• Aucun résultat trouvé

1) Une diversité de terminologies

Depuis plus de trente ans, le concept de Vieillissement en Santé a fait l’objet de recherches dans de multiples disciplines. Il fut conceptualisé à plusieurs reprises sous les termes de « Vieillissement en Santé » (Guralnik et al., 1989 ; Haveman-Nies et al., 2003 ; Reed et al., 1998), « Vieillissement Réussi » (Ford et al., 2000 ; Newman et al., 2003 ; Strawbridge et al., 1996 ; Vaillant et al., 2001), « Vieillissement Actif »

(OMS, 2002), « Vieillissement Productif » (Butler et al., 1985) ou encore

« Vieillissement Positif » (Peel et al., 2004). Le Vieillissement en Santé a été

conceptualisé sous différents termes en raison de la diversité des disciplines qui traitent de ce processus et de l’intérêt porté à la question.

En dépit de cette multiplicité de dénominations, l’objectif des recherches sur le Vieillissement en Santé reste uniforme : il s’agit de rendre compte du processus de vieillissement dans toute sa complexité, en identifiant les déterminants et les processus en jeu, à des fins de prévention et d’intervention dans les différents domaines ayant un impact sur la santé et le bien-être des personnes âgées. Les recherches menées dans les différentes disciplines traitent le Vieillissement en Santé selon un même objectif, c’est pourquoi elles seront par la suite abordées ensemble et pareillement.

Dans le cadre de notre recherche, la terminologie utilisée sera celle du Vieillissement en Santé. Plusieurs raisons expliquent ce choix. D’une part, le Vieillissement « en Santé » dépeint le rôle primordial que recouvre la santé sur la

34 qualité et la longévité de vie des personnes âgées, qui sont des défis majeurs liés au vieillissement démographique. La probabilité de souffrir de maladies chroniques progressant fortement avec l’âge, les conditions du bien-être des personnes âgées peuvent en être affectées. D’autre part, ce terme de Vieillissement en Santé est le plus communément utilisé dans la littérature européenne (Peel et al., 2004) et dans les sciences sociales ce qui permettra, à plus long terme, de distinguer l’ébauche d’une thématique à part entière.

Plusieurs définitions du Vieillissement en Santé existent. Certaines relèvent de la biologie et incluent les notions de survie, aptitudes cognitive et physique ou absence de morbidité. D’autres l’abordent de manière plus large, avec une référence à d’autres domaines non biologiques tels que la satisfaction de la vie et le soutien social. Cette multiplicité de définitions s’explique en partie par la diversité des disciplines qui étudient le Vieillissement en Santé. En effet, les biologistes et physiologistes qui s’intéressent au corps humain et respectivement à l’étude des organes et des cellules auront un autre référentiel du Vieillissement en Santé qu’un sociologue qui étudie l’être humain en fonction de ses relations sociales. Ces différentes approches expliquent que le choix d’une définition soit complexe et implique une sélection parmi une multitude d’idées.

2) Une diversité d’approches

i. Approches biologiques

Certaines études utilisent une définition biologique du Vieillissement en Santé selon des critères liés à la santé physique comme l’absence ou non de handicap (Jorm et al., 1998), d’une maladie (Burke et al., 2001), d’une déficience (Hogan et al., 1999), de la mortalité (Roos et al., 1991) et par des performances physiques (Guralnik et al., 1989). Selon certains chercheurs, le Vieillissement en Santé se définit en fonction d’une bonne capacité physique et d’une absence d’aide (rémunérée ou non) ou de difficulté dans le cadre de plusieurs activités physiques basiques, instrumentales (tâches plus complexes relevant d’une participation à la vie domestique et

35 communautaire) et d’autres activités plus vigoureuses (Ford et al., 2000 ; Guralnik et al., 1989 ; Katz, 1983 ; Lamb, 1999). Ces mesures permettent d’évaluer à la fois l’état de santé physique des personnes âgées, l’absence ou non de handicap mais aussi leur niveau d’indépendance.

Par ailleurs, certaines recherches complètent cette approche biologique du Vieillissement en Santé par le maintien de la fonction cognitive (Berkman et al., 1993 ; Hogan et al., 1999 ; Jorm et al., 1998 ; Reed et al., 1998). Les études MacArthur (Berkman et al., 1993 ; Seeman et al., 1993) définissent par exemple le Vieillissement en Santé non seulement par un haut niveau de fonctionnement physique – c’est-à- dire pas ou très peu de limitation dans la réalisation de sept types d’activités quotidiennes, huit types de mobilité et performances physiques) mais également selon un bon résultat aux tests psychologiques et de mémoire. Le Vieillissement en Santé est alors perçu comme un processus lié à la santé physique et psychique des individus.

ii. Approches multidimensionnelles

D’autres recherches adoptent une vision plus large du Vieillissement en Santé. Baltes & Baltes (1990) discutent de la difficulté à définir le Vieillissement en Santé et listent certaines caractéristiques comme étant de possibles composantes :

- La santé biologique et mentale, - Le fonctionnement cognitif,

- L’aptitude et la productivité sociale, - Le contrôle de soi,

- La satisfaction de la vie.

Dans cette optique, le Vieillissement en Santé va au-delà des potentialités physiques et cognitives et implique des activités aussi bien sociales (relations humaines), productives (rémunérées ou non) ou encore des critères subjectifs tels que le bonheur. Rowe & Kahn (1987) sont les premiers à proposer une définition multidimensionnelle du concept. Selon eux, le Vieillissement en Santé se définit en fonction des trois éléments suivants :

36 - Une faible probabilité de maladie et de handicap liée à la maladie,

- Une haute capacité de la fonction cognitive et physique, - Une participation active à la vie de la société.

D’autres chercheurs reconnaissent également l’aspect multidimensionnel du problème en utilisant cette fois-ci un modèle biopsychosocial (Ford et al., 2000 ; Peel et al., 2005) c’est-à-dire une approche prenant en considération les facteurs psychologiques, sociaux et biologiques du Vieillissement en Santé. Engel est le premier à avoir conceptualisé le modèle biopsychosocial de la santé à la fin des années 70 (Engel, 1977 ; Engel, 1980). L’objectif principal de ce modèle consiste à dépasser les limites du modèle biomédical qui réduit la maladie à sa seule dimension biologique. Selon Engel, la maladie provient de l’interaction de plusieurs facteurs incluant des facteurs de niveaux moléculaire, individuel et social. De plus, les variables psychosociales sont des déterminants particulièrement importants de la sévérité et de l’évolution d’une maladie et la maladie ne renvoie pas forcément à la présence d’un trouble biologique. Contrairement au modèle biomédical centré sur des patients- objets, le modèle biopsychosocial considère que l’expérience subjective des individus explique en partie leur état de santé (Siksou, 2008).

Par la suite, de nombreuses études incorporent à leurs définitions du Vieillissement en Santé les notions d’autonomie, d’indépendance, de bien-être, le sentiment d’efficacité perçu ou encore le soutien social. Bandura (1977) désigne par exemple le sentiment d’efficacité perçu comme les croyances des individus quant à leurs capacités à réaliser des performances particulières. Ces croyances influencent non seulement le cours des actions entreprises, l’intensité de l’effort fourni, le niveau de persévérance devant les difficultés, la nature des modes de pensée (constructifs ou autodestructeurs) et le niveau de stress éprouvé dans des situations exigeantes. Il est donc certain que ce sentiment peut constituer un facteur important dans le maintien d’un haut niveau de capacités cognitives au cours du vieillissement, non seulement en raison de la motivation à entreprendre et du sentiment de bien-être subjectif qui l’accompagnent mais aussi parce qu’il permet aux individus de pratiquer des activités stimulantes intellectuellement. Selon Bandura, la préservation du

37 sentiment d’efficacité perçu permettrait particulièrement aux personnes âgées de faire face aux pertes et de parvenir à un vieillissement sain.

En raison de cette approche multidimensionnelle, le Vieillissement en Santé hérite aujourd’hui d’une définition complexe. Il est décrit comme « un processus permanent, optimisant les possibilités d’améliorer et de préserver la santé et le bien- être physique, social et psychologique, l’autonomie, la qualité de vie et de favoriser des transitions harmonieuses au cours de la vie » (Santé Canada, 2001) ou encore comme « le processus consistant à optimiser les possibilités de bonne santé, de participation et de sécurité afin d’accroître la qualité de la vie pendant la vieillesse » (OMS, 2002). Le Vieillissement en Santé s’exprime dès lors dans toute sa dimension biologique, psychologique et sociale. Il recoupe la notion plus large de qualité de vie qui se définit comme étant un ressenti, « la perception qu’une personne a de sa position dans la vie, compte tenu du contexte culturel et des systèmes de valeurs et de ses propres normes, buts, inquiétudes et attentes » (OMS, 1996). Ces différentes définitions mettent l’accent sur la quantité et la diversité des éléments qui interagissent dans le cadre du Vieillissement en Santé tels que la santé physique, les capacités psychologiques et cognitives, le niveau d’autonomie ou d’indépendance, le niveau social etc.

3) Un concept qui doit être appréhendé en termes de résultats mesurables

Afin de pouvoir valider empiriquement le processus de Vieillissement en Santé, ce concept doit être appréhendé en termes de résultats mesurables. Cette étape est d’autant plus importante que jusqu’à présent, au regard des différentes définitions attribuées au Vieillissement en Santé, il existe peu de consensus sur la définition optimale à lui accorder. Un débat considérable existe autour de cette définition du Vieillissement en Santé et concerne aussi bien les éléments essentiels à lui donner que de savoir si ce processus doit être appréhendé de manière objective ou subjective. Plusieurs études se sont ainsi penchées sur le sujet en cherchant d’une part à distinguer les différentes composantes du Vieillissement en Santé les plus

38 fréquemment utilisées dans les recherches quantitatives et d’autre part, à préciser la représentation du Vieillissement en Santé chez les personnes âgées elles-mêmes.

i. Composantes du Vieillissement en Santé les plus fréquemment utilisées dans

les recherches quantitatives

Une revue d’études quantitatives (N=29) donnant une définition opérationnelle du Vieillissement en Santé a été entreprise en 2006 par une équipe américaine (Depp et al., 2006). Son objectif principal consiste à remédier à l’absence de consensus autour de la définition du Vieillissement en Santé en tentant de catégoriser et d’examiner la fréquence des composantes utilisées dans les différentes définitions. Selon les résultats, une définition opérationnelle du Vieillissement en Santé comprend presque automatiquement les notions de handicap et de capacité physique (N=26/29) qui sont le plus souvent mesurées par des activités de la vie quotidienne auto-reportées et des performances objectives (ex. habilité à marcher 250m, force de poigne). La fréquence élevée de cette composante s’explique en partie par la

popularité du modèle de Rowe & Kahn (1987)1. Le fonctionnement cognitif est

également fréquemment utilisé (N=13/29). Enfin, les composantes relatives aux fonctionnements social et productif (N=8) et à la satisfaction de la vie/bien-être sont les composantes les moins utilisées (N=9).

ii. Quelle est l’opinion des personnes âgées ?

La majorité des définitions dites « opérationnelles » du Vieillissement en Santé ne prennent pas en considération l’expérience subjective des personnes âgées. Or, la prédominance de la notion de handicap ou de fonctionnement physique que l’on retrouve dans les études quantitatives contraste avec la définition du Vieillissement en Santé harmonisée à partir des études qualitatives.

1 Le modèle de Rowe et Kahn (1987) sera développé plus loin et repose sur l’idée principale qu’il existe

trois formes de vieillissement : le vieillissement pathologique caractérisé par des problèmes de santé majeurs, le vieillissement usuel caractérisé par une réduction des capacités et le vieillissement réussi qui correspond au maintien des capacités fonctionnelles et l’absence de pathologies.

39 Une étude interroge un échantillon de personnes âgées de 60 ans et plus sur la signification que les gens de leur âge peuvent avoir quand ils affirment se trouver en bonne santé (Strain, 1993). Parmi une sélection de réponses, environ 40% d’entre- elles pensent qu’il s’agit de leur habilité à réaliser plusieurs activités basiques de la vie quotidienne, ⅓ d’entre-elles que leur sentiment de bien-être provient d’une bonne santé générale et moins de 20% pensent qu’il s’agit plutôt d’une absence de maladies. La majorité des personnes âgées enquêtées associent donc une « bonne santé » à une absence de limitation dans les activités quotidiennes, dont l’accomplissement dépend aussi bien de facteurs physiques, psychologiques et sociaux. La perception du Vieillissement en Santé par les personnes âgées met donc l’accent sur les notions de santé et d’indépendance. A leurs yeux, ce processus ne se résume pas seulement à la présence ou l’absence d’une maladie et/ou d’un handicap. Il convient de préciser que le terme d’indépendance est à distinguer du terme d’autonomie. L’indépendance est définie par l’OMS comme la capacité de s’acquitter des tâches quotidiennes, c’est-à- dire de vivre de manière indépendante dans son environnement habituel sans aide

extérieure ou avec une aide extérieure minime (OMS, 2002)2 tandis que l’autonomie

correspond à l’aptitude perçue à maîtriser, affronter et prendre des décisions personnelles relatives à sa vie quotidienne dans le respect de ses propres règles et préférences. Souvent assimilés, ces deux termes sont en réalités distincts. Etre autonome ne signifie pas être indépendant. Il est en effet possible d’être autonome et de savoir ce que l’on veut faire sans pouvoir le réaliser physiquement.

Par ailleurs, d’autres études ayant eu recours à des indicateurs de santé subjective et prenant en compte le point de vue des personnes âgées mettent clairement en évidence le fait que certaines d’entre-elles souffrent d’incapacités objectivées sans se considérer pour autant « si vieilles ». D’autres au contraire ne souffrent ni de maladie, ni de handicap mais se sentent avancées en âge (Lebel et al., 1999).

2 La dépendance consiste dans un sens contraire à une incapacité de s’acquitter des tâches quotidiennes

40 La conception du Vieillissement en Santé en termes de résultats mesurables varie selon la perspective adoptée. Alors que dans une approche objective, la présence ou non de handicap ou maladie est un critère primordial dans la définition du Vieillissement en Santé, les études qualitatives menées sur la signification que représente personnellement le Vieillissement en Santé pour les personnes âgées donnent un résultat plus contrasté. L’état de santé physique des personnes âgées et la présence ou l’absence de maladie et/ou handicap sont d’une importance moindre relativement à leur capacité de réaliser elles-mêmes les tâches basiques de la vie quotidienne.

4) Choix d’une définition pour la recherche

Selon les différentes recherches mentionnées précédemment, le Vieillissement en Santé est un processus hétéroclite, ses différentes composantes variant à la fois en fonction d’indicateurs objectifs (ex. capacités physiques, psychologiques) et subjectifs (ex. rapports à la santé, conceptions, ambitions, attentes). En plus d’une approche biologique et sociale, la perception qu’ont les personnes âgées du Vieillissement en Santé permet de nuancer le regard qu’on leur porte à partir de la présence de maladies chroniques et de l’augmentation des incapacités physiques et mentales.

Au regard des études précédemment évoquées, l’état de santé et le niveau de dépendance des personnes âgées sont les deux composantes du Vieillissement en Santé les plus souvent évoquées. Le Vieillissement en Santé se définit ainsi comme un processus permettant aux personnes âgées de rester en bonne santé et indépendantes le plus longtemps possible. Cette définition du Vieillissement en Santé s’accorde, d’une part, avec les résultats des recherches promouvant l’intérêt majoré de l’approche subjective. D’autre part, elle permet aussi de croiser une approche biologique du Vieillissement en Santé, basée sur l’état de santé, à une approche plus sociale basée sur la capacité des personnes âgées à œuvrer au sein de leur environnement.

41 Avant d’aborder les déterminants d’un Vieillissement en Santé, il convient de se pencher sur la signification des termes de « santé » et de « dépendance ». Que signifie être en bonne/en mauvaise santé ou être indépendant/dépendant ? Il existe désormais un consensus selon lequel la santé ne peut pas se limiter à la seule absence de maladie. L’Organisation Mondiale de la Santé définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (OMS, 1946). Des personnes ayant plusieurs maladies peuvent s’estimer en bonne voire très bonne santé. L’importance accordée à cette subjectivité dans la définition de la santé a amené plusieurs scientifiques à proposer des indicateurs plus complexes de la santé que la simple prévalence de maladies. Des indicateurs de perception de la santé (les individus sont invités à qualifier leur état de santé avec une comparaison ou non vis-à-vis des personnes du même âge ou du même sexe) sont de ce fait très souvent utilisés. Compte tenu du prolongement de la durée de vie, les individus sont plus susceptibles de développer des maladies chroniques. Des indicateurs tentent de tenir compte des répercussions de ces maladies sur le fonctionnement des personnes dans la vie de tous les jours. La mesure de l’indépendance des personnes âgées consiste le plus souvent à évaluer leur capacité à réaliser seules plusieurs activités de la vie quotidienne.