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1.1- Le concept de système de production agricole, un outil opératoire dont la construction dépend de l’observateur

En tenant à mettre en exergue le processus d’insertion de la caféiculture et la place de celle-ci dans les structures de production agricole, nous nous attacherons essentiellement à l’analyse et à la compréhension des combinaisons diverses qui entrent dans la dynamique des systèmes de production agricole. Ce qui nécessite une attention particulière sur l’ensemble englobant du système d’activités ainsi que sur les pratiques de gestion des ressources foncières chez les paysans agriculteurs. En plus de ces facteurs internes au fonctionnement des exploitations agricoles la prise en compte des facteurs externes pouvant influencer l’évolution des unités de productions est également nécessaire. Il s’agit notamment des facteurs socioéconomiques, politiques et démographiques Cette approche qui se veut

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systémique doit se tenir sur la base d’une part, de la mobilisation et de la répartition de la force de travail, et d’autre part, de l’accès au capital foncier et de son utilisation.

Le deuxième élément de ce processus de compréhension de la dynamique de la caféiculture est, d’une part, la lecture du paysage agraire, et d’autre part, l’analyse historique des facteurs de transformation observables dans les pratiques et choix culturaux des producteurs sur les parcelles. Enfin, la compréhension du fonctionnement technique du système de production agricole est indispensable pour mieux appréhender cette dynamique.

Dans cette perspective, nous intègrerons les systèmes de culture et les rapports de production comme outils privilégiés dans l’analyse des systèmes de production agricole44

, avec le système d’activités. Ce dernier élément permet de comprendre les stratégies et les mécanismes d’adaptation des agriculteurs et des exploitations agricoles, aux divers contextes de production, de distribution, de commercialisation et de consommation des produits agricoles.

L’agroéconomiste et le géographe se retrouvent autour du paysage agraire et intègrent dans leurs réflexions, des préoccupations environnementales, comme l’analyse des effets des modes d’exploitation agricole sur le milieu (JOUVE et al, 2007). Du fait des difficultés relatives à la très grande hétérogénéité des zones et des pratiques agricoles développées par les agriculteurs et, dans des contextes historiques contrastés au sein d’une même région, il s’avère nécessaire de s’appuyer sur le travail de terrain pour faire l’analyse des paysages et du territoire.

Notre centre d’intérêt sur cet aspect sera surtout le territoire de la caféiculture (territoire agricole, socio-économique et foncier). Ce travail nécessite de recourir à l’historique des faits et des pratiques des paysans. Il s’opèrera à l’aide d’entretiens approfondis avec les agriculteurs, en particulier les plus âgés. Il s’agit d’identifier un ensemble de faits concrets, relatifs aux activités agricoles, et de réfléchir sur les liens pouvant exister entre ces différents éléments (JOUVE et al, 2007). Le croisement entre l’observation attentive et la lecture du paysage, l’approche historique engagée à travers les enquêtes de terrain permet de formuler un certain nombre d’hypothèses interprétatives sur le « fonctionnement » de ce paysage et des pratiques qui l’ont forgé. Il est ensuite possible d’enclencher, avec des personnes âgées, des discussions portant sur l’histoire de ce paysage.

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- Nous estimons que l’ concept de système de production (agricole) est constitué des sous-concepts de système de culture/élevage et de rapports de production.

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BROSSIER (1987, pp.377-390) constate la complexité et le caractère pluriel du concept de système: « système de culture, système d’élevage, système de production, système

d’exploitation, système d’agriculture, [système agraire] etc. » ; on peut y ajouter le concept

de système foncier, comme un aspect inhérent à tous ces systèmes ruraux. Prise dans sa spécificité, chacune de ces expressions évoque l’idée d’un ensemble cohérent à l’intérieur duquel les éléments qui le constituent, entretiennent des relations étroites dont l’équilibre traduit la stabilité du système en question, et les changements, sa dynamique ou sa mutation. Elles sont par ailleurs aussi bien utilisées par les économistes, agronomes et géographes, sociologues, anthropologues etc., aussi bien dans leurs disciplines que dans le langage courant des agriculteurs et des conseillers.

Toutefois, dans la littérature contemporaine relative à l’observation et à l’analyse des systèmes et pratiques agricoles, à celle des paysages ruraux, un point de vue reste largement partagé: c’est l’emboîtement scalaire de l’utilisation des concepts de système agraire, système

de production (en agriculture) et de système de culture (COCHET, 2011 ; COCHET, DEVIENNE

et DUFUMIER, 2007). Ce qui s’observe des pratiques de culture renvoie plutôt à la notion de «système de culture» (l’échelle de la parcelle et de l’exploitation agricole), tandis que le ou les grands modes d’exploitation du milieu, expriment leur cohérence à travers le concept du système agraire (l’échelle régionale, globalisante).

Selon MAZOYER et ROUDART (2002, p.30), un système agraire est « un mode

d’exploitation du milieu historiquement constitué et durable, adapté aux conditions bioclimatiques d’un espace donné, et répondant aux conditions et aux besoins sociaux du moment ». En d’autre terme, «[c’est] une connaissance synthétique d’une théorie des transformations historiques et de la différenciation géographique des paysages et des pratiques agricoles». JOUVE (1992) définit ce concept comme étant l’association de

productions et de techniques utilisées par une société rurale pour exploiter son espace, gérer ses ressources en vue de la satisfaction de ses besoins.

Dans ces deux définitions, trois éléments majeurs sont mis en exergue: les techniques ou modes d’exploitation du milieu qui se construisent, évoluent et se reproduisent dans le temps et dans l’espace, l’adaptation de ces modes d’exploitation aux conditions bioclimatique du milieu, et la différentiation géographique qui peut être traduite par la manière dont fonctionnent ces modes d’exploitation du milieu, le tout dans le but de la satisfaction des besoins vitaux des sociétés concernées. Elles reflètent surtout la posture agronomique qui insiste sur des aspects techniques des modes d’exploitation des écosystèmes cultivés et de la comparaison des formes d’agricultures.

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En agriculture comparée, ce concept de système agraire permet certes de suivre et de caractériser les processus de transformation et l’évolution des agricultures de diverses régions plus ou moins éloignées à travers des facteurs manifestes ou sous-jacents à l’échelle régionale45. Cependant, si la conception d’emboîtement conceptuel entre système agraire, système de production et système de culture garde toute sa pertinence et sa cohérence en zone tempérée, elle ne nous semble pas pertinente partout, en particulier dans le contexte africain. L’approche par l’emboîtement conceptuel traduit en effet, d’une part, le caractère traditionnellement individualiste des exploitations agricoles dans les régions tempérées, et d’autre part, la spécialisation historique et durable des différentes parcelles selon les espèces ou les productions végétales dans cette partie du monde (JOUVE, 2006). En revanche, l’association culturale y est historiquement absente alors qu’elle demeure une caractéristique principale des agricultures tropicales. Ainsi, la définition de l’échelle d’observation et d’analyse des dynamiques agraires et des pratiques paysannes dépend, en général, non seulement du milieu mais également de l’observateur en fonction de son objectif de recherche et des pratiques sociétales associées à son objet de recherche. En présentant le système de culture comme un concept à part entière, cet auteur considère qu’en comparant plusieurs systèmes de culture d’une diversité de régions ou de territoires, l’analyse du paysage devient incontournable et le concept de système de culture peut être utilisé comme celui de système agraire. Voici en effet comment il définit les niveaux d’observation et d’analyse en agriculture avec le concept de système de culture : « un premier domaine d’utilisation du

concept de système de culture concerne l’analyse des paysages agraires et la différenciation de plusieurs modes d’exploitation du milieu au sein de l’espace cultivé. À l’échelle du village, entité spatiale privilégiée dans la plupart des projets de gestion de terroirs, l’identification des systèmes de culture permet de donner une intelligibilité à l’occupation de l’espace agricole. Le recours au concept de système de culture est également très utile en matière d’interprétation de photos aériennes ou d’images satellitaires. Enfin, l’accent mis au Nord comme au Sud sur l’action collective en vue de la gestion durable des écosystèmes cultivés et des ressources naturelles conduit à analyser les systèmes de culture à l’échelle des territoires où s’organise cette gestion » JOUVE (2006, p.255).

Ces modalités d’utilisation du concept de système de culture rejoignent la vision de

45- Le terme régional ou de région ne s’identifie pas nécessairement à une région administrativement définie ; il désigne en général une zone ou un ensemble de zones ayant un ou des paysages dont les caractéristiques géo-agronomiques et modes de mise en valeur du milieu sont semblables et dont les pratiques agricoles et socio-économiques sont partagent des similitudes. Un village peut désigner une région du fait de sa spécificité tout comme un ensemble de villages qui conservent les mêmes caractéristiques peuvent en désigner une autre.

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MAZOYER et de ROUDART (2002) sur le concept de système agraire. Mais l’utilisation de l’expression « système de culture » comme concept à part entière, en particulier à une échelle dépassant celle de l’exploitation agricole, est encore peu développée de nos jours (JOUVE, 2006).

En Guinée Forestière, l’écosystème cultivé est, en règle générale, composé de plusieurs sous-systèmes complémentaires. Ces sous-systèmes se présentent le plus souvent sous la forme d’une juxtaposition des différentes parcelles de cultures au sein des exploitations agricoles familiales. On peut par exemple rencontrer au sein d’une même exploitation, des jardins, des terres labourables, des plantations (nouvelles et anciennes), des forêts, des jachères/friches etc. Il y a aussi un fonctionnement par lequel cet écosystème se renouvelle. Ce fonctionnement se décompose lui-même en plusieurs fonctions : fonction de défrichement

de la végétation sauvage (abattis-brûlis, écobuage46 des parcelles destinées aux champs de riz

sur le coteau, labour à bras à l’aide de la houe ou de la daba, sarclage, traitement

désherbant…), fonction de renouvellement de la fertilité47

; conduite des cultures (successions et rotations culturales, itinéraires techniques, opérations culturales…) et conduite des troupeaux48 (reproduction, calendriers …) etc.

Le système social productif (ou système technique, économique et social) est composé de l’ensemble des moyens dont dispose la population agricole pour développer les activités de renouvellement et d’exploitation de la fertilité de l’écosystème cultivé, afin de satisfaire ses propres besoins. On peut identifier trois types de moyens : les moyens humains (main d’œuvre, savoir et savoir-faire), les moyens inanimés (instruments et équipements productifs) et les moyens vivants (plantes cultivées et animaux domestiques). Cette satisfaction de besoins peut se faire directement par l’autoconsommation ou indirectement par les échanges. Ces moyens de production et les activités productives sont organisés dans des unités de production qui sont caractérisées par le système de production que pratiquent ces unités et la catégorie à laquelle elles appartiennent.

MAZOYER et ROUDART insistent en particulier sur le caractère historique et processuel du concept de système agraire en tant que « théorie de la transformation des

46- Après le brûlis, c’est-à-dire la mise à feu des végétaux abattus, le sol n’est généralement pas suffisamment préparé pour les semailles et le labour, souvent effectué à bras à l’aide de la houe (ou grattage selon les termes de DELARUE). L’écobuage consiste donc à rassembler en tas de tailles et de dimensions variables les débris végétaux ayant résistés au brûlis.

47- En milieu forestier, et dans un contexte de pauvreté comme c’est le cas en Guinée, le renouvellement de la fertilité des sols de coteau se fait toujours par la pratique de jachère naturelle, parfois par l’emploi des engrais chimiques pour les sols de certaines parcelles de bas-fond…).

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agricultures». Il est cependant possible de faire aussi bien une analyse synchronique qu’une

analyse diachronique des modes de mise en valeur des milieux agricoles à travers le système de culture. Le premier type d’analyse concerne plusieurs systèmes de culture observés sur une ou plusieurs parcelles en une période donnée alors que le second se fait sur une ou plusieurs localités sur plusieurs périodes (années, mois etc) suivant les objectifs qu’on s’assigne.

En caractérisant les paysages agraires à travers l’identification et la description localisées des principaux systèmes de cultures, il est possible de construire des grands ensembles de paysages agraires locaux ou régionaux (MAZOYER et ROUDART, 2002). Mais à l’intérieur de ces regroupements, il peut être possible également d’identifier et de caractériser par exemple le territoire de la caféiculture dans les systèmes de production agricole.

La vision agroéconomiste du système agraire et du système de production privilégie plutôt des aspects techniques des pratiques agricoles. En effet, le concept de système agraire et celui de système de production (en agriculture) ont des champs souvent partagés. Les débats dont ils font souvent l’objet ne datent pas non plus d’aujourd’hui. Introduit par les géographes depuis les années 1940 (COCHET, 2006), le concept de système agraire fut surtout porté par les agronomes qui l’ont développé dans un sens plus large et plus dynamique que l’analyse ou la description des structures agraires qui représentaient alors le centre d’intérêt privilégié des géographes de l’époque.

Qu’on se situe au niveau du système agraire ou du système de culture, nous pensons que pour une analyse sérieuse portant sur l’insertion de la caféiculture dans les structures de

production (agricole), il serait assez simpliste de privilégier des aspects essentiellement

techniques en mettant au second plan la cohérence des interactions qui s’opèrent au sein des unités de production ainsi que des communautés villageoises ou ethniques. Ces interactions se manifestent concrètement par les pratiques des paysans, leur rationalité, et les motivations qui président aux choix et décisions des agriculteurs et ce, quelle que soit l’échelle d’analyse (la région ou la localité, l’exploitation ou la parcelle). Nous considérons que le système de culture est en fait lui-même une partie indissociable du concept de « système de production » dont il constitue l’outil technique privilégié pour l’observation et l’analyse socio-économique et même spatiale du comportement des agriculteurs (BADOUIN, 1987; COCHET et DEVIENNE, 2006 ; JOUVE et al, 2007 ; etc.). Cet outil technique qu’est le « système de culture » entretient également des interactions étroites avec les « rapports de production » qui est une constante sociale à tout système de production.

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Dans le fonctionnement des éléments concrets que sont l’écosystème cultivé et le système social productif, il se passe de nombreuses situations que seul le système de production permet d’observer efficacement. Ces situations sont observables sur les rapports sociaux de production, le choix des cultures, le statut social du responsable des types de culture, les mutations éventuellement observables dans les rapports de genre et intergénérationnels, notamment par rapport à l’accès aux principales ressources productives (en particulier la terre). Mais en raison de la diversité des centres d’intérêts qui varient surtout en fonction des disciplines et/ou de l’objet de recherche, l’usage et l’interprétation de ce concept sont aussi controversés entre agronomes et économistes (BONNEFOND, COUTY, GERMAIN, 1988).

1.2- De l’approche agronomique à celle socioéconomique du système de