• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 Méthodologie de conception d’un système cobotique

3.2 Approches méthodologiques pour la cobotique

3.2.4 La conception centrée utilisateur

La conception centrée utilisateur prend en compte les utilisateurs finaux, ici les opérateurs, tout au long du processus de conception (Nielsen, 1993; Norman, 1988). Elle postule que les utilisateurs sont les mieux placés pour guider et intervenir, et doivent être au centre de la démarche de conception, dans une approche centrée sur l’homme et ses besoins plutôt que sur les besoins technologiques. D’après la norme ISO 9241-210 (2010), les principes de la conception centrée utilisateur sont :

- la compréhension des utilisateurs, des tâches et des environnements ;

- l’implication des utilisateurs dans la conception comme source de connaissances et pour évaluer des solutions ;

- l’évaluation centrée sur l’utilisateur ;

- le caractère itératif du processus de conception ;

- la prise en compte de l’intégralité de l’expérience utilisateur (toutes phases de vie, modes de fonctionnement, caractéristiques personnelles) ;

- la constitution d’une équipe de conception pluridisciplinaire.

Les intérêts d’une conception centrée utilisateur pour un système sont décrits dans la norme ISO 9241-210 (2010). Ils comprennent l’augmentation de la productivité et de l’efficience, la facilitation de la compréhension et de l’utilisation, et donc de la formation, l’amélioration de l’utilisabilité et l’accessibilité, le renforcement de l’expérience des utilisateurs, la réduction de l’inconfort et du stress, et donc un progrès pour la santé et le bien-être. La norme décrit également le cycle itératif de conception centrée utilisateur en quatre étapes principales (cf. Figure 40).

La première étape est la compréhension et la spécification du contexte d’utilisation (1), c’est-à-dire la prise en compte des utilisateurs et parties prenantes (leurs caractéristiques et leurs objectifs) et des environnements d’utilisation (technique, physique, social et culturel).

La deuxième consiste à spécifier les exigences utilisateur (2), incluant le contexte d’utilisation, les besoins de l’utilisateur, les connaissances/normes/directives pertinentes, l’utilisabilité et l’organisation du travail.

Ces deux premières étapes constituent la spécification fonctionnelle.

La troisième étape est la production des solutions de conception (3), qui comprend deux sous-étapes intimement imbriquées l’une dans l’autre. La conception satisfait aux exigences de l’utilisateur, en identifiant les tâches et sous-tâches et leur allocation à l’utilisateur et à d’autres parties du système. La conception et sa formalisation (sa matérialisation à l’aide de scénarios, de simulations, de modèles, de maquettes, de prototypes) sont indissociables, et mises en œuvre conjointement.

Enfin, la quatrième étape vise à évaluer la conception (4) pour collecter de nouvelles informations sur les besoins des utilisateurs, fournir un feedback sur les avantages/inconvénients des solutions, vérifier la satisfaction des exigences des utilisateurs, et comparer les options de conception. Pour évaluer la conception, il y a deux grands types d’approches : les essais utilisateur et l’évaluation fondée sur l’inspection à partir de lignes directrices ou d’exigences sur l’utilisabilité (évaluation faite par des experts en utilisabilité).

Planifier le processus de conception centrée sur

l’opérateur humain

(1) Comprendre et spécifier le contexte d’utilisation

(2) Spécifier les exigences utilisateur

(3) Produire des solutions de conception satisfaisant aux exigences utilisateur (4) Évaluer les conceptions

par rapport aux exigences La solution de

conception satisfait aux exigences utilisateur

Itérer, le cas échéant

Figure 40 : Cycle itératif de la conception centrée utilisateur de la norme ISO 9241-210 (2010)

Pour les « essais utilisateur », il convient de déterminer des critères d’évaluation, une méthode, puis d’évaluer le respect ou non des critères en suivant la méthode (NF EN 614-2+A1, 2008). En fonction du besoin, une ou plusieurs des méthodes ci-après peuvent être employées : discussions de groupe, entretiens, questionnaires, listes de contrôle, études d’observation, analyse des accidents importants et évaluations psychométriques.

Il existe différentes normes et méthodes qui donnent des recommandations aux concepteurs pour évaluer avec expertise les conceptions, sur la base d’une conception centrée utilisateur (NF EN 614-1+A1, 2009; NF EN 614-2+A1, 2008; Nielsen & Molich, 1990; Scapin & Bastien, 1997; Shneiderman, 1986). Puisqu’elles sont détaillées plus longuement dans la thèse de Roche (2015), nous ne les discuterons pas plus en détail dans cette thèse.

Boy (1998) résume l’objet de la conception centrée utilisateur à l’Artefact67, l’Utilisateur, la Tâche, et l’Organisation (pyramide AUTO), sans oublier leurs interconnexions. Il a par la suite ajouté le S pour désigner la Situation (Boy, 2003). Toutes ces dimensions doivent être prises en compte dans une conception itérative des outils et des usages.

Si nous reprenons notre modèle du système cobotique en miroir du modèle AUTOS de Boy, on s’aperçoit que les visions sont très proches (cf. Tableau 17).

Organisation Tâche Situation Artefact Utilisateur Social (environnement social) Analyse de l’activité (opérateur) et de la tâche (tâche) Conscience de la situation (l’opérateur dans la dynamique de la situation) Ergonomie, formation (système robot avec l’interface et expertise de l’opérateur) Organisation - Analyse des métiers

et des rôles (organisation et expertise opérateur-robot pour réaliser la tâche) Coopération et coordination (organisation opérateur-robot pour la tâche) Émergence, évolution (globale de l’ingénierie à l’utilisation)

Tâche - - Action située

(l’opérateur dans la dynamique de la situation) Exigences techniques et organisationnelles (tâche)

Situation - - - Utilité et utilisabilité

(système robot)

Tableau 17 : Croisement de la pyramide AUTOS (Boy, 2003) avec le système cobotique (en italique)

Boy (2009), avec son modèle de conception de l’« orchestre » (Orchestra Model), propose une approche d’ingénierie basée sur les scénarios et développée à partir du savoir et du savoir-faire des experts. Ainsi, on laisse aux opérateurs, devenus « musiciens », la « partition » (travail prescrit) nécessaire et la « liberté » (marge de manœuvre) suffisante à l’expression musicale en « orchestre » (régulations des situations réelles). Le modèle de l’orchestre comprend :

- la théorie musicale : vocabulaire, contexte, ensemble de connaissances qui permettent aux agents de se comprendre ;

- les partitions : rôles prescrits de chaque agent et des interactions prescrites entre agents ; - les compositeurs : organisent et ajustent les rôles des agents et leurs interactions ;

- le chef d’orchestre : réassigne les fonctions/rôles aux agents pour répondre aux contraintes réelles, notamment des contraintes temporelles et de timing ;

- les musiciens : sont compétents pour réaliser leurs tâches, répondre à leurs fonctions, mais comprennent également suffisamment les autres agents pour, dans l’idéal, avoir une compréhension commune de la situation. Ils peuvent avoir besoin de médiation ou d’être supervisés si leur représentation de la situation est insuffisante.

Suivant ce modèle, le robot est un « agent artificiel » auquel on peut également laisser de la marge de manœuvre malgré ses propriétés singulières comparées à celles d’un « agent humain ».

La conception centrée opérateur semble tout à fait répondre au besoin d’une meilleure intégration de l’homme dans la conception, en spécifiant ses besoins et ses attentes et en concevant et évaluant avec lui les solutions techniques dans une démarche itérative. Seulement, sa mise en œuvre dans l’industrie n’est pas triviale, c’est pourquoi nous nous appuierons sur les théories et pratiques de l’ergonomie pour dégager une conduite de projet compatible avec la conception centrée utilisateur. Nous en préciserons ensuite les deux phases clés qui sont l’analyse de l’activité et les simulations.