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L'État et l'intelligence économique

L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE EN FRANCE : ATOUTS ET LACUNES

2. La pratique des acteurs : atouts et lacunes 1. L'entreprise et l'intelligence économique

2.3. L'État et l'intelligence économique

Nous avons montré en introduction que les différents échiquiers sur lesquels se jouent désormais les rapports de force économiques mondiaux constituent autant de niveaux de réalités complexes animés par des logiques parfois contradictoires de "coopération-concurrence" entre nations, entreprises, blocs économiques et régions.

L'analyse de cette nouvelle géographie des rapports de force et les modes complexes de concurrence qu'elle induit nécessite de la part des États des capacités accrues dans la gestion stratégique de l'information. La performance des économies les plus offensives sur ces différents échiquiers repose en effet sur la mobilisation de compétences pluridisciplinaires en matière de gestion de l'information. La recherche d'une rentabilité optimale du système national d'information économique se fonde sur l'étroite synergie entre l'État, les administrations et les entreprises.

La question du rôle de l'État est posée. Disposant de capacités de collecte et d'analyse de l'information complémentaires à celles des entreprises, son rôle se décline selon trois axes.

D'une part, il organise la gestion de l'information économique, afin d'aider les entreprises engagées dans la concurrence internationale et soumises à la concurrence étrangère sur leur propre marché domestique. Il s'agit d'accroître, par une diffusion large d'informations élaborées, leur potentiel d'analyse et de leur permettre ainsi d'ajuster leurs stratégies à ces nouvelles menaces concurrentielles. D'autre part, il veille à la protection du patrimoine économique et technologique, notamment des entreprises situées sur des créneaux stratégiques pour l'économie nationale. Enfin, il mobilise les gisements d'information de l'administration, afin d'être en capacité de définir une vision stratégique globale ainsi qu'une hiérarchie de priorités et des axes d'intervention par zones géographiques.

L'évaluation du dispositif français au regard de ces trois axes montre des atouts caractérisés en particulier par un grand nombre de centres de compétences. Il convient cependant d'orienter leurs missions et leur fonctionnement, afin d'aboutir à la constitution d'un système d'ingénierie stratégique de l'information adapté aux nouvelles exigences de l'économie globalisée.

La gestion de l'information économique

Le dispositif français de collecte et de diffusion de l'information économique, mais aussi scientifique et technique demeure largement dominé par les initiatives publiques1.A ce titre, l'État et les administrations sont appelés à jouer un rôle essentiel dans l'appui aux entreprises, en particulier aux PME-PMI, confrontées aux formes multiples de la concurrence internationale. Le degré de réactivité de plus en plus élevé que les mutations de l'environnement imposent aux entreprises nécessite un accès facile et rapide à l'information pertinente.

1 Voir également "Information et compétitivité", rapport du groupe présidé par René Mayer, Commissariat général du Plan, 1991.

Or, malgré la qualité et la diversité des flux d'informations, les entreprises sont confrontées à une offre publique encore trop dispersée, inadaptée à leurs besoins ; de plus son accès est souvent entravé par des règles de confidentialité. De fait, l'information de source administrative s'avère globalement mal adaptée aux nouveaux enjeux concurrentiels internationaux. Sur le plan interne, l'offre publique de données relatives à l'étranger s'organise selon les sources de divers départements ministériels, tels que ceux des Finances, du Budget (douanes), des Relations extérieures, de l'Industrie ou d'organismes que sont la Banque de France ou le Centre français du commerce extérieur (CFCE). Ils fonctionnent selon leur propre logique administrative, qui rend la communication peu opérationnelle.

Cette dispersion s'accentue lorsqu'il s'agit du dispositif de collecte et de diffusion de l'information à l'étranger. Différents réseaux, dont celui des ambassades, sont mis en œuvre.

Le CFCE, comme les Postes d'expansion économique, sont en charge de la fonction de collecte, mais chacune des administrations de tutelle a conçu leur mission selon ses propres normes. Dès lors, ces sources diversifiées fonctionnent sans réelle approche concertée et contribuent au déficit de cohérence des données recueillies.

L'activité de soutien de PME/PMI à l'export par le club Corée (expérience présentée en fin de chapitre), illustre, par la pratique, cette réalité du dispositif informationnel français d'appui aux entreprises sur les marchés tiers. Observant la relative dispersion vécue de l'action administrative, les animateurs du club constatent en outre l'existence de gisements d'informations non utilisées. La mauvaise coordination des informations disponibles conduit à l'insuffisance d'informations élaborées, c'est-à-dire directement opérationnelles pour les entreprises. Le traitement des données recueillies ou disponibles n'alimente aucun réel système de pilotage qui permettrait en permanence d'évaluer les performances françaises sur le marché coréen. Cela peut expliquer que les analyses très détaillées, produites par les fonctionnaires du Poste d'expansion économique, n'intègrent aucun objectif commercial articulé sur l'offre française.

Un rapport du Conseil économique et social2 corrobore cette analyse.

Il relève en particulier que les Postes d'expansion économique sont handicapés par leur statut et que le Centre français du commerce extérieur n'exploite qu'une faible partie du potentiel informationnel disponible.

Globalement, le rapport constate la faible diffusion des études ou de l'information générale relatives aux économies étrangères. Le caractère confidentiel des rapports les plus intéressants contribue à freiner la rentabilité du système d'information global et surtout, prive les acteurs économiques d'une vision stratégique française claire, adaptée à chaque zone géographique.

Reconsidérer les modalités de classification des informations réservées par l'administration à ses services, et dont l'utilité serait précieuse aux entreprises, devient une urgence.

La décision de diffuser les rapports des conseillers et attachés scientifiques des ambassades aux entreprises a représenté une démarche essentielle vers une approche collective - mais encore balbutiante - de l'information utile. On peut regretter la faible demande des entreprises relative à ces documents. La maturité de la demande est-elle concernée ? S'agit-il du déficit de promotion ou de qualité opérationnelle des documents ?

2"L'Information économique et sociale", 1992.

Au regard du constat que les informations technologiques produites par les organismes publics, en particulier par les ambassades, demeuraient largement sous-utilisées par les milieux industriels, fi a été confié à l'Agence pour la diffusion de l'information technologique (ADIT)3 récemment créée, la mission d'enrichir et de diffuser cette littérature d'origine nationale et internationale. De même, dans l'optique de rationaliser l'action des pouvoirs publics, un Haut Conseil de l'information scientifique et technique a été créé. Il devra en particulier veiller à l'articulation des organismes publia producteurs et diffuseurs d'information scientifique et technique, ainsi qu'au suivi de l'évolution des industries de l'information en France et à l'étranger.

Au sein du réseau d'appui au commerce extérieur et à l'approche des marchés, l'administration des douanes a engagé des efforts particuliers pour répondre aux besoins des entreprises et s'adapter au nouveau contexte de la concurrence internationale. Chargée en particulier de l'élaboration des statistiques du commerce extérieur, elle a, dès 1983, poursuivi un effort de traitement de ces données pour une plus large diffusion et une utilisation publique plus large.

Les douanes disposent en effet d'une banque de données intitulée Béatrice (Banque pour l'étude et l'analyse en temps réel des informations sur le commerce extérieur). Les contenus portent sur le sens des flux, les pays partenaires, les produits, les nomenclatures douanières et économiques, les quantités et les valeurs. Les interrogations permettent d'obtenir des informations relativement élaborées telles que des comptes croisés pays-produits ou des calculs de moyenne.

Cette banque de données est consultable dans les centres de renseignements douaniers (une dizaine en France) et dans les directions régionales des douanes (une quarantaine). Toutefois, les experts soulignent régulièrement que l'accès à un aussi riche gisement d'informations devrait être plus convivial. Un traitement informatique plus raffiné permettrait, en outre, une exploitation directe et donc plus rentable des données par les entreprises.

Par ailleurs, dans le cadre de la lutte contre les pratiques illégales économiques, les douanes ont en particulier une mission d'aide aux entreprises victimes de la contrefaçon. Cette mission leur a permis d'élargir leurs champs d'action par la création d'un réseau d'attachés douanier à l'étranger, dont on conçoit immédiatement le potentiel offensif lorsque ses actions se couplent à celles des attachés commerciaux ou scientifiques des ambassades. Notons, à titre d'exemple, l'action efficace de lutte contre les contrefaçons, menée conjointement par l'attaché douanier et les fonctionnaires du poste d'expansion économique de Tokyo, en liaison avec l'administration japonaise. Pour une plus grande efficacité, le poste d'attaché douanier en Extrême-Orient a été transféré à Hong-Kong. Toutefois, ne conviendrait-il pas de densifier ce réseau dont les effectifs semblent peu adaptés à l'ampleur des missions ? En effet, face à l'émergence du bloc commercial nord-américain et au durcissement des logiques concurrentielles, un seul attaché douanier suit à ce jour depuis Washington les relations avec le Canada, le Mexique et les États-Unis.

L'État et la protection du potentiel économique et technologique

3 Établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle conjointe du ministère des Affaires étrangères et du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

La maîtrise des technologies-clés se joue désormais sur le nouvel échiquier international des échanges commerciaux, à travers la multiplication des accords de coopération et l'intensification de la concurrence liée notamment à l'accroissement du nombre de concurrents. Dans ce contexte de compétition internationale, où l'information et son acquisition jouent un rôle déterminant, l'État contribue à la "défense des entreprises et des forces économiques".

Or, le cadre juridique régissant la protection évolue rapidement. L'ordonnance du 7 janvier 1950 attribuait deux objectifs à la défense économique : "le maintien ou le rétablissement du flux de situation normale et, à défaut, la répartition la plus équitable possible de la pénurie, dans les trois secteurs d'activité de l'époque à sauvegarder, celui de l'énergie, des productions agricoles, et des transports et des équipements de travaux4". Conçu à l'époque de la guerre froide en réponse à des agressions précises, cet instrument n'est plus adapté aux nouvelles rivalités concurrentielles et commerciales, ni à l'évolution des technologies. Il devrait être révisé.

Toutefois, le nouveau code pénal, qui entrera en vigueur le 1er mars 1994, en renforçant la défense du patrimoine public et privé, permet d'envisager le développement d'un "droit de la sécurité économique qui assure complètement la protection du potentiel économique et technologique des entreprises". Il y est fait référence, en effet, "aux intérêts fondamentaux de la nation", au rang desquels "les éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique".