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CHAPITRE 1 : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE

2. ANTIOXYDANTS

2.1. MODES D’ACTION DES ANTIOXYDANTS

2.1.2. Substances antiradicalaires non enzymatiques

2.1.2.2. Aspects mécanistiques et cinétiques

D’un point de vue théorique, la capacité d’une molécule à céder un atome H par rupture homolytique peut être quantifiée par l’énergie de dissociation homolytique (bond dissociation

energy, BDE) des liaisons (i) O-H pour les composés phénoliques, (ii) S-H pour les thiols et (iii) N-H pour les amines primaires. Plus la BDE d’un groupement comportant un H est

faible, plus son caractère donneur d’atome H est élevé.

Concernant les composés phénoliques et plus particulièrement les flavonoïdes (Figs. 14, 15), Bors et al. (1990) ont mesuré en condition basique la vitesse de réaction de second ordre entre les flavonoïdes et certaines espèces radicalaires comme HO, t-BuO (tert-butoxyle) et N3 (radical azidyle) générées par radiolyse pulsée. Il s’est avéré que le déterminant structural majeur de l’activité antiradicalaire des flavonoïdes était le groupe 3’,4’-dihydroxy (structure catécholique) sur le cycle B, qui constitue une cible privilégiée des radicaux libres. Dans une moindre mesure, les déterminants structuraux secondaires identifiés ont été (i) la conjugaison de la double liaison 2,3 de l’hétérocycle C avec la fonction 4-oxo du même cycle, qui est responsable de la délocalisation électronique depuis le cycle B, et (iii) la présence des groupes 5- et 7-hydroxyles sur le cycle A.

Par la suite, de nombreuses études in vitro mettant en œuvre des flavonoïdes, mais également des acides ou des esters phénoliques, sont venues confirmer que la présence d’une structure catéchol est un déterminant majeur de l’activité antioxydante en accord avec la faible BDE des groupements OH correspondants (Cos et al., 1998 ; Foti et al., 1996 ; Goupy et al., 2003 ;

Jovanovic et al., 1996 ; Pietta, 2000 ; Rice-Evans et al., 1996 ; Van Acker et al., 1996 a ; 1996 b).

Fig. 15. Principaux déterminants structuraux de l’activité antiradicalaire des flavonoïdes

Ainsi, la BDE théorique (à 0 K) de la liaison OH du catéchol (~ 72 kcal/mol) est plus faible que celle du 2-méthoxyphénol (~74.3 kcal/mol), elle-même plus faible que celle du 1,3-dihydroxybenzène (~77 kcal/mol) (Dangles, 2006). L’une des hypothèses les plus courantes pour expliquer la prévalence de la configuration catéchol avance que lors de la rupture homolytique d’une liaison O-H, une liaison hydrogène intramoléculaire se forme entre le radical et l’hydroxyle adjacent, ce qui stabiliserait l’état radicalaire et par définition diminuerait la BDE 7(Wright et al., 2001 ; Santos et Simoes, 1998).

Cette explication doit néanmoins être nuancée par le fait qu’une structure pyrogallol (trois hydroxyles phénoliques vicinaux) constitue un réducteur plus puissant sur le plan théorique qu’une simple structure catéchol (deux hydroxyles phénoliques vicinaux), alors même que les composés pyrogalloliques sont généralement considérés comme des antioxydants plus faibles (Ou et al., 2001). En témoignent les calculs établis par Thavasi et al. (2006) au niveau B3LYP/6-311G++(3df, 3pd) de la théorie de la fonctionnelle de la densité montrant que le pyrogallol présente une BDE (289,4 kJ/mol) inférieure à celle du catéchol (312,8 kJ/mol). Or, la question se pose de savoir pourquoi un composé basé sur une structure pyrogallol est à la fois plus réducteur et moins antioxydant qu’un composé basé sur une structure catéchol. Globalement, ce paradoxe met en lumière le fait, a priori surprenant, que la BDE et plus généralement la capacité réductrice peuvent dans certains cas jouer en défaveur de la capacité antioxydante. L’une des explications possibles serait, qu’en parallèle de la réduction d’espèces oxydantes comme les radicaux libres (effet positif sur la capacité antioxydante), un composé fortement réducteur est susceptible de réduire l’oxygène moléculaire pour former

7 Notons que l’établissement d’une telle liaison hydrogène est également à l’œuvre pour la structure de type pyrogallol (trois hydroxyles phénoliques vicinaux).

2 O OH HO O OH OH 3 Double liaison C2-C3

Hydroxyle C3O-H (énol) Groupe C4-oxo (cétone)

4

3’ 4’

Groupe C3’-OH,C4’-OH-o-diphénol (catéchol)

Groupe C5-OH,C7-OH-m-diphénol

5 7 A B C HO

des EROs, ou bien encore de réduire les cations métalliques Fe3+ en Fe2+ (effets négatifs sur la capacité antioxydante). De ce point de vue, ce n’est pas tant la réactivité d’une molécule à céder un atome hydrogène ou un électron (réactions de réduction) qui impacte la capacité antioxydante, mais plutôt la nature de l’espèce qui subit la réduction. Dans cette optique, si l’espèce réduite concerne l’oxygène moléculaire ou un cation métallique de type Fe3+, ou plus généralement toute espèce qui une fois réduite verra sa capacité à oxyder un substrat oxydable augmenter, alors l’effet d’une telle réduction sera pro-oxydant. En revanche, si l’espèce réduite devient moins sujette à oxyder un substrat oxydable, l’effet d’une telle réduction sera antioxydant. Ainsi, la capacité antioxydante n’est pas directement proportionnelle à la capacité réductrice, mais doit plutôt être considérée comme la résultante des différents effets (pro-oxydants vs. antioxydants) inhérents aux processus de réduction à l’œuvre dans un système donné. Sur ce dernier point, la même réaction de réduction peut avoir des effets diamétralement opposés suivant la composition et les conditions physico-chimiques qui règnent dans le système d’étude. En conséquence, il faut bien se garder de considérer les valeurs d’efficacité antioxydante comme des valeurs de portée universelle, valables pour tout type de milieu, de conditions d’oxydation et de substrat. En d’autres termes, il s’avère que parler de la capacité antioxydante sans mentionner le milieu, le substrat, les conditions d’oxydation, de température, de pH (s’il y a lieu), etc., n’a strictement aucune signification chimique.

Enfin, la capacité réductrice (exprimée par la BDE ou le potentiel d’ionisation des hydroxyles phénoliques) et la nature des espèces réduites ne sont pas les seuls facteurs à gouverner le caractère antioxydant dont le déterminisme est multifactoriel. En effet, un positionnement favorable et une bonne mobilité vers les sites de production des radicaux libres ou plus généralement des espèces oxydantes sont des attributs déterminants. D’autre part, la réactivité du radical issu de l’antioxydant vis-à-vis des lipides insaturés, des résidus amino-acides constitutifs des protéines, des glucides, ainsi que de l’ADN, est un paramètre à prendre en compte. Ce devenir est généralement gouverné par la capacité de l’antioxydant à stabiliser l’électron non apparié par délocalisation. De ce point de vue, la structure aromatique et la présence éventuelle de groupements encombrants confèrent aux radicaux phénoliques une bonne stabilité. In vivo, notons qu’il existe également des systèmes de régénération qui prennent en charge la réduction des formes radicalaires rémanentes, comme c’est le cas pour les tocophérols.

En marge des aspects purement mécanistiques, l’analyse cinétique des composés antioxydants permet de distinguer deux comportements d’antioxydation. Le premier concerne les antioxydants dits « briseurs de chaîne » lesquels se caractérisent par l’induction d’une phase de latence durant laquelle le substrat n’est pas notablement oxydé. Cette phase persiste tant que l’antioxydant n’est pas totalement consommé. Après la disparition complète de l’antioxydant, la vitesse de la peroxydation augmente très rapidement pour atteindre la même vitesse que lors de l’oxydation non inhibée. À l’opposé, le second comportement cinétique caractérise les antioxydants dits « retardeurs » lesquels réduisent le taux de peroxydation, sans induire de phase de latence distincte.

Les briseurs de chaîne naturels les plus puissants connus à ce jour, appartiennent sans conteste à la famille des tocols regroupant les tocophérols et les tocotriènols qui génèrent une phase de latence très distincte et réduisent deux peroxyradicaux dans le cas du vitamère α (Burton et Ingold, 1981; Niki et al., 1984). Ceci souligne d’ailleurs le fait que malgré l’absence d’une structure catéchol, l’α-tocophérol présente des attributs physicochimiques qui lui confèrent une bonne capacité à réduire les radicaux lipoperoxyles, spécialement dans les milieux hétérogènes (émulsions, liposomes, LDLs, …). Comme on peut le concevoir, la chaîne phytyle pourrait jouer un rôle central dans les propriétés antioxydantes des tocophérols par le biais d’une orientation et d’une intercalation dans les membranes phospholipidiques (mono- ou bicouche) ou tensio-actives dans le cas des émulsions.

En théorie, la vitamine C et les composés phénoliques semblent également capables de réduire directement les radicaux lipoperoxyles. Néanmoins, leur caractère hydrophile et leur éloignement des radicaux lipophiles semblent empêcher toute action directe par contact. Ainsi, il a été postulé que la vitamine C (ou l’ascorbate) intervenait plutôt au niveau de la régénération (réduction) du radical tocopheroxyl dérivé du tocophérol, produisant une synergie entre les deux molécules. Le cas des composés phénoliques est en revanche moins bien établi. Ces interactions de type tocophérol/ascorbate et tocophérol/composé(s) phénolique(s), de par l’importance qu’elles représentent, seront traitées spécifiquement. Enfin, le transfert d’atome hydrogène à un radical libre, tel que LOO, ou la régénération par réduction d’espèces antioxydantes capables de réaliser ce type de transfert direct, ne sont pas les seuls modes d’action des antiradicalaires. Sur ce plan, il semblerait que le mécanisme d’interruption de la lipoperoxydation en chaîne du β-carotène s’exerce via d’autres voies d’action, comme la formation d’adduits. En effet, bien que le transfert d’hydrogène du β-carotène au ROO soit thermodynamiquement possible (Mortensen et Skibsted, 1998)

puisque la BDE du plus labile des hydrogène du β-carotène (309 kJ/mol) (Luo et Holmes, 1994) est inférieure à celle de l’hydrogène du ROO-H (370-380 kJ/mol), l’hypothèse selon laquelle le β-carotène exercerait son activité antioxydante via un mécanisme d’addition (réactions 24, 25) a été avancée par de nombreux auteurs (Burton et Ingold, 1984 ; Jørgensen et Skibsted, 1993 ; Kennedy et Liebler, 1992).

ROO + β-carotène → ROO- β-carotène (24)

ROO- β-carotène + ROO→ ROO- β-carotène-OOR (25)