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De tous les évènements qui composent l’histoire du progrès humain ou la diffusion de la civilisation européenne, nul n’a été aussi important que la découverte de l’Amérique. Après tant d’injustices sociales, de combats politiques, de guerres sanglantes, de massacres au nom de la religion, le continent tente de trouver une issue entre la civilisation et les legs de ses différentes cultures et la barbarie qui, malheureusement, fait partie intégrante de son histoire. Les conquistadors qui se sont emparé des pays de l’Amérique au XVe siècle ont reproduit la barbarie du Moyen-Âge. Les sociétés humaines ne peuvent atteindre un grade élevé de « sociétés civilisées » que si elles progressent sur le plan social. Les vertus morales, sociales et politiques n’avancent pas selon chaque individu mais lorsque la nation tout entière a parfaitement son Modus operandi. Depuis l’époque de sa découverte, il s’est véritablement installé un système d’absorption des richesses, quelles qu’elles soient, en Amérique. Depuis le gouvernement de sa métropole, en passant par ses terres, ses populations réduites en esclavage et à des conditions de vie inhumaines, tout était soumis par la force pourque les conquérants puissent s’emparer des moindres richesses accessibles ; cela va sans dire que le bien-être et le progrès social ont été complètement oubliés. Dès lors, les outils nécessaires à toute société développée, tels que l’éducation, l’administration de la justice, le commerce juste et un gouvernement équitable pour tous, n’ont pas été mis à profit afin de construire une société civilisée. Comme le dit Julio Salas dans son ouvrage “Civilización Y Barbarie: Estudios Sociológicos Americanos”, « Civilizar es cauterizar las úlceras nacionales y abolir las malas costumbres políticas, económicas y sociales, única manera de formar ciudadanos útiles o de capacitar a los nacionales para que triunfen en la lucha por la existencia »214. L’instruction des citoyens est une des conditions primordiales pour que s’installe correctement une justice et une évolution sociale, valeurs qui, rappelons-le, sont une des bases de l’humanité. Les richesses provenant des divers secteurs tels que l’agriculture, le commerce, l’extraction des matières premières, les industries, etc., ne peuvent être le ciment des sociétés ; elles viennent s’ajouter aux bases déjà construites. En Amérique ce fut le contraire ; les guerres ont mis en place des castes, une religion, des privilèges et une barbarie qui n’ont pas permis à l’éducation d’avoir sa place. L’analphabétisme et l’ignorance de leurs droits ont conduit les populations

214 . Julio César Salas, Civilización Y Barbarie: Estudios Sociológicos Americanos. Barcelona: Talleres Gráficos Lux. 1919, 189 p.

120 d’Amérique à être gouvernées par des tyrans, dans la quasi-totalité des pays composant le continent.

Ce besoin de civilisation des peuples est en relation avec la quantité de libertés dont ils jouissent. On mesure la qualité d’une société à partir des droits et devoirs qu’elle donne à ses citoyens. En Amérique, toutes les sociétés qui étaient gouvernées par des dictateurs, qui donnaient des privilèges à un certain nombre de personnes, selon leur classe sociale, et qui accumulaient de l’argent pour leur propre développement, ne pouvaient pas être appelées des sociétés libres, sociales, éduquées ou civilisées. C’étaient des sociétés barbares et sauvages. Malgré son insertion dans la dynamique économique mondiale et sa proximité face à la superpuissance que représentent les États-Unis, l’Amérique latine possède son propre rythme et son lourd passé. Les cycles historiques qui l’ont façonnée ont donné lieu à deux étapes :

- Son entrée dans l’ère moderne (1870-1914)

- Ses transformations politiques et économiques (1980-1990)

L’instabilité a toujours fait partie de sa dynamique en tant que continent. La domination des caudillos a grandement affecté son potentiel pour devenir une société calme et socialement juste. C’est ce que démontre le tableau politique de l'Amérique latine en 1870 sous l'emprise des Caudillos 215:

Pays Chefs de l'Etat Mode d'accession au pouvoir Caractérisation de la période

Argentine Domingo Sarmiento

(1868-1874) Élection

1870-1880: processus chaotique d'unification nationale

Bolivie Mariano Melgarejo

(1864-1870) Coup d'État

1879-1883: guerre du Pacifique, défaite et caudillisme jusqu'en 1884

Brésil Pierre II (1831-1871)

Abdication de son père, Pierre I

Déclin de l'Empire puis fondation de la République en 1889

Chili José Joaquín Pérez

(1861-1871) Élection

1871: République libérale 1879-1883: guerre du Pacifique

215 Olivier Dabène, L'Amérique latine à l’époque contemporaine, Paris : Armand Colin. Collection Cursus. 2010, p.4

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Colombie

Mandat présidentiel réduit à 2 ans et 15 présidents libéraux entre 1864 et 1886

Élection et intervention de la

"garde colombienne" Guerre civile et instabilité

Costa Rica Tomás Guardia (1870-1882) Coup d'État Retour à l'ordre démocratique

en 1882

Équateur Gabriel García Moreno (1861-1875)

Désignation par l'Assemblée constituante

Dictature catholique, Cuerre civile en 1895

Guatemala Miguel García Granados (1871-1873)

Coup d'État (révolution libérale)

Caudillisme (1873-1885: Justo Rufino Barrios)

Mexique Benito Juárez (1861-1872) Démission du président Comonfort, réelection en 1867

Caudillisme (1876-1910: Porfirio Díaz)

Paraguay Francisco Solano López (1862-1870)

Désignation par le président (son père)

Guerre de la Triple Alliance (1864-1870), caudillos jusqu'en 1898

Pérou José Balta

(1868-1872) Élection

1879-1883: guerre du Pacifique, défaite et caudillisme

Uruguay Lorenzo Bartlle (1868-1872)

Désignation par l'Assemblée générale

1870-1972: guerre civile 1876-1890: dictature militaire

Venezuela Antonio Guzman Blanco

(1870-1888) Coup d'État

Caudillos des Andes jusqu'en 1945

Ce déséquilibre politique constant dont ont souffert le continent et le Venezuela ont donné lieu à de multiples périodes autoritaristes, ce qui a donc empêché l’installation d’un modèle d’une société civilisée. Au milieu du XIXe siècle, bien que l’ensemble des pays de l’Amérique latine aient accédé à l’indépendance, l’instabilité sociale, économique et politique a perduré. Comme le souligne Olivier Dabène dans un autre de ses ouvrages, Atlas de

l’Amérique latine, « Dans certains pays, la diversité ethnique très marquée est un facteur

aggravant. Aucun des nouveaux pays ne dispose d’une culture nationale bien définie, ce qui constitue un obstacle à la construction des Etats-nations, jusque-là inexistants » 216. Les pays barbares sont ceux que l’on peut qualifier de la sorte, car leur gouvernements ne les soutiennent pas et n’exercent pas auprès d’eux leurs rôles de gouvernants. Ces pays ont été détruits par plusieurs coups d’états, des guerres civiles, etc., et n’ont pas eu comme facteur de réunification une cohésion sociale mais bel et bien une force militaire.

216 Olivier Dabène, Atlas de l'Amérique latine : Les révolutions en cours, Paris : Autrement. Collection Atlas/Monde. 2010, p. 10

122 La modernisation économique a du être impulsée par les économies montantes européennes et nord-américaines, le continent souffrant alors d’une instabilité politique et économique absolument forte. Les investissements étrangers ont donc joué un rôle majeur dans la stabilité que les pays du continent ont eu lors du XXe siècle. Le côté barbare du continent, qui s’est vu reflété dans bien des secteurs, vient du caudillo. Qu’est-ce que c’est ?

- C’est ce rapport à la terre : ce désir d’exploiter les richesses du sol et de s’approprier de grands domaines dans le continent.

- C’est également cette apparition d’une société rurale avec ses relations déséquilibrées entre les paysans et les propriétaires terriens, tels que Doña Bárbara, - Nous pouvons aussi y inclure ces élites de la société qui profitaient de la confusion

politique et sociale de leurs pays pour s’enrichir d’avantage.

C’est dans cette anarchie, cette jungle barbare, ce chaos, qu’a tenté de s’installer la modernité. Les multiples confédérations, les crises politiques et les incessantes guerres civiles empêchèrent un processus de construction d’une société égalitaire. Cependant, le commerce s’est vu développé au milieu du XIXe siècle : les plantations bananières, l’agriculture, le sucre, le café ou le blé ont permis la naissance d’une économie et d’un boom économique sans précédent. A présent, quels sont les indicateurs de prospérité économique, politique et sociale que nous devons considérer pour dire si le développement du continent s’est fait dans la voie de la civilisation ou de la barbarie ? Prenons-nous en compte l’investissement des capitaux étrangers ? La croissance du produit intérieur brut (PIB) ? Ou encore les progrès du capitalisme, de l’industrialisation des modes de travail ? A vrai dire, il faut tout considérer. Après avoir consulté de multiples ouvrages, je vais établir une liste des facteurs, positifs, ayant emmené l’Amérique latine du XIXe siècle à celle du XXe.

 L’exploitation des matières premières

 L’exportation des richesses minières

 La culture du café et sa vente dans le monde

 La construction du chemin de fer

 L’élevage et la culture des céréales

 Le développement des industries

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 Les capitaux étrangers

 La forte demande d’engrais

 Le développement du textile

 L’accroissement des populations

 Le développement des sociétés sur le modèle Européen et Américain du nord

 Les mouvements étudiants et littéraires

 L’immigration massive au Brésil

 Le recul des frontières

 L’accroissement des capitales et l’apparition de couches sociales moyennes

notamment en Uruguay

 La révolution Mexicaine

Aussi étrange et perturbant que cela paraisse, il semble que, pour beaucoup d’experts, la Première Guerre Mondiale de 1914—1918 ait eu des retombées « positives » sur l’économie en Amérique latine. Je m’explique : la demande de matières premières et le développement des capacités de production de chaque pays a permis que s’installe une prospérité jusque là méconnue de 1914 à 1930. La guerre a bien sur eu des conséquences désastreuses pour beaucoup de pays, mais les investissements sur le marché mondial ont permis un certain développement des marchés. Le crash de 1929 marquera ensuite une rupture et déstabilisera cette prospérité. C’est à partir de cette barbarie et de ce chaos politique que Gallegos écrira son roman, il les utilisera comme trame de fond pour raconter son histoire :

« En 1929, le Vénézuélien Rómulo Gallegos (1882-1969), qui fut d’ailleurs président de la République en 1948, donna à l’Amérique latine un des romans les plus célèbres : Doña Bárbara. L’histoire politique chaotique du Venezuela inclina Gallegos à dépeindre un affrontement entre civilisation et barbarie, dans le cadre d’un ordre social finalement conservateur et paternaliste »217.

217 Olivier Dabène, L'Amérique latine à l’époque contemporaine, Paris : Armand Colin. Collection Cursus. 2010, p. 43

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