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Dans ce chapitre, nous décrivons tout d’abord en détail la formation et les propriétés de la phase condensée au sein des moteurs à propergol solide. Nous identifions les phéno-mènes physiques en jeu et nous distinguons les mécanismes faisant l’objet d’un travail de modélisation de ceux vus comme des données d’entrée. Dans une seconde partie, nous illustrons au travers de plusieurs résultats issus d’études expérimentales, théoriques et numériques le rôle de la combustion des gouttes ainsi que des résidus inertes sur la sta-bilité du moteur. Aussi, nous discriminons les facteurs influents qui justifient un effort de modélisation particulier de la zone de combustion de la phase dispersée. Dans un troisième temps, nous présentons un état de l’art des modèles de combustion à l’échelle d’une goutte isolée d’aluminium. Puis, deux axes majeurs de développements sont alors proposés afin d’améliorer la représentativité des transferts de masse et d’énergie entre une goutte bicomposant et un milieu gazeux multiespèce. Finalement, nous détaillons les modèles de combustion utilisés par la suite et nous introduisons une nouvelle approche basée sur une description biespèce de la phase gazeuse.

2.1 Formation et propriétés de la phase condensée

Dans l’environnement d’un MPS, la combustion des particules d’aluminium constitue une étape parmi plusieurs grands mécanismes propres à la physique des propergols aluminisés. On en dé-nombre quatre principaux :

1. Introduction de particules déjà oxydées dans le propergol 2. Agglomération et allumage à la surface

3. Combustion des gouttes en ambiance moteur

4. Production des résidus d’alumine et dispersion dans le moteur

2.1.1 Oxydation des gouttes avant incorporation dans le propergol

La fabrication des particules d’aluminium résulte de l’atomisation et du refroidissement de gouttes d’aluminium. Produites en atmosphère pauvre en O2, les particules n’en demeurent pas moins très réactives et vont donc s’oxyder. Une fine couche d’alumine non poreuse se forme en surface. Précédemment estimée entre 5 et 10nm d’épaisseur [Duterque et al., 1999], elle a été réévaluée à 3nm dans de plus récentes études [Yetter et al., 2009]. Cette couche d’alumine agit comme une barrière et rend la particule inerte pour des conditions ambiantes. Cette épaisseur est la même quelle que soit la taille de la particule ce qui implique que l’alumine représente une faible fraction en masse pour des charges micrométriques. En revanche, pour des particules nanométriques, la proportion en alumine n’est plus négligeable comme le montre la Fig.(2.1) qui présente l’évolution de la fraction massique d’alumine en fonction de la taille de la particule. Aussi, il est naturel de se demander si les nouvelles poudres composées de nano-particules [Maggi et al., 2013] sont intéressantes à tous points de vue. L’alumine inerte ne participe pas à l’apport énergétique ; une partie de la masse de l’additif métallique est donc perdue.

0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 1 x 10−6 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 Diametre de la particule (m)

Fraction massique d’alumine Y

ox

Figure 2.1 – Evolution de la fraction massique d’alumine Yoxpour une particule présentant une couche d’alumine de 3nm (Données du calcul : ρal= 1500kg/m3 et ρox= 2700kg/m3 )

Les récentes études sont plus spécifiquement consacrées à l’étude du processus d’oxydation et surtout aux moyens de le réduire [Litrico et al., 2013]. Il est par exemple suggéré d’enrober les particules de polymères pour assurer une passivation de ces dernières ; ces travaux ont été présentés pour des nano-particules dans [Ait Atmane, 2012].

Les particules sont dispersées et mélangées dans la pâte lors de la fabrication du propergol. Comme évoqué dans §1.1.2.1, les charges métalliques ont tendance à se rassembler dans des poches [Cohen, 1983], zones laissées libres entre les gros grains de PA. Pour la Butalane du moteur P230, la distribution en taille des particules métalliques est monomodale avec un diamètre médian en masse avoisinant 30µm alors que la taille des gros grains de PA avoisine les 200µm. Les poches sont donc constituées des particules d’aluminium et des plus petits grains de PA, le tout noyé dans le liant.

2.1.2 Agglomération des particules à la surface puis allumage

Conséquence de la combustion du propergol, la température à la surface du propergol s’élève à une température proche de celle de la flamme de prémélange du PA, c’est-à-dire environ 1400K dans les conditions de pression régnant dans le P230. Les particules métalliques les plus proches de la surface s’échauffent et leur coeur d’aluminium devient liquide une fois la température de fusion de 933K atteinte. Celle de l’alumine étant d’environ 2327K [Dupays, 2009], la couche protectrice demeure donc solide. Les particules ne brûlent donc pas directement à la surface du propergol. Néanmoins, la dilatation de l’aluminium, dont le coefficient thermique est sept fois supérieur à celui de l’alumine, fissure la couche d’oxyde solide [Rosenband, 2004] et expose le métal liquide à l’oxygène produit par la décomposition du PA.

Au même moment, une partie des particules voisines au sein des poches s’agglutinent pour former un agrégat. Ce phénomène d’agglomération est particulièrement difficile à apprécier. En effet, les conditions d’observation au sein d’un MPS sont particulièrement contraignantes. Le processus de formation des agrégats proposé dans [Price and Sigman, 2000] est le suivant : les particules adhèrent à la couche fondue du liant qui les entoure, elles tendent à se maintenir entre elles du fait de la présence d’une surface carbonée puis elles adhèrent définitivement pour former un agrégat. On sait maintenant que le processus d’agglomération a lieu quand les particules se situent entre la surface du propergol et la flamme de diffusion du PA.

Alors qu’à pression atmosphérique standard, la majeure partie se regroupe en agrégats [Parr and Hanson-Parr, 2006], seulement un tiers des particules forme un agrégat quand la pression est de 50bar pour une Butalane type Ariane 5 [Duterque et al., 1999]. Cette sensibilité à la pression est à relier à l’épaisseur de la zone de flamme du propergol. En effet, la production des agglomérats est conditionnée par le temps passé par les particules dans cette zone. Il a été montré [Bellec et al., 1997] que son épaisseur est inversement proportionnelle à la vitesse de régression du propergol, fonction de la pression de la chambre comme indiqué au §1.1.2.2. Si la pression est basse, la hauteur de flamme du PA est importante et les particules ont le temps de s’agglomérer. Si la pression est importante, la hauteur de flamme diminue. Associée à ce phénomène, la vitesse des gaz produits est plus forte, les particules sont entraînées plus rapidement dans l’écoulement ce qui leur offre un temps d’agglomération plus court avant d’atteindre la flamme de diffusion du PA.

Pour le moteur P230 dont la pression est proche de 50bar, la granulométrie après agglomération est donc bimodale constituée au 2/3 en masse de particules isolées, le reste étant les agglomérats que l’on appelle aussi globules. La réduction de la quantité d’agglomérats et de leur taille peut être envisagée en jouant sur la répartition granulométrique du PA afin de réduire la taille des poches ou en utilisant des additifs spécifiques pour modifier la structure de flamme. Aujourd’hui, la caractérisation de la phase condensée quittant la surface est encore largement déterminée de manière expérimentale en utilisant des techniques de captation ou de visualisation non intrusive sur des montages dédiés. En complément, on assiste à l’essor d’études numériques qui portent par exemple sur la nature hétérogène du propergol, modélisée en utilisant une méthode dite de packing [Maggi et al., 2008] comme illustré en Fig.(2.2). Les propriétés thermomécaniques du matériau [Gallier, 2011; Davidenko and Fabignon, 2013] et la distribution en taille des particules quittant la surface [Maggi et al., ] sont les objectifs principaux de ces recherches.

Figure 2.2 – Illustration de la technique de packing prenant en compte la structure hétérogène du pro-pergol c [Davidenko and Fabignon, 2013]

Que ce soit pour les agrégats ou pour les particules isolées, l’aluminium liquide mis à nu après fissuration de la pellicule d’alumine va s’oxyder très rapidement pour reformer de l’alumine. On parle alors d’oxydation hétérogène en surface [Merzhanov, 1975; Bucher et al., 1999]. Cette réaction est très exothermique et participe à l’élévation de température de la particule et au processus d’allumage. Le mécanisme d’oxydation s’entretient car la dilatation de l’aluminium au sein de la particule se poursuit au cours de la montée en température.

La température d’allumage est une donnée qu’il est très difficile d’estimer car elle dépend de la température ambiante et de la composition des oxydants qui entourent la goutte. Sa valeur est donc comprise entre la température de fusion de l’aluminium et celle de l’alumine.

Finalement, quand la température de fusion de l’alumine est atteinte, la couche d’oxyde se liquéfie, se rétracte, laissant apparaître en grande partie l’aluminium de la goutte. L’allumage de la goutte est donc complet et la combustion va s’initier. Néanmoins, le mécanisme réactionnel d’oxydation est d’autant plus long que la taille de la goutte est grande. Ainsi, les particules isolées s’allument plus près de la surface que les agglomérats.

L’aluminium et l’alumine ne sont pas miscibles et une étude de stabilité mécanique [Kuentzmann, 1973a; Meinkohn, 2000], prenant en compte les forces de tension superficielle, montre une rétraction de l’oxyde sous la forme d’un lobe dont la géométrie peut être schématisée en Fig.(2.3). La forme de la goutte n’en demeure pas moins globalement sphérique. Notons aussi que la masse du lobe d’un globule est proportionnellement plus importante que celle d’une goutte isolée dont le temps de séjour à la surface du propergol est plus réduit.

2.1.3 Combustion en ambiance gaz de propergol

L’aluminium, en contact avec les gaz oxydants de l’environnement moteur, s’évapore et brûle suivant un mécanisme de flamme de diffusion (essentiellement valable pour des gouttes micromé-triques). Cette dernière s’établit à une certaine distance de la goutte, estimée par exemple à trois fois le rayon de la goutte dans les études menées dans [Wilson and Williams, 1971]. Mais cette distance est très dépendante des conditions régnant autour de la goutte. En dehors de l’espèceO2, l’analyse des produits de combustion d’un propergol aluminisé montre que les espècesCO2etH2O sont les principaux oxydants impliqués dans la combustion [Belyaev et al., 1968].

Figure 2.3 – Répresentation du lobe d’alumine selon Kuentzmann [Kuentzmann, 1973a]

appelées fumées et un ensemble d’espèces gazeuses, les sous-oxydes d’aluminium tels que AlO, AlO2 et Al2O. Les différents échanges de masse entre la goutte et le milieu environnant peuvent être schématisés par la Fig.(2.4). Les réactions en phase gazeuse sont en réalité bien plus complexes et mettent en jeu un nombre important d’espèces. Dans [Swihart and Catoire, 2000], 33 espèces et 89 réactions sont par exemple recensées.

Figure 2.4 – Schématisation des échanges de masse lors de la combustion d’une goutte micrométrique d’aluminium [Melcher et al., 2000; Chassagne, 2007]

Les fines gouttelettes d’alumine sont produites par condensation des sous-oxydes d’aluminium. Le débat est ouvert pour savoir si l’alumine existe en phase vapeur dans ces conditions de fonctionne-ment. Le mécanisme de condensation dégage une énergie suffisante pour entretenir l’évaporation de l’aluminium. Les fumées d’alumine sont par la suite convectées par l’écoulement autour de la goutte pour former un panache comme illustré en Fig.(2.5).

Il n’est pas impossible qu’une partie des sous-oxydes d’aluminium rétrodiffusent vers la goutte, se condensent à la surface et viennent grossir le lobe d’alumine. La croissance de ce dernier a été observée dans un mélange riche en oxygène [Wilson and Williams, 1971; Dreizin, 1999] mais n’a pas été démontrée au sein de la chambre d’un MPS. En effet, si la combustion de gouttes d’aluminium est assez bien maîtrisée dans un environnement contrôlé, composé d’oxygène et de gaz inertes comme l’azote, le processus n’est pas aussi simple au sein du moteur où la composition gazeuse est particulièrement complexe et évolue rapidement dans la zone proche de la surface du propergol. Plusieurs études portant sur la combustion en ambiance gaz de propergol [Melcher et al., 2000] ont été menées, en utilisant notamment un propergol proche de la Butalane du P230 [Trubert, 2000]. Ces recherches portent essentiellement sur la détermination des temps de combustion et de la granulométrie des résidus en conditions représentatives.

En dehors des fines gouttelettes d’alumine proches de 1µm, des résidus d’alumine plus gros sont observés en fin de combustion. Ces derniers proviennent des lobes des gouttes d’aluminium. Comme illustré dans la Fig.(2.6), ces oxydes résiduels ont une granulométrie typiquement bimodale [Du-terque et al., 1999] pour le cas du P230 avec une taille proche de 3µm pour ceux issus des gouttes isolées et une taille avoisinant les 60µm pour les agglomérats.

Figure 2.5 – Particules isolées et agglomérats quittant la surface du propergol (à gauche) et combustion d’une goutte isolée (à droite) et son panache de fumées, la partie la plus claire de la goutte correspond au lobe d’alumine. Visualisation par strioscopie c ONERA DEFA/Devillers 2013

Figure 2.6 – Formation et caractéristiques de la phase condensée dans le cas de la Butalane du P230 [Fabignon et al., 2003b]

En fin de combustion, une fragmentation des gouttes, liée à la dissolution d’oxygène en leur sein, est parfois observée. Ces études ont été faites dans des atmosphères maîtrisées (riche en oxygène [Brulard, 1967] ou en présence de vapeur d’eau [Prentice, 1970]) et ne reflètent pas exactement ce qui se passe en ambiance moteur. Ce phénomène ne sera pas pris en compte dans le cadre de cette thèse.

La présence d’un lobe et la possibilité que celui-ci grossisse au cours de la combustion sont deux paramètres importants pour établir une modélisation représentative de la combustion. En effet, l’oxyde de la goutte occulte une partie de la surface ce qui limite les échanges de masse avec le milieu gazeux. La dynamique de combustion s’en trouve donc changée. De plus, ce point ne doit pas être écarté car il impacte la distribution en taille des gouttes et des résidus. Ainsi, nous cherchons à nous doter des outils nécessaires à la description de gouttes bicomposants ainsi que des modèles de transferts de masse appropriés.

2.1.4 Production des fumées et des résidus d’alumine et dispersion dans