le manque objectif d’information alimente une faible sensibilité des jeunes aux éléments d’information susceptibles de circuler dans leur environnement social. Les jeunes qui font l’expérience du non-recours déplorent ainsi le manque de préparation des individus à l’univers des institutions publiques, aux démarches administratives, aux conditions d’accès à la protection sociale, etc. » (Vial, 2017, p. 112-113.) La recherche informationnelle est par ailleurs une activité socialement située et donc traversée par un certain

LE NON-RECOURS DES JEUNES ADULTES À l’AIDE PUBLIQUE

nombre d’inégalités. Le non-recours par non-connaissance est ainsi lié à l’horizon informationnel des individus, c’est-à-dire aux sources considérées comme pertinentes lorsqu’une personne recherche de l’information. Selon une recherche réalisée au Québec, « ce sont les personnes les plus proches qui vont constituer les sources et les soutiens informationnels les plus significatifs. Cette proximité fournit des indices sur les critères de légitimité ou de crédibilité informationnelle sur lesquels s’appuie le jeune adulte en matière d’information sur la formation et le travail. Ce n’est pas tant la recherche d’objectivité que la manière dont le jeune adulte conçoit comment sa recherche d’information peut être satisfaite qui semble importer. » (Supeno, 2016, p. 8.)

Le non-concernement des jeunes vis-à-vis des droits sociaux et des institutions publiques prend ensuite une forme active qui renvoie au non-recours par non-demande. « La forme active du non- concernement s’explique par le fait qu’une partie des jeunes préfère, au moins pour un temps, se passer de l’aide publique. Cette préférence tient à l’idée que les individus se font de ce que proposent les institutions d’insertion, ainsi qu’au rapport que chacun construit au fait de demander une aide sociale. La perspective de se voir proposer un retour en formation n’est pas la première des options envisagées pour des jeunes marqués par une mauvaise expérience scolaire. Les étiquettes de “jeune décrocheur” ou de “jeune en insertion” peuvent être difficiles à porter. S’affirmer non concerné est ainsi une façon de marquer ses distances avec une offre de droits ou de services perçue comme inutile ou stigmatisante. Dans le modèle français du passage à l’âge adulte, se débrouiller par ses propres moyens pour trouver un emploi et gagner son indépendance peut alors apparaître comme une porte de sortie pour faire sa place dans la société. » (Vial, 2017, p. 112-113.)

Les formes passives et actives du non-concernement éclairent les relations possibles entre le non- recours par non-connaissance et le non-recours par non-demande. La notion de non-concernement permet ainsi de ne pas réduire la non-connaissance à un manque d’information et la non-demande à une posture réfractaire vis-à-vis de l’aide sociale. Il semble en effet que la non-connaissance et la non- demande s’alimentent mutuellement dans le non-recours des jeunes à l’aide publique. D’une part, le manque d’information s’explique par un manque de sensibilisation des jeunes aux droits sociaux et aux institutions publiques. Pour une partie des jeunes, le manque d’information ne constitue pas véritablement un problème dans la mesure où la connaissance des droits sociaux et des institutions publiques n’est pas identifiée comme un enjeu important. Le manque d’information sur les possibilités existantes et sur les démarches concrètes à réaliser alimente ainsi une absence de demande vis-à-vis des institutions d’insertion. D’autre part, le désintérêt pour l’offre de formation et la volonté de se débrouiller par ses propres moyens peuvent aussi s’expliquer par les représentations que les jeunes construisent sur la formation et sur l’aide sociale. Or, ces représentations sont liées aux informations dont les jeunes disposent sur les formations et les aides financières proposées. Le manque de communication sur le contenu et les conditions d’accès aux dispositifs participe à la diffusion de représentations négatives sur les institutions publiques. Ce manque de communication induit également un rapport entre les jeunes et les institutions qui complique encore davantage les démarches des jeunes qui ne se sentent pas capables ou pas légitimes de recourir à l’aide publique. La notion de non-concernement travaille les articulations entre le non-recours par non-connaissance et le non-recours par non-demande et permet ainsi de comprendre plus finement les rapports que les jeunes en

INJEP NOTES & RAPPORTS/ REVUE DE LITTÉRATURE

situation de non-recours construisent avec les institutions d’insertion. « La logique du non-concernement renvoie finalement à trois dimensions : la sensibilité des individus à l’information sur les droits ; la perception de l’intérêt d’y avoir recours ; le rapport au fait de demander une aide. » (Vial, 2016, p. 86.)