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6. Categorical I mpact Results

3.3. Complexité textuelle

Comme Temnikova le définit dans sa thèse (2012), la complexité textuelle est une caractéristique interne d’un texte écrit qui influe sur la compréhension humaine pendant la lecture ou d’autres activités ultérieures, comme la traduction et le traitement automatique avec des outils informatiques d’aide au traducteur. Cette complexité textuelle, indépendante des aptitudes de lecture, peut se manifester dans les trois niveaux de la langue : lexical, syntaxique et pragmatique. Bien entendu, il existe des similarités et des divergences par rapport aux éléments qui peuvent influencer la complexité textuelle suivant que le « récepteur » est un humain ou une machine. Par exemple, les langages contrôlés destinés aux humains se concentrent davantage sur les ambiguïtés lexicales, les constructions de phrases simples et sur des questions pragmatiques ; certaines règles comme "Dependent clauses that express a condition on the action in the main clause must precede the main clause" sont des restrictions qui aident plus à la compréhension humaine qu’à celle automatique (Huijsen, 1998). De son côté, les langages contrôlés conçus pour les machines cherchent à éviter les ambiguïtés problématiques pour un ordinateur ; éviter les omissions et la restriction de l’usage de pronoms sont les règles qui produisent plus de bénéfices au processus automatique. Une différence générale est que les règles de langages contrôlés pour les machines doivent être précises et formalisables automatiquement, comme "Do not use sentences of more than 20 words", alors que les humains peuvent appliquer des règles qui sont présentées d’une manière plus vague, comme "Make your instructions as specific as possible" (Huijsen, op. cit.).

Dans cette étude, nous avons choisi des simplifications pour l’humain, qui devraient cependant aussi avoir un impact sur la machine car, comme le dit Huijsen, dans la pratique, il est souvent difficile de les classer dans l’une ou l’autre des catégories, puisque la simplification fonctionne dans les deux cas.

Les éléments qui caractérisent le langage juridique et, selon Charrow et Charrow (1979), peuvent être polémiques lors de la compréhension ou traduction d’un texte sont les suivants.

3.3.1. Nominalisations

Une technique syntaxique pour ne pas accentuer ou pour rendre obscure l’identité de l’agent dans une action est le phénomène linguistique de la nominalisation. Une nominalisation est un nom dérivé d’un autre mot d’une autre catégorie grammaticale, souvent un verbe ; au lieu d’utiliser le verbe, nous utilisons un nom qui doit être précédé d’un autre verbe. Des recherches linguistiques indiquent que les nominalisations sont plus difficiles à traiter que leurs formes verbales équivalentes (Charrow et Charrow, op. cit.) et utiliser des verbes au lieu des formes nominalisées correspondantes constitue, dans beaucoup de cas, une manière plus directe et plus efficace de communiquer. Malheureusement, il existe une forte tendance dans le langage juridique à utiliser les nominalisations. Les nominalisations juridiques en anglais se font souvent avec les suffixes "-tion" ou "-al", comme dans les cas de

"prosecution", "execution", "approval" ou "removal". L’ajout de la terminaison propre du gérondif, le suffixe "-ing", est aussi une manière de créer des noms à partir de verbes, comme dans la phrase : "Injuring the girl was unforgivable". Le gérondif permet de ne pas mentionner l’acteur de l’action et le rédacteur peut, ainsi, porter sur tout acteur possible. Il n’est cependant pas très précis et pose des problèmes d’ambiguïté puisque la forme est ambiguë entre un nom, un adjectif et un verbe. Dans tous les cas, utiliser cette technique, ou en abuser, ne constitue pas une très bonne habitude du langage juridique et dans le langage simplifié, ces formes doivent être proscrites, sauf s’il s’agit d’un terme. La phrase "Failure of recollection is a common experience", déjà citée lorsque nous avons donné des exemples utilisés par Charrow et Charrow dans leur expérience6, pourrait être écrite beaucoup plus simplement comme "People commonly fail to recollect things" ou "People often forget things"

(Tiersma, 1999). Dans notre corpus, nous avons traité quatre cas de nominalisation.

6 Voir Figure 12 dans la section 2. 5. du chapitre 2.

3.3.2. Phrases subordonnées et longueur

Les propositions subordonnées abondent dans le langage juridique et elles peuvent être placées dans diverses positions : au début de la phrase comme une ramification à gauche, emboîtées au milieu ou à la fin. Il existe certaines tendances concernant la position selon le type de proposition subordonnée, par exemple : les conditionnelles introduites par la particule "if" et les phrases introduites par "where" qui décrivent des cas particuliers apparaissent souvent dans les textes juridiques au début de la phrase.

Cependant, leur emplacement naturel est à la fin et c’est là qu’ils causent moins de problèmes aux lecteurs (Tiersma et Solan, 2012). Il y a des phrases avec des ramifications à droite qui peuvent aussi poser des problèmes, comme le montre l’exemple suivant, extrait du site web des archives nationales du gouvernement du Royaume-Uni : "a requirement for arrangements to be made, in cases where a key for data is not deposited with another person, which otherwise secures that the loss of a key, or its becoming unusable, does not have the effect that the information contained in a record kept in pursuance of any provision made by or under any enactment or subordinate legislation becomes inaccessible or incapable of being put into intelligible form". Cette phrase contient deux phrases subordonnées « à droite » de la principale, l’une introduite par "where" et l’autre par "which", qui a elle-même deux subordonnées introduites par le pronom relatif "that" ; il est donc difficile de savoir à quoi elles se rapportent (Tiersma et Solan, op. cit.).

Cependant, ce sont les phrases subordonnées incrustées au milieu de la phrase principale qui ont le plus réputation d’être syntaxiquement problématiques, car elles cassent la continuité et créent une ambigüité. La théorie linguistique soutient que, au fur et à mesure que les enchâssements augmentent, la compréhension diminue, comme dans la phrase : "A person who, when riding a cycle, not being a motor vehicle, on a road or other public place, is unfit to ride through drinks or drugs, shall be guilty of an offence". Tiersma (op. cit.) déclare que le souhait d’inclure toute l’information pertinente sur un sujet concret dans une même unité indépendante peut également constituer une motivation pour rédiger des phrases longues. Dans notre corpus particulier, la phrase la plus longue a 52 mots, la plus courte 26, et, en total, nous comptons sept cas de propositions subordonnées gênant la compréhension.

La Figure 13 illustre bien, avec une phrase de 210 mots, la longueur parfois excessive du langage juridique, dont la difficulté de lecture augmente par l’omission de signes de ponctuation (paradoxalement, dans ce cas, il semble, d’après Tiersma et Solan (op.

cit.), que nous avons de la chance, car il y a quelques signes d’énumération et parenthèses) :

"If the whole or any part of the Rents shall be unpaid for twenty one days after becoming due (whether formally demanded or not) or if there shall be a breach of any of the Tenant's covenants contained in this Lease the Landlord shall be entitled (in addition to any other right) at any time thereafter to re-enter the Premises or any part of it in the name of the whole and thereupon the Term shall absolutely determine but without prejudice to any right or remedy of the Landlord in respect of any breach of covenant or other term of this lease Provided that if the Tenant shall have served notice in writing on the Landlord at any time with the name and address of the Tenant's Lender on the property the Landlord shall not be entitled to exercise its right of entry herein until at least 21 days notice in writing has been given by the Landlord to the said Lender stating (i) details of unpaid rents and/ or (ii) the nature of any breach of covenant on the part of the Tenant alleged by the Landlord and (iii) details of the Landlord's requirements for any such breach to be remedied insofar as the breach is capable of remedy."

Figure 13 : Extrait du ouvrage de Tiersma et Solan (op. cit., p. 78-79)

3.3.3. Phrases prépositionnelles "as to"

Les phrases prépositionnelles sont particulièrement fréquentes dans le langage juridique, caractéristique qui émerge du conflit entre le besoin d’être bref et celui de fournir toutes les informations nécessaires (Bünzli, 2012). C’est pour cela que ce trait linguistique est étroitement lié à la longueur des phrases juridiques. En général, les phrases prépositionnelles créent beaucoup d’ambiguïté, mais celles qui commencent par "as to" semblent encore plus floues et imprécises. Ces deux mots agissent comme lien entre deux parties d’une phrase, mais elles n’explicitent pas si le rapport est temporel, spatial, conditionnel, etc. Nous n’avons trouvé que deux exemples de phrases prépositionnelles "as to" dans le corpus analysé.

3.3.4. "Whiz"

Ce phénomène grammatical est connu par les linguistes sous le nom de suppression de "whiz" (abréviation de "which is"). Il désigne des phrases subordonnées où il manque le pronom relatif ("which", "that", "who", etc.) et le verbe copulatif. Nous avons ainsi un participe passé qui modifie directement un nom, sans être précédé du pronom relatif et du verbe copulatif correspondants. Même s’il s’agit d’une suppression très courante et naturelle dans la langue anglaise (ce qui est supprimé reste implicite dans la phrase), dans certains cas, ce manque d’information grammaticale peut nécessiter un effort supplémentaire pour le récepteur afin de reconstruire la phrase. Ce phénomène linguistique est illustré dans cinq cas dans nos paragraphes.

3.3.5. Termes techniques

Il n’y a pas le moindre doute quant au lexique juridique. Les termes propres du langage juridique ne sont pas des mots que nous utilisons tous les jours, mais des mots assez peu fréquents, propres à un domaine très particulier. Malgré certains critiques qui estiment que ce jargon spécialisé embrouille le public, ses érudits, bien évidemment, le considèrent comme essentiel pour communiquer dans la profession.

Beaucoup de termes juridiques sont vraiment archaïques, comme les formes pronominales "thou" et "ye", vues par ses défenseurs comme plus précises que leurs équivalents modernes ("you" singulier et pluriel, respectivement). Les légalismes du type "hereunder", "thereon" ou "whereby", qui relèvent de l’anglais médiéval sont aussi fréquemment utilisés, tout comme les formules verbales, comme "Oyez, oyez, oyez" ou "Hear ye, hear ye, hear ye", qui annoncent le début ou la fin d’une audience et apportent un caractère formel à la séance (Tiersma, op. cit.). Dans notre corpus, nous avons relevé trois cas de formalismes ou technicismes.

3.3.6. Verbes modaux

L’une des caractéristiques de la langue juridique anglaise est l’usage des verbes modaux auxiliaires, comme "must", "should", "might", "may", etc. Nous trouvons surtout beaucoup de documents juridiques qui utilisent le faux impératif "shall", alors qu’il est absolument inutile et parfois même erroné (Elliot, 1991). Dans l’anglais

l’anglais juridique, "shall" peut être employé pour exprimer un ordre ou une obligation, mais aussi pour faire une déclaration ou établir les termes d’un contrat. En fonction du type de document où il se trouve, il peut porter une nuance ou une autre, ce qui explique son omniprésence. Même si la nuance que dénotent les verbes auxiliaires modaux est difficilement remplaçable et s’ils sont nécessaires pour maintenir une conversation claire et nette même dans une communication ordinaire, nous pouvons en tout cas remplacer, lors de la simplification, le verbe "shall" par

"must" quand nous nous adressons au public général (Tiersma, op. cit.). Nous avons neuf exemples de verbes modaux dans nos textes, dont deux de "shall".

3.3.7. Phrases négatives

Parfois, on affirme que la langue juridique contient une quantité peu habituelle de négations. Cela est peut-être dû à l’ancienne notion qui fait que tout ce qui n’est pas expressément interdit est autorisé. Par conséquent, la loi traite surtout de ce que les gens ne peuvent pas faire et est donc formulée négativement. Par exemple, huit des dix commandements ont été rédigés à la forme négative. Et quand nous parlons des négations, ce ne sont pas simplement les mots typiques "not" ou "never", mais tout élément avec une signification négative, comme les préfixes "mis-" dans "misleading"

et "misunderstanding", ou "un-" dans "unfortunately" et "unlike", et même des mots dont le contenu sémantique est déjà négatif, comme "deny" ou sa forme gérondive,

"denying", que nous verrons dans l’un de nos exemples (Tiersma, op. cit.). La négation multiple est un autre trait très commun de ce langage cérémonial, comme le montre l’exemple suivant d’une instruction juridique donnée aux membres d’un jury en Californie, qui contient trois négations en cinq mots : "innocent misrecollection is not uncommun", phrase aussi extraite des exemples utilisés par Charrow et Charrow7. Beaucoup de recherches psycholinguistiques concernant les phrases négatives ont montré que celles-ci demandent plus d’efforts pour être traitées et génèrent plus d’erreurs de compréhension que des phrases similaires énoncées à l’affirmatif (Temnikova, op. cit.) ; et, logiquement, plus une phrase comporte de négations, plus elle est difficile à comprendre : si nous avons une négation dans une phrase, nous devons d’abord comprendre le sens en affirmatif et après le tourner à la forme

7 Voir Figure 12 dans la section 2. 5. du chapitre 2.

négative ; si nous en avons deux, les principes grammaticaux en anglais nous disent qu’elles s’annulent et le lecteur doit interpréter la phrase comme si elle était affirmative ; mais c’est quand nous en retrouvons trois ou quatre dans la même phrase que la situation devient sémantiquement intolérable (Tiersma, op. cit.).

3.3.8. Phrases passives

Un autre trait linguistique de la langue juridique est l’usage abusif de la voix passive.

Des études cognitives montrent que les propositions à la voix passive sont plus difficiles à traiter que celles qui sont écrites à la voix active car, comme nous venons de voir dans les cas des phrases négatives, nous devons d’abord transformer la phrase passive en active pour la comprendre (Temnikova, op. cit.). Le fait que les phrases passives soient plus difficiles à comprendre que les actives est logique : la construction passive s’éloigne de la structure de base d’une phrase en anglais. Les lecteurs s’attendent en effet à ce que le sujet grammatical soit aussi l’acteur de l’action, tandis que dans les passives le sujet grammatical devient l’objet de l’action.

À l’image des nominalisations, les passives cachent l’identité de l’acteur, intentionnellement ou non, ce qui ne peut que réduire la précision. Parfois, elles apparaissent même sans complément d’agent (l’acteur de l’action), en omettant toute information sur la partie responsable. Cela peut bien sûr être légitime : les législateurs veulent mettre l’accent sur l’objectivité et que leurs instructions aient la plus grande force rhétorique possible mais, en fait, cela oblige le lecteur ou la personne qui écoute les instructions à fournir un effort supplémentaire pour « remplir les blancs » (Tiersma, op. cit. ; Charrow et Charrow, op. cit.). D’ailleurs, les juges, afin de sembler les plus autoritaires possible, évitent souvent la première personne et disent : "It is ordered, adjudged and decreed...". Le langage juridique est souvent condamné pour une dépendance abusive des constructions à la voix passive, et justement, un principe de base du langage simplifié est l’interdiction de ce type de constructions, surtout dans des procédures.