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Cette catégorie des jeunes NEET fait toutefois l’objet de nombreuses critiques dans les travaux scientifiques. Ces objections constituent des points de vigilance à garder à l’esprit au moment d’analyser le processus par lequel le non-recours des jeunes adultes devient un problème public en France. La première critique adressée à cette catégorie pointe la grande hétérogénéité des situations et des expériences sociales rassemblées sous une même étiquette. Mobilisée sans précaution, la catégorie ne rend pas compte de la plus ou moins grande vulnérabilité des individus et de la diversité des expériences vécues qui peuvent également être positives du point de vue des intéressés (Hamel, 2016 ; Vultur, 2016). Le rapport Eurofound distingue à ce titre cinq sous-groupes au sein de la catégorie des NEET : les « engagés », les « chercheurs d’opportunités », les personnes « indisponibles » ; les « chômeurs disponibles » ; et les « chômeurs découragés » (Eurofound, 2012). Valentina Cuzzocrea insiste également sur la nécessité de situer les analyses selon les contextes socioéconomiques et politiques dans lesquels les jeunes construisent leurs parcours (Cuzzocrea, 2014 ; Loncle, Muniglia, 2010, 2011). De fait, selon le régime de citoyenneté socioéconomique réservé aux jeunes, les politiques publiques n’offrent pas les mêmes possibilités aux individus (Chevalier, 2016 ; Van de Velde, 2008a, 2008b). Dans le cadre d’une enquête par récits de vie auprès de jeunes âgés de 18 à 35 ans dans quatre grandes villes (Madrid, Montréal, Santiago, Paris), Cécile Van de Velde repère l’existence d’au moins trois types d’expériences vécues par les « NEET » (« alternatives » ; « suspensions » ; « impasses »). Ces types d’expériences sont construits selon deux variables principales : l’horizon temporel dans lequel elles s’inscrivent, et le rapport individuel et subjectif que les individus construisent avec ces expériences selon qu’ils les ont plus ou moins choisies ou subies : « L’expérience alternative s’apparente à une mise en marge durable et volontaire du système. […] L’expérience de suspension correspond davantage à un retrait transitoire des occupations socialement attendues – formation ou emploi – avec l’objectif de se réengager, à court ou moyen terme, dans une autre occupation sociale. […] L’expérience de l’impasse correspond à un retrait apparent de la vie éducative ou professionnelle, s’étalant dans la durée, lorsqu’une phase d’attente prolongée se mue en trajectoire d’enlisement et d’impasse sociale subie. » (Van de Velde, 2016, p. 19.)

Dans le cadre de ce travail, Cécile Van de Velde insiste sur le caractère dynamique de ces expériences et donc sur la porosité possible entre les types. Le caractère statique de la catégorie des NEET renvoie en effet à la deuxième critique qu’on lui adresse. Le taux de NEET mesure une réalité à un instant « t » sans tenir compte des trajectoires « yo-yo » caractéristiques de cet âge de la vie (Furlong, 2006 ; Loncle, Muniglia 2010, 2011). C’est pourquoi il est préférable, dans la mesure du possible, d’analyser les parcours d’insertion et d’accès aux droits dans une perspective longitudinale (Guégnard et al., 2017). La troisième critique formulée à l’encontre de

LE NON-RECOURS DES JEUNES ADULTES À l’AIDE PUBLIQUE

la catégorie des NEET est qu’elle est centrée sur la norme de l’emploi qui met à l’index tous ceux qui n’y répondent pas. Le principe cette catégorie en creux est en effet de repérer les populations « échappant aux radars statistiques » (Van de Velde, 2016, p. 18) et de les « qualifier par leurs manquements » (Loncle, 2016, p. 13). « En soi, la catégorie porte une injonction à “être” quelque part, à avancer continuellement dans les voies socialement tracées de l’éducation et de l’intégration » (Van de Velde, 2016, p. 18). Patricia Loncle rappelle ainsi « l’usage négatif (à la fois stigmatisant et relevant des paniques morales) qui peut être fait de certaines catégories d’action publique », soulignant leurs « impacts profonds sur les modalités concrètes d’accompagnement des publics », et regrettant par ailleurs la faible remise en question du « poids des institutions et des contextes structurels sur les comportements et les difficultés rencontrées par les jeunes » (Loncle, 2016, p. 13). Prise comme telle, la catégorie des NEET ne s’intéresse pas à la valeur des activités poursuivies en dehors de l’emploi qui peuvent alors être considérées comme foncièrement inutiles et potentiellement déviantes. Elle s’inscrit en ce sens dans les théories néoclassiques du capital humain « qui postulent qu’une personne qui n’est pas au travail ou en formation est privée d’occasions d’accumuler le capital humain nécessaire à s’insérer de manière productive dans la société, accroissant ainsi rapidement ses risques d’exclusion » (Bourdon, Belisle, 2016, p. 4).

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NEET, inégalités entre jeunes et non-recours

Ces discussions sont précieuses pour mieux comprendre les contextes dans lesquels le non-recours émerge comme problème public. Les préoccupations politiques, économiques, sociales, et morales autour de la catégorie des NEET sont fortes. Elles se retrouvent concernant les jeunes en situation de non-recours et reflètent les injonctions qui pèsent sur les jeunes adultes de suivre les rails de la formation et de l’emploi. La diversité des expériences sociales des NEET rappelle les inégalités entre les jeunes qui ne disposent pas des mêmes ressources et n’ont pas nécessairement la possibilité de bénéficier de politiques publiques inexistantes, insuffisantes ou défaillantes. Les trois types d’expériences sociales relevés par Cécile Van de Velde (« alternatives » ; « suspensions » ; « impasses ») montrent également que les formes de non-recours qui peuvent concerner les jeunes ne sont pas du même ordre (Van de Velde, 2016). Du point de vue des pouvoirs publics comme de celui des individus, le non-recours ne porte pas les mêmes significations, ne soulève pas les mêmes enjeux et ne pose pas nécessairement problème. Si le non-recours à l’aide publique accentue généralement la vulnérabilité des individus, il prend également la forme d’une contestation, voire d’une émancipation des normes sociales dominantes (Lévy, Vial, 2017). Il s’agit alors de prêter attention à la façon dont le non-recours des jeunes est ou n’est pas constitué comme problème public selon les situations et les contextes. Il s’agit également de voir dans quelle mesure les catégories mobilisées par les pouvoirs publics s’ajustent aux expériences sociales des individus rassemblés sous une même étiquette (Cuzzocrea, 2014). L’approche par le non-recours des expériences sociales des NEET offre certaines perspectives pour répondre aux critiques adressées à cette catégorie. Cette approche facilite un travail d’objectivation des représentations sociales négatives qui pèsent sur les jeunes NEET présumés éloignés des institutions publiques et des normes sociales. Elle permet également de questionner les logiques sociales, institutionnelles et politiques à l’œuvre dans la construction de cet éloignement. Cet éloignement est-il réel ou supposé ? Comment le mesurer ? Comment le qualifier ? Qui en a la responsabilité ?

INJEP NOTES & RAPPORTS/ REVUE DE LITTÉRATURE

La mise en visibilité du problème public du non-recours des jeunes