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Les banques et l'intelligence économique

L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE EN FRANCE : ATOUTS ET LACUNES

2. La pratique des acteurs : atouts et lacunes 1. L'entreprise et l'intelligence économique

2.2. Les banques et l'intelligence économique

Au Japon, en Corée ou en Allemagne, les relations organiques entre l'État, les banques et les entreprises jouent un rôle décisif dans la performance de l'économie nationale, ainsi que dans les dynamiques et les succès commerciaux sur les marchés. Une information partagée par une pluralité d'acteurs apparaît de fait plus rentable et confère à leurs stratégies un seuil d'efficacité que ne saurait atteindre une démarche individuelle. Mais ces dispositifs se caractérisent également par leur capacité à mémoriser le savoir et le transférer vers la collecte et le traitement de l'information utile. Elles développent en quelque sorte une mémoire stratégique collective.

Par contre, en France, les pratiques de l'intelligence économique par les banques dans l'histoire de la IIIe République n'ont pas laissé de trace dans la culture d'entreprise.

Certes, les banques françaises ont contribué au riche passé de la France dans le domaine de l'intelligence économique. Maisons de la haute banque, banques commerciales, de dépôts et banques d'affaires se situaient à la pointe de la gestion stratégique de l'information dans les relations internationales sous la IIIe République. Au début du siècle, la pratique de l'intelligence économique par le Crédit lyonnais motiva une mission d'étude de la part de banquiers suédois.

Ce savoir offensif que les opérateurs n'ont pas recensé ni entretenu s'est dilué peu à peu dans le temps, au fil des avatars de l'histoire, notamment coloniale, de la France et de l'évolution des métiers de la banque. L'absence d'analyse historique sur l'évolution de l'intelligence économique et des pratiques offensives dans la profession bancaire a créé des ruptures de

savoir, dont elle pâtit aujourd'hui à l'heure de la confrontation concurrentielle et des stratégies internationales recouvrées.

Si l'on parle aujourd’hui des stratégies européennes et mondiales des banques, cela ne signifie pas pour autant que cette pratique soit le résultat d'une évolution régulière au cours du temps.

Cela signifie qu'un savoir acquis dans la gestion offensive de l'information identifiée dans une banque durant une période donnée n'entraîne pas sa perpétuation ou son redéploiement selon l'évolution de l'activité de la banque.

En 1987, une mauvaise maîtrise des risques dans l'acquisition d'un broker londonien - stratégie identifiée comme seul moyen de pénétrer un marché fermé et très concurrentiel - s'est avérée très coûteuse pour le Crédit lyonnais. La nécessité d'un développement rapide sur les marchés internationaux a entraîné une importante activité de prêts par les banques françaises sur le marché anglais. La récession britannique et surtout la concentration

"spectaculaire" des risques sur ce seul marché s'est soldé pour certains établissements par des pertes importantes (rapport 1991 de la Commission bancaire).

Une lecture rétrospective de l'évolution et de la structuration de la profession bancaire en France permet de comprendre les déficits actuels dans la pratique de l'intelligence économique et notamment dans la gestion offensive et collective de l'information.

Évolution historique

Hubert Bonin9 montre comment au cours du XXe siècle, à l'issue d'une intense activité internationale, le repli hexagonal des banques caractérisé par une gestion défensive des acquis érode peu à peu leur savoir-faire international.

Les maisons de haute banque, les banques commerciales et de dépôts, ainsi que les banques d'affaires françaises ont joué un rôle essentiel dans le développement industriel de l'occident et l'expansion des empires coloniaux.

Les banques d'affaires sont apparues très actives à travers leurs prises de participations, notamment dans les sociétés d'Europe centrale appartenant aux secteurs-clés du développement industriel (mines, énergie, chimie...). Elles ont contribué au soutien de la diplomatie, ainsi qu'à l'ampleur de la présence française dans cette région à la fin des années trente.

Les banques commerciales, pour leur part, ont su valoriser leur métier Outre-mer à travers la gestion des moyens de paiement de l'empire. Le Crédit lyonnais et le CNEP se sont investis dans le financement des échanges de coton avec l'Europe. Plus largement, le CNEP développa une stratégie systématique d'implantation nationale et internationale dans les centres d'échanges, orientée vers l'accompagnement des petites et moyennes entreprises de négoce.

Les banques commerciales, à travers des liens étroits avec les entreprises, ont ainsi participé par leur soutien quotidien à l'intense activité d'import et d'export des grandes places commerciales françaises (Roubaix, Lyon, Reims, Bordeaux...).

9 "Les banques françaises dans le monde" in revue "Banque, soixante ans de banques", supplément au numéro 533 de la revue "Banque", décembre 1992

Cette activité bancaire internationale, forte des synergies développées avec l'État et les entreprises subit les heurts de l'histoire et des grands bouleversements du monde. Peu à peu les positions acquises sont ébranlées. La seconde guerre mondiale, la nécessaire implication dans la reconstruction, l'effritement de l'empire et la décolonisation, la vive concurrence des banques anglo-saxonnes entraînent les banques françaises à se replier peu à peu sur leurs positions hexagonales.

Hubert Bonin note qu'au début des années soixante domine l'impression d'une absence de stratégie internationale cohérente. Plus grave, "l'énorme majorité des banquiers sont franchement gallocentristes : peu d'entre eux parlent l'anglais les équipes de dirigeants appartiennent souvent à un "establishment" trop homogène pour laisser libre-cours à des initiatives originales et frontales. Les initiatives ne revêtent que la cohérence des humeurs et des opportunités et prévaut la gestion des "acquis accumulés sans cohérence au cours des décennies et des fusions entre établissements".

A cette époque, si les relations avec les grandes entreprises se caractérisaient souvent par une présence de la banque au sein des conseils d'administration, celle-ci n'intervenait pas dans les décisions stratégiques à la différence des banques allemandes.

Les banques d'affaires sont les seules à agir en synergie active avec les sociétés de leur groupe.

Face à l'évolution de l'environnement européen et mondial, les banques françaises s'ouvrent à nouveau su cours des années soixante à l'international. Avec le marché commun et l'explosion des échanges, les grandes entreprises françaises s'internationalisent. Les grands contrats à l'export se développent. Autant de facteurs qui bousculent la profession bancaire et la projettent à nouveau au cœur des marchés internationalisés. Mais la rupture est consommée et les banquiers manquent d'expérience. Ils devront apprendre des entreprises et surtout gèrent cet apprentissage par l'intermédiaire de filiales, tout en s'alliant avec des banques européennes pour la prospection des marchés et des métiers nouveaux.

Les banques commerciales deviennent plus entreprenantes. Tout en se concurrençant entre elles, elles se rapprochent des entreprises et investissent le terrain des banques d'affaires.

Ce processus s'accélère avec l'intégration grandissante des places financières mondiales concrétisée par la rapidité de circulation des informations (réseaux télématiques) et la mobilité quasi-immédiate des liquidités. La concurrence s'en trouve accrue. La course aux parts de marché des pays jugés importants devient un objectif prioritaire.

Enfin, l'accélération des mutations tend aujourd'hui à dissoudre la frontière entre banques de dépôts et banques d'affaires. D'aucun assurent que les grandes banques commerciales sont devenus des banques universelles à l'allemande.

De cette brève mise en perspective historique, deux grandes caractéristiques transparaissent plus nettement. Elles permettent d'éclairer certains aspects de l'actuel fonctionnement du système d'ingénierie de l'information des banques, ainsi que les carences de son articulation avec l'ensemble du dispositif national et notamment industriel.

En premier lieu, l'évolution actuelle vers le modèle de la banque universelle ne doit pas cacher les effets du cloisonnement entre institutions hérité de l'histoire et de la réglementation

de la profession. Ce cloisonnement réservant aux banques d'affaires le lien privilégié avec les entreprises n'a pas permis de produire la dynamique qui induit la performance du dispositif allemand : une relation banque-industriel bâtie sur le long terme, irriguant l'ensemble du tissu productif national.

En second lieu, la rupture historique dans la pratique des marchés internationaux et l'absence de transfert de savoir-faire originel ont créé des lacunes dans la pratique offensive de l'information.

Le système d'ingénierie de l'information dans les banques

La densité des réseaux bancaires français au niveau international, l'excellence des banques en matière d'innovation dans la création de produits et l'avance technologique dont celles-ci disposent par rapport à leurs concurrents, notamment allemands, ne signifient pas pour autant que les banques françaises développent un savoir-faire sophistiqué en matière d'intelligence économique.

Les établissements gèrent une information très abondante, indispensable à leur fonctionnement quotidien, ainsi qu'à l'enrichissement des analyses stratégiques et à l'orientation des choix bancaires : recueil, traitement et diffusion d'informations relatives à l'environnement économique et réglementaire, à l'environnement concurrentiel et aux clientèles.

La performance globale du système d'ingénierie de l'information dans les banques semble toutefois marquée par le manque de pérennité dans les stratégies, une certaine dispersion des pratiques, ainsi que par une culture peu développée de la pratique collective de l'information.

D'une part, il s'avère que dans les établissements coexistent plusieurs systèmes d'information répondant chacun à des besoins spécifiques. En effet, les systèmes se sont développés en fonction de l'apparition des besoins, sans véritable plan d'ensemble préétabli. Dès lors, les banques qui ne possèdent pas un système central d'information n'ont pas forcément une vision globale de la richesse des informations dont elles disposent. Dans le contexte exacerbé de la concurrence tant nationale qu'internationale, l'efficacité des dispositifs de surveillance de l'environnement concurrentiel devient relative.

D'autre part, l'utilisation de l'ensemble de ces informations semble plus souvent dédiée à des démarches défensives qu'offensives. L'information utile sera alors orientée vers le développement d'une approche "sécuritaire" - éviter les risques - au détriment d'une approche prospective d'identification des opportunités.

La veille réglementaire, appréciée sous l'unique angle défensif du suivi de l'évolution à des fins de conformité, perd sots caractère d'instrument-clé d'information de la stratégie, notamment au niveau européen. L'analyse de la réglementation communautaire relative au secteur bancaire dès le stade de son élaboration a pourtant permis à une grande banque française d'anticiper sur son application et de devancer la concurrence par des décisions d'implantations adaptées en Europe.

Dans le domaine des relations avec l'industrie, les banques françaises ont globalement tendance à demander aux entreprises de leur fournir l'information sur les marchés et leur solvabilité. Cette démarche défensive les distingue nettement de leurs homologues allemandes

dans l'usage stratégique de l'information vis-à-vis des entreprises. Les banques d'outre-Rhin ont un rôle actif dans son utilisation prospective, soit par leur participation aux choix stratégiques, soit par leur démarche systématique d'apport d'opportunités d'affaires.

Enfin, la culture bancaire française marquée par le secret communique difficilement au sein de la profession, ainsi qu'avec son environnement.

A l'heure européenne et malgré la concurrence entre banques françaises, n'y a-t-il pas lieu de partager l'information ?

Les structures actuelles telles que l'Association française des banques, à laquelle, il faut le noter, ne participe pas le Crédit agricole, sont-elles aptes à répondre à cette nécessité ? Le retard avéré des établissements français dans l'évaluation des risques pourrait aisément être compensé par un véritable échange de savoir-faire et d'expériences au sein de services communs à la profession. Ainsi, les professionnels allemands du crédit ont créé par l'intermédiaire de leurs puissantes fédérations de branches, une centrale de risque comme la

"Schufa" spécialisée dans le crédit à la consommation et la surveillance des comptes de particuliers.

Dans les années 1960-1970, les banques françaises avaient pourtant choisi une stratégie de coopération en intégrant de grands clubs consortiaux internationaux à des fins de prospection des marchés. Cette pratique n'a pas résisté à l'ouverture de l'espace financier européen. En effet, les banques unies se retrouvaient concurrentes sur leur marché domestique.

Au sein même de la culture bancaire française, la réglementation relative à l'obligation de secret professionnel par le banquier ne constitue-t-elle pas une entrave au partage de l'information, notamment avec les entreprises ? Le système allemand, fort de ses caractéristiques culturelles, est à l'inverse fondé sur un échange mutuel, dense et permanent d'informations privilégiées.