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II. LES DIFFÉRENTS MODÈLES THÉORIQUES POUR LE CALCUL DE LA CAPACITÉ DE

2. COMPARAISON DES MODÈLES

2.3 Comparaison des approches utilisées pour le calcul des apports naturels en P

Suite à la comparaison des différentes méthodes existantes pour le calcul des apports en phosphore causés par l’humain à un plan d’eau, il est intéressant de se pencher dans un deuxième temps, sur le calcul qui est à la base de la détermination de la capacité de support d’un lac aux apports en phosphore. En effet, la valeur totale en P prédite pour un lac devra être comparée à celle que l’on juge comme étant censée être le reflet de son évolution naturelle, en absence de perturbations humaines dans son bassin versant. Ainsi, la prédiction des apports ou de la concentration naturelle en P d’un plan d’eau est cruciale et servira de référence pour le reste de la procédure. Examinons plus en détail les méthodes de calculs proposées dans la littérature.

En premier lieu, les deux modèles datant des années 70, soient les modèles de Dillon et Rigler et du MRNQ, calculent l’apport naturel en phosphore arrivant au lac selon une approche de bilan de masse en fonction du pourcentage d’éléments naturels présents dans le bassin versant et de leurs coefficients d’exportation pour le phosphore respectifs. Ainsi, Dillon et Rigler calculent les apports naturels en P comme étant le reflet de l’exportation en P de la forêt et des pâturages du bassin versant. Ainsi, toute occupation humaine présente dans le bassin versant est remplacée par le vocable « forêt » et est combinée aux fractions de forêt et de pâturages existantes au moment de l’étude dans le bassin versant du lac. Notez bien que les différents coefficients d’exportation en P pour les variables « forêt » et « pâturages » varient légèrement en fonction du type de sol présent dans le bassin versant (sédimentaire ou ignée). Par ailleurs, le coefficient d’exportation naturel utilisé pour les milieux ouverts (pâturages) diffère légèrement lorsqu’il y a présence de plus de 15 % de ce type d’utilisation du sol dans le bassin versant. Pour sa part, le modèle québécois du MRNQ est un peu plus

exhaustif par rapport au modèle de Dillon et Rigler, car il considère aussi les apports en provenance des milieux humides et des surfaces d’eau, en plus de ceux provenant de la forêt et des pâturages, dans le calcul des apports naturel en provenance du bassin versant. De plus, il utilise un coefficient d’exportation spécifique pour les pâturages.

« En retranchant les apports anthropiques et en les remplaçant par de la forêt non perturbée, on peut évaluer la charge en phosphore naturelle des lacs, c'est-à-dire dans le cas où leur bassin n’avait jamais été développé. C’est ce qu’on appelle la concentration naturelle d’un lac en phosphore (Dillon et al., 1986). » (Fredette, 2007).

Les modèles de DMM et du LAKECAP de leur côté laissent tomber l’approche de bilan de masse et des coefficients d’exportation pour le calcul de l’apport naturel en phosphore à un lac. En effet, suite à la découverte d’une forte corrélation entre le pourcentage de milieux humides présents dans un bassin versant et l’apport en phosphore naturel au lac, suite à des études effectuées sur des lacs non développés, les chercheurs du LAKECAP ont mis au point un calcul permettant de déterminer cette concentration. Ainsi, selon cette approche, une formule ayant comme seule variable le pourcentage de milieux humides présents sur le territoire du bassin versant permet maintenant d’obtenir une valeur de référence sur la concentration naturelle en P d’un lac. Les chercheurs travaillant sur le modèle de DMM ont adapté la première version de ce calcul à leur modèle. Par ailleurs, la version de 2006 du LAKECAP propose une formule légèrement raffinée dont la précision fut améliorée.

D’autre part, il est important de mentionner qu’à toutes les valeurs de la concentration en phosphore naturelle en provenance du territoire, calculées à l’aide des méthodes citées ci-haut, sont additionnés les apports naturels en P en provenance des

précipitations et des lacs en amont, afin d’obtenir l’apport naturel total en phosphore

Pour sa part, le modèle empirique élaboré par Richard Carignan propose de calculer la concentration en phosphore naturelle d’un plan d’eau à l’aide d’une formule, un peu dans le même ordre de pensée que les modèles de DMM et du LAKECAP. Par contre, il fait intervenir comme seule variable le carbone organique dissous (COD) à la place du pourcentage de milieux humides, suite à la découverte d’une forte corrélation entre ces deux variables.

Ainsi, il est possible de comparer les formules du modèle du DMM, LAKECAP et de Carignan et de se questionner sur leurs différences respectives autant sur le plan technique que scientifique.

Tout d’abord, même si la concentration de COD présente dans un plan d’eau dépend étroitement de la quantité de milieux humides sur son bassin versant, cette valeur est aussi sous l’influence d’autres variables comme la pente du bassin versant, le volume du lac et le rapport de drainage (superficie du bassin versant par rapport à celle du lac). Cela s’explique par la différence majeure que la valeur de COD est mesurée dans le plan d’eau lui-même, tandis que le pourcentage de milieu humide est une donnée prise directement sur le territoire du bassin versant. Ainsi, la quantité de COD ayant atteint le lac aura préalablement subi l’influence des caractéristiques physiques du bassin versant, telle que la topographie. C’est pourquoi, même s’il est démontré que la majeure partie du COD que l’on retrouve dans un plan d’eau provient des milieux humides, il est plus précis afin de calculer la concentration en P naturelle d’un lac, de se fier à une donnée prise dans le plan d’eau lui-même, plutôt que sur le territoire de son bassin versant. De plus, des variables de la dynamique interne du lac, telles que son volume ou le taux de renouvellement de la masse d’eau peuvent aussi influencer les concentrations en phosphore et COD naturellement présentes, ce qui n’est pas le cas du

« On se rend compte que la concentration en carbone organique dissous dépend surtout de l’abondance des milieux humides dans le bassin versant, mais dépend aussi de quelques autres propriétés : de la pente du bassin versant, du rapport de drainage, de la taille du bassin versant par rapport à la taille du lac. » (Carignan, 2006b).

COD = 4,5 + 1,1 (mhum / vol) – 0.26 pente + 0.09 AB/∑AL

Mhum : milieux humides (km2)

Pente : pente moyenne du bassin versant AB/∑AL : ratio de drainage

Source : Carignan, 2006b

Côté technique, le COD est un paramètre facilement mesurable sur le terrain et est analysé depuis plusieurs années lors de la prise d’échantillons afin de déterminer le statut trophique des plans d’eau, notamment au Québec. Des données sont donc disponibles à ce sujet au niveau provincial, grâce au Réseau de Surveillance Volontaire (RSV) des lacs et au niveau municipal, via les études limnologiques effectuées par des consultants privés. Par contre, peu de connaissances existent actuellement sur les milieux humides au Québec et leur cartographie est loin d’être complétée dans une région comme les Laurentides, par exemple.

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Finalement, le COD constitue une mesure plus stable dans le temps que la quantité de milieux humides d’un bassin versant, qui peut varier en fonction de l’activité annuelle des castors et du climat.

« (…) le COD est très facile à mesurer (…) et est à peu près semblable partout dans le lac, puis ne varie pas beaucoup dans le temps. C’est rare de trouver un paramètre dans un lac qui ne varie pas beaucoup...» (Assel, 2007).

« Les cartes topographiques ne sont jamais à jour et ça évolue très rapidement. Les milieux humides par les castors, selon mon expérience dans les Laurentides, si tu regardes de 20 ans en 20 ans, ça change radicalement. C’est plus les mêmes chiffres, je peux me tromper facilement de 50 %. (...) Aussitôt que tu rentres le COD dans les calculs, tu te débarrasses des milieux humides. » (Carignan, 2007).

Par contre, même s’il semble comporter certains avantages à utiliser la formule développée par le Dr Carignan pour prédire la concentration naturelle en phosphore d’un plan d’eau à partir du COD, certains analystes des modèles apportent un bémol sur la validité de l’utilisation de cette formule à grande échelle, n’ayant pas été validée sur des lacs non développés. En effet, le Dr Carignan a testé sa formule uniquement sur des lacs ayant subi la pression du développement humain dans leur bassin versant. Ainsi, il serait possible, par exemple, que les prédictions en fonction du COD ne soient plus exactement les mêmes, pour des bassins versants encore vierges et non développés.

« (...) C’est une de mes questions : est-ce que l’état zéro prédit par Dr Carignan est meilleur que l’état zéro prédit par le modèle de Dillon ? En réalité, il n’y a pas de réponse là-dessus, parce que Dr Carignan l’a fait pour les lacs de villégiature développés. C’est pour ça que je voudrais faire un test sur les lacs non touchés, non développés et puis là, essayer les deux modèles puis voir lequel « parle » le mieux. C’est un des projets complémentaires qu’on a en tête et qui m’intéresse beaucoup parce que je ne suis pas convaincue de l’état zéro, de ni un des deux modèles. (…) Il y a très peu d’études sur des lacs non développés pour ces modèles-là. » (Dufour, 2008).

Bref, de façon plus générale, il semble évident de constater, tout comme pour les calculs des apports artificiels en phosphore à un plan d’eau, un avantage à utiliser une simple équation mathématique au lieu d’un calcul de bilan de masse afin de prédire la

Carignan ou les formules tirées du modèle de DMM et du LAKECAP. Étant donné que le calcul des apports naturels en phosphore à un lac ne s’effectue pas dans le but de remonter à la source et de cibler leur importance relative dans le bassin versant afin de les diminuer, les approches de Dillon et Rigler et du MRNQ semblent désavantagées dû à leur imprécision. En effet, ces démarches sont non seulement beaucoup plus complexes au niveau des calculs, mais reposent aussi sur des valeurs prédites, tandis que la concentration de COD ou le pourcentage de milieux humides peuvent être des valeurs directement mesurées sur le territoire ou le plan d’eau lui-même.

« Adoption of wetland area as a predictor of natural phosphorus export was particularly valuable in reducing under-estimation in the model. The export coefficient of 9.8 mg/L for natural

phosphorus export from watershed was removed and replaced with prediction based on % of wetlands in the catchment. This modification was based on recent research (…) which

indicates that there is a better correlation between the percentage of wetland in a

watershed and the amount of natural phosphorus loading to a waterbody than a simple runoof value. » (Gartner Lee Limited, 2005).