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CHAPITRE 1 : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE

1. DÉVELOPPEMENT, VALIDATION ET APPLICATION DE LA MÉTHODE CAT

1.2. MESURE DE LA CAPACITÉ ANTIOXYDANTE DE COMPOSÉS

1.2.1. Aspects cinétiques

Dans un premier temps, il a été constaté que l’oxydation de l’huile de tung purifiée (TAGs purs) était plus rapide que celle de l’huile non purifiée (Fig. 43 a et b, courbes correspondantes à l’absence de Trolox). Ce comportement a été attribué à la présence de tocophérols endogènes dans l’huile non purifiée (230 µg/g). Par comparaison du profil chromatographique (HPLC) des tocophérols de l’huile avec des standards commerciaux, nous avons identifié la forme

β

comme étant majoritaire (Fig. 36). En termes de mécanisme

d’action, ces derniers agissent vraisemblablement en tant que briseurs de chaîne de la peroxydation lipidique en induisant une phase de latence très faible, mais discernable.

Fig. 43. Cinétiques de chute d’absorbance à 273 nm en absence ou en présence de différentes

concentrations de Trolox en émulsion d’huile de tung purifiée (a) ou non (b). Le milieu réactionnel final contient 115 µM d’huile de tung, 17 µM de Brij 35, 1 mM d’AAPH et 0,25 à 2 µM de Trolox, dans le PBS (pH 7,2) à 37°C. Aucune correction de l’absorbance de la microplaque ou du milieu n’a été réalisée.

D’un point de vue thermodynamique, le radical semi-quinone tocophéroxyl peut être régénéré par des espèces réductrices ou antioxydantes, comme l’ascorbate ou les composés phénoliques. Or, cette régénération potentielle peut conduire à des effets non-additifs surtout dans les milieux hétérogènes de type émulsion, ce qui peut rendre difficile l’évaluation de la contribution de l’antioxydant. Ainsi, comme nous l’avons préalablement abordé, dans le but de mesurer la capacité antioxydante réelle des substances testées, les tocophérols doivent être éliminés de l’huile de tung afin d’éviter tout effet potentiellement synergique ou antagoniste. Dans la partie suivante, des expériences ont tout de même été réalisées avec de l’huile purifiée et non purifiée, afin de déterminer l’influence des tocophérols sur le comportement antioxydatif des substances testées.

Dans un deuxième temps, la Fig. 43 montre que le Trolox retarde l’oxydation de l’huile de tung (qu’elle soit purifiée ou non) de manière dose-dépendante. Cependant, d’un point de vue cinétique, la présence ou l’absence de tocophérol modifie grandement le comportement antioxydatif. En effet, en présence d’huile de tung purifiée (Fig. 43a), le Trolox retarde l’oxydation sans induire de phase de latence distincte, et semble donc se comporter comme un antioxydant retardeur plutôt qu’un pur briseur de chaîne. En revanche, en présence d’huile de tung non purifiée (Fig. 43b), le Trolox supprime momentanément l’oxydation et induit une phase de latence, qui est hautement caractéristique d’un comportement antioxydatif de type briseur de chaîne (Goupy et al., 2007). Une fois cette phase de latence disparue, la propagation radicalaire en chaîne de l’oxydation de l’huile de tung (médiée par les radicaux lipoperoxyles LOO) se produit avec la même vitesse que durant l’oxydation non-inhibée par un antioxydant. D’autre part, il est également apparu qu’aucun autre antioxydant (épicatéchine et acides gallique, 5-caféoylquinique et rosmarinique) associé à l’huile de tung purifiée (Fig. 44) n’induisait de phase de latence significative, signant l’existence, de manière analogue au Trolox, d’un comportement de type retardeur plutôt que briseur de chaîne. En d’autres termes, aucun des antioxydants testés ne semble capable de réduire directement les radicaux lipoperoxyles propagateurs dérivés de l’huile de tung (LOO, réactions 40 et 41), mais semble uniquement capable de piéger les radicaux peroxyles initiateurs dérivés de l’AAPH (ROO, réactions 38 et 39).

Fig. 44. Cinétiques de chute d’absorbance à 273 nm en absence ou en présence de différentes concentrations d’antioxydants. Le milieu réactionnel final contient 115 µM d’huile de tung purifiée, 17 µM de Brij 35, 1 mM d’AAPH et 0,5 à 2 µM d’acide gallique (a), 0,1 à 0,4 µM d’acide rosmarinique (b), 0,1 à 1,2 µM d’acide 5-caféoylquinique (c) et 0,1 à 1,2 µM d’épicatéchine (d), dans le PBS (pH 7,2) à 37°C. Aucune correction de l’absorbance de la microplaque et du milieu n’a été réalisée.

En première approche, ce résultat est à mettre en relation avec la polarité des molécules testées qui sont toutes hydrosolubles à pH neutre (7,2), ce qui défavorise un rapprochement entre ces antioxydants et les gouttelettes d’huile. En revanche, avec l’huile de tung non purifiée contenant des tocophérols endogènes, tous les antioxydants ont exercé une phase de latence significative de manière dose-dépendante (Fig. 45, données présentées pour l’acide gallique et l’épicatéchine) comme précédemment observé pour le Trolox.

0 25 50 75 100 0 60 120 180 240 300 0 25 50 75 100 0 60 120 180 240 300 0 25 50 75 100 0 60 120 180 240 300 0 25 50 75 100 0 60 120 180 240 300

Temps d’incubation (min)

d) Épicatéchine 0 < 0,1 < 0,3 < 0,6 < 1,2 µM OH O OH OH HO HO a) Acide gallique OH O HO HO HO 0 < 0,5 < 1 < 1,5 < 2 µM O O HO O OH OH OH OH b) Acide rosmarinique 0 < 0,1 < 0,2 < 0,3 < 0,4 µM O OH OH HO HOOC O OH OH c) Acide 5-caféoylquinique 0 < 0,1 < 0,3 < 0,6 < 1,2 µM A b s o rb a n c e r e la ti v e ( 2 7 3 n m )

Fig. 45. Cinétiques de chute d’absorbance à 273 nm en absence ou en présence de différentes concentrations d’antioxydants. Le milieu réactionnel final contient 115 µM d’huile de tung non purifiée, 17 µM de Brij 35, 1 mM d’AAPH et 0,5 à 2 µM d’acide gallique (a) et 0,1 à 1,2 µM d’épicatéchine (b), dans le PBS (pH 7,2) à 37°C. Aucune correction de l’absorbance de la microplaque et du milieu n’a été réalisée.

Ce résultat suggère que le Trolox, l’acide gallique, l’épicatéchine et les acides chlorogénique et rosmarinique agissent en tant que retardeurs lorsqu’ils sont seuls, mais interagissent avec les tocophérols endogènes en présence d’huile de tung non purifiée. Ainsi, lorsque les tocophérols piègent les radicaux lipoperoxyles propagateurs, ils sont oxydés en radicaux semi-quinones tocophéroxyles, lesquels peuvent se stabiliser par quatre voies réactionnelles. La première consiste en une dimérisation homologue entre deux radicaux semi-quinones conduisant à la formation de produits d’oxydation très lipophiles comme les spirodiénones (Patil et Cornwell, 1978). La seconde procède d’une réaction rapide avec l’oxygène triplet pour former un hydroperoxyde de nature quinonique qui peut ensuite évoluer vers des stades plus avancés. Enfin, les deux dernières voies de stabilisation impliqueraient une compétition pour la capture, par le radical semi-quinone, d’un atome hydrogène soit à l’huile de tung soit à une substance antioxydante. La localisation, mais également la réactivité de ces derniers vis-à-vis du radical semi-quinone tocophéroxyle sont des paramètres qui peuvent orienter la réaction dans un sens ou dans l’autre. Concernant la réactivité, il est à noter que l’énergie de dissociation homolytique (BDE) globale des groupements O-H des composés phénoliques testés est beaucoup plus faible que celle des groupements C-H de l’huile de tung. Ainsi, en

Acide gallique Épicatéchine

théorie et en négligeant les effets liés à la localisation, la présence d’un antioxydant pourrait conduire à une régénération préférentielle des tocophérols. Cette hypothèse est fortement suggérée par l’allongement de la phase de latence en présence de quantités croissantes d’autres substances antioxydantes. Sur ce plan, les antioxydants hydrosolubles, comme les acides phénoliques et les flavonoïdes, pourraient réduire les tocophérols oxydés, à l’interface huile-eau, pour régénérer les tocophérols initiaux. Ces derniers pourraient à nouveau se comporter comme des antioxydants briseurs de chaîne positionnés à la membrane tensio-active (voire dans la gouttelette d’huile) où la peroxydation en chaîne a lieu. De plus amples investigations seront cependant nécessaires pour déterminer si ce mécanisme régénératif conduit à un effet additif, synergique ou antagoniste.

Enfin, en se focalisant plus particulièrement sur le cas de l’épicatéchine en présence d’huile de tung purifiée (Fig. 44d), il est intéressant de noter la singularité de sa cinétique d’antioxydation. En effet, après une décroissance relativement rapide au cours de laquelle la forme non oxydée de l’épicatéchine est censée piéger les radicaux ROO dérivant de l’AAPH, il se produit un ralentissement (~ 60 min) jusqu’à un point d’inflexion (~ 140 min), suivi d’une reprise de la vitesse de peroxydation proche de la vitesse initiale. La première explication à formuler pourrait être que la réaction d’antioxydation de l’huile est contrôlée par la diffusion de l’antioxydant vers les centres réactionnels ; diffusion qui, dans le cas de l’épicatéchine, nécessiterait 60 min. Cependant, cette hypothèse est peu probable puisque les antioxydants et l’émulsion d’huile de tung sont pré-incubés sous agitation à 37°C avant analyse. Ce comportement cinétique d’antioxydation semble plutôt caractéristique d’une réaction composite, impliquant différentes espèces antioxydantes. En considérant la pente des différentes portions linéaires de la courbe, il est, en fait, probable que le(s) produit(s) d’oxydation de l’épicatéchine visualisé(s) sur la courbe entre 60 et 140 min protège(nt) mieux l’huile de tung de l’oxydation que l’épicatéchine elle-même.