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Chapitre 3 Méthodologie de conception d’un système cobotique

3.4 Ingénierie des systèmes cobotiques

3.4.4 Analyse des risques d’un projet cobotique

Un risque est un évènement indésirable (coût) et incertain (probabilité) qui n’est pas intégré explicitement dans le plan (Hoc, 2004).

Les risques peuvent être liés au fonctionnement futur de la solution (inadaptation au besoin, performance insuffisante, sécurité des opérateurs négligée en conception, situations menant à des erreurs humaines, solution rejetée par les opérateurs, etc.) ou plus largement à l’entreprise (un budget dépassé, planning décalé, ressources humaines plus mobilisées que prévu, etc.).

L’analyse des risques permet l’anticipation de ces éventuels problèmes qui pourraient survenir lors d’un projet. La gestion des risques qui en découle met en place des actions pour en améliorer la maîtrise. Un des moyens de réduire de nombreux risques est d’intégrer les parties prenantes ayant les compétences pertinentes dans le projet, dont bien entendu les opérateurs. Les systèmes à risques doivent être co-conçus par les futurs utilisateurs et les concepteurs de façon incrémentale afin de mieux anticiper les situations d’utilisation, et notamment les situations à risque (Boy, 2011).

En général, les risques liés au système sont traités par une AMDEC82, qui est l’analyse des problèmes éventuels de la solution. Elle consiste à réaliser (Garrigou, Thibault, Jackson, & Mascia, 2001) :

- le recensement des modes de défaillance et des facteurs à leur origine ;

- l’étude des effets à partir des scénarios d’activité future, traduisant les modes de régulation par les opérateurs et/ou le système technique ;

- l’étude des modes de détection pour concevoir des environnements permettant aux opérateurs d’anticiper les effets et d’empêcher les défaillances.

La norme robotique ISO 10218-2 (2011) indique que les moyens de réduire les risques pour les opérateurs reposent sur les principes suivants :

- éliminer les phénomènes dangereux par conception ou les réduire par substitution ;

81 Pour rappel, un cobot est un robot spécialement conçu et fabriqué pour interagir physiquement avec l’homme.

- empêcher les opérateurs d’être confrontés à des phénomènes dangereux ou s’assurer de leur maîtrise avant que l’opérateur puisse y être confronté ;

- réduire le risque lors des interventions (maintenance, apprentissage, nettoyage, etc.).

Il existe de nombreuses méthodes pour gérer les risques, liés au robot (Faber, Sinem, Mertens, & Schlick, 2016; Ogorodnikova, 2008) ou non (CETIM, 2013; Perilhon, 2003).

Safran Group a retenu une grille pour analyser les risques d’un projet industriel (cf. Tableau 22). Cet outil propose de lister les « évènements redoutés » (les risques) suivant s’ils sont relatifs au contrat/finances, à la conduite du projet, à la réalisation ou à l’exploitation. Puis, il faut évaluer le risque suivant son impact sur : la solution technique, la certification, les délais, le projet en général, ou les finances.

La cotation retenue pour le risque doit ensuite être renseignée, l’impact et l’éventualité retenus (entre 1 et 4). Il faut ensuite détailler la façon dont le risque va être géré : l’action associée au risque, l’acteur, l’échéance, et l’avancement. Suivant la façon dont le risque est géré, on peut indiquer un niveau de maîtrise du risque (entre 1 et 4).

Risque Tech niq ue C erti fica tio n Déla is Gén éra l F in an ce s Im pa ct E ve ntu ali Ma îtr is e

Action Acteur Echéance Avancement Détail du

risque 1 0 2 1 1 0 2 3 1 Moyen envisagé pour traiter le risque

Chef de

projet Déc. 17 0 %

Tableau 22 : Grille d’analyse des risques projet de Safran Group

Nous avons adopté cette méthode pour les projets en cobotique. Pour traiter les risques liés à l’interaction homme-robot, cela a déjà fait l’objet d’une partie de ce chapitre, notre approche consiste à intégrer les parties prenantes du projet en analysant l’activité des opérateurs et en réalisant des simulations. Nous avons, au cours de la thèse, fait le constat d’un besoin de piloter les risques liés à une mauvaise intégration de l’homme dans le projet.

3.4.4.2 Gestion des risques liés à une mauvaise intégration de l’homme

Pour limiter les risques liés à une mauvaise intégration de l’homme dans le projet, nous avons précédemment abordé le recours à l’analyse de l’activité, à des phases de simulation, et à des livrables spécifiques dans la conduite de projet. Pour veiller au bon déroulement de la démarche, nous avons cherché à introduire un indicateur de maturité du projet du point de vue de l’intégration de l’homme. Pour cela, nous nous sommes basés sur les indicateurs de maturité existants.

La plupart des projets industriels sont pilotés par un indicateur de maturité initialement développé par la NASA avec sept niveaux (Sadin, Povinelli, & Rosen, 1989), puis neuf (Mankins, 1995) : le TRL pour Technology Readiness Levels. Bien qu’il soit très adapté pour le suivi de la maturité intrinsèque d’une nouvelle technologie/brique technologique, cet indicateur l’est beaucoup moins pour les systèmes complexes.

Le TRL est donc ici clairement limité, puisque l’objectif est d’évaluer la maturité d’un ensemble technologique, appelé ici système robot, qui collabore avec l’homme. La maturité du système robot peut être évaluée à l’aide de l’IRL (Integration Readiness Levels) et SRL (System Readiness Levels), intégration des briques technologiques deux à deux (Sauser, Ramirez-Marquez, Verma, & Gove, 2006), mais là encore, l’homme est absent de l’indicateur. Le MRL (Manufacturing Readiness Levels)

correspond à la maturité d’une ligne de production, mais cet indicateur est lié à la maturité de la fabrication d’un produit donné (OSD Manufacturing Technology Program, 2011), alors que notre approche est liée à une activité.

Même en utilisant un de ces outils, la prise en compte de l’homme dans le projet est laissée de côté, et il n’existe, à notre connaissance, pas d’échelle de maturité pour l’intégration de l’homme dans la conception. Il existe cependant plusieurs indicateurs permettant de piloter la prise en compte de l’homme dans d’autres domaines :

- Le HSIP (Human System Integration Plan) pour les systèmes de défense américains (US Department of Defense, U.S. Air Force Human System Integration Handbook, 2010), dont le principe est l’intégration de préconisations centrées sur l’homme pendant différentes phases du projet, alors que nous souhaitons intégrer réellement l’homme dans le projet, pas simplement différentes recommandations.

- Le HRL (Human Readiness Levels), issu de l’industrie de l’armement (Phillips, 2010), basés sur la « performance humaine avec le système technique ». Safran Aircraft Engines, filiale de Safran Group, a démarré une réflexion se basant sur cette dernière échelle, pour l’adapter aux projets industriels. Nous avons estimé cette démarche très intéressante et avons donc repris les travaux débutés par une stagiaire ingénieure cogniticienne dans cette filiale. Nous recommandons tout de même d’être prudents avec l’appélation Human Readiness Level, qui laisse entendre qu’il faut préparer l’homme à la technologie, plutôt que de l’intégrer au projet. - Le HFRL (Human Factors Readiness Levels), inspiré du contrôle aérien, est intéressant

puisqu’il donne des critères précis pour le passage au niveau suivant, et spécifie que des utilisateurs représentatifs doivent être impliqués. Elle s’arrête cependant au niveau du prototype (Hale, Fuchs, Carpenter, & Stanney, 2011).

Nous avons donc entrepris la mise au point d’une échelle adaptée à la gestion de projet Safran Group et compatible de l’approche cobotique développée dans cette thèse. Pour cela, nous nous sommes largement inspirés de la démarche de la NASA qui, dans son rapport sur l’ingénierie des systèmes (NASA, 2007), associe les niveaux appelés « Human Factors Engineering Process Integrating Points » aux différentes phases des projets (cf. Figure 48), exactement ce que nous souhaitons faire avec la conduite de projet PROMPT.

Cycle de vie d’un programme/projet de la NASA

Pré-phase A : Etudes de concept Phase A : Développement de concept et technologie

Phase A : Développement de concept et technologie

Phase B : Conception préliminaire et choix technologique

Phase C : Conception finale et réalisation

Phase D : Assemblage du système, intégration et tests, lancement

Phase E : Opérations et entretien

Phase F : Clôture

Points du processus d’intégration de l’ingénierie des facteurs humain

1. Analyse opérationnelle et de systèmes similaires

2. Allocation des fonctions et analyse préliminaire des tâches

3. Définition de recommandations facteurs humains

4. Étude d’utilisabilité des composants, prototypes et maquettes

5. Test utilisateur du système complet

6. Test utilisateur des procédures et évaluation de l’intégration

7. Utilisation du système, essais de validation

Figure 48 : L'ingénierie facteur humain et ses liens avec la conduite de projet de la NASA (2007)

Nous avons donc phasé les niveaux d’intégration de l’homme, inspirés de l’approche cobotique, de la démarche ergonomie de l’entreprise, et des différents indicateurs précités, avec les 11 jalons PROMPT, pour arriver au résultat du Tableau 23. Nous avons baptisé ce nouvel indicateur le HIRL, l’« Human Integration Readiness Levels ».

HIRL Étape du projet Prérequis au HIRL Jalon 1 Analyse de la

demande Récolte de la demande initiale. Visite voire observation sommaire de situation(s) de référence. Rencontre et brefs entretiens avec les acteurs du projet (opérateurs, chef d'atelier, méthode, etc.).

Formalisation et validation la demande avec le groupe de travail (décideurs, concepteurs, opérateurs, chef d'atelier, méthodiste, etc.), en particulier en ce qui concerne l’ergonomie et les facteurs humains : objectifs performance des opérateurs et santé.

J1

2 Analyse et formalisation du besoin

Analyse de l'activité d'opérateurs au poste actuel (s'il existe) ou d’autres activités de référence.

Analyse sommaire des postes amont/aval.

Analyse du contexte du poste (historique, rôle dans l'entreprise, etc.).

Intégration d'exigences normatives en ergonomie et issues de l'analyse de l'activité dans le cahier des charges fonctionnel.

J1''

3 Principe et premières simulations (esquisses)

Mise au point de principes de solutions avec le groupe de travail sur la base de simulations simples (story telling, croquis, simulation numérique simple).

J2

4 Étude sommaire et simulations scénarisées (maquette)

Évaluation par les acteurs du projet (dont les opérateurs) d'une maquette (modélisation non fonctionnelle du système envisagé) simulant les interactions homme-système pour les phases pour lesquelles l'homme est dans la boucle (supervision, pilotage, etc.).

J2'' 5 Etude de détail et simulations avec scénarios représentatifs (démonstrateur)

Évaluation par les acteurs du projet (dont les opérateurs) d'un démonstrateur (partiellement fonctionnel) avec des scénarios incluant un maximum de situations dont les cas transitoires et dégradés.

J3

6 Prototype

industriel Évaluation par les acteurs du projet (dont les opérateurs) en simulation d'un prototype (fonctionnel) avec des scénarios incluant tous les modes de fonctionnement dont les cas transitoires et dégradés.

J3'

7 Implantation Vérification de la réponse aux exigences relatives à l’homme dans le cahier des charges.

Démonstration du fonctionnement au groupe de travail.

J4

8 Formation et

réglages Formation des opérateurs à l'utilisation du système sur toutes les références, dans tous les modes de fonctionnement. Évaluation par le groupe de travail (dont les opérateurs) et réglages du système final (pour l'ensemble des opérateurs). Validation par une analyse de la nouvelle activité de travail.

J5

9 Fonctionnement nominal et retour d'expérience

Retour d'expérience sur le système suite aux évolutions apparues

en production. J6

Tableau 23 : Indicateur de maturité de l’intégration de l’homme au système proposé : le HIRL (Human Integration Readiness Level)

La prochaine étape pour valider cet indicateur est son utilisation pour piloter des projets d’introduction de robots dans les usines pour en évaluer l’intérêt.

Chapitre 4 Cas d’étude : le nettoyage des