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à activité bactéricide

1. Colonisation bactérienne et biomatériaux antibactériens

1.1.Colonisation bactérienne des surfaces

Les biofilms sont décrits comme une communauté d’origine microbienne, caractérisée par des cellules. Celles-ci sont attachées de façon irréversible à un support ou à une interface ; elles sont englobées dans leur propre matrice de polymères extracellulaire (EPS = ExtraPolymeric Substances), laquelle représente

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jusqu’à 90% de la masse du biofilm 242. Ils constituent le moyen de croissance bactérienne le plus répandu

dans la nature. La formation d’un biofilm (Figure 89) est initiée par l’attachement de bactéries planctoniques sur une surface, via des interactions non spécifiques (forces électrostatiques et de Van der Waals). Sur les biomatériaux implantés, la surface est rapidement modifiée par l’adsorption de protéines provenant de l’hôte (protéines de la MEC et produits de la coagulation). Cette étape, appelée « conditionnement », facilite l’attachement des bactéries sur la surface du matériau. Ces dernières s’attachent alors de manière irréversible et forment des microcolonies. Elles produisent une matrice extracellulaire constituée de

polysaccharides, de protéines, d’acides nucléiques et de lipides 243. Le biofilm mature peut ensuite se rompre

et permettre la libération de bactéries qui se répandent dans le milieu environnant et donc dans le corps du patient dans le cas des dispositifs médicaux. Ces bactéries sont à l’origine d’infections dites chroniques.

Figure 89 : formation d’un biofilm. (A) attachement initial (B) attachement irréversible (C) et (D) maturation du biofilm (E) dispersion. D’après Monroe et al 244.

De nombreuses études ont montré que les bactéries qui se trouvent dans les biofilms sont plus résistantes aux stress environnementaux (déshydratation, toxicité des métaux, exposition aux UV, …) que les bactéries planctoniques. Ainsi, des doses d’antibiotiques jusqu’à 1000 fois supérieures à celles qui sont

utilisées pour leurs équivalents planctoniques sont nécessaires pour les éradiquer 245. Une fois qu’il est établi,

il est très difficile d’éliminer le biofilm. Il est donc primordial d’empêcher en amont l’attachement des bactéries à la surface des matériaux, afin que le biofilm ne puisse pas se mettre en place.

1.2.Stratégie pour limiter le développement bactérien

Il existe un certain nombre de stratégies visant à limiter l’attachement et à entraîner la destruction des bactéries à la surface des biomatériaux. Nous distinguerons ici 5 méthodes employées dans le cadre de l’ingénierie tissulaire pour conférer un caractère antimicrobien à des hydrogels.

(A) (B) (C)

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1.2.1.Incorporation d’antibiotiques dans les hydrogels

Les antibiotiques, substances naturelles plutôt que synthétiques, sont des composés antimicrobiens. Ils sont produits par un large éventail de micro-organismes fongiques et bactériens. Ils sont caractérisés par une action spécifique sur une cible microbienne précise, leur efficacité à faible dose et une faible toxicité pour les cellules eucaryotes. Ils ont un large spectre d’action, avec un effet qui peut être bactériostatique

(inhibition de la croissance) ou bactéricide (destruction d’autres micro-organismes) 246. Les antibiotiques

identifiés en milieu naturel sont très nombreux, mais moins de 1% d’entre eux sont médicalement utiles. Dans la littérature, on trouve un peu plus d’une trentaine d’hydrogels, souvent à base de chitosane, permettant le relargage contrôlé de différents antibiotiques. Parmi eux, environ 15 gels d’architecture RIP

ou semi RIP ont été décrits 247. Les antibiotiques relargués sont alors multiples (gentamicine, amoxicilline,

vancomycine, …). Les principales applications de ces hydrogels gonflés d’antibiotique sont, d’une part, les

lentilles de contact et, d’autre part, les pansements, pour les plaies chroniques et les brûlures 248. Cependant,

le mauvais usage des antibiotiques (non-respect des doses et des durées prescrites, utilisation abusive) a favorisé l’émergence de souches résistantes aux antibiotiques. Ces problèmes ont conduit à la recherche d’autres solutions pour empêcher l’adhérence et la croissance bactériennes.

1.2.2.Incorporation d’agents inorganiques antimicrobiens

Les sels d’argent (le plus souvent sous forme de nanoparticules) sont probablement les agents

antimicrobiens le plus fréquemment utilisés au sein d’hydrogels 249. Ils jouissent d’une réputation de grande

efficacité envers des souches bactériennes variées, des champignons et des virus. Plusieurs mécanismes

d’action des sels d’argent ont été proposés. Ainsi, les ions Ag+ interagiraient avec les thiols des enzymes de

la chaîne respiratoire, en rompant les liaisons hydrogène au sein de l’ADN microbien et en causant des

dommages membranaires 250.

Deux problèmes sont fréquemment rencontrés lors de l’utilisation de nanoparticules de ce type. Il faut s’assurer que leur dispersion est homogène et qu’elles demeurent stables au sein de l’hydrogel. De plus,

les nanoparticules d’argent induisent également l’apoptose et la nécrose des cellules des mammifères 248.

S’ils sont ingérés, les sels d’argent provoquent l’argyrisme, une pathologie qui cause une coloration du derme dans des tons bleu/gris. Des particules de cuivre, moins étudiées que celles d’argent, possèdent également

un effet bactéricide 251. Leur utilisation a toutefois été associée à des allergies ou à la maladie de Wilson 252.

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1.2.3.Utilisation de peptides antimicrobiens

Ces molécules sont produites par une grande variété de bactéries, champignons, plantes et animaux (batraciens en particulier). Elles font partie du système de défense contre les pathogènes chez les organismes supérieurs. Ces peptides ou protéines de petite taille peuvent induire la mort ou inhiber la croissance des micro-organismes, sans que cela relève d’une action enzymatique. Ils peuvent également posséder une activité antivirale, moduler la réponse immunitaire et avoir un effet cytotoxique vis-à-vis des cellules

cancéreuses 253. Leur large spectre d’activité les rend particulièrement attractifs dans le contexte du déclin

de l’efficacité des antibiotiques. Ils peuvent agir sur la paroi des micro-organismes mais certains ciblent également des fonctions intracellulaires. Ils sont efficaces à de faibles concentrations (de l’ordre du nM et du µM). Leur nature peptidique les rend biocompatibles et ils sont susceptibles d’être dégradés in vivo. Les peptides antimicrobiens identifiés dans la nature sont généralement constitués d’une cinquantaine d’acides aminés. De nature cationique, ils ont tendance à former des structures amphipatiques en raison de leur forte proportion en acides aminés hydrophobes. Parmi eux, les magainines, initialement isolées de la peau de la

grenouille Xenopus laevis 253, adoptent une structure en hélice . Les défensines, d’origine humaine, se

structurent en feuillet 255. Les bactéries ont développé plusieurs systèmes pour résister à ces peptides : des

pompes à efflux, telles que QacA de S. aureus 256 et MtrCE de N. gonorrhoeae 257 mais aussi la modification

de la composition lipidique de leurs membranes 258. Le coût élevé, la complexité de leur synthèse, leur toxicité

potentielle et leur rapide dégradation dans le sérum sont autant d’inconvénients qui ont limité leur utilisation dans des essais cliniques. En 2014, aucun peptide antimicrobien n’avait reçu l’agrément de la FDA pour une

utilisation clinique 255.

1.2.4.Synthèse d’hydrogels à partir de polymères antimicrobiens

Ces polymères peuvent être d’origine naturelle, comme le chitosane qui a été présenté dans le chapitre 1 (cf § 6.2.1.2). Son action antibactérienne est liée à des interactions électrostatiques, hydrophobes

et par chélation 249 (en fonction du poids moléculaire). La poly--lysine (Figure 90A) est un homopolymère

naturel de lysine (avec un nombre de motifs compris entre 25 et 20) qui interagit de manière électrostatique avec la surface microbienne et induit des dommages cellulaires. Les polymères cationiques synthétiques peuvent aussi être utilisés à des fins antimicrobiennes. Les plus fréquemment utilisés sont le

polyéthylènimine (PEI) et les polyguanidines. Le PEI (Figure 90B) est un polymère non biodégradable

contenant des fonctions amine primaire, secondaire et tertiaire, sur lesquelles un grand nombre de modifications chimiques peuvent être faites. La viabilité bactérienne est inférieure à 10% en contact avec des hydrogels contenant 5,2 et 6,9% P/V de PEI, tant pour E. coli que pour S. aureus, sans pour autant induire la

143 Figure 90 : structure chimique du polymère (A) poly--lysine ; (B) polyethylènimine.

1.2.5.Incorporation de sels d’ammonium ou de phosphonium (QAS ou QPS)

L’efficacité bactéricide de ces sels a été découverte dans les années 1930 260. Plusieurs générations

de QAS/QPS avec des structures variées, ont été élaborées (Figure 91). Les groupes QAS/QPS peuvent être

polymérisés directement au sein des hydrogels, ou greffés de manière covalente sur des polymères synthétiques ou naturels. Le principal avantage de ces sels d’ammonium et de phosphonium est leur grande versatilité. Le monomère peut contenir différentes fonctions chimiques permettant une polymérisation. Les

plus fréquentes sont les vinyles et les acrylates 260. En général, le groupement cationique est attaché à une

chaîne alkyle (donc hydrophobe), dont la longueur varie entre 6 et 12 carbones. Ils peuvent être immobilisés au sein d’hydrogels à base d’alcool poly(vinylique), de polyacrylate, de polyuréthane ou de polyéthylènimine

261. Leur coût est très faible en comparaison de celui des peptides antimicrobiens, et leur synthèse peut être

adaptée pour influencer certaines propriétés, notamment les propriétés mécaniques du matériau auquel ils sont incorporés.

Figure 91: structure de quelques sels d’ammonium et de phosphoniums quaternaires connus pour leur activité antimicrobienne 262.

Nous avons choisi de travailler avec un groupement de type ammonium quaternaire en raison des avantages présentés ci-dessus. Ces composés ont été ajoutés aux RIP POE-BSA/Fb précédemment mis au point. En effet, le remplacement total du POE par un polymère possédant une activité antimicrobienne aurait

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demandé de reprendre toute la mise au point des synthèses et les caractérisations, ce qui ne pouvait être envisagé dans le temps imparti.

Les QAS ont un large spectre antibactérien, ciblant, à la fois, les bactéries Gram négatif et les bactéries Gram positif. Ce composé, s’il est greffé au réseau, devrait donc assurer une inhibition par contact avec le matériau. Nous avons également travaillé avec un sel d’ammonium non greffé, inclus dans le matériau. Il devrait être capable de diffuser hors du matériau et d’exercer son action bactéricide dans l’environnement proche.