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2.3 L’instrumentation pour l’astronomie gamma

2.3.1 Le comptage de photons

Pour aborder la thématique de comptage de photons, nous pouvons différencier les dé-tecteurs capables de mesurer quelques centaines de photons, des dédé-tecteurs à comptage de photon unique, capables de résoudre le temps d’arrivée d’un photon.

Dans le domaine du visible, un détecteur classique (en émettant l’hypothèse que chaque photon incident libère un électron par effet photoélectrique) va aisément détecter temporelle-ment plusieurs dizaines de photoélectrons pour obtenir une charge mesurable aux bornes d’un condensateur, mais son gain beaucoup trop faible ne lui permet pas de détecter un photon unique. Pour ce faire, il faut se tourner vers des détecteurs à fort gain, tels que des photomul-tiplicateurs ou même des SiPMs (section 2.2.2), qui, de par leur technologie, vont assurer le comptage de photons individuels.

Dans le domaine d’énergie de notre étude, nous allons compter les photons individuels avec des détecteurs CdTe, grâce notamment à une efficacité de détection élevée dans une gamme d’énergies inférieures à 100 keV. Le comptage de photons va permettre la réalisation d’images qui vont se former temporellement photon après photon, chacun correspondant à un impact dans le plan de l’image. En outre, le compteur va relater le passage d’un photon en collectant la paire électron-trou créée lors de l’interaction du photon avec la matière, puis va déterminer l’énergie de ce photon incident, corrélée au nombre de charges créées puis collectées sous forme de signal électrique.

Notion de seuil

Le détecteur à comptage de photon utilise la nature corpusculaire de la lumière dont l’éner-gie est quantifiée : le photon. Quand un détecteur fonctionne en comptage de photons, le signal n’est pas stocké pendant un certain temps, à l’inverse d’un dispositif à intégration. La technique de comptage va alors servir la mesure de très faibles flux de photons, lorsque le rapport signal sur bruit de ce que nous souhaitons mesurer est très faible. En astrophysique et astronomie, les conditions d’observations en rayons X et gamma sont telles que nous nous trouvons souvent dans ce cas.

Ainsi, les systèmes à comptage de photons sont destinés à compter les photons un à un. Si le seuil est suffisamment élevé pour éviter la contribution du bruit électronique, la contribution au bruit qui prédomine est celle due à la statistique d’arrivée des photons appelés plus communément « bruit de photons ». Les autres contributions, dues au détecteur lui-même, à sa mise en œuvre, et à son environnement, deviennent alors négligeables ; cependant, nous faisons le compromis de perdre des photons d’énergie inférieure au seuil.

Pour compter des photons, nous allons initier la notion de seuil. En effet, en plaçant un comparateur de charge au niveau de la quantité de charge mesurée, nous créerons un détec-teur à comptage de photons. Si cette quantité de charge est supérieure à un seuil prédéfini, le comparateur incrémentera un compteur. C’est ce compteur qui définira le comptage et per-mettra aussi la formation d’une image en utilisant plusieurs « pixels », capables de compter les photons à plusieurs positions derrière le masque.

Amplification du signal détecté

Dans tout type de détecteur, le photon est converti en un certain nombre de charges qui produisent en sortie de l’amplificateur un signal formé d’impulsions qui se superposent au bruit. En pratique, le dispositif commence à fonctionner en comptage de photon lorsque l’amplitude des impulsions peut être facilement discriminée par rapport au bruit (exemple de spectres de comptage sur la figure 2.24). Pour cela, un discriminateur en amplitude est placé en sortie de l’amplificateur, après un ou plusieurs étages de filtrage et de mise forme du signal (introduisant la notion de « peaking time »), de manière à compter les impulsions lorsqu’elles dépassent un certain seuil (appelé « seuil de discrimination »). En sortie du discriminateur, nous trouvons des impulsions calibrées qu’il suffit ensuite de compter. Cependant, avec ce processus, nous perdons toute notion d’amplitude des impulsions initiales, donc toute notion d’énergie. Le détecteur qui fonctionne ainsi n’a pas de résolution en énergie (ou longueur d’onde). Nous ne sommes donc pas dans ce cas pour ECLAIRs !

La notion d’amplification se retrouve donc dans une majorité des détecteurs à comptage de photons, avec l’objectif d’amplifier le signal pour sortir du bruit, même si dans certains cas, il est étudié la possibilité de produire suffisamment d’électrons pour dépasser le bruit du dé-tecteur, grâce à un rendement de multiplication (le niveau auquel nous souhaitons amplifier le signal n’étant pas le même dans le cas d’un PMT, se caractérisant par un gain d’amplification énorme, ou d’un CdTe où aucune amplification propre à la technologie n’existe).

Nous comprenons alors que c’est une question de compromis selon les exigences scienti-fiques en termes d’acceptabilité de perte des photons, et pourquoi il est privilégié l’utilisation des dispositifs à comptage de photons dans le cas de flux faibles.

Statistique de comptage

Si nous nous focalisons uniquement sur les fluctuations dues au bruit de photon, nous pouvons supposer que chaque événement individuel (un photon arrivant sur le détecteur pendant un petit intervalle de temps ∆t) a une probabilité identique p.∆t de se produire : l’arrivée des photons est un processus aléatoire (ou stochastique), mais pendant un temps T grand, le nombre N de photons qui arrivent sur le détecteur par unité de temps, est supposé constant.

Posons λ = N ∆t T

avec λ le nombre d’événements attendus pendant l’intervalle de temps ∆t.

En faisant l’hypothèse que le nombre de photons N est grand, et que le nombre moyen de photons par intervalle de temps nT (quotient N

T) reste constant, la loi binomiale tend alors

vers la loi suivante : P(n) = λn n!e −λ soit : P(n) = (N ∆t T ) n n! e −N ∆t T

où P(n) est la probabilité de recevoir n photons de la source dans l’intervalle de temps ∆t. Une des propriétés d’une variable aléatoire Z qui suit une loi de Poisson est :

Moyenne(Z) = λ et Variance(Z) = λ, donc Moyenne(Z) = Variance(Z). S B = M oyenne(Z) Sigma(Z) = M oyenne(Z) p M oyenne(Z) = p M oyenne(Z) = r N ∆t T

Grâce à la statistique de Poisson, nous pouvons donc établir que le rapport signal sur bruit S/B s’écrit comme étant la racine carrée du nombre de photons mesurés :

S B =

nT ∗ ∆t =nm, avec nT : le flux moyen de photons pendant le temps de mesure (soit N

T) et nm : le nombre de photons mesurés.

Lorsqu’un photon incident est absorbé, il est détecté avec un certain rendement, le ren-dement quantique (ou efficacité de comptage ≤ 1).

Le rendement quantique vaut :

η = nombre de photons** détectés pendant un temps t

nombre de photons reçus pendant le temps t

Cette définition, simplifiée, apparaît complexe dans son application ; en effet, le rendement quantique par exemple, dépend de nombreux facteurs, comme l’absorption des matériaux devant le détecteur, l’épaisseur du détecteur, l’énergie du photon, le temps mort, etc.

L’électron ainsi créé (ou « **électron », soit l’électron expulsé dans l’effet photo-électrique) est ensuite multiplié par un facteur f tel que :

f = nombre d’électrons collectés en sortie du détecteur pendant un temps t nombre de photoélectrons produits pendant le temps t

Rapport S/B

Pour un détecteur idéal en comptage de photons, nous avons vu que le rapport signal sur bruit pendant un temps ∆t est donné par la formule √

nm où nm est le nombre de photons mesurés.

Dans le cas où il existe une certaine efficacité de comptage η, le processus aléatoire n’est alors plus l’arrivée d’un photon, mais la détection d’un photo-électron : il faut alors appliquer aux photo-électrons détectés la statistique de comptage discutée pour les photons.

Pour évaluer le rapport signal sur bruit, posons :

nr = nombre de photons reçus

nm = nombre de coups mesurés

L’efficacité de détection est donnée par : η = nm nr

La statistique de Poisson s’applique aux coups mesurés : — En l’absence de bruit : S

B =

nm

— Avec du bruit :

ns+b = nombre de coups mesurés en présence de source + bruit

nb = nombre de coups mesurés en présence de bruit seul => nm = ns+b− nb

V(nm) = V(ns+b− nb) = V(ns+b) + V (nb) = ns+b+ nb soit S B = ns+b− nbns+b+ nb

En pratique, comme le détecteur a un courant d’obscurité ou de fuite (« dark current » ou « leakage current ») non négligeable, surtout s’il n’y a pas de refroidissement, nous compterons un certain nombre d’impulsions, et ce malgré l’absence de source lumineuse ou source radio-active (soit aucun photon incident arrivant sur le détecteur). C’est pourquoi, lorsque nous réalisons un test, nous commençons par mesurer ce courant d’obscurité (considéré comme un processus aléatoire au même titre que le nombre de photons qui arrivent sur le détecteur), avec pour seule excitation la tension de polarisation, qu’il faudra, dans un second temps, soustraire au signal « photons » mesuré en présence d’une source lumineuse (ou X).

Figure 2.24 – Gauche : Spectre de comptage photo-électron - Le seuil est défini entre deux pics - Les valeurs non entières de comptage sont dues au bruit du circuit électronique de lecture / Droite : Acquisition d’un spectre de comptage photo-électron d’un détecteur SiPM mesuré par un oscilloscope [Lacombe et al., 2018].

Notion de temps mort

Nous allons à présent aborder la notion de temps mort, qui entre dans les exigences scienti-fiques de l’instrument ECLAIRs.

Supposons que deux photons arrivent « en même temps » : cela signifie que la première impulsion correspondant au premier photon n’a pas eu le temps de descendre en dessous du seuil de discrimination avant que l’impulsion suivante, correspondant au deuxième photon, n’arrive. Dans ce cas, le système ne compte qu’une seule impulsion au lieu de deux ; ce phénomène, appelé « pile-up » (empilement de deux impulsions), contribue à une partie du temps mort, qui se traduit par une perte de photons non comptabilisés.

Nous pouvons ainsi définir un temps mort (« DT » pour « Dead Time ») comme la fraction du temps pendant laquelle les événements ne peuvent pas être détectés : nous perdons complètement une impulsion. Cela peut correspondre, par exemple, à la largeur typique de l’impulsion de l’événement au dessus du seuil de discrimination.

Supposons alors que l’on mesure un taux de comptage C, c’est à dire un nombre C d’im-pulsions par seconde. Du fait du temps mort, les événements ne sont pas comptés par le système de détection pendant la durée DT, et donc le « vrai » taux de comptage Cr a été

multiplié par un facteur 1 / (1 - C*DT), d’où le taux de comptage réel : Cr = C / (1 - C*DT). De façon plus générale, les événements impactant les détecteurs sont classés selon leur multiplicité. Les « événements multiples » correspondent à des détections d’événements ob-servées sur l’ensemble de la caméra, qui vont être considérés à juste titre ou pas, lors de la datation et de la lecture des pixels de détection, comme étant arrivés simultanément, car munis d’une même date par l’horloge de datation du système de lecture (dont le pas, dans notre cas, est de 10 µs).

Plusieurs types de phénomènes physiques vont pouvoir produire des détections qui vont engendrer ces événements multiples : les « vrais » événements multiples, qui sont associés à un événement incident unique (photon ou particule), et les « faux » événements multiples, qui correspondent à des interactions totalement indépendantes, c’est à dire qui peuvent n’avoir rien à voir entre elles, mais que le système d’analyse des événements n’est pas capable de séparer temporellement car elles sont apparues dans un même intervalle (pas) de l’horloge de datation des détecteurs (pour nous, les modules XRDPIX). Dans le cas de vrais événements, il peut survenir des interactions multiples d’un même photon créées par diffusion multiple, ou « double Compton interaction » (les photons diffusés lors d’une première interaction don-nant un second photon qui par rétrodiffusion sur la matière environdon-nante peut ré-interagir) ou émission de fluorescence, ainsi que de grandes Gerbes produites par l’interaction d’ions lourds dans l’environnement des détecteurs : une particule incidente unique va donner plu-sieurs interactions simultanées ou très légèrement étalées dans le temps, dans des détecteurs différents. Tous ces événements, compte tenu de leur dynamique, seront possiblement dotés du même temps d’arrivée.

En pratique, il est difficile de mesurer précisément le temps mort, que ce soit en étudiant l’impulsion mesurée à l’oscilloscope ou même en réalisant des simulations basées sur des statistiques Poissoniennes, surtout dans le cas d’instruments complexes comme ECLAIRs, qui combinent plusieurs milliers de détecteurs et des centaines de chaînes électroniques. Il est alors préférable, et plus précis d’envoyer des flux de photons croissants et calibrés, et de tracer la droite : taux de comptage = f(flux incident). A fort taux de comptage, la réponse n’est plus linéaire, on parle alors d’écart à la linéarité. On mesure cette non linéarité, et on en déduit le temps mort DT en cherchant la valeur qui permet au modèle de s’ajuster le mieux à la courbe réelle. La précision de cette mesure dépend de la précision sur la calibration de la source [Bajat et al., 2018].