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Chapitre II : Approches théoriques 70

1. Approches sociologiques 71

1.3. Le concept de socialisation et ses principales orientations 79

1.3.1. Le concept 79

Partant de la théorie de la structure fonctionnelle, la socialisation jouit d’une position et d’un statut fondamental dans tout type de société mais à des degrés variables, selon les modalités et les finalités des besoins.

Il n’est pas aisé de définir cette notion sans mobiliser les vues les plus différentes et les exposés les plus divers. Chaque chercheur a tenté de l’expliquer et d’exemplifier ses propriétés en fonction de ses propres tendances et de sa connaissance du type de société auquel il appartenait.

Pour préciser le sens du terme « socialisation », il convient dans un premier temps de s’arrêter sur l’usage qui en est fait. En ce domaine, la tendance à la généralisation est signalée par Chazel et Boudon : ceux-ci constatent que la notion de socialisation est devenue une « étiquette commode » alors qu’elle devrait s’appliquer exclusivement à décrire « les processus d’assimilation des individus aux groupes sociaux » (Chazel et Boudon, 1970, p. 221).

Il nous appartient dans cette étude de nous limiter, au risque de déborder l’objet de ce travail, à cette notion telle qu’elle a été étudiée et définie par les plus importantes contributions en la matière. Nous insisterons particulièrement sur les travaux de Jean Piaget dans le domaine de l’apprentissage et la socialisation de l’enfant, sous réserve du facteur de la diversité des conditions de vie et d’environnement culturel des sociétés dans la généralisation de sa théorie.

Muriel Darmon a appelé à la prise en compte des variations dans les processus de socialisation, cet appel pouvant être rapidement résumé par la « loi » suivante : « Tout corps (individuel) plongé dans une pluralité de mondes sociaux est soumis à des principes de socialisation hétérogènes et parfois même contradictoires qu’il incorpore » (Darmon, sous la dir. de, 2006, p. 50).

Ici, la réflexion devient plus vaste et revient à supposer que les conditions différentes et multiples sous le régime desquelles se réalise la socialisation ne génèrent pas toujours une « identité socialisée » ; autrement dit, la socialisation n’aboutit pas toujours à des formes strictement homogènes. Ainsi d’autres facteurs interviennent dans ce processus comme, par exemple, le temps et les occasions de socialisation. Selon Bernard Lahire dans L’Homme pluriel, « il ne suffit pas d’être "plongé" dans un monde social ou d’être en contact avec lui, pour que ce monde et les individus qui

l’habitent aient des effets (réels) de socialisation » (cité par Darmon, 2006, p. 50).

Dans la même ligne de pensée, mais poussant la réflexion encore plus loin, le sociologue Gilles Ferréol introduit un trait différentiel entre les cultures et l’environnement, ainsi que tout ce qui se rapporte aux variables sociales entrant dans le processus de socialisation : « La manière dont notre personnalité est ainsi façonnée s’inscrit dans un cadre bien délimité. Ce qui nous semble "normal" ou "naturel" ne l’est pas obligatoirement dans d’autres lieux ou à d’autres époques » (Ferréol, sous la dir. de, 2002, p. 34.)

Ces mêmes paramètres différentiels s’appliquent pour l’évaluation des critères sociaux en fonction des référents socioculturels. « À chaque civilisation correspond une "vision du monde"

spécifique (fidélité à la tradition, croyances humanistes, culte du progrès…). Même les gestes apparemment les plus anodins (s’alimenter, respirer, marcher) peuvent être accomplis selon plusieurs modalités » (ibid., p. 34.)

Ce phénomène doit faire l’objet d’un intérêt particulier dans l’étude des pratiques sociales, comme l’a souligné à bon escient le sociologue libyen Mustapha Tire : « Les connaissances scientifiques n’ont pas de couleur alors que les valeurs, les orientations et les productions littéraires sont en rapport avec les spécificités culturelles. Il en va de même pour les idéologies et, distinctement, les philosophies des pouvoirs sociaux et politiques. C’est ainsi qu’elles diffèrent d’un pays à un autre. »29

Nous nous attachons par ailleurs à prendre en compte les conditions sociales des socialisés, pour mieux les comprendre, et faisons appel aux contributions des sociologues africains, celles qui ont déjà dégagé les spécificités sociales et ont saisi les aspects des processus de socialisation, dont la finalité est d’amener à l’acquis de valeurs, et à la connaissance et la découverte d’autres cultures. Ce faisant, nous sommes en face d’une problématique formulée en termes de transferts et d’échanges culturels à l’intérieur de la même composante sociale ou, extensivement, entre d’autres sociétés dans une perspective de réciprocité et d’échange égal.

La socialisation est « le résultat de deux processus différents : processus d’assimilation et d’accommodation » (Percheron, 1993, p. 32). Ces deux concepts sont largement traités dans l’approche piagétienne de la socialisation comme une articulation de deux mouvements complémentaires, bien que de natures différentes (Dubar, 1996, p. 10) : l’assimilation consiste à incorporer les socialisés, personnes ou choses externes, dans une structure déjà construite ; l’accommodation consiste à réajuster la structure en fonction des transformations extérieures.

Cependant, dans un sens plus large, le concept de socialisation peut englober toutes les influences émanant du social, qui, d’une manière ou d’une autre, visent à imprimer une tendance, un schéma et, d’autre part, visent à définir la culture comme « un code commun » (Chabel, 1984, p.

29

Mostapha Al TIR, in Congrès de l’enseignement pour la libération en Afrique, journal de la libération en Afrique, vol. 3, 1988, p. 500.

164). Les études empiriques qui portent sur ce terme sont, aujourd’hui encore, d’origine américaine et nous les devons à Herbert Hyman, du titre de son premier ouvrage, paru en 1959, La socialisation politique.

Nous en venons à cette notion et à ses différents usages comme concept méthodologique auquel se réfère la position conceptuelle telle qu’elle fut définie par Durkheim. L’expression émane, à l’évidence, de l’extension à la science politique d’un concept central pour l’école américaine de sociologie. Mais l’utilisation du mot remonte sûrement à Durkheim, puisque le terme de « socialisation » se trouve dans la définition de l’éducation qu’il propose et qui consiste en une « socialisation méthodique » de la jeune génération en vue de perpétuer et de renforcer l’homogénéité de la société (Durkheim, 1980, p. 51). L’homme moyen, écrit Durkheim, est « éminemment plastique ». Le choix dans le développement de ses facultés, de ses aptitudes, ne dépend pas de lui mais de cette société qui est la sienne. Son éducation, il la doit aux générations qui l’ont précédé. C’est par l’intermédiaire de ces générations que la société l’éduque, le prépare à remplir des rôles qu’elle a déjà définis. Ainsi, pour Durkheim, l’éducation est essentiellement « l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale » (Durkheim, 1938, p. 111).

Dans le même contexte, Annick Percheron soutient, en clarifiant le fait socialisant, qu’« il y a, à l’autre bout de la chaîne, un socialisé, sujet pensant et agissant. L’enfant n’est pas un être passif, socialisable à volonté et à merci. Il intervient, au contraire, de façon continue et directe, dans le processus de son propre développement sociopolitique » (Caron et Percheron, 2002, p. 27).

Bien évidemment, les questions posées par la formation des citoyens ont toujours attiré l’attention des gouvernants et sont présentes dans les théories politiques depuis l’Antiquité. Mais c’est le changement social du monde dans les années 1960 qui a contribué à ce que les phénomènes de socialisation politique occupent le domaine de la recherche empirique (Percheron, 1974, p. 1). Tantôt l’accent est mis sur l’individu, tantôt il est mis sur la société ; la socialisation est alors conçue comme une sorte d’intermédiaire entre ces deux entités.

Mais nous pouvons aussi considérer la socialisation à partir d’une perspective dialectique : ni la société, ni l’individu n’ont de réalité en eux-mêmes ; ils existent dans la mesure où ils se donnent

mutuellement l’existence. Ces définitions de la socialisation, dérivées de celles de Durkheim, conçoivent les phénomènes de socialisation comme l’ensemble des processus par lesquels un individu développe des attitudes, des comportements, voire des désirs conformes et acceptables pour la société (Duverger, 1979, p. 245). La socialisation, c’est donc en ce sens l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit – on dira aussi « formé », « modelé », « façonné », « fabriqué », « conditionné » – par la société globale et locale dans laquelle il vit, processus au cours desquels l’individu acquiert – « apprend », « intériorise », « incorpore », intègre » – des façons de faire, de penser et d’être qui sont situées socialement (Darmon, 2006, p. 6). La socialisation accomplit également un rôle essentiel à travers les générations, qu’elle transforme pour maintenir la stabilité de la cellule familiale ainsi que celle de la société tout entière.