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L'élève idéal : un reflet aux multiples facettes, ou quand les étiquettes se bousculent pour dessiner le portrait de l'élève idéal

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Master

Reference

L'élève idéal : un reflet aux multiples facettes, ou quand les étiquettes se bousculent pour dessiner le portrait de l'élève idéal

GRANGIER, Marielle, PALMA, Sandra

Abstract

Nous nous intéressons au processus d'étiquetage des élèves, sur la base d'un idéal d'élève.

Notre mémoire se focalise sur l'élève idéal, concept que nous avons cherché à mettre en lien avec les étiquettes que les enseignants posent sur leurs élèves dans les commentaires de carnets scolaires. Le contexte de notre recherche se centre sur une seule école, dans laquelle nous avons interrogé trois enseignantes. Ces dernières nous ont, dans un premier temps, prêté les carnets de leurs élèves lors du premier trimestre scolaire, afin que nous puissions en analyser les commentaires et en relever les étiquettes. Dans un second temps, nous sommes retournées dans les classes pour interroger les professionnelles sur divers aspects de leur pratique, ainsi que sur leur conception de l'élève idéal. Ainsi, nous tentons à travers notre recherche de voir si les étiquettes écrites dans les carnets peuvent refléter le portrait d'un idéal d'élève.

GRANGIER, Marielle, PALMA, Sandra. L'élève idéal : un reflet aux multiples facettes, ou quand les étiquettes se bousculent pour dessiner le portrait de l'élève idéal. Master : Univ. Genève, 2011

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:18141

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L'élève idéal : un reflet aux multiples facettes ou

Quand les étiquettes se bousculent pour dessiner le portrait de l'élève idéal

MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DU/DE LA LICENCE EN SCIENCES DE L'EDUCATION

PAR Marielle Grangier

Sandra Palma

DIRECTEUR DU MEMOIRE Claude Laplace

JURY

Janette Friedrich Anne Perréard Vité

GENEVE JUIN 2011

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION SECTION SCIENCES DE L'EDUCATION

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RESUME

Nous nous intéressons au processus d’étiquetage des élèves, sur la base d’un idéal d’élève.

Notre mémoire se focalise sur l’élève idéal, concept que nous avons cherché à mettre en lien avec les étiquettes que les enseignants posent sur leurs élèves dans les commentaires de carnets scolaires. Le contexte de notre recherche se centre sur une seule école, dans laquelle nous avons interrogé trois enseignantes. Ces dernières nous ont, dans un premier temps, prêté les carnets de leurs élèves lors du premier trimestre scolaire, afin que nous puissions en analyser les commentaires et en relever les étiquettes. Dans un second temps, nous sommes retournées dans les classes pour interroger les professionnelles sur divers aspects de leur pratique, ainsi que sur leur conception de l’élève idéal. Ainsi, nous tentons à travers notre recherche de voir si les étiquettes écrites dans les carnets peuvent refléter le portrait d’un idéal d’élève.

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MEMOIRE DE LICENCE

Sciences de l’éducation Mention enseignement

L’élève idéal :

un reflet aux multiples facettes

ou

Quand les étiquettes se bousculent pour dessiner le portrait de l’élève idéal

Marielle Grangier et Sandra Palma

Juin 2011

Comission de mémoire :

Claude Laplace

Janette Friedrich

Anne Perréard Vité

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Remerciements

Nous tenons à remercier tout particulièrement notre directeur de mémoire, Monsieur Claude Laplace, pour nous avoir guidées et soutenues dans l’élaboration de notre travail de mémoire.

Ses nombreux conseils et la confiance qu’il nous a témoignée nous ont permis de mener à bien notre recherche.

Un grand merci également aux trois enseignantes qui ont accepté aimablement de nous accorder du temps pour participer à notre aventure. Elles ont pris au sérieux notre sujet, ce qui nous a encouragées pour la suite du travail.

Nous tenons encore à exprimer nos remerciements à Madame Janette Friedrich et Madame Anne Perréard Vité pour l’intérêt qu’elles ont porté à notre problématique.

Enfin, nous remercions notre famille et nos amis pour leur soutien, leur patience et leurs encouragements.

Marielle Grangier et Sandra Palma

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Table des matières

1. Introduction ... 4

1.1 Choix personnels ... 4

1.2 Problématique ... 6

2. Cadre théorique ... 12

2.1 Recherches existantes sur le sujet ... 12

2.2 Cadre conceptuel ... 13

2.3 Les carnets scolaires : rôles et enjeux ... 31

3. Méthodologie ... 34

3.1 Recherche exploratoire ... 34

3.2 Questions de recherche ... 38

3.3 Choix méthodologiques ... 39

3.4 Traitement des données ... 46

4. Etude des carnets ... 50

4.1 Classe de 2P ... 51

4.2 Classe de 3P ... 60

4.3 Classe de 4P-5P ... 68

5. Analyse des entretiens ... 85

5.1 Classe de 2P ... 86

5.2 Classe de 3P ... 97

5.3 Classe de 4P-5P ... 109

6. Synthèse et interprétation des résultats ... 120

6.1 Commentaires conclusifs ... 120

6.2 Retour à notre question de départ ... 123

7. Conclusion ... 126

7.1 Apports et limites ... 126

7.2 Pistes de réflexion ... 127

8. Bibliographie ... 130

9. Webographie ... 134

10. Annexes ... 136

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1. Introduction

Le sujet de ce mémoire découle d’un intérêt commun en lien avec nos expériences personnelles dans le milieu scolaire, en tant qu’élève ou en tant que stagiaire. C’est d’ailleurs ces dernières que nous souhaitons présenter en premier lieu car nous estimons qu’il est important de retracer l’éclosion de notre problématique.

1.1 Choix personnels

a. Première expérience

Pour l’une d’entre nous, le choix de ce sujet provient d’une expérience vécue en tant qu’élève.

En effet, durant sa scolarité primaire, elle a eu le sentiment d’avoir été constamment considérée par les enseignants, comme une élève discrète, qui ne prenait pas beaucoup la parole. D’ailleurs, dans ses carnets scolaires, les enseignants écrivaient généralement des commentaires positifs sur son attitude scolaire mais relevaient toujours qu’elle était « timide » et devait participer davantage. Ainsi, à force d’entendre ces remarques sur sa personnalité soi- disant timide, elle s’en est petit à petit convaincue. En effet, elle ne pouvait, à l’époque, que croire l’avis des professionnels, car elle jugeait ces derniers comme étant supérieurs, de par leur position légitime. En outre, Meyer (1998) précise ceci :

Un enfant construit une image qu’il a de lui-même en fonction de la manière dont il se croit perçu par les adultes. Un enfant trop jeune n’est pas capable de remettre la parole de l’adulte en cause et ne trouve pas la distance nécessaire pour ne pas accuser ses paroles. (p.27)

Toutefois, certains enseignants ont aidé cette ancienne élève à se sentir à l’aise, à s’exprimer plus, car ils n’entendaient pas la timidité comme un caractère immuable de sa personnalité.

D’autres, au contraire, se sont montrés sévères, voire intolérants concernant cette attitude, ce qui l’a "bloquée" encore plus. En effet, en présence de ces enseignants, elle redoutait sans arrêt de faire un faux pas, ce qui l’a poussée à se renfermer davantage. A cause de ces derniers, elle travaillait dans la crainte de décevoir ou de s’éloigner de l’image de l’élève qu’elle pensait devoir être.

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Heureusement, aujourd’hui, le poids du jugement est moindre comparé à son sentiment durant sa scolarité obligatoire. D’ailleurs, elle n’y avait plus vraiment prêté attention ces dernières années, mais c’est en effectuant des remplacements ou des stages, qu’elle s’est souvenue de son passé scolaire. Son sentiment de malaise a donc ressurgi, ce qui l’a poussée à s’interroger sur ce qu’elle avait vécu durant sa scolarité. Justement, Cifali (1993) conseille :

Si vous avez été l'objet d'un jugement, dans votre enfance ou à d'autres moments, essayez de comprendre la signification de la blessure que ce jugement a laissée et vous vous rendrez compte si ce jugement a été vraiment porteur de développement ou si vous vous êtes retiré, plus en mesure de ne rien entendre et donc d'évoluer. (Les fonctions du jugement. Para 3)

Par ailleurs, en rapport avec cette expérience, nous nous accordons pour affirmer qu’un tel jugement aurait dû être évité en amont pour limiter ce retour réflexif pouvant s’avérer douloureux.

b. Deuxième expérience

Pour l’autre d’entre nous, le choix de ce sujet provient avant tout d’une réflexion personnelle à partir d’une situation vécue durant un stage. En effet, tout a commencé lors d’une discussion entre l’étudiante et sa formatrice de terrain, à propos d’un élève de la classe. L’échange portait sur les difficultés scolaires et comportementales de cet élève, ainsi que sur les possibles démarches à mettre en place pour favoriser son apprentissage. L’étudiante questionnait plus spécifiquement l’enseignante sur la meilleure façon de soutenir cet élève et de l’amener le plus près possible des objectifs visés, malgré ses difficultés. A cette question, la formatrice a formulé une réponse à laquelle l’étudiante ne s’attendait pas. En effet, l’enseignante lui a clairement indiqué qu’il fallait "laisser tomber" parce cet élève était de toute façon « lent »,

« démotivé », « fainéant », pour reprendre les termes exacts. En résumé, l’enseignante ne voyait pas l’utilité de s’occuper de ce dernier ou de dépenser de l’énergie pour l’aider. Elle estimait en effet que cette attitude, faisant partie de la personnalité de l’élève, ne pouvait donc pas changer.

En toute honnêteté, l’étudiante a été choquée par la réponse de sa formatrice. De plus, selon nous, une telle remarque n’a pas sa place dans l’enseignement. D’ailleurs, l’article 4 du cahier des charges de l’enseignement primaire indique que : « L’enseignement publique a pour but, dans le respect de la personnalité de chacun : a) de donner à chaque élève le moyen d’acquérir

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les meilleures connaissances […] b) d’aider chaque élève à développer de manière équilibrée sa personnalité » (Charte et cahier des charges de l’enseignant primaire, extrait de la Loi sur l’Instruction publique C 1 1, art. 4, DEP). Qui plus est, selon Mannoni (1986) :

Il est toujours suspect de porter un jugement moral sur un enfant. L’adulte qui juge, parent ou enseignant, se trompe […] sur l’objet en inférant une communauté de nature entre les performances et celui qui les obtient et en confondant donc l’agent avec son action. […] Les portes du ciel scolaire se referment devant l’enfant hébété qui attendait un soutien et qui reçoit un jugement, qui espérait une compréhension et obtient une sentence. (cité par Meyer, 1998, p.26-27)

A partir de là et en accord avec ces principes théoriques, l’étudiante a commencé à réfléchir à une problématique de travail de mémoire portant sur le jugement de valeur et la catégorisation. En outre, son choix s’est vu définitivement confirmé à la suite d’un second événement marquant, lié à la critique de la personnalité de ce même élève. En effet, il s’est avéré que durant ce stage, l’étudiante a accompagné la classe à un concours organisé pour apprendre les règles de circulation en vélo. Au terme de ce challenge, l’élève en question a remporté le premier prix. A cette nouvelle, l’enseignante s’est exclamée, toute surprise : « Non, j’y crois pas ! C’est lui qui a gagné ? D’habitude il est tellement nul en tout ! Il faut vite que j’aille prévenir sa répétitrice, elle va bien se marrer ». Pour l’étudiante, ces paroles ont fortifié l’intérêt premier de vouloir effectuer une recherche sur les jugements et le processus de catégorisation. D’ailleurs, pour justifier cette préoccupation, Meyer (1998) indique : « Il ne faut donc pas oublier qu’il est important de peser ses mots face à un enfant et combien un discours tel que « tu es paresseux » ou « tu es bête » peut être destructeur pour un enfant » (p.27).

1.2 Problématique

a. De quoi parlons-nous ?

Ce sont donc principalement nos expériences qui ont motivé le choix de notre problématique, en renforçant l’idée que les enseignants ont tendance à juger les élèves et à leur attribuer des

"étiquettes". A titre indicatif, nous entendons par le terme précédent, les adjectifs associés à des verbes d’état impliquant une attribution, comme le verbe être par exemple. A partir de là,

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il est du domaine de l’interprétation d’en expliquer la cause par le fait que tous les enseignants auraient une représentation d’un idéal d’élève dans leur esprit, et qu’ils se baseraient inconsciemment sur cette image pour juger l’attitude scolaire des élèves. De ce fait, les étiquettes rendraient compte du rapprochement ou de l’éloignement des élèves par rapport à cet idéal. En outre, nous pouvons aussi rapidement faire un lien entre le phénomène d’étiquetage (le fait d’attribuer des étiquettes) et la quête d’un idéal en nous basant sur des éléments issus des théories psychosociales. En effet, Cifali (1993) indique que « juger l'autre est proche du préjugé. C'est un verdict que nous posons sur un autre à partir de nos normes et notre morale. Nous le jugeons à partir de notre propre échelle de valeurs et il en ressort un verdict. Cette part du jugement est délicate » (Les fonction du jugement. Para 1.).

Par ailleurs, la thématique de l’élève idéal1 amène à d’autres sujets dérivés que sont l’étiquetage et la catégorisation. Ces derniers traduiraient alors la distance entre l’élève et ce que l’enseignant attend de lui pour qu’il soit idéal. En effet, un enfant constamment considéré comme "bon élève" se trouvera plus proche du modèle intériorisé de son professeur qu’un enfant catégorisé comme "élève lent", soit "hors norme". Toutefois, comme cet idéal peut être inconscient, car parfois relié au passé du professionnel, la preuve du lien entre l’étiquetage et la représentation d’un idéal d’élève peut être difficile à établir.

Par ailleurs, certains auteurs confirment qu’il est humain, car socialement accepté, de catégoriser et d’étiqueter. Qui plus est, ces phénomènes sociaux guident notre société et se répercutent ainsi sur toute forme d’institution sociale, telle que l’école. A partir de là, il est donc illusoire de vouloir changer cela, d’autant plus que l’inconscient a apparemment aussi sa part à jouer. Quoiqu’il en soit, il nous tient à cœur d’en montrer le rapprochement puisqu’en tant que futures enseignantes, nous devons et nous voulons être prudentes face à ce phénomène social "inévitable". De plus, comme nous soutenons que la présence d’étiquettes peut avoir des répercussions sur la personnalité de l’élève, nous tenons à mettre ce phénomène en lumière et à attirer l’attention des enseignants sur la nécessité d’éviter le plus possible d’étiqueter les élèves.

Pour ce faire, il nous a semblé pertinent de faire correspondre la construction d’un profil d’élève idéal avec les étiquettes que les enseignants attribuent aux élèves. Nous avons donc

1 Nous considérons cette thématique comme un concept. Nous utilisons donc un caractère particulier.

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choisi de repérer essentiellement la présence des étiquettes dans les carnets scolaires et ceci principalement pour deux raisons. Tout d’abord, nous avons décidé de nous intéresser à ces supports puisque c’est en partie suite à la lecture des commentaires sur l’une d’entre nous, que s’est construite notre problématique. Ensuite, comme les carnets représentent un outil de communication primordial entre les enseignants et les parents ainsi qu’entre les praticiens eux-mêmes, cela signifie que l’image de l’élève qui est retranscrite sera découverte, voire même intériorisée par les différents lecteurs. De ce fait, les carnets scolaires contiennent des traces écrites qui peuvent marquer à jamais les passé scolaire des élèves.

Pour résumer, nous cherchons à comprendre dans quelle mesure les étiquettes présentes dans les commentaires de carnets, rendent compte de la représentation d’un élève idéal dans l’esprit des enseignants. A partir de là, nous espérons démontrer notre postulat de départ, à savoir que tous les enseignants se basent sur un idéal d’élève enfoui derrière divers gestes ou pratiques professionnels. Par ailleurs, nous considérons le jugement normal, voire inévitable dans toute interaction humaine. Par conséquent, nous ne remettons pas en doute sa fonction mais nous plutôt son statut dans les commentaires de carnets scolaires. Plus précisément, c’est le jugement sur la personnalité de l’élève que nous souhaitons pointer ici car il n’a pas sa place selon nous, dans un document officiel tel que le livret scolaire.

c. Pourquoi ce choix ?

Pour justifier notre prise de position, en plus de nos expériences personnelles, nous avons appris de certains auteurs que les attentes du maître, transposées le plus souvent en jugements, influencent l’estime de soi scolaire (ou autre) des élèves. Même si les enseignants ne s’en rendent pas forcément compte, ils laissent transparaître leurs attentes, ce qui peut affecter les élèves. Terrail (2002) confirme :

Au fil de l’accumulation des indices, il arrive un moment où les élèves ne peuvent plus ignorer ce qu’il en est du jugement des enseignants à leur égard. L’étape suivante du processus est franchie lorsqu’ils se sont convaincus de sa pertinence et se mettent à se comporter en conséquence. Bien d’autres enquêtes, après celles de Rosenthal et Jacobson, ont confirmé la fréquence de cette issue : l’élève finit par ressembler à ce que le maître attend de lui. (p.89)

A partir de là, nous pouvons clairement établir un lien entre notre problématique et le concept de l’effet Pygmalion découvert par Rosenthal et Jacobsen (1964). Ces psychologues ont

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postulé, à la suite de diverses expériences, que l’apprentissage peut être influencé en fonction des hypothèses énoncées par l’enseignant sur le devenir de l’élève.

Ainsi, de nombreuses théories ont prouvé l’influence des attentes des enseignants sur les élèves. Toutefois, nous ne nions pas le fait que certains élèves résistent à cela et ne sont pas touchés par les jugements professionnels. En effet, selon Terrail (2002) :

Pour que l’enfant organise ou réorganise sa conduite autour de l’identité de bon ou de mauvais élève proposée par le maître, encore faut-il en effet que ce dernier persiste suffisamment longtemps dans son jugement à son égard, et que lui-même ne soit pas ou ne soit plus en mesure d’opposer une résistance suffisante à la restructuration identitaire qu’on lui suggère. (p.90)

De ce fait, il serait exagéré de penser que tous les jugements des enseignants affectent la personnalité des élèves. Cependant, il est important d’être conscient du risque que certaines étiquettes, selon leur prégnance et leur fréquence, peuvent avoir comme influence sur la personnalité d’un élève, à plus ou moins long terme. Certes, le caractère de l’enfant joue un rôle dans la propension à intégrer ou non les jugements de l’enseignant mais ceux pour qui c’est le cas, Terrail (2002) parle de « restructuration identitaire » (p.90), terme expressif selon nous. D’ailleurs, c’est parce que nous avons observé ou expérimenté les manifestations du processus d’étiquetage que nous nous permettons aujourd’hui de porter notre regard sur les tenants et les aboutissants de ce phénomène à travers les commentaires des carnets scolaires, écrits par les enseignants. Par ailleurs, nous tenons à préciser que nous avons parlé des conséquences de l’étiquetage pour montrer l’ampleur que ce phénomène peut avoir, mais ce n’est pas sous cet angle d’analyse que nous menons notre recherche. En effet, notre intention est de montrer dans quelle mesure les étiquettes présentes dans les commentaires de carnets scolaires sont révélatrices d’un idéal d’élève ancré dans l’esprit des enseignants. L’évocation des possibles conséquences sur l’estime de soi de l’enfant peut être vue comme la justification du choix de notre objet de recherche.

d. Quel chemin empruntons-nous ?

Nous l’aurons compris, la quête de l’idéal, l’étiquetage et la catégorisation sont autant de phénomènes sociaux indispensables au fonctionnement d’une société comme la nôtre. A partir de là, nous considérons donc l’élève idéal et ce qu’il engendre (étiquetage) comme faisant partie d’un comportement humain socialement "normal", transposé à l’école. Ainsi, nous

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n’allons pas chercher à résoudre ce phénomène mais plutôt à le mettre en évidence. Nous sommes persuadées que cette intention représente déjà un grand pas vers la remise en question de soi et de sa pratique, ce qui est indispensable dans l’enseignement. En effet, travailler dans un métier de l’humain implique une réflexion sur la relation que l’on entretient avec l’autre. En tant que futures enseignantes, nous nous devons donc de développer une pratique réflexive et analytique. D’après Perrenoud (2008), « savoir analyser les relations intersubjectives est une dimension majeure de la pratique réflexive » (p. 144). De plus :

L’analyse ne suspend pas le jugement moral, elle ne vaccine pas contre toute culpabilité, mais elle incite le praticien à accepter de ne pas être une machine infaillible, à faire la part de ses préférences, hésitations, passages à vide, trous de mémoire, partis pris, dégoûts et attirances et autres faiblesses inhérentes à la condition humaine. (Perrenoud, 2008, p.55)

En ce qui nous concerne, nous débuterons notre carrière en ayant déjà effectué une partie de ce travail de réflexion, grâce à notre recherche. D’ailleurs, « le savoir-analyser ne s’use que si l’on ne s’en sert pas ! Certains enseignants l’ayant acquis en formation initiale s’en serviront quoi qu’il arrive parce que la pratique réflexive est devenue une part de leur identité professionnelle » (Perrenoud, 2008, p.65). De ce fait, nous serons sûrement plus attentives à limiter l’étiquetage, ce qui sera bénéfique pour nos futurs élèves.

En outre, il est peut-être encore important de dire que des études théoriques, telles que celle de Pascal et Pascal (2003), ont montré que les enseignants prennent davantage compte, dans leurs jugements, des aspects relatifs à l’habileté sociale et au physique des élèves plutôt que des aspects académiques. En référence à ce constat, nous choisissons aussi d’être attentives aux différentes significations des étiquettes relevées lors de notre recherche. Ces dernières seront-elles plutôt relatives à la personnalité de l’enfant (gentil, calme, drôle…) ou à celle de l’élève (appliqué, studieux…) ? En parallèle, des recherches ont dévoilé que le passé de l’enseignant influençait considérablement ses attentes vis-à-vis des élèves. Qui plus est, ces dernières pourraient même traduire de frustrations inconsciemment enfouies dans le psychique de l’enseignant. Par ailleurs, nous ne nous attardons pas sur ce dernier aspect, dans le cadre de notre recherche, puisque les causes de l’étiquetage ou de la construction d’un idéal d’élève ne nous intéressent pas ici. Cependant, nous gardons cette composante à l’esprit pour observer si les profils d’élève idéal se différencient les uns des autres. Si oui, nous pourrons supposer que les attentes personnelles du professionnel sont influentes, peut-être même plus que les attentes institutionnelles. Toutefois, ce n’est pas l’objet de notre mémoire.

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11 e. Pour arriver où ?

D’après ces diverses ressources personnelles et théoriques, nous avons dégagé quelques hypothèses traduisant ce que nous pourrions retirer de notre recherche. Tout d’abord, si l’on en croit certaines recherches théoriques, les jugements professionnels sont fortement influencés par le passé de l’enseignant. Ainsi, nous supposons que les profils d’élève idéal seront dissemblables, en fonction des différents enseignants. Par ailleurs, nous maintenons la possibilité que certains enseignants ne nous avouent pas clairement avoir un idéal d’élève, ce qui donnera davantage d’importance à la démarche interprétative. En effet, si tel est le cas, nous aurons à traduire les propos de ces enseignants, de sorte à quand même identifier un profil d’élève idéal. Ensuite, concernant plus spécifiquement la présence des étiquettes, nous pensons nous retrouver face à quatre cas de figures possibles:

- Les étiquettes écrites se retrouvent à l’oral et coïncident avec le profil de l’élève idéal exprimé par l’enseignant.

- Les étiquettes ne sont présentes qu’à l’écrit, ce qui rend le tracé de l’élève idéal incomplet puisque nous n’aurons qu’une source de référence cohérente.

- Les étiquettes ressortent uniquement à l’oral, ce qui va à l’encontre de notre but initial, à savoir, se baser sur les étiquettes écrites. En outre, l’absence de ces dernières pourrait être envisagée comme une prudence intentionnelle de la part de l’enseignant.

- Les étiquettes écrites et orales ne coïncident pas avec le profil d’élève idéal exprimé par les enseignants ou sont peu nombreuses voire absentes. Si tel est le cas, les propos des enseignants seront utiles pour pouvoir décoder un profil d’élève idéal.

Par la suite, toujours en rapport avec des éléments théoriques, nous estimons que les étiquettes toucheront davantage la personnalité de l’élève que ses caractéristiques scolaires. Pour finir, nous envisageons bien évidemment la possibilité d’être confrontées à des résultats contre- intuitifs. En effet, nous avons essayé de regrouper ici un maximum d’hypothèses mais il se peut que nous n’ayons pas tout anticipé. C’est d’ailleurs ce qui, selon nous, enrichit aussi un tel type de travail de recherche.

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2. Cadre théorique

2.1 Recherches existantes sur le sujet

En s’informant sur les travaux déjà effectués sur notre sujet de mémoire en Europe, nous avons trouvé quelques mémoires, à Genève, traitant de certains de nos concepts. Cependant, aucun n’aborde strictement notre sujet par l’entrée que nous empruntons. Tout d’abord, le mémoire de Broquet (2000), intitulé Comment des élèves de classes spécialisée et ordinaire se représentent-ils les disciplines scolaires, et notamment les activités artistiques ? : éclairage sous les angles de l'utilité, de l'intérêt, du concept de soi et de la représentation de l'élève idéal, suppose la présence de l’élève idéal.

Ensuite, concernant les catégorisations et leurs répercussions sur le parcours de vie, nous avons trouvé un mémoire (Rénier, 2003) s’intéressant au type d’élève qu’avaient été certains enseignants, et comment leur passé les a influencés dans leur devenir. Cette notion de "genre d’élève" suppose donc l’existence de catégories, différenciant les types d’apprenants. Nous y trouvons également l’idée que le passé de l’enseignant peut influencer ses attentes concernant les élèves. Comme nous le verrons par la suite, de nombreux auteurs soutiennent cela.

En outre, le mémoire dont la problématique se rapproche le plus de la nôtre est celui intitulé Subjectivement vôtre (Battaglieri & Bellassoued, 2003). En effet, il aborde lui aussi le phénomène d’étiquetage des élèves, mais en se focalisant plus particulièrement sur deux catégories d’élèves : les "chouchous" et les "têtes à claques". Le procédé de recherche de ces étudiantes est assez semblable au nôtre, c’est pourquoi nous nous en sommes parfois inspirées. En effet, elles analysent les étiquettes sous l’angle des représentations sociales et de leur influence à l’école. De plus, ces auteures guident aussi leur analyse méthodologique vers le tracé d’un portrait d’élève particulier, à travers les représentations personnelles des enseignants interviewés. Cependant, ce mémoire se restreint à deux portraits : celui de l’élève

« chouchou » et celui de la « tête à claques ». Pour notre part, même si nous partons également des représentations des enseignants, nous nous intéressons au portrait plus général que représente l’élève idéal.

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2.2 Cadre conceptuel

a. D’où vient l’élève idéal ? Influences sociales

Avant de parler d’élève idéal, nous trouvons pertinent de remonter d’abord aux sources de cet idéal pour en comprendre l’existence. Commençons par évoquer Bernard Charlot qui, dans son ouvrage La mystification pédagogique (1976), reliait la pédagogie à la société. Qu’elle soit traditionnelle ou nouvelle, la pédagogie raccroche ses principes à un idéal, né des normes d’une société (le Bien incarné par les adultes « modèles » de la société bourgeoise, ou la pédagogie active et la vie sociale). Ainsi, nous constatons que cette quête d’idéal a toujours fait partie du fonctionnement de notre société occidentale.

L’Ecole, comme nous le savons, est une institution dont les normes sont déterminées par la société. Elle n’échappe donc pas non plus au risque de l’intériorisation d’un idéal vers lequel il faut amener les institués, autrement dit à l’existence d’un élève idéal. Ce concept existe dans les mentalités puisque différents travaux ont déjà été menés pour définir un portrait d’élève idéal. Ce sont souvent les mêmes étiquettes qui reviennent. Ces dernières se rapportent au travail scolaire (participatif, intéressé, bon travailleur…) mais aussi et surtout à l’attitude de l’élève (attentif, sociable, autonome, gentil…).

Tu n’es pas comme je veux !

Nous pourrions alors nous poser la question suivante : les enseignants se représentent-ils un élève idéal ? Un premier postulat est apporté par divers auteurs dont Bossard (2009). Cet auteur présente cette conception comme un moyen de défense inconscient de l’enseignant qui ne parvient pas à faire des élèves ce qu’il voudrait qu’ils soient. Ainsi, il y aurait, selon Bossard (2009), une confrontation entre le côtoiement des élèves au quotidien et l’idéal de l’enseignant. L’auteur, après un travail de recherche auprès de plusieurs enseignants, a déduit que l’élève idéal serait celui pour lequel l’enseignant aurait été formé, auquel il pourrait transmettre ses meilleures connaissances, celui qui pourra l’aider à devenir meilleur, mais il serait aussi à la fois l’élève que l’enseignant a été et celui qu’il a rêvé d’être. Nous retrouvons l’idée ici d’une influence non-négligeable du passé de l’enseignant dans son rapport aux

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élèves, aspect que d’autres auteurs ont également exploré, comme nous le verrons par la suite.

De plus, Mosconi (1990) présente les élèves non-conformes à ces attentes comme une persécution potentielle contre laquelle l’enseignant peut se défendre de différentes manières, souvent inconscientes d’ailleurs.

Nous avons donc ici une première hypothèse psychique impliquant le narcissisme du professionnel. D’autres auteurs, comme Marc (1981), parlent de ce dernier comme d’un aspect déterminant les attentes des enseignants sur leurs élèves, qui seront plus positives si ces derniers se rapprochent de leur idéal. Bossard (2009) prétend alors que, pour ne pas se rendre responsable des difficultés qu’il rencontre à amener les élèves vers son idéal, l’enseignant se défend en attribuant la responsabilité de ces écarts aux apprenants. Ce même auteur parle aussi d’un idéal pédagogique et didactique, construit tout au long des expériences professionnelles et inspiré de la psychanalyse de Freud. Ce dernier est aussi une inspiration dans l’hypothèse de ces auteurs puisqu’ils s’appuient sur sa définition du métier d’enseignant comme un métier où on ne réussit jamais, pour avancer l’idée du mécanisme de défense des formateurs face à une telle fatalité. A partir de là, ne pourrions-nous pas supposer que l’étiquetage dont nous parlons dans notre travail soit un de ces mécanismes de défense ? Ce serait une piste à explorer mais qui ne fait pas partie de notre travail.

Au-delà de ce mécanisme de défense, cet étiquetage ne serait-il pas aussi tout simplement un mode de fonctionnement, indispensable mais dangereux ? En effet, comme nous le verrons ci- dessous, la catégorisation, le stéréotypage et toute autre forme de classement sont considérés comme des outils psychiques nécessaires à tout individu social puisqu’ils lui permettent d’ordonner et de gérer la réalité sociale, dans laquelle il pourra se situer, grâce à cette organisation. Aussi, qui dit catégorie ou étiquette, dit forcément norme de référence, ce qui suppose encore que nous avons besoin d’une norme, d’un idéal sur lequel se baser pour créer nos catégories et estimer la position plus ou moins proche d’un individu par rapport à notre idéal en lui attribuant une étiquette. C’est précisément dans ce sens que nous imaginons l’étiquetage scolaire comme un mode de fonctionnement, dans le sens où l’enseignant, responsable de la bonne éducation, est censé avoir un modèle vers lequel il doit amener ses élèves. L’enseignement est par définition un acte d’influence puisque le savant amène l’apprenant vers ses connaissances. Ainsi, pour pouvoir juger de l’apprentissage d’un élève, il doit le comparer non seulement à son modèle de base mais aussi au reste de la classe qui sert

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lui aussi de référence et de mesure d’adéquation entre le savoir et les capacités des élèves. La courbe de Gauss, ou la loi de Posthumus, comme nous le verrons plus tard avec le jugement normatif, montre cette comparaison de manière négative alors que nous venons de voir qu’elle est naturelle chez l’être humain et qu’elle peut même être utile.

b. Catégorisation et étiquetage Catégorisation

Bourdieu (1993) confirme l’existence du mécanisme humain de catégorisation. Il présente ce dernier comme une capacité de l’humain à appréhender, réduire et organiser l’immensité de la réalité en groupes, en catégories, selon des critères très variés et dépendant du contexte social.

Dans ce sens générique, ce terme n’a pas une connotation négative, il révèle au contraire une nécessité chez l’individu pour identifier des éléments de la réalité, regroupés selon certains principes sociaux, et pouvoir ainsi contrôler cette dernière.

Cependant, d’autres écrivains, comme Loureau (1977), dénoncent le phénomène de catégorisation créé par l’Etat qui impose aux institutions ses règles, ses lois et ses normes qui font naître le sens commun. Baumgarten (2008) renforce même cette idée en attribuant à l’Etat le rôle de créateur de normes dans la société occidentale, ce qui va forcément se répercuter sur les institutions. Ainsi, l’école catégoriserait les élèves qui ne correspondraient pas à cette "normalité". La représentation de la réalité se construit alors socialement, à travers les idéaux et les normes transmises par la société. A partir de là, il y a comme une frontière invisible entre ce qui est considéré comme "normal" et ce qui ne l’est pas. D’ailleurs, « Les institutions réarrangent les manières de voir (et de se voir) de leurs membres à travers un travail de production de catégories. La notion d’identité n’est plus alors que l’appropriation par l’individu (son identification) de choix prédéterminés » (Monceau, 2001, p.29).

Etiquetage

- Les étiquettes par la société

Selon le Robert Micro (2006), une étiquette est « ce qui marque qqn et le classe (dans un parti, dans une école, etc.) » (p.504). Becker (1963) fonde la théorie de l’étiquetage comme

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moyen de stigmatiser le déviant, celui qui ne correspond pas à la norme, en lui collant une étiquette. A la base, ce concept s’applique à de la déviance principalement criminelle, mais le phénomène d’étiquetage en soi est devenu « un fait social en lui-même ». De ce fait, celui qui n’agit pas conformément aux normes imposées par un de ses groupes sociaux d’appartenance se voit attribuer une étiquette pointant sa « déviance ». La société et les normes qu’elle impose sont donc à l’origine de tous les phénomènes sociologiques abordés ici et se répercutent sur tout organisme social, tel que l’école.

- Les étiquettes par l’Ecole

Gilles Monceau (2001) explique l’étiquetage des élèves par l’écart entre ce que ces derniers sont et ce que l’Institution et l’Etat attendent d’eux qu’ils soient. Cela suppose donc l’existence prédéterminée par les autorités sociales de catégories « modèles » que les individus s’approprient plus ou moins inconsciemment. Ainsi, naît le sens commun qui va se répercuter sur toute forme de pouvoir social, comme l’Ecole, et donc sur toutes ses composantes (humains, textes officiels, lois…). Par conséquent, l’évolution de la société a une répercussion sur les attentes institutionnelles. Nous n’attendons pas aujourd’hui de nos élèves la même chose qu’on attendait d’eux au siècle passé, par exemple. La société évolue mais elle se perpétue aussi, c’est d’ailleurs ce qui assure son fonctionnement. « Les adjectifs se bousculent pour cerner un enfant […] L’empire de l’enfant adjectivé comporte d’étranges normes reconduites d’une époque à l’autre. La valse des défauts vient dessiner en pointillé l’enfant idéal. » (Cifali, 1994, p. 39).

D’autre part, Cifali (1994) considère néanmoins que : « L’être est fluctuant, on n’a pas à l’enfermer dans la qualification que nous lui prêtons. « Il est ainsi » dans telle circonstance, avec moi, mais cela ne signifie pas qu’il le soit de nature en tout lieu ou toute occasion » (p.47) ! Un enfant agité en classe ne le sera donc pas forcément à la maison, par exemple. De plus, nous devons aussi considérer les cas où l’enfant adopte le même comportement dans diverses situations où il est pourtant étiqueté différemment. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, les étiquettes pouvant être collées sur quelqu’un vont changer de situation en situation, puisque chaque groupe social est déterminé par des normes particulières. Ainsi, un enfant ayant reçu une éducation l’incitant à ne pas trop parler, à ne pas contredire l’adulte, à rester en retrait, et qui garde cette attitude calme, timide et réservé en classe risquera d’être

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étiqueté comme tel (c’est un élève "timide", "réservé"…). Ces étiquettes sont donc un moyen de communiquer la "non-adéquation" entre ce que l’enfant est et ce que l’Ecole et /ou l’enseignant attendent de lui.

- Les étiquettes par l’enseignant

Fiske & Taylor (1991) disent d’ailleurs que « les agents sociaux tiendraient à sélectionner ou à accorder plus de poids aux informations susceptibles de confirmer leurs attentes (biais de confirmation), interpréteraient les informations ambiguës dans le sens des attentes… » (cité par Pascal & Pascal, 2003, p.13). Ainsi, les jugements ont aussi des origines motivationnelles et socio-affectives. Il est d’ailleurs bien connu que les individus préfèrent les personnes qui leur ressemblent le plus et tendent alors à juger davantage négativement ceux qui s’éloignent de leur personnalité et de leurs attentes personnelles. Pascal & Pascal (2003) nous présentent quelques travaux de recherche sur le sujet, comme ceux de Dusek & Joseph (1983) ou encore de Ritts, Patterson & Tubs (1992) qui nous démontrent que les facteurs d’habiletés sociales et d’apparence physique des élèves entrent davantage en compte dans le jugement des enseignants que les facteurs académiques, relatifs au comportement scolaire. Bien que ces études ne se centrent pas principalement sur notre sujet, elles mettent tout de même en lumière le fait que les attentes institutionnelles et sociales ne sont pas les seules à intervenir dans le jugement scolaire, ce qui est important à considérer dans notre sujet.

Ce jugement scolaire est d’ailleurs critiqué par certains auteurs car les « adjectifs qualificatifs désignant la personnalité de l’élève », autrement dit pointant des qualités acquises hors contexte scolaire, seraient plus nombreux que ceux désignant un comportement scolaire. Cette découverte est par conséquent irrationnelle ; elle nous met face à une réalité non dévoilée, voire cachée. En effet, l’Institution et le discours dominant de l’école veulent faire croire que les enseignants ne jugent leurs élèves que par rapport aux normes et objectifs scolaires, c’est pourquoi ces acteurs taisent leurs réelles perceptions des apprenants sous des propos

"politiquement corrects".

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c. L’influence de l’étiquetage sur la personne de l’élève

Cette idée d’intériorisation de la valeur scolaire par l’élève est présente chez plusieurs auteurs.

Gosling (1992) parle de l’effet Pygmalion, étude menée en 1964 par les pédagogues américains Rosenthal et Jacobson, et qui rend compte de l’influence des représentations des enseignants sur le comportement scolaire de leurs élèves. Les résultats du test de niveau intellectuel de fin d’année ont montré une progression plus élevée chez le groupe d’élèves (choisi aléatoirement) qui avait été présenté aux enseignants comme ayant obtenu les meilleures notes lors du précédent test de niveau que le reste de la classe. Gosling (1992) en conclut que « la représentation que le maître a de l’élève a une influence notable sur le comportement de l’élève et sur ses résultats » (p.17).

Bien que nous n’étudions pas les conséquences des représentations des enseignants sur les élèves, et encore moins sur leur travail scolaire, nous trouvons intéressant de soulever l’idée que les représentations ne sont pas sans conséquence, notamment au niveau de comment l’élève se perçoit. Ces dernières sont tenaces, elles font partie d’une réalité sociale et commune dont il est compliqué de se défaire, d’autant plus qu’elles agissent à un stade crucial de la vie de l’enfant : à l’apogée de son processus éducatif. Autrement dit, c’est à ce moment même que l’enfant s’inspire davantage des modèles adultes comme de références pour se développer lui-même, à travers l’héritage culturel qui lui est transmis.

Gosling (1992) présente d’ailleurs ce phénomène comme ayant un effet "boule de neige"

puisque les représentations sociales influencent les attitudes de l’enseignant non seulement sur l’élève, mais aussi sur son comportement. Ainsi, l’élève se trouve « piégé par la représentation qu’on a de lui, ce qui vient confirmer la représentation du maître… » (p.18).

Cette conclusion est d’autant plus importante à considérer lorsque des auteurs comme Gilly (1980) nous annoncent que « l’influence normative des objectifs institutionnels sur les processus de sélection et de catégorisation apparaît précocement dans l’histoire scolaire de l’élève, puisqu’elle intervient déjà massivement dans les représentations construites par l’enseignant en fin de maternelle » (p.132). Ainsi, un élève qui se verrait catégorisé dès son entrée à l’école a de fortes chances de continuer à porter ces étiquettes tout au long de sa scolarité, surtout si nous supposons que ces étiquettes se transmettent, volontairement ou non, d’enseignant à enseignant. Que ce soit lors de discussions dans la salle des maîtres, pendant des TTC ou à travers des commentaires écrits (carnets, évaluations…), les jugements sur les

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élèves se transmettent entre collègues et se répandent, ce qui donne une valeur d’autant plus importante aux étiquettes. Nous discuterons des éventuels effets sur les élèves plus loin, à travers le jugement scolaire, cause de l’étiquetage.

d. La norme scolaire Les objectifs

Avant de devenir scolaires, les objectifs sont déterminés à un niveau social plus général, ce que nous confirme Cifali (1994) : « On n’imagine pas un sujet sans contexte politico-culturel : il se repère aux normes en cours […] L’Etat a besoin de cette filiation pour perdurer ; il transmet ses normes et affine ses contraintes. […]. Il n’y a pas d’éducation sans emprise, sans norme à transmettre. » (p.134). Par conséquent, l’Etat, par ses normes, va déterminer le fonctionnement et les principes de l’Institution scolaire.

D’ailleurs, le classeur des objectifs du Département de l’Instruction Publique (2000) traduit les attentes de l’Institution en termes d’expectatives sociales : « Conformément à la loi sur l’instruction publique, la mission première de l’école est de former globalement l’élève en vue du rôle qu’il-elle jouera dans la société sur un plan culturel, social, professionnel et civique.

Une large place doit être accordée au développement de compétences utiles dans tous les actes de la vie » (p.1). Le Plan d’Etudes Romand (2010), quant à lui, présente une variété d’objectifs que les élèves doivent acquérir, dans les domaines scolaires et transversaux. A travers ces attentes, l’élève est amené à se diriger vers un modèle type de citoyen, celui désiré par la société pour en assurer son développement. On attend donc principalement des attitudes spécifiques par rapport à l’apprentissage et à la responsabilité citoyenne de chacun, mais à aucun moment on nous parle concrètement de la personnalité attendue des élèves. En effet, l’Ecole clame haut et fort qu’il faut respecter l’intégrité de chacun et que, quelle que soit sa nature, il faut lui donner toutes les possibilités de réussir sa scolarité. C’est le principe d’éducabilité. A partir de là, comment expliquer que les enseignants traduisent leurs attentes en étiquetant leurs élèves par des attributs de personnalité ? Les explications sont diverses mais elles convergent finalement toutes vers la considération d’un élève idéal, ancré dans les esprits.

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20 La courbe de Gauss ou la Loi de Posthumus

Posthumus (1947) explique qu’ «un enseignant a tendance à classer les élèves, quel que soit le niveau général de la classe selon une courbe de Gauss de manière à ce qu’on trouve dans chaque classe la même proportion de faibles, de moyens et de forts. Un élève peut donc être considéré comme fort dans une classe et faible dans l’autre suivant les résultats obtenus par ses camarades » (Van Kempen, 2008, p. 4). Cette distribution dite gaussienne des performances des élèves suppose encore une fois l’existence d’une norme sur laquelle les enseignants doivent se baser pour évaluer leurs élèves. Dans ce cas précis, nous parlerons d’évaluation normative puisque la norme de référence est représentée par le niveau moyen de la classe, ce qui évidemment engendre des comparaisons entre les élèves et pénalise donc les plus faibles qui n’auraient peut-être pas été évalués comme tels dans une autre classe à niveau moyen plus bas.

Philippe Perrenoud (1984) dénonce effectivement ce phénomène en l’associant aux attentes et aux normes sociales :

Tout groupe social engendre des normes d’excellence. […] Les liens entre les hiérarchies scolaires et d’autres hiérarchies d’excellence sont d’autant plus explicables que l’enseignement se veut une préparation à la vie : les classements scolaires ne sont en ce sens que la préfiguration de hiérarchies qui ont cours dans la société globale, en vertu de modèles d’excellence suffisamment valorisés pour trouver place dans le curriculum. […] [L’école] produit sur les élèves une série de jugements qui donnent aux inégalités réelles une signification, une importance et des conséquences qu’elles n’auraient pas en l’absence d’évaluation. (cité par Van Kempen, 2008, p. 3)

Ainsi, puisque l’Ecole et la société sont reliées, les exigences sociales et institutionnelles poursuivent les enseignants lors de toute action pédagogique comme l’évaluation de leurs élèves. « Sous la pression de la société, les enseignants semblent obligés, pour être crédibles, de mettre un certain pourcentage de mauvaises notes, même dans les classes de bon niveau.

[…] Selon André Antibi, la raison essentielle de l’existence de cette constante est le fait que la société fait jouer au système éducatif un rôle de sélection et de classement des élèves » (Van Kempen, 2008, p. 5).

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Nous nous référons à la Loi de Posthumus car, bien qu’elle concerne principalement les évaluations des performances des élèves, elle met en lumière l’importance non négligeable d’une norme de référence. De ce fait, nous supposons que même dans une évaluation portant davantage sur la personnalité des élèves que sur ses compétences scolaires, il existe une ou plusieurs normes guidant le jugement des enseignants. Pour ce qui est des performances attendues, les attentes sont officiellement définies dans le Plan d’Etudes Romand (2010). En revanche, aucune exigence concernant la personnalité de l’enfant n’est prescrite officiellement, d’autant plus que l’Ecole a pour mission de respecter l’intégrité et la personnalité de chacun (Charte et cahier des charges de l’enseignement primaire, extrait de la Loi sur l’Instruction publique, C 1 1, art.4, DEP). « L’enseignant est tenu au respect de l’enfant, quels que soient son origine, sa langue, sa confession ou son milieu socioculturel. Il s’abstient de prosélytisme ou d’endoctrinement à l’égard des élèves et de leurs parents. » (Charte et cahier des charges de l’enseignement primaire, p.2, DEP).

e. L’élève idéal Définitions du terme "idéal"

Nous avons relevé plusieurs définitions du mot "idéal" qui semblent correspondre à notre perception de l’élève idéal, dans le Robert Micro (2006) :

En tant qu’adjectif (p.669):

- « Qui est conçu et représenté dans l’esprit sans être ou pouvoir être perçu par les sens. / contr. réel / »

- « Qui atteint toute la perfection que l’on peut concevoir ou souhaiter » -« Parfait en son genre »

En tant que nom (pp.669-670):

- « Ce qu’on se représente ou se propose comme type parfait ou modèle absolu dans l’ordre pratique, esthétique ou intellectuel. […] – Individu qui est le modèle d’un genre »

-« L’IDEAL : ce qui donnerait une parfaite satisfaction aux aspirations du cœur ou de l’esprit ».

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Dans notre travail, nous utilisons ce mot en tant qu’adjectif puisqu’il caractérise un nom, ici

«l’élève », et qu’il est en lui-même une étiquette. Ainsi, l’élève idéal est un modèle que les enseignants auraient dans leur esprit et qui correspondrait à l’élève parfait puisqu’il coïnciderait avec toutes les qualités attendues par ces enseignants. Par définition, l’idéal n’est pas réel, il est donc inatteignable, bien qu’il soit naturel chez l’humain de vouloir s’en rapprocher le plus possible. Notons d’ailleurs que c’est aussi pour cette raison que nous avons décidé d’écrire élève idéal en italique. Comme nous touchons ici au psychique, il n’est pas évident de savoir si cet idéal est toujours conscient dans les esprits, d’autant plus que nous le considérons comme un concept en soi. Nous pensons que l’élève idéal fait plutôt partie de l’inconscient des enseignants, que ces derniers ne se rendent pas totalement compte qu’ils ont eux aussi un modèle, d’apprenant, enfoui quelque part dans leur esprit.

Relation pédagogique

Pour qu’il y ait étiquetage ou modèle d’élève idéal, il faut qu’il y ait un lien relationnel entre le juge (ici, l’enseignant) et le jugé (ici, l’élève), et c’est précisément ce qui se passe dans toutes les classes. En effet, l’enseignant suppose des échanges et une relation pédagogique spécifique entre les acteurs. Cette dernière peut être définie comme un « ensemble de phénomènes d’échanges, d’influence réciproque, d’actions et de réactions entre enseignants et enseignés. » (PRISME, 2007, para1). La relation pédagogique se rapporterait donc à des échanges de type enseignement-apprentissage, dans un milieu scolaire particulier. D’ailleurs, Hess et Weigand (1994) estiment que la relation pédagogique peut être considérée « comme une interaction sociale s’inscrivant dans la rencontre adultes/jeunes, dans un contexte institutionnel déterminé. » (PRISME, 2007, para1).

Ce qui nous intéresse ici est précisément l’idée que l’enseignant se retrouve tous les jours en relation avec des personnalités (hétérogènes) différentes de la sienne. De ce fait, comme dans toute interaction humaine, il y a notre intégrité, notre personne physique et psychique, qui intervient dans ses relations. A partir de là, difficile d’imaginer que les échanges entre enseignants et élèves soient neutres et que ces relations n’affectent pas la personnalité de tous les concernés. Comme nous le verrons par la suite, ce n’est effectivement pas le cas.

D’ailleurs, une relation est par définition un « lien de dépendance ou d’influence réciproque (entre personnes) » (Le Robert Micro, 2006, p.1136).

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23 L’enseignement, un métier du «Je »

L’enseignement est un métier de l’humain, il suppose donc des échanges, des sentiments, des attachements et des détachements affectifs, autrement dit de la subjectivité. Cifali (1994) nous dit d’ailleurs :

Comme pour le psychanalyste, un enseignant est invité à faire le deuil d’une position idéalisée où il n’éprouverait aucun sentiment, serait neutre, bienveillant, sans passion et sans histoire, pour s’engager à travailler sa subjectivité après coup, lorsque cela est nécessaire. […] Qu’il [l’enseignant] élise Pierre et rejette Paul ne dépendrait pas de leurs seuls qualités ou défauts. S’y inscrit inexorablement la particularité de la rencontre. Et son histoire ferait figure de troisième partenaire, lui dérobant son unique rationalité et sa saine conscience … Il rencontrerait chez certains enfants les blessures, les rejets qui furent les siens […] On dialoguerait ainsi à partir de l’enfant qu’on a été et qu’on demeure, et plus celui-ci a dû se taire, plus il aurait cette force aveugle qui sculpte émotion et actes sans que l’on sache. (Cifali, 1994, p.179-180) Ainsi, sans entrer dans des détails psychanalytiques puisque ce n’est pas notre domaine de travail, nous ajouterons que l’étiquetage dépend de forces affectives et irrationnelles liées aux histoires des personnes. L’histoire de l’enseignant occupe donc une place inconsciente mais considérable dans ses relations professionnelles. A partir de là, penchons-nous sur le cas de l’élève idéal en tentant de voir si l’origine de ce modèle peut aussi être mise en parallèle avec l’expérience du professionnel.

Lien entre le passé de l’enseignant et son image d’élève idéal ?

Cifali (1994) est une des auteurs qui explique ce lien, notamment par une entrée psychanalytique : « L’enfant idéal dont le fantasme motive notre revendication n’est qu’une construction imaginaire, dont un enfant "réel" s’écarte toujours. "Est-ce l’idéal que je n’ai pas été dont je prolonge le rêve afin de le voir enfin réalisé" » (p.40) ? Filloux (1974) confirme aussi l’idée que le jugement d’un enseignant se réfère à l’image idéalisée de lui en tant qu’ancien élève. Cette même auteure ajoute l’idée que cette image d’élève idéal correspondrait à « l’estimation entre ce qu’on peut faire et ce qu’on veut faire » (p.108), c’est donc une sorte de référence qui rassure l’enseignant face au décalage mais qui place l’acte pédagogique « dans un rapport clos sur lui-même, où l’enseignant se définit et définit les élèves par rapport à l’image idéale qu’il a de lui » (p.109). Jubin (1991) rajoute encore ceci :

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Le métier d’enseignant est fait de répétitions intellectuelles, de répétitions des discours. Y a-t-il aussi une répétition affective, dangereuse parce que vaine, faite de leurres successifs qui viendraient rouvrir des cicatrices que l’on voudrait voir à jamais fermées ? La présence de l’élève devient source de compensations affectives pour l’adulte, symbole de manques constatés, mais aussi des hésitations et des ratés de la vie. L’élève distingué de ces conditions est référé à l’histoire personnelle de l’adulte. Il est pensé comme l’enfant que l’enseignant a eu, aurait aimé avoir, ou bien comme l’enfant que l’enseignant a été, ou aurait aimé être (cité par Battaglieri & Bellassoued, 2003, p.45).

L’essentiel à retenir avec tout cela est la part importante à attribuer au psychisme de l’enseignant dans la relation pédagogique. Bien-sûr que le professionnel agit (ou du moins devrait agir) principalement par rapport aux attentes de l’Institution, dans le but d’amener le maximum d’élèves vers un «modèle imaginaire » de futur citoyen, doté de toutes les qualités jugées nécessaires dans notre société. Toutefois, d’autres facteurs plus personnels et relatifs aux évènements ou frustrations du passé entrent en compte dans cette relation et donnent lieu notamment à des étiquettes au moment de juger l’élève. Ces étiquettes traduisent alors la distance entre la réalité et le désiré. Arrêtons-nous maintenant sur cet aspect du jugement scolaire, phénomène permettant l’expression de l’étiquetage.

f. Le jugement scolaire Définition

Nous n’avons pas trouvé de définition théorique résumant exactement le jugement scolaire au sens que nous lui conférons dans notre travail. Cela dit, la signification que nous lui donnons est appuyée sur des constats théoriques, tels que : « Le jugement scolaire déborde le seul domaine scolaire pour, au-delà de l'élève, toucher l'enfant, dans son évaluation globale en tant que personne » (Joët, Nurra, Bressoux & Pansu, 2007, p.35). Nous entendons alors par

"jugement scolaire" tout ce qui relève de l’évaluation de caractéristiques personnelles de l’élève, et non de compétences scolaires en termes de performances et de notes. Ces caractéristiques peuvent influencer le travail scolaire, mais elles ne sont pas formulées telles quelles comme un objectif d’apprentissage. Dans ce sens, le jugement selon nous revêt une fonction d’attribut, puisqu’employé avec des verbes d’état, et non d’évaluation d’une action

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scolaire. Pour différencier ces deux types de jugements, regardons les phrases suivantes :

« Léa est appliquée » et « Léa travaille avec application ». Par l’emploi du verbe "être", la première attribue à la personne de l’enfant une caractéristique pouvant la définir à tout moment et dans tous les contextes, alors que la seconde phrase pointe une action scolaire observable dans une situation particulière : les moments de travail. Par ailleurs, Bressoux et Pansu (2003) définissent le jugement scolaire comme n’étant pas :

Une image « épurée », élaborée in abstracto, qui refléterait exactement les performances réalisées. C’est aussi un jugement social en ce sens qu’il est partiellement fondé sur des catégories, valeurs et normes sociales qui sont imposées à l’école par le fonctionnement de la société. (p. 87)

Ces auteurs précisent encore leur idée en donnant comme rôle à ce concept celui de « signifier l’utilité de la personne évaluée dans un environnement donné » (Bressoux & Pansu, 2003, p.160).

Le jugement scolaire, un jugement subjectif

Ainsi, pour être « utile » dans son environnement, il faudrait répondre à une majorité d’attentes définies par ce dernier. Pour constater cela, il faut évaluer les sujets impliqués, tout comme le font les enseignants avec leurs élèves. Cependant, l’évaluation se fait d’humain à humain, il est donc impossible de rester neutre dans son jugement, ce mot étant par définition subjectif. Il est alors important d’être conscient de ce biais pour éviter de tomber dans l’étiquetage, voire l’injustice. Jubin (1988) argumente en disant que :

Dans un établissement scolaire, l’enseignant est institutionnellement chargé d’évaluer le travail et les résultats de l’élève. De ce fait, tous les enseignants ont aussi une opinion sur chacun des élèves qu’ils côtoient. Se gardant de vouloir enfermer l’élève dans des catégories rigides, de vouloir l’ « étiqueter », ils savent néanmoins, quand ils sont devant leur classe, quels sont les élèves dynamiques et actifs, quels sont les paresseux, les roublards, les colériques, les violents et, pourquoi pas, les «têtes à claques ». Cette « idée » qu’ils ont des élèves fait que le travail et les résultats scolaires stricts ne sont pas les seuls critères de distinction (p.26).

Dans la même idée, Gilly (1980), dans son ouvrage sur les rôles du maître et de l’élève, explique que l’enseignant appréhende l’élève sous trois angles. Tout d’abord, il justifie son jugement par des sources extérieures au « sujet percevant » (à l’enseignant), autrement dit par

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des normes, des règles, des idéologies sociales et donc institutionnelles. Ensuite, il l’explique par l’histoire individuelle de l’enseignant, son expérience, son comportement ou encore ses attentes, autant de facteurs influençant sa représentation de l’élève. Enfin, il parle de la personne de l’élève et de la situation dans laquelle il est appréhendé comme dernières influences expliquant le jugement de l’enseignant. Ces idées se retrouvent schématisées ci- dessous (Gilly, 1980, p. 48):

En plus de la référence au passé de l’enseignant et aux normes institutionnelles, comme nous l’avons déjà vu, il y a ici l’idée aussi que l’élève appréhendé va être lui-même une source d’influence, ce qui signifie donc que la personnalité et le comportement de l’enfant entrent en ligne de compte et pose alors la question de l’objectivité du jugement professionnel. L’auteur dénonce d’ailleurs le fait que ces diverses sources conduisent à la représentation mentale d’un

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élève idéal qui détermine les « comportements typiques », « les attitudes générales » et les

« attentes de rôles » (cf. schéma) à l’égard des « modèles de comportements typiques » (Gilly, 1980, p. 50).

Les représentations

Commençons par définir le terme de « représentation » dans le sens que Jodelet (1989) l’entend :

Grille de lecture et de décodage de la réalité, les représentations produisent l’anticipation des actes et des conduites (de soi et des autres), l’interprétation de la situation dans un sens préétabli, grâce à un système de catégorisation cohérent et stable. Initiatrices des conduites, elles permettent leur justification par rapport aux normes sociales, et leur intégration. Le fonctionnement opératoire aussi bien des individus que des groupes est directement dépendant du fonctionnement symbolique.

(p.202).

Cette première définition des représentations, proposée par Jodelet, est intéressante car elle met en relation les différentes notions que nous travaillons et qui, au final, sont interdépendantes : les représentations, les catégorisations, ou encore les normes qui aboutissent, ensemble, à l’élaboration d’un monde symbolique sur lequel tout individu social faisant partie du milieu concerné se référera. Gilly (1980) présente lui aussi cette interrelation à travers son schéma du « système organisateur normatif » (p.75). Ce dernier expliquer alors ce qui influencerait les enseignants dans leur représentation des élèves. Vu que l’histoire du

« sujet-percevant » (Gilly, 1980, p.48) est prise en compte, il est fort probable que les attentes diffèrent d’un enseignant à un autre, en fonction de son interprétation propre des normes attendues au niveau institutionnel et de ses conceptions personnelles pour appréhender un élève.

Gilly (1980) expose des recherches qui ont démontré que « les valeurs [d’un élève] jugées les plus fondamentales [pour un enseignant] sont celles qui conditionnent la réalisation de ses objectifs professionnels et, du même coup, le degré de satisfaction de l’institution qui l’emploie avec toutes les incidences qui en découlent » (p. 104). L’auteur considère ainsi le professionnel de l’éducation comme :

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