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Le club Corée ou une démarche offensive et collective à l'export

L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE EN FRANCE : ATOUTS ET LACUNES

2. La pratique des acteurs : atouts et lacunes 1. L'entreprise et l'intelligence économique

2.5. Le club Corée ou une démarche offensive et collective à l'export

La genèse du club Corée et de son programme d'action constitue l'exemple de l'approche efficace d'un marché à l'export conçu selon une démarche d'intelligence économique. En effet, les concepteurs du projet ont défini une stratégie commerciale offensive autour d'un dispositif d'ingénierie de l'information mobilisant une partie des acteurs nationaux impliqués dans la politique d'exportation : les entreprises, l’administration, les collectivités locales, les Chambres de commerce et d'industrie.

Cette expérience est en effet instructive à plus d'un titre. Son efficacité repose avant tout sur la décision d'un grand groupe industriel d'apporter son expérience des marchés asiatiques aux PME-PMI engagées à l'exportation. Elle montre ensuite qu'il est possible d'élaborer un marché de l'information dès lors que quelques acteurs économiques nationaux décident de coordonner leurs efforts et comprennent la nécessité de conduire une réflexion stratégique concertée dans l'approche commerciale des marchés-tiers. Enfin, le travail de mise en place d'un cycle d'informations utiles aux entreprises a révélé les forces et les faiblesses du dispositif national d'accompagnement des entreprises sur la Corée.

A la fin des années quatre-vingt, le gouvernement français décide d'initier une démarche innovante d'encouragement des entreprises à l'exportation par la création de clubs-pays.

Structures informelles, ces clubs conjuguent la puissance d'observation et d'action de grands groupes industriels avec les capacités identifiées ou à révéler des PME-PMI sur un marché ciblé.

Le club Corée s'organise alors autour du président de l'Air liquide, porteur de la longue expérience asiatique de la société. Il est assisté par un ancien ambassadeur français à Séoul.

Un cadre supérieur du groupe assure l'interface entre le club et l'acquis commercial du groupe en Corée et va développer cette nouvelle "démarche".

La mission est claire. Il s'agit de participer à l'amélioration de la part globale des exportations françaises en Asie, en suscitant une dynamique de pénétration du marché coréen. En effet, l'approche spontanée par les entreprises a produit jusqu'à présent des résultats limités au regard du potentiel commercial de notre économie. Les experts du club ont observé qu'une entreprise sur quatre se mobilisait en fonction de la demande coréenne. La majorité s'orientait vers ce marché sans approche fine, sur la seule base de leur propre impulsion commerciale.

Afin d'orienter son action, le club procède d'abord à une évaluation globale du dispositif informationnel français en place sur cette zone.

L'évaluation conclut à l'existence d'un stockage passif de l'information, ainsi qu'à un déficit d'informations élaborées et suffisamment détaillées pour intéresser les PUE-PMI. E montre en outre une mauvaise coordination du stock disponible et la sous-utilisation des banques de données telle que par exemple Béatrice ou Télexport. Enfin, il met en avant la relative dispersion de l'action administrative.

Les services d'information des organismes d'aide à l'exportation (Centre français du commerce extérieur et bibliothèques régionales, etc.) sont sous-utilisés. Les analyses très détaillées du Poste d'expansion économique de Séoul ne mentionnent pas d'objectifs commerciaux ciblés en fonction de l'offre française et de la demande coréenne. L'absence de définition d'une stratégie nationale prive les entreprises, en particulier les PME-PMI, d'une vision claire de l'approche du marché coréen.

A l'issue de ce constat, le club Corée décide de concevoir une banque de données alimentée par un système sophistiqué de recueil, de traitement et de diffusion d'informations élaborées.

L'ensemble des services du club sont regroupés sous le vocable "CIBCOR" (cibles Corée). Ils intègrent trois types d'actions destinées à évoluer vers une véritable stratégie.

La première étape correspond à la sélection des produits porteurs en fonction de la demande du marché coréen. Ce ciblage fin est produit par la banque de données permettant en particulier de produire des statistiques "intelligentes" (tableau de bord des importations coréennes), enrichies par une série d'informations relatives su marché telles que l'identification des pays concurrents, la position de la France, les données sur les taxes, les quotas, les prix... Cette phase de traitement conduite par le club Corée avec le soutien de la Chambre de commerce et d'industrie française en Corée produit des informations élaborées directement utilisables par les entreprises dans leurs démarches commerciales.

La deuxième étape consiste à transmettre l'information, si possible en temps réel, aux entreprises françaises concernées. Leur identification s'opère selon deux démarches complémentaires. L'interrogation des fichiers "entreprises" des douanes et des Chambres de commerce et d'industrie permet une première sélection et des contacts directs, soutenus par l'action concertée d'un réseau de diffusion de l'information constitué par des Chambres de commerce et d'industrie, dont celle de Paris, des sociétés de commerce, quelques organisations professionnelles qui se mobilisent pour sensibiliser, identifier et accompagner les entreprises.

La troisième étape consiste enfin à mettre en œuvre les moyens de la Chambre de commerce et d'industrie française en Corée et, lorsqu'elles le souhaitent, ceux des autres filières d’accompagnement classique, afin d'aider les entreprises sélectionnées dans leurs négociations commerciales avec le réseau d'importateurs coréens.

L'ensemble de la démarche est complétée par une action de veille active. L'analyse et le suivi permanent de l'évolution du marché coréen et des positions françaises sont autant d'orientations données aux programmes d'action du club et plus largement à la définition d'une véritable stratégie française en Corée, étape par étape.

La démarche du club va être transposée à d'autres pays. Destinée à renforcer l'action des entreprises, elle n'en est pas moins utile aux collectivités locales ou aux municipalités animant des clubs d'entreprises. En 1993, l'initiative aboutit à ses premiers résultats. Elle reste encore fragile, reposant sur une dynamique informelle, elle manque de moyens. Sa pérennité dépend de quelques individus et se heurte à l'absence d'unité et de synergie entre les filières d'accompagnement. La reconnaissance de cale initiative innovante ne pourra se concrétiser qu'au travers d'un dialogue, d'une réflexion nationale et d'un engagement des décideurs.

Chacun des acteurs impliqués, tout en reconnaissant ses faiblesses, doit accepter d'apporter la valeur ajoutée de ses compétences au servir d'une stratégie commune.

CONCLUSION

Depuis une décennie, la notion de performance économique d'une entreprise et d'une nation a fondamentalement changé de contenu. Désormais prévaut l'idée que la compétitivité d'une économie nationale découle du potentiel d'innovation technologique de ses entreprises, de la capacité productive de son appareil industriel, ainsi que de la qualité de gestion et d'organisation du travail collectif et individuel.

Toutefois, l'ensemble de ces facteurs, pour importants qu'ils soient, ne constituent encore qu'une vision réductrice de la performance économique. Celle-ci, en effet, se définit également dans les rapports de force entre nations et dans les relations conflictuelles que développent les entreprises sur l'échiquier mondial des échanges. L'impact de la concurrence internationale sur le jeu des acteurs, les répercussions sur les stratégies des entreprises et le taux de chômage sont aujourd'hui des défis fondamentaux pour la France.

Dès lors, la gestion stratégique de l'information économique devient un outil à part entière de compréhension permanente de la réalité des marchés, des techniques et des modes de pensée des concurrents, de leur culture, de leurs intentions et de leurs capacités à les mettre en œuvre. Cette démarche se situe au cœur des systèmes nationaux d'intelligence économique qui apparaissent désormais comme des leviers essentiels au service de la compétition et de l'emploi. Le Japon, l'Allemagne, la Suède par exemple, en ont fait le moteur stratégique de leur développement et de leurs succès commerciaux. Sur cette base, de véritables politiques de performance économique nationales se sont mises en place autour d'une large concertation entre les acteurs économiques. L'industrie, l'enseignement, l'administration se mobilisent sur la diffusion du savoir-faire en intelligence économique.

Des groupes internationaux tels Exxon, IBM aux États-Unis, Sony ou Hitachi au Japon les ont mis en œuvre dès les années soixante-dix.

Face à de tels déploiements, le dispositif d'intelligence économique français demeure très en retrait de l'efficacité des systèmes développés par "les concurrents-partenaires" de la France.

La dispersion des efforts, le manque de coordination dans les approches des marchés extérieurs, les conflits entre les services d'une même entreprise et les cloisonnements administratifs sont autant d'entraves à la gestion cohérente et collective de l'information utile.

Des initiatives existent toutefois, animées par des experts qui ont mis en avant l'importance de la veille stratégique. En outre, l'Association pour la promotion de l'intelligence économique et concurrentielle (SCIP France)8, créée en 1992, rassemble une première communauté de spécialistes. Leurs efforts isolés ne bénéficient cependant qu'aux entreprises déjà sensibilisées dans les domaines en alerte, par exemple les activités liées à l'aéronautique, les télécommunications et l'énergie, révélant ainsi la faible mobilisation pour une large partie du secteur manufacturier.

8 Branche française de la Society of Competitive Intelligence Professionals (SCIP) américaine, elle a notamment pour objet la promotion et le développement de l'intelligence concurrentielle dans les entreprises françaises.

Deux freins majeurs s'opposent encore à une diffusion large et efficace de l'intelligence économique. D'une part, l'ensemble des acteurs nationaux n'ont pas réellement pris conscience que la défense de l'emploi, le renforcement de nos industries et la capacité de négociation internationale de la France reposent sur la gestion stratégique de l'information comme levier essentiel de la compétitivité. D'autre part, la conception partielle de l'intelligence économique est trop souvent réduite dans l'entreprise aux actions de protection et de veille technologique.

Cette conception confine le système français dans une orientation résolument défensive, à l'heure où cil la compétition à l'œuvre sur les marchés globalisés appelle l'urgence d'une coordination des capacités offensives.

Au regard de ces enseignements, il apparaît clairement que l'adaptation stratégique de la France à la multiplicité des enjeux concurrentiels mondiaux et l'anticipation des opportunités et des coopérations possibles dépendront d'une volonté claire, affichée par la puissance publique qui, seule, pourra donner l'impulsion nécessaire.

Dès lors, la mise en œuvre d'un système d'intelligence français efficace ne peut être engagé que sur la base de réformes essentielles portant sur :

- le rôle des administrations et leurs capacités à organiser une diffusion coordonnée d'informations stratégiques utiles, au service de la performance de l'économie nationale ;

- la capacité des entreprises à coordonner leur savoir-faire, à collecter et diffuser l'information et ce, dans l'ensemble des domaines industriels nationaux. Les fédérations patronales et professionnelles, les états-majors des groupes, les responsables de PME-PMI et les syndicats sont ici particulièrement concernés.

De telles réformes sont indissociables de la définition d'une politique stratégique à long terme mobilisant les responsables politiques et économiques au sein d'un large débat national.

PROPOSITIONS POUR UNE PRATIQUE FRANÇAISE DE