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3. Méthodologie

3.3 Choix méthodologiques

Comme nous l’avons mentionné précédemment, nous avons choisi de traiter notre sujet suite à nos deux expériences personnelles. Même si ce dernier nous a paru évident, nous avons fait de longues démarches et remises en question pour cerner le contour exact de notre problématique. Au départ, nous nous étions intéressées aux conséquences de l’étiquetage sur le parcours scolaire, mais en vue de la difficulté méthodologique que cela comportait, nous nous sommes finalement penchées sur le portrait de l’élève idéal, en essayant de voir sous quelle forme il apparaissait. Si nous avions suivi notre première idée, nous aurions dû rechercher des personnes concernées par les étiquettes. La fiabilité des résultats auraient donc pu être biaisée, car il nous aurait manqué des éléments de contexte. Par contre, le nouveau sujet fait appel à un contenu récent, contextualité et en lien avec notre futur quotidien d’enseignante. De plus, nous nous sommes rendu compte qu’il était beaucoup plus intéressant de chercher à identifier ce processus d’étiquetage plutôt que d’en relever les causes, d’autant plus qu’un certain nombre d’ouvrages ont déjà abordé cette dernière problématique. Nous souhaitons donc remonter à la source pour pouvoir analyser et identifier le processus d’étiquetage présent dans les carnets scolaires. Nous avons donc mis de côté notre première idée, en gardant quand même toujours en tête qu’elle pourrait faire office de prolongement pour un futur travail de mémoire.

a. Constitution de l’échantillon Choix de la population

Nous avons choisi de sélectionner trois classes de l’école primaire genevoise pour mener notre recherche. Ces dernières font toutes parties du même établissement car nous avons voulu effectuer une seule demande officielle pour accéder aux carnets scolaires. Ces derniers étant des documents strictement réservés aux professionnels et au cadre scolaire, nous avons en effet dû nous entretenir avec la directrice de l’établissement pour avoir son accord. Nous avons donc eu carte blanche pour effectuer notre recherche, tant que nous respections le secret professionnel auquel nous sommes soumises. De plus, nous avons choisi cette école car nous avions toutes deux effectué un de nos stages en responsabilité là-bas. Le contact était donc déjà établi avec les enseignantes des trois classes concernées. De cette manière, nous avons pu leur demander plus facilement de prendre part à notre recherche.

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Par ailleurs, nous avons choisi seulement trois classes car nous nous sommes rendu compte, suite à notre recherche exploratoire, que la quantité de carnets était suffisante pour mener notre analyse. De plus, nous proposons une analyse qualitative et non quantitative, ce qui implique un échantillon quelque peu restreint. En effet, pour nous il est important de pouvoir confirmer ou infirmer nos hypothèses de départ en mettant en évidence différents points spécifiques. Ainsi, analyser les carnets de trois enseignantes nous semble pertinent dans le cadre de notre recherche.

Variables

Concernant le degré des différentes classes, nous avions pensé, au départ, sélectionner une classe de 2P, une classe de 4P et une classe de 6P. Nous avions choisi ces degrés car nous nous étions basées sur la fin de chaque cycle. Nous pensions que les commentaires seraient plus riches étant donné que les élèves étaient évalués pour passer à un cycle supérieur.

Cependant, préalablement, nous avons eu l’occasion d’observer que les commentaires inscrits pour les 6P étaient orientés surtout en fonction du passage au cycle d’orientation. Nous avons donc craint de ne pas avoir suffisamment de matière pour obtenir des résultats représentatifs et pertinents pour notre recherche si nous choisissions l’étude de ce dernier degré. De plus, nous avons réalisé par la suite que concrètement, le degré des classes dans lesquelles nous voulions mener notre recherche importait peu. En effet, nous ne faisons aucune comparaison entre les différentes classes d’âge.

En fonction de cela et de la disponibilité des enseignantes, nous avons donc finalement sélectionné un panache des différents degrés en choisissant une classe de 2P, une classe de 3P et une classe de 4P/5P. Nous n’avons bien évidemment pas pris en compte les classes de division élémentaire car la partie concernant l’écriture des commentaires est inexistante. Par ailleurs, nous avons choisi ces trois classes car nous avions déjà développé des affinités avec deux des enseignantes interrogées. En outre, nous avons sélectionné des individus de sexe féminin car nous ne voulions pas que la comparaison entre les différents genres entre en compte. Nous aurions pu aussi bien choisir trois enseignants. Par contre, bien que travaillant dans une même école, les enseignantes interviewées ont un parcours de vie différent et possèdent leur propre personnalité, ce qui peut enrichir les données.

41 b. Récolte des données

Dans le cadre de notre travail, nous avons utilisé deux outils de recherche pour collecter les données. Dans un premier temps, nous avons choisi d’utiliser le document écrit comme source de base, puisque c’est en partie suite à la relecture de carnets scolaires que nous avons eu envie de mener notre recherche. A partir d’une première analyse des données récoltées dans les livrets, nous avons construit et mené des entretiens. En fonction de ce que nous avons pu lire comme commentaires, nous avons posé des questions spécifiques aux enseignantes pour pouvoir approfondir, confirmer ou contredire nos interprétations initiales. Notre recherche s’est donc déroulée en deux parties distinctes mais complémentaires. Le schéma ci-dessous représente les différentes étapes principales de notre recherche :

42 Justification de la démarche

Nous avons décidé d’associer ces outils de recherche pour deux raisons : comme les carnets sont avant tout un moyen de communication entre l’enseignant et les parents et que les commentaires sont inscrits sous forme écrites, nous pensons qu’ils ne sont pas un outil d’analyse suffisamment fiable. En effet, comme le professionnel s’adresse aux parents pour leur communiquer des informations sur leur enfant, il doit donc peser ses mots et être attentif à leur formulation. De plus, il le fait par écrit, ce qui lui donne le temps de reformuler ses propos, en cachant éventuellement une étiquette sous une formulation atténuée. En outre, nous avions déjà pu constater, lors de nos stages, que les enseignants attribuaient facilement des étiquettes aux élèves par oral. Nous avons donc jugé pertinent de compléter les informations recueillies dans les carnets scolaires par des propos oraux. D’ailleurs, selon Kevassay (2007), l’étude de dossier « peut également constituer un complément intéressant à l’enquête par questionnaire ou par entretien. Elle peut notamment être utilisée pour analyser les stratégies de professionnels, en lien avec les discours produits » (p.97).

Les carnets scolaires

Nous avons collecté soixante-trois carnets scolaires à la fin du premier trimestre de l’année scolaire 2010-2011. A titre indicatif, nous ne nous sommes pas intéressées aux parties concernant les apprentissages dans la vie de classe et dans les disciplines. Dans ces parties, les enseignants doivent évaluer les élèves en mettant les croix dans les cases correspondantes (très satisfaisant, satisfaisant, peu satisfaisant) ou des notes pour les plus grands degrés. Nous mettons de côté ces informations car elles ne concernent en rien notre problématique étant donné que l’enseignant ne verbalise pas son avis, contrairement à la partie sur les commentaires éventuels. Par ailleurs, dans la première étape d’analyse, lorsque nous avons lu les commentaires, nous ne connaissions pas le contexte dans lequel ces derniers avaient été écrits. Il a donc fallu interpréter les propos écrits de l’enseignant tout en essayant le plus possible de rester dans la lecture objective.

Les entretiens

Nous avons choisi ensuite d’effectuer des entretiens dans le but de recueillir des données de manière spontanée et plus approfondie. Selon Kevassay (2007), l’entretien vise « la

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vérification de l’hypothèse à travers la cohérence interne du discours produit » (p.95). Dans notre cas, les entretiens ont permis de compléter et de confirmer notre première analyse documentaire, mais aussi d’approfondir notre recherche. En formulant nos questions d’entretiens nous avons cherché à avoir des éléments de réponse quant à nos hypothèses principales. D’ailleurs selon cette même auteure (Kevassay, 2007), conduire des entretiens est pertinent lorsque l’on s’intéresse aux représentations.

Nous avons mené une interview avec chacune des enseignantes qui ont été d’accord de participer à notre recherche. Nous avons interrogé ces dernières dans leur classe et les entretiens ont duré entre trente et cinquante minutes. Nous n’avons pas défini de limite de durée, car nous voulions être sûres d’avoir le temps d’aborder tous les points prévus. Par ailleurs, nous sommes conscientes que la modalité de l’entretien peut pousser l’enseignant à retenir quelques-unes de ses idées et à ne verbaliser que ce qui est "éthiquement acceptable".

C’est pourquoi, d’une part nous ne leur avons pas révélé avec trop de précision l’objet de notre étude, et que d’autre part nous avons opté pour des entretiens non-directifs. En effet, expliquer à l’interviewé ce que nous cherchions n’était pas du tout pertinent, parce que nous avons constaté que le concept d’élève idéal est généralement inconscient. De surcroît, même si ce dernier peut s’avérer être conscient, en parler serait le plus souvent tabou. En effet, chaque enseignant doit tenter de conduire tous les élèves au plus près des objectifs visés et non les amener à tendre vers un idéal commun à tous. Il s’agit d’enseigner en respectant l’intégrité de chaque élève en fonction de leurs compétences, de leurs qualités et de leur personnalité. Ainsi, cette précision biaiserait, selon nous, notre entretien puisque nous pensons que l’enseignant ferait attention à ne pas faire ressortir cet idéal. Aussi, nous avons opté pour cette forme d’entretien puisque, comme nous le confirme Filloux (2001), il y a un avantage considérable à mener un entretien non-directif si nous voulons aller chercher plus profondément dans les sentiments et les motivations des enseignantes interrogées. Ne pas trop guider nos questionnements permet à l’interviewée de s’exprimer davantage librement, naturellement, risquant ainsi de percer des éléments de l’inconscient qui peuvent expliquer et orienter les conduites. Nous avions donc préalablement construit un guide d’entretien qui comporte les questions essentielles à poser, mais nous avons laissé les enseignantes développer librement les différents points qui parfois suscitent chez nous de nouveaux questionnements imprévus.

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Concernant le déroulement des entretiens, nous avons commencé par rappeler aux enseignantes l’aspect confidentiel de l’entrevue. Nous jugeons que cette évocation est essentielle pour rassurer les enquêtées et les mettre dans une situation de confiance.

D’ailleurs, nous n’avons pas rencontré de réticences de la part des enseignantes pour enregistrer l’interview. Nous avions même deux enregistreurs pour être sûres de ne pas perdre de données et les enseignantes en ont plutôt ri. Ensuite, nous avons commencé par poser des questions générales, puis petit à petit, nous avons précisé nos questions de sorte à relever des éléments de réponses relatifs à nos hypothèses. Comme nous l’avons mentionné précédemment, à aucun moment nous avons expliqué aux professionnelles ce que nous cherchions réellement et quel était notre sujet. C’est de manière détournée que nous les avons amenées à construire une réflexion en lien avec notre problématique. Selon Kevassay (2007),

Il s’agira […] de recueillir des éléments de vérifications à travers un entretien qui a toutes les apparences d’une discussion libre mais qui, en réalité, relève d’un guidage informel vers l’hypothèse. Ce travail de guidage -inapparent pour l’enquêté- se fera à partir d’une grille d’indicateurs que vous aurez préalablement recensés, à partir des dimensions contenues dans l’hypothèse. […] Amener petit à petit l’enquêté sur le terrain de vos indicateurs sans dévoiler votre hypothèse puisque c’est l’enquêté lui-même qui doit évoquer spontanément, à travers ses propos, ses différentes composantes. Ainsi, la "discussion" démarrera par une question très large suivie de réactions de votre part qui rebondissent de façon "faussement" anodine sur les éléments, en mettant, à son insu, votre interlocuteur sur la voie de l’hypothèse. (p106)

Dans notre grille, nous avons formulé des questions de base nous permettant de répondre à nos questions de recherche. Cependant, la discussion a été organisée librement et nous avons rebondi sur le discours de l’enseignante pour approfondir ses représentations. En outre, nous avons essayé au mieux de revenir sur les dires de l’enseignante de manière pertinente.

Toutefois, nous nous sommes rendu compte, lors de l’écoute, que nous avons manqué parfois quelques occasions de relance. Cependant, il est délicat et non aisé en tant qu’apprenties chercheuses de toujours réagir au bon moment. De manière générale, nous nous sommes basées sur les conseils de Beau et Weber (1998) pour mener nos entretiens. Ces derniers indiquent que :

L’essentiel est de gagner la confiance de l’enquêté, de parvenir rapidement à le comprendre à demi-mot et à entrer (temporairement) dans son univers (mental) […].

Nous ne croyons pas qu’il existe de recettes simples pour conduire un entretien. Le

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problème n’est pas non plus de savoir si vous devez poser les bonnes questions pour obtenir les bonnes réponses. […] Le principe de base consiste à vous appuyer sur ce que [votre interlocuteur] vient de dire : soit en reprenant une de ses expressions pour lui faire préciser ou expliciter, soit en prolongeant le sens de son propos […]. Laissez toujours la possibilité à l’enquêté de dériver, de faire des digressions ou des incursions dans d’autres domaines que celui abordé de manière principale. […] Les associations d’idées sont nécessairement du sens pour l’enquêté et un sens social à découvrir pour l’enquêteur. (cité par Kevassay, 2007, p.107)

Pour le reste, nous avons organisé nos questions d’entretien en trois parties principales. La première partie comporte des questions générales liées à la rédaction des carnets. La seconde partie concerne plus spécifiquement les commentaires que nous avons lus dans les carnets. En effet, nous avons posé des questions aux enseignantes sur certains élèves, ainsi que sur quelques étiquettes que nous avions repérées. A titre indicatif, nous avons sélectionné deux, voir trois élèves dans chaque classe en fonction généralement des étiquettes qui leur étaient attribuées. Par exemple, nous avons posé des questions sur les élèves dont les commentaires comportaient beaucoup d’étiquettes. Toutefois, nous avons aussi choisi des élèves dont les commentaires étaient positifs ou négatifs mais ne comportaient pas d’étiquette. Nous avons par exemple choisi un élève de 3P qui avait une majorité de commentaires négatifs mais aucune étiquette ne lui était attribuée. Nous avons sélectionné cet élève pour voir si à l’oral l’enseignante exprime plus d’étiquettes pour décrire l’élève en question.

Cette technique nous a donc permis de mettre en évidence la proportion d’étiquettes entre l’oral et l’écrit, bien que la comparaison n’étant pas l’essentiel de notre démarche. Par la suite, nous avons relevé les étiquettes qui selon nous méritaient une explication plus approfondie de leur sens. Par exemple, nous avons voulu savoir, bien que nous connaissions le sens du mot

« sympathique », ce que ce terme signifiait pour l’enseignante, en contexte scolaire. Pour la troisième partie, nous avons pénétré le vif du sujet en questionnant directement les enseignantes sur la présence possible d’un idéal d’élève dans leur esprit. L’entretien était donc construit de manière progressive, du général au plus spécifique, en passant par des questions permettant de vérifier le lien entre oral et écrit.

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Par ailleurs, nous avons essayé de poser nos questions sans trop induire de réponses, mais entre le premier entretien et le dernier, nous avons remarqué une légère modification de nos formulations de questions, en fonction des réponses que nous avions eues précédemment. Par exemple, nous avons remarqué que lorsqu’nous avions demandé d’établir un profil d’élève idéal auprès des deux premières enseignantes, celles-ci nous avaient principalement énoncé de longues phrases alors que ce que nous nous intéressions à un portrait sous forme d’adjectifs. Nous avons donc reprécisé exactement ce que nous attentions pour la dernière enseignante. Dans un certain sens, nous avons amélioré chaque entretien mais nous avons aussi pu quelque peu modifier l’enquête. De plus, nous nous sommes peut-être un peu trop centrées sur la recherche de preuves dans l’élaboration de nos entretiens. Nous voulions surtout démontrer le lien entre les informations issues des carnets et le discours des enseignantes interviewées. Nous avons donc laissé peu de place à l’ouverture vers de l’inattendu ou vers d’autres éléments qui aurait pu apporter un autre regard à notre hypothèse principale. Si nous n’avions pas procédé comme tel, nous aurions pu enrichir notre analyse et notre réflexion, en étant confronté à des éléments nouveaux. Notre manière de procéder a peut-être quelque peu "fermé" l’ouverture possible vers des éléments contre-intuitifs.