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6. Categorical I mpact Results

2.5. Application à la langue juridique

Comme nous l’avons déjà mentionné, le mouvement du plain English et le langage contrôlé ont commencé à s’étendre à d’autres domaines que la langue technique.

Cependant, peu d’études concrètes ont été réalisées dans le domaine juridique. Ce travail se fondera sur celle de Charrow et Charrow (1979), qui a été très utile pour la réalisation de ce mémoire. Soucieux de la gravité des conclusions postérieures qu’une mauvaise compréhension peut provoquer, ils voulaient démontrer que la complexité du langage juridique était due aux éléments et constructions linguistiques problématiques, et non au contenu.

Pour ces auteurs, l’incompréhension d’une personne non érudite en la matière pouvait être évitée en identifiant et en changeant lesdits éléments « complexes ». Pour le prouver, ils ont fait deux expériences. La première consistait à faire écouter (deux fois) des procédures juridiques enregistrées préalablement sur une cassette audio à des personnes de différents niveaux d’éducation, parfaitement éligibles pour la fonction de juré. Les phrases écoutées, d’une longueur déterminée, contenaient un certain nombre de constructions linguistiques « difficiles » propres au langage juridique ; les sujets devaient les paraphraser et chaque phrase paraphrasée était enregistrée et transcrite pour pouvoir ensuite l’analyser. Pour faciliter la tâche des juges qui devaient décider ce que chaque sujet avait compris, chaque instruction juridique a été découpée en unités, dont nous pouvons observer certains exemples dans la Figure 9 ci-dessous :

Texte découpé par unités It is my duty

to instruct you in the law that applies to this case and you must follow the law as I state it to you

As jurors

it is your exclusive duty

to decide all questions of fact submitted to you

and for that purpose (it is your duty)

to determine the effect and value of the evidence you must not

be influenced by sympathy prejudice or passion

Figure 9 : Extrait de l’article de Charrow et Charrow (op. cit., p. 1314)

De cette manière, chaque unité recevait un score : correct, correct by inference5, wrong, omitted. Les données de cette première expérience prouvaient que le juré moyen ne comprenait en effet pas correctement les instructions juridiques.

Les résultats du premier test étaient plutôt descriptifs (ils montraient clairement une incompréhension lors de la lecture ou l’écoute des textes juridiques), mais Charrow et Charrow voulaient aller au-delà et prouver que c’était la forme d’exprimer le contenu, et non le contenu lui-même, qui gênait la compréhension. Plus spécifiquement, les difficultés de compréhension étaient dues, non pas au lexique spécifique du domaine, mais à certains types de constructions linguistiques. Pour la réalisation de la deuxième expérience, ils ont donc identifié les aspects linguistiques problématiques et réécrit les instructions juridiques en les éliminant. Les éléments propres au langage juridique suspects d’être responsables de certaines mésinterprétations étaient, entre autres : l’utilisation excessive de la voix passive, l’occurrence de plusieurs négations dans la même phrase, l’abus de nominalisations, qu’ils avaient essayé de remplacer par les verbes correspondants, le recours à des phrases prépositionnelles ambiguës

5 Quand un participant échouait lors de la paraphrase d’une unité concrète, mais que l’existence de ladite unité pouvait être rationnellement déduite à partir du reste de la paraphrase du participant, on lui accordait du crédit pour cet élément particulier. Pour déterminer la performance du sujet, "correct by inference" était traité comme équivalent de "correct".

commençant par "as to", reformulées d’une autre manière si possible, etc. Certains exemples de l’expérience de Charrow et Charrow sont montrés et commentés dans les Figures 10, 11 et 12 :

Texte original Texte modifié

Ladies and Gentleman of the Jury:

It is my duty to instruct you in the law that applies to this case and you must follow the law as I state it to you.

As jurors it is your exclusive duty to decide all questions of fact submitted to you and for that purpose to determine the effect and value of the evidence.

You must not be influenced by sympathy, prejudice or passion.

Members of the Jury:

I am now going to tell you the laws that apply to this case. As jurors you have two major duties:

First, you must look at the evidence, and decide from the evidence what the facts of this case are. It is your job and no one else’s to decide what the facts are.

Second, you must listen to the laws that I am now telling you, and follow them, in order to reach your verdict.

In fulfilling these duties, you must not be influenced by your feelings of sympathy or prejudice.

Figure 10 : Extrait de l’article de Charrow et Charrow (op. cit., p. 1341-1342)

Dans cet exemple (Figure 10), nous pouvons facilement omettre le devoir du juge et nous focaliser sur celui des membres du jury ; nous risquons moins d’oublier des instructions si nous les énumèrons et nous les faisons précéder par des adverbes de temps ; des unités comme "your exclusive duty", même si elles sont plus longues, deviennent aussi beaucoup plus claires si nous les expliquons ; finalement, la liste de facteurs qui peuvent influencer la décision peut être réduite, parmi d’autres

« simplifications ».

Texte original Texte modifié

If in these instructions any rule, direction or idea is repeated or stated in varying ways, no emphasis thereon is intended by

As you listen to these instructions of law, there are three things you must keep in mind:

me and none must be inferred by you. For that reason you are not to single out any certain sentence or any individual point or instruction and ignore the others, but you are to consider all the instructions as a whole and are to regard each in the light of all the others.

The order in which the instructions are given has no significance as to their relative importance.

First, throughout these instructions, you may find that some ideas or rules of law any part of an instruction. And

Third, the fact that I am giving the

Figure 11 : Extrait de l’article de Charrow et Charrow (op. cit., p. 1342-1343)

Dans ce cas (Figure 11), nous ajoutons une phrase introductive qui organise et énumère les trois idées principales. Nous découpons aussi la phrase, en mettant la conséquence comme proposition indépendante qui reprend le référent avec un simple

"that" : "That does not mean that I am trying to emphasize those rules or ideas".

Nous trouvons plusieurs exemples de phrases où la voix passive est transformée en voix active.

Texte original Texte modifié

Discrepancies in a witness’s testimony or between his testimony and that of others, if there were any, do not necessarily mean that the witness should be discredited. Failure of recollection is a common experience, and innocent misrecollection is not uncommon. It is a fact, also, that two persons witnessing an

As jurors, you have to decide which testimony to believe and which testimony not to believe. You may be tempted to totally disbelieve a witness because he contradicted himself while testifying.

Keep in mind, however, that people sometimes forget things, and end up contradicting themselves.

incident or a transaction often will see or hear it differently. Whether a discrepancy pertains to a fact of importance or only to a trivial detail should be considered in weighing its significance.

You might also be tempted to totally disbelieve a witness because another witness testified differently. But keep in mind also that when two people witness an incident the often remember it differently.

When you are deciding whether or not to believe a witness, you should consider whether contradictions or differences in testimony have to do with an important fact or only a small detail.

Figure 12 : Extrait de l’article de Charrow et Charrow (op. cit., p. 1345-1346)

Dans ce troisième paragraphe (Figure 12), nous pouvons trouver des exemples de ce qu’on appelle en anglais "truncated passives", où l’on omet l’agent de l’action parce qu’il est trop évident, inconnu ou sans importance, mais le manque d’information peut perturber le jury. De plus, dans l’un des exemples, le sujet du verbe dans la phrase passive est une phrase entière subordonnée ("Whether a discrepancy pertains to a fact of importance or only to a trivial detail […]"). Nous trouvons aussi un exemple de nominalisation, "Failure of recollection […]" réécrite d’une manière beaucoup plus explicative.

La tâche de paraphrase était à nouveau effectuée, par un deuxième groupe de nouveaux participants semblable au premier groupe. La présomption que certaines constructions linguistiques étaient la cause de certains problèmes de compréhension fut validée, car les modifications effectuées améliorèrent la performance des sujets.

Pour conclure, nous aimerions rappeler que cette étude se fondait sur trois hypothèses, à savoir que le juré moyen ne comprend pas bien les instructions qui leur sont données pour délibérer et prendre une décision, que certaines constructions linguistiques sont, en grande partie, responsables de cette incompréhension, et que si l’on modifie de manière appropriée lesdites constructions, la performance des jurés se trouve améliorée grandement, malgré la complexité conceptuelle. Les résultats des

expériences entreprises par Charrow et Charrow soutiennent ces hypothèses. En outre, ils avaient démontré l’utilité de la méthodologie de paraphrase pour identifier les éléments problématiques du langage juridique, qui doivent être modifiés afin d’assurer la compréhension du non-expert dans la matière.

2.6. Conclusion

Après avoir confirmé les difficultés évidentes posées par le langage juridique et le besoin de le rendre plus accessible pour nous tous, nous avons pu constater l’importance croissante et l’utilité du mouvement plain language dans beaucoup de pays. Nous avons étudié ensuite les diverses règles (lexicales, syntaxiques et textuelles) qui fournissent un cadre à cette initiative du plain English et qui conforment ainsi les divers langages contrôlés.

Afin de voir la mise en pratique de tout cela, nous avons parcouru et résumé différentes études qui montrent l’impact positif lors de l’application de différents langages contrôlés. D’abord, nous avons vu l’étude de compréhension et traduction de Holmback, qui nous a confirmé une meilleure performance lors de l’application des règles du SE aux textes techniques. Ensuite, nous avons résumé l’étude de Temnikova par rapport à la complexité textuelle au domaine de la gestion de crise, où elle-même élabore des directives de simplification du CLCM et évalue son impact en posant des questions de compréhension sur une interface en ligne et dans un temps limité. En troisième lieu, Aikawa nous montre, au moyen des évaluations humaines et statistiques, comment l’application des règles du LC a un impact positif sur la traduction automatique effectuée à l’aide de l’outil MSR-MT en quatre langues différentes, et les conséquences positives qui dérivent de cela lors de la post-édition de textes traduits. Pour finaliser, nous avons observé l’impact des langages contrôlés dans le cas concret qui nous intéresse le plus lors de cette étude, appliqué au langage juridique. Charrow et Charrow ont entrepris une expérience de paraphrase des instructions juridiques grâce à laquelle ils ont corroboré une incompréhension évidente et généralisée due à certaines constructions linguistiques et la possibilité d’y remédier en modifiant lesdites constructions.

3. Méthodologie

3.1. Introduction

Dans ce chapitre, nous expliquons le choix du corpus pour notre étude (section 3. 2.) et nous passons en revue tous les éléments qui peuvent avoir une influence sur la complexité textuelle (section 3. 3.). Ensuite, nous exposons la manière dont nous avons procédé lors de la simplification des paragraphes choisis (section 3. 4.). Enfin, nous présentons les participants de notre expérience et l’outil automatique dont nous nous sommes servi (section 3. 5.).