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CHAPITRE 1 : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE

2. ANTIOXYDANTS

2.2. EFFETS SYNERGIQUES, ANTAGONISTES ET ADDITIFS

2.2.1. Combinaison d’α-tocophérol et d’acide ascorbique

Il y a plus de 60 ans, Golumbic et Mattil (1941) rapportaient que la vitamine C exerçait (dans le lard et l’huile de coton) une phase de latence plus importante en présence de tocophérols que ne le laissait supposer la somme de leur phase de latence mesurée individuellement, excluant donc un simple effet additif. Par la suite, Tappel (1968) fut le premier à suggérer qu’in vivo la vitamine C pouvait jouer le rôle de régénérateur d’α-tocophérols par réduction du radical tocophéroxyl, conduisant à un effet synergiste. Il fallu cependant une dizaine d’années supplémentaire pour que le phénomène de régénération puisse être démontré expérimentalement en solution organique (eau/isopropanol/acétone) (Packer et al., 1979). Théoriquement, la réduction du radical α-tocophéroxyl par l’ascorbate est rendu possible par le faible potentiel réducteur du couple redox associant l’acide ascorbique et sa forme oxydée (E0~0.28 V) par rapport à celui de l’α-tocophérol et du radical correspondant (E0~0.5 V) (Becker et al., 2004). Cependant, le fait qu’il puisse exister un phénomène de régénération entre ces deux molécules, n’implique pas forcément l’existence d’une synergie. Cette question a partiellement été élucidée par Niki et al. (1985) en système modèle utilisant deux modes de génération de radicaux libres pour oxyder des liposomes de phosphatidylcholine de soja : (i) le 2,2’-azobis(2-amidinopropane) dihydrochlorhydrique (AAPH) générant des ROO dans la phase aqueuse et (ii) le 2,2’-azobis(2,4-diméthylvaléronitrile) (AMVN) dans la phase lipidique. Or, l’effet antioxydant du couple acide ascorbique/tocophérol s’est révélé plus puissant que la somme des effets mesurés individuellement (synergie) seulement lorsque l’AMVN était utilisé (ROO lipophiles). Par contre, en présence d’AAPH (ROO hydrophiles), l’effet antioxydant des deux molécules mesuré ensemble s’est révélé équivalent à la somme de leurs effets mesurés individuellement (additivité). Ce résultat montre qu’un mécanisme de régénération entre deux espèces induit un effet synergiste seulement si la molécule la moins puissante régénère la molécule la plus puissante. Ainsi, dans le milieu microsomial, la chaîne phytyle permettrait d’aligner l’α-tocophérol avec les chaînes acyles des acides gras de la bicouche phospholipidique, orientant par conséquent le noyau chromanol vers l’extérieur de la membrane (phase aqueuse à proximité de la membrane) (McCay, 1985) ; l’ascorbate étant quant à lui situé dans la phase aqueuse. Si le radical libre est généré dans la phase aqueuse (cas de l’AAPH), l’ascorbate tout comme la vitamine E pourra le piéger et le rendre indisponible pour oxyder les liposomes. Ce résultat implique une notion d’équivalence entre les deux molécules. Par contre, si le radical libre est généré dans la phase lipidique (cas de l’AMVN), seule la vitamine E pourra le réduire efficacement. Ainsi, dans ce cas

particulier, l’antioxydant le moins actif (ou mal situé, comme l’ascorbate) régénère l’antioxydant le plus actif (ou bien situé, comme la vitamine E), conduisant à un effet synergique. Se pose en revanche la question de savoir comment la vitamine E, dont l’action antioxydante est médiée par son groupement phénol situé dans la phase aqueuse, peut réduire un radical libre lipophile situé dans la phase lipidique. Probablement faut-il voir ici que ces localisations/compartimentalisations strictes sont des vues d’esprit ne tenant pas compte de la mobilité de la molécule et des radicaux libres à l’interface lipide-eau. D’autre part, ce résultat est à nuancer par le fait que Halpner et al. (1998) ont montré sur hépatocytes de rats en culture que la concentration en acide ascorbique diminuait en présence d’AMVN, suggérant de manière contre-intuitive qu’un antioxydant hydrophile pouvait réduire un peroxyradical lipophile.

En parallèle d’études en système microsomial, Sato et al. (1990) ont mis en évidence un mécanisme synergique in vitro entre les vitamines E et C dans les LDLs. L’éventuelle existence d’une telle synergie in vivo est importante puisqu’on estime qu’il y a dans les LDLs environ 7 molécules d’α-tocophérols (+ 2 autres antioxydants) pour protéger de l’oxydation 3070 lipides (Esterbauer et al., 1993b) et les résidus amino-acides de l’apolipoprotéine B100 (Fig. 18).

Fig. 18. Structure simplifiée de la particule de LDL. a D’après Esterbauer et al. (1993 b).

Si l’existence d’une régénération voire d’une synergie in vitro entre le tocophérol et l’acide ascorbique a pu être mise en évidence dans différents modèles, quid in vivo où coexistent une multitude de types tissulaires et cellulaires pluri-compartimentés ? Malgré quelques études contradictoires (Burton et al., 1990), un faisceau grandissant de preuves expérimentales

+ Antioxydants non enzymatiques

(~ 9 molécules a) dont : α-tocophérol (~ 7 molécules),

β-tocophérol, β- and α-carotène, lycopène, cryptoxanthine and ubiquinol-10

Triacylglycérols (~ 170 molécules a) Apolipoprotéine B (1 molécule) Cholestéryl esters (~ 1600 molécules a) Monocouche de phospholipides (~ 700 molécules a) A B D C O H Cholestérols libres (~ 600 molécules a)

établies sur modèle humain (Jacques et al., 1995) et animal (Chen et al., 1980 ; Kanazawa et

al., 1981 ; Bendich et al., 1984) montre qu’une supplémentation en vitamine C se traduit par une augmentation de la concentration en vitamine E dans les tissus concernés, selon des modalités qui restent à déterminer. En effet, l’acide ascorbique peut agir de deux manières distinctes : soit en régénérant l’α-tocophérol, soit en réduisant les EROs à la place de l’α-tocophérol. La régénération conduira (i) à un effet synergique si la molécule la moins puissante régénère la plus puissante, (ii) à un effet antagoniste si la molécule la plus puissante régénère la moins puissante ou enfin, (iii) à un effet additif (faible probabilité) si les deux molécules sont d’efficacité équivalente en termes de réactivité et de localisation. En revanche, une économie du tocophérol conduira forcément à un effet additif à long terme. Ceci signifie que l’observation d’effets synergique ou antagoniste est un indicateur de l’existence d’un phénomène de régénération.

Finalement, s’il existe des arguments expérimentaux supportant la thèse qu’une supplémentation en vitamine C permet d’augmenter la concentration en vitamine E, ceux-ci ne permettent pas de trancher quant au mode d’action mis en jeu (économie ou régénération) ni au type d’effet qui s’en suit (antagoniste, synergique, additif). Y répondre nécessite de mesurer l’activité antioxydante, ce qui peut s’avérer délicat. En effet, la diversité des substrats oxydables et des processus oxydatifs à l’œuvre dans l’organisme a conduit au développement d’une multitude de tests destinés à mesurer l’activité antioxydante, aucun d’entre eux ne présentant un caractère universel. À la difficulté initiale de la mise en évidence d’une interaction spécifique entre l’acide ascorbique et l’α-tocophérol, s’ajoute la difficulté de mesurer une activité antioxydante, en limitant les biais possibles. Parmi les études entreprises dans ce but, citons l’étude de Jialal et Grundy (1993) montrant que l’effet combiné d’une supplémentation en α-tocophérol, en ascorbate (et en β-carotène) n’induit pas de ralentissement significatif de l’oxydation de LDL, comparée à une simple supplémentation en α-tocophérol. Plus récemment, Huang et al. (2002) ont observé sur 184 sujets non-fumeurs que l’apport simultané des vitamines C et E n’apportait pas d’amélioration de l’activité antioxydante par rapport à une prise séparée. Enfin, sur des perches jaunes (Percea

flavescens), Lee et Dabrowsky (2003) n’ont pas observé d’effet synergique avec les deux antioxydants. À l’opposé, une étude sur modèle humain impliquant des sujets âgés, a montré qu’une supplémentation combinée en vitamines C et E exerçait un effet synergique par abaissement des substances réagissant à l’acide thiobarbiturique dans le sérum (Wantanowicz

permettant de contrer la peroxydation lipidique dans les tissus vasculaires (Mezzetti et al., 1995).

Finalement, il y a 50 ans, Tappel a suggéré l’existence d’un mécanisme régénératif in vivo entre l’α-tocophérol et l’acide ascorbique, se traduisant par un effet synergique. Or, malgré les nombreux efforts apportés pour valider (ou invalider) cette hypothèse, l’intuition de Tappel reste à confirmer expérimentalement.