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+ Bromures de triazolium

B. Comportement vitrimère des réseaux TPILs

1. Introduction

Nous avons démontré dans la partie précédente la présence de réactions de trans-N-alkylation entre les cycles 1,2,3-triazolium et l’iodure de méthyle. L’extension de ce type de réaction avec des halogénures d’alkyle plus longs est également fortement suggérée par la solubilisation lente des réseaux TPILs dans des solvants halogénés à haute température (n-C5H11 -Br, Br-C6H12-Br, I-C8H16-I). La détermination de la composition des réseaux TPILs réalisée à partir des analyses XPS nous a permis d’estimer qu’une fraction importante des réticulants halogénés restaient sous forme de chaînes pendantes et donc a priori disponibles pour des réactions d’échange par trans-N-alkylation in-situ avec des nœuds de réticulation 1,2,3-triazoliums. Ce type d’échange permettant de réorganiser de manière dynamique un réseau réticulé sans en changer la topologie correspond tout à fait à la classe de matériaux baptisés vitrimères par Ludwik Leibler en 2011.5 Par rapport à la gamme de vitrimères développés depuis, les réseaux réticulés à base 1,2,3-triazolium décrits dans ces travaux de thèse constituent le premier exemple de vitrimère fonctionnel où les groupes échangeables ont une fonction supplémentaire, à savoir permettre la conduction ionique. Après un bref état de l’art sur les vitrimères, on s’attachera à décrire les caractéristiques et les propriétés du réseau TPIL étudié dans la partie précédente.

2. Etat de l’art sur les vitrimères

Depuis les vingt dernières années, des efforts considérables ont été faits par différentes communautés de chimistes des polymères afin de remplacer les points de réticulation permanents dans les réseaux polymères par des liaisons réversibles. L'objectif est de maintenir les excellentes propriétés des réseaux réticulés quand les liaisons sont associées, puis de pouvoir rompre temporairement les liaisons (typiquement par une augmentation de la température) afin de remettre en forme le matériau. Un nombre croissant d'exemples peut être trouvé dans la littérature, faisant usage de liaisons réversibles plus ou moins fortes, des liaisons hydrogène aux liaisons covalentes réversibles. Dans le dernier cas de figure, le comportement de ces matériaux

CHAPITRE IV : Synthèse monotope de réseaux vitrimères à base 1,2,3-triazolium

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peut être illustré par l’exemple précurseur de Wudl et al : les réactions de Diels-Alder entre un tri-maléimide et un tétra-furfuryl sont fortement déplacées vers la formation d’un adduit à basse température (T < 80 °C), ce qui se traduit par la formation d’un réseau avec une forte densité de réticulation, et des propriétés similaires à une résine époxy-amine. A haute température (T > 120 °C), l’équilibre de Diels-Alder se retrouve déplacé en faveur des maléimides et furfuryls de départ, et le réseau se dépolymérise en monomères liquides.6

Schéma IV.6: Réaction de Diels-Alder entre un tri-maléimide et un tétra-furfuryl.

Les vitrimères introduits par l’équipe de Leibler et 2011 constituent un cas particulier de réseaux réversibles où l’équilibre de réaction se fait entre espèces de même nature chimique, et donc uniquement par échange d’un substituant.5 Les changements de température ne modifient donc pas les équilibres de populations ni la topologie des réseaux. Cependant, les réactions d’échange permettent de réorganiser l’agencement de points de réticulation, typiquement de manière à relaxer les contraintes quand le matériau est soumis à une déformation extérieure. Le matériau possède donc une certaine malléabilité tout en gardant à tout instant une structure tridimensionnelle permanente (Figure IV.14).

O N O O C O O O O N N O O O N O O ' 4 3

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Figure IV.14: Principe de la réorganisation de points de réticulation conférant une malléabilité

sans dépolymérisation. Le nœud de réticulation bleu (trifonctionnel) est transféré sur le segment vert par échange de substituants.

Le concept a été initialement démontré à partir de réseaux époxy-acides qui réagissent en formant des groupes ȕ-hydroxyl-ester (Schéma IV.7). Les équilibres de transestérification entre hydroxyls et esters, dont les cinétiques peuvent être contrôlées par la catalyse (notamment avec divers sels métalliques), contrôlent alors les temps de relaxation du matériau réticulé.

Ce changement représente une avancée conceptuelle et pratique importante en ce qui concerne les propriétés physiques de matériaux polymères. Alors que les propriétés dynamiques des polymères classiques en fondu sont contrôlées par la diffusion des chaînes polymères dans le fondu et se traduisent par des variations rapides de la viscosité au voisinage de la température de transition vitreuse (loi Williams-Landel-Ferry (WLF)),7 les dynamiques des vitrimères sont contrôlées par la cinétique des réactions chimiques d’échange, et de ce fait suivent une dépendance en température Arrhénienne, c’est-à-dire beaucoup plus lente et régulière sur une large gamme de température.

Schéma IV.7: a) Réaction entre époxyde et acide carboxylique résultant en une unité de

répétition contenant des fonctions ester et hydroxyle ; b) Réaction catalysée de transestérification pouvant opérer à haute température.

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La Figure IV.15 montre la dépendance de la viscosité en température de plusieurs matériaux selon une présentation utilisée par Angell (log(Ș) en fonction de Tg/T, en prenant pour définition de la température de transition vitreuse : Ș(Tg) = 1012Pa.s).8Alors que la viscosité des polymères organiques classiques varie fortement au voisinage de la Tg, et plus lentement aux hautes températures, les verres de silice (dits verres forts) ainsi que les vitrimères ont un comportement Arrhénien (soit une droite selon cette représentation).

Figure IV.15: « Angell fragility plot » montrant la viscosité en fonction de l’inverse de la

température normalisée avec Tg (ou Tvitrification pour les vitrimères quand Tv ! Tg). Les thermoplastiques tels que le polystyrène (PS) sont caractérisés par une chute sévère de leur viscosité au voisinage de la Tg suivant un modèle WLF et font partie des verres dits fragiles, contrairement aux vitrimères (époxy-acide en triangle rouge et époxy-anhydride en rond bleu) qui montrent une dépendance Arrhénienne de leur viscosité qui résulte en une diminution progressive de celle-ci similaire à la silice et font donc partie des verres dits forts.

Contrairement aux verres de silice ou aux polymères organiques linéaires qui ne possèdent qu’un seul mode de relaxation (l’échange de ponts Si-O dans les verres de silice ou les diffusions de chaines dans les polymères linéaires), les vitrimères présentent ces deux modes de relaxation à la fois. Le premier mode est lié à la diffusion des chaines maintenues dans un réseau permanent, il lui correspond la température de transition vitreuse Tg, déterminant le passage de l’état vitreux à l’état caoutchoutique (mesurée classiquement par DSC dans les polymères réticulés). Le second mode de relaxation dérive de la réaction d’échange des nœuds de réticulation du réseau, il se passe à des temps plus longs (ou à des températures plus élevées) et

VERRES FORTS

VERRES FRAGILES